Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire
et de
Président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales
La commission a entendu, au cours d'une réunion commune avec la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, M. Etienne Pinte sur son rapport au Gouvernement relatif à l'hébergement d'urgence.
Nous avons le plaisir d'accueillir notre collègue Etienne Pinte, venu commenter le rapport qu'il a remis au Premier ministre le 20 juin et ses propositions tendant à relancer les actions en faveur de l'hébergement et l'accès au logement. La question récurrente de l'hébergement des sans-abri se pose avec une acuité particulière à l'approche de l'hiver ; au sein de la commission des affaires économiques, M. Gérard Hamel effectue également une mission d'information sur ce sujet.
Vous avez formulé, Monsieur Pinte, de nombreuses propositions, selon quatre axes : renforcement du pilotage de ces actions ; mise en place de mesures préventives ; définition d'une politique aidant les sans-abri à sortir de la rue ; application effective de la loi « DALO ». Certaines mesures ont déjà été prises par le Gouvernement, telle la nomination d'un "super-préfet" chargé de coordonner les actions en faveur des sans-abri et des mal-logés. D'autre part, le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion reprend certaines de vos propositions.
Nous entendrons avec intérêt un bilan d'étape de l'application de vos suggestions par les pouvoirs publics. Vous nous direz aussi quelles sont les perspectives d'évolution pour l'hiver 2008-2009.
Les fondements d'une société harmonieuse sont, dans l'ordre, un toit pour chacun, une formation, un emploi et la santé. Du logement découle le reste, car un enfant qui n'a pas de toit ne peut suivre une formation qualifiante ; il n'aura donc pas d'emploi, et il s'ensuivra trop souvent des troubles psychiatriques. Toute la chaîne qui forme l'équilibre d'un être risque donc d'être perturbée s'il n'a pas de toit. Or, bien que les prémices de la crise du logement aient été perceptibles dès les années 1970, nous assumons à ce sujet une responsabilité collective car aucune majorité n'a tenu assez tôt cette question pour prioritaire. Prévision et prévention ayant fait défaut, le déficit du nombre de logements et de places d'hébergement n'a cessé de s'aggraver. Je soulignerai pour conclure ce propos liminaire que tout citoyen a la possibilité de compléter l'action publique par le biais de loyers solidaires ou d'intermédiation.
Sans revenir sur le détail du rapport, je mettrai l'accent sur le diagnostic et sur les mesures que j'ai proposées au Premier ministre et à la ministre du logement.
En décembre 2007, le Premier ministre m'a confié une mission relative à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement des personnes sans abri et mal logées. C'est qu'une deuxième manifestation des enfants de Don Quichotte avait eu lieu ; il avait donc fallu, une fois de plus, que des associations fassent pression en tirant la sonnette d'alarme pour que des décisions soient prises, en urgence et à chaud. De même, si nous avions anticipé les besoins en logements de la société française, nous n'aurions pas été contraints de voter, en mars 2007, la loi DALO qui entre progressivement en application.
Les logements manquent en France, dans quatre régions principalement : l'Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d'Azur et le Nord. Outre que nous ne construisons pas assez de logements en général, nous ne construisons pas assez de logements très sociaux ou adaptés aux populations les plus fragiles. On estime à 100 000 le nombre de personnes sans abri, à 600 000 celui des logements indignes, à 900 000 celui de personnes sans domicile personnel et à 3,5 millions les personnes mal logées. Il faudrait donc construire chaque année 500 000 logements, dont 120 000 logements sociaux. Considérant qu'en 2008, en France, l'un des pays les plus riches du monde, de 7 à 8 millions de personnes selon les estimations, soit quelque 13 % de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté, on mesure la gravité du problème du logement.
Pourtant, depuis le début des années 2000, les gouvernements successifs ont engagé des efforts très importants pour développer et améliorer les dispositifs d'hébergement et le parc de logements. Le nombre des constructions a augmenté ces dernières années, mais il reste en deçà des objectifs et nous ne parvenons pas à consommer tous les crédits consacrés à l'aide à la pierre, qui s'élèvent à 1,25 milliard pour 2008. Une partie de ces crédits a certes été gelée, mais tous les fonds disponibles n'ont pas été utilisés. Commençons donc par dépenser les crédits votés ! C'est une responsabilité partagée de l'État, du Parlement et des acteurs locaux ; si elle n'est pas correctement assumée, nous serons dans une situation difficile face à un ministère du budget qui veut réduire les dépenses. Nous devons nous battre pour qu'au moins les crédits votés l'an dernier soient reconduits. C'est d'autant plus nécessaire que la crise économique et financière va entraîner la baisse de l'offre de logements neufs. Il est donc indispensable que l'État ne relâche pas son effort en matière de construction de logement social et de logement adapté. L'urgence impose une mobilisation générale.
En matière d'hébergement, en dépit des efforts réalisés ces dernières années, les capacités sont insuffisantes, en particulier dans les zones tendues. En Ile-de-France, 45 % des demandes n'ont pu être satisfaites cet été, et 38 % dans le reste du pays. C'est que le droit au maintien dans les structures d'hébergement d'urgence prévu par la loi DALO a eu pour conséquence un engorgement : toutes les personnes qui étaient hébergées dans les centres ont désormais le droit d'y rester jusqu'à ce qu'une solution pérenne leur soit proposée, mais bien peu le sont. Les centres étant déjà bondés, que se passera-t-il cet hiver, c'est-à-dire dans deux mois ?
Outre que certains centres doivent être humanisés ou réhabilités, on manque encore de places dans certaines villes et surtout de logements adaptés, de logements passerelles, de maisons relais et de logements très sociaux. L'État doit absolument privilégier les dépenses orientées vers le long terme et adopter un comportement vertueux. Héberger une famille dans un centre d'urgence ou à l'hôtel – ce nouveau pis-aller – coûte bien plus cher à la collectivité que de louer un logement, même au prix du marché. Aucune estimation précise n'a été faite des coûts économiques, sociaux et sanitaires du « mal-logement » mais on les imagine bien supérieurs à nos dépenses actuelles d'accueil, d'accompagnement social et d'aide au logement. Il est regrettable que l'on agisse toujours dans l'urgence en débloquant des fonds pour répondre aux situations de crise, voire aux drames.
Compte tenu de la crise structurelle et conjoncturelle de la construction, il est inconcevable de diminuer le budget consacré à l'hébergement.
J'ai été frappé par la diversité des personnes qui sont à la rue, menacées de l'être ou qui sont hébergées, et sensibilisé par M. Xavier Emmanuelli au fait que, très souvent, leurs problèmes découlent de troubles du comportement ou de troubles psychiatriques. « Compassion, café chaud et duvet, c'est bien, mais ce n'est pas ainsi que l'on parviendra à sortir de la rue ceux qui y sont », a-t-il coutume de dire ; il a raison. Or, j'ai pu mesurer, au cours de cette mission, à quel point l'État s'est désengagé de la prise en charge des personnes souffrant de troubles du comportement ou de troubles psychiatriques. Leur accès aux soins est notoirement insuffisant en raison du grave manque de professionnels et de crédits. La question de l'hébergement n'est pas traitée à la hauteur des enjeux, ou on laisse les familles la résoudre - lorsqu'il y en a une. Le nombre des lits psychiatriques a baissé de 28,6 % entre 1994 et 2005 ; pendant la même période, la réduction a été de 17,2 % pour les lits de médecine, chirurgie et obstétrique. Trente pour cent des personnes expulsées de logements sociaux – alors qu'elles payent leur loyer – le sont en raison de troubles du comportement, et l'on estime que 68 % des personnes sans abri souffrent de troubles de la personnalité ou de problèmes psychiatriques. Plus longtemps une personne reste à la rue, plus long sera le temps nécessaire à sa réinsertion, comme le souligne La Lettre d'Emmaüs dans sa dernière livraison. Or, personne, à part des associations spécialisées, ne met en oeuvre d'actions ciblées pour ramener ces gens à une vie normale.
Mais ce n'est pas tout. Il faut aussi répondre aux besoins des femmes battues fuyant le domicile conjugal, des jeunes rejetés par leur famille ou isolés, de familles entières qui se trouvent à la rue, des étrangers sans papiers, des demandeurs d'asile, des femmes seules avec de jeunes enfants parfois même au sortir de la maternité... Imaginez ces nouvelles accouchées que, parce que les centres maternels sont pleins, on loge à l'hôtel. Est-ce le lieu de vie adéquat pour une mère et un nourrisson de trois jours ? Elles sont pourtant des centaines dans ce cas dans la seule Ile-de-France.
Ces situations d'extrême précarité sont souvent la conséquence d'un accident majeur dans un parcours marqué par bien des aléas, et si des personnes peuvent « sortir de la rue » grâce aux dispositifs mis en place, d'autres basculeront. Il ne s'agit donc pas d'une population stable, mais d'un flux constant, et ces personnes connaissent d'autres formes de pauvreté et de précarité parfois peu connues : hébergement transitoire dans la famille, chez des tiers, dans des logements de fortune, déménagements forcés, pertes d'emploi, ruptures conjugales... L'éventail des situations difficiles est très large, mais la situation spécifique de certaines populations fait qu'elles ne peuvent prétendre accéder à un logement ou à un hébergement stable. C'est le cas, en particulier, des étrangers en situation irrégulière, qui ne sont acceptés que dans les centres d'hébergement d'urgence. Enfin, certaines personnes préfèrent se trouver à la rue que d'être hébergées dans des structures dont ils se sont fait une image négative, quelle que soit la réalité de l'accueil. Nous devons pouvoir offrir à chacun une solution adaptée à son cas.
La diversité et la multiplicité des intervenants compliquent encore la situation : travailleurs sociaux dans les centres d'hébergement ou les maisons relais financés par l'État, travailleurs sociaux des communes et des départements, personnel des bailleurs sociaux, caisses d'allocations familiales… Il est impératif de clarifier les rôles à l'échelle du département et de l'agglomération pour garantir la coordination et la complémentarité des interventions. L'organisation de l'accompagnement vers le logement échoit naturellement au conseil général en tant que chef de file de l'action sociale. Toutefois, l'État assure avec lui l'élaboration et le pilotage du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées, ce qui lui confère une responsabilité. L'accompagnement social est une des conditions essentielles de l'accès au logement et le déficit de moyens à cet effet est régulièrement pointé, notamment en Ile-de-France.
L'éclatement actuel des compétences entre les institutions et l'étendue des champs concernés ne permet pas, pour l'instant, de confier à un seul organisme le suivi social d'une personne, ce qui serait l'idéal. Il faut trouver des modalités permettant de concilier le respect de l'éthique professionnelle et de la confidentialité par les travailleurs sociaux et la nécessité de mieux articuler les interventions au-delà de la compétence stricte des institutions.
Il est temps, aussi, de clairement définir les responsabilités, et notamment celles de l'État. Cela signifie qu'il faut dégager des objectifs précis de réduction du nombre de personnes à la rue, sans domicile ou mal logées, comme l'Angleterre et l'Écosse ont su le faire par des voies différentes. Cela signifie aussi qu'il faut appliquer une politique et en évaluer l'efficacité, et qu'il est nécessaire de revoir l'intervention sociale auprès des personnes à la rue pour définir des cadres d'intervention professionnalisés. Cela signifie enfin qu'il faut sensibiliser nos concitoyens à ces questions pour qu'ils accompagnent ces actions, et que les initiatives individuelles entrent dans ces cadres d'intervention. Il ne s'agit pas de rejeter le volontariat mais de l'insérer dans un processus professionnalisé.
Les propositions que j'ai remises au Premier ministre suivent trois axes : prévenir la mise à la rue, sortir de la rue et se donner les moyens d'appliquer la loi « DALO » en augmentant le nombre de logements. Sur le plan budgétaire, les efforts de l'État en matière d'hébergement et de logement doivent être intégralement maintenus aussi longtemps que la crise ne sera pas résorbée. En dépit des difficultés, il est indispensable que les 950 millions de crédits votés par le Parlement et les 250 millions ajoutés par le Premier ministre soient maintenus et que les DDAS ne se trouvent pas sans argent en juin, comme elles en font état. Je pense en avoir obtenu le principe, même si je sais que le collectif à venir demandera que des ajustements soient faits.
En matière d'hébergement, la ligne budgétaire pour 2008 ne permettait pas de remettre les compteurs à zéro et de financer les nouvelles décisions. Au stade actuel, l'enveloppe prévue pour 2009 semble insuffisante pour répondre aux besoins, poursuivre le développement des maisons relais et substituer à l'hébergement des logements temporaires, à terme moins coûteux. De plus, le développement de l'intermédiation locative n'est pas budgété, alors que le Premier ministre s'était engagé à financer 10 000 logements de ce type en 2008. L'intermédiation locative consiste en la possibilité, pour une association ou pour la collectivité ou pour un bailleur social, de louer à un particulier un logement qui sera sous-loué à des personnes qui en ont besoin.
Pour le programme Hébergement, les besoins étaient au minimum de 1,256 milliard en 2008. On en est à 1,117 milliard, dont 958 millions pour les centres d'hébergement d'urgence (CHU) et les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Le budget initial pour 2009 doit être établi de manière transparente, en tenant compte des besoins recensés par le préfet délégué général. Le Premier ministre a annoncé une rallonge de 50 millions pour terminer l'année 2008 - c'est un premier pas. On utiliserait plus intelligemment les crédits de l'hébergement en destinant au développement de l'intermédiation une partie des sommes consacrées aux nuitées d'hôtel. Enfin, le financement des dispositifs sanitaires supplémentaires n'est pas assuré. Il relève du budget de la santé. Le Premier ministre s'était engagé à ce qu'ils soient financés en 2008 à hauteur de 10 millions ; cette somme doit être pérennisée.
En matière de logement, il est indispensable de maintenir les aides à la pierre à hauteur des 800 millions votés pour 2008 pour le programme Développement et amélioration de l'offre de logement. Les crédits votés doivent être effectivement engagés, et davantage concentrés sur les zones les plus tendues. Alors que 798 millions ont été votés dans la loi de finances pour 2008, 643 millions seulement ont été répartis, le reste ayant été gelé ou non utilisé. Les collectivités territoriales ont une part de responsabilité dans cette situation. Les fonds non encore engagés pourraient servir à mieux financer la production de maisons relais – par exemple, comme le recommande Michel Pélissier, en portant à 35 % ou même à 50 % le taux de subvention - et à renforcer les fonds propres de l'ADOMA. Les crédits affectés à l'ANAH n'ont pas non plus tous été « dégelés », alors que les besoins sont importants. Il est vrai que l'accord conclu entre les partenaires sociaux et le ministère du logement fait que le « 1 % logement » versera à l'État une contribution supplémentaire de 850 millions par an pendant trois ans, qui seront répartis entre l'ANRU et l'ANAH. Ce versement fait parler, je le sais, mais l'urgence étant à la construction de logement sociaux et très sociaux, je ne vois qu'avantages à la réorientation des priorités de ces organismes.
A la suite des propositions que je lui ai faites fin janvier, le Premier ministre a érigé le traitement de l'habitat indigne au rang de priorité absolue, fixant un objectif de 15 000 logements à traiter dès 2008 et l'assortissant d'une enveloppe complémentaire de 60 millions. Or tous ces moyens n'ont pas encore été utilisés. Il faut donc améliorer l'ingénierie de l'ANAH et sa réactivité.
Il faut aussi conditionner les avantages fiscaux à une vraie contrepartie sociale. Les aides fiscales au logement représentent aujourd'hui 9 milliards, hors aides à la pierre. Les aides à l'investissement locatif devraient être davantage conditionnées à une contrepartie sociale effective et recentrées sur la location et la sous-location aux personnes les plus modestes.
A la suite de mes premières propositions, le Premier ministre a nommé un préfet délégué général à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement, chargé de coordonner les services de l'État. Il faut aller plus loin, en clarifiant le pilotage au niveau départemental auprès du préfet ; en renforçant les pouvoirs des préfets pour faire respecter la loi « SRU » par l'exercice du droit de préemption et la délivrance de permis de construire : en lançant une campagne de sensibilisation pour faire connaître les maisons relais, les résidences hôtelières à vocation sociale et les formules d'intermédiation. A cet égard, il m'a paru singulier que l'adjointe au maire chargé du logement à Marseille ait ignoré l'existence des maisons relais jusqu'à ce que je lui en parle.
Tout responsable d'un secteur donné doit mettre ses connaissances à jour.
S'agissant de l'hébergement, il faut coûte que coûte améliorer et diversifier les capacités d'accueil. Cela suppose la réalisation d'un recensement précis de l'existant et des besoins. Cela implique aussi de poursuivre le plan d'humanisation des CHU et des CHRS, en réduisant le nombre de dortoirs. Cela signifie donc de pérenniser le budget annuel de 50 millions destiné à financer les travaux d'investissement annoncé par le Premier ministre. Si nombre de sans-abri refusent de se rendre dans les centres d'hébergement, c'est qu'ils redoutent la promiscuité et craignent les rixes. A Paris, le CHU La Mie de pain, qui accueille 400 personnes chaque nuit, doit être totalement rénové car l'hébergement qu'il propose n'est pas convenable. Chacun en est d'accord, et pourtant les choses traînent car la Mairie de Paris souhaite le transformer pour le rendre accessible aux personnes éligibles au prêt locatif aidé d'intégration – le PLAI –, alors que les places d'hébergement manquent. L'arbitrage sera fait par le préfet de Paris, mais c'est un exemple de ce que les bisbilles locales peuvent entraver la mise en route de chantiers indispensables.
Il faudra aussi créer des centres destinés à des publics particuliers et des structures d'accueil diversifiées en encourageant les projets innovants. Le centre Montesquieu géré par l'association Emmaüs est à cet égard exemplaire.
Je recommande enfin une prise en charge plus homogène des femmes seules et des familles avec enfants de moins de trois ans par les conseils généraux. J'ai visité, dans le 19ème arrondissement de Paris, un centre parental qui permet d'accueillir les couples. L'initiative me semble devoir être reproduite.
Il convient encore de faire un effort particulier en direction des populations les plus fragiles. Il est urgent de prendre en charge les personnes souffrant de troubles de la personnalité ou de problèmes psychiatriques tant d'un point de vue sanitaire et social qu'en matière d'hébergement à la sortie de l'hôpital – sinon, quel sera leur sort s'ils n'ont pas de famille ? L'offre de maisons relais et de logements adaptés aux personnes particulièrement vulnérables doit être réaffirmée comme une priorité. J'ai reçu hier des nouvelles encourageantes à ce sujet.
Pour éviter la mise à la rue, il faut poursuivre la politique de prévention des expulsions. Certaines associations voulaient un moratoire des expulsions. Je n'y suis pas favorable, car ce serait donner un signe négatif aux propriétaires et aux locataires indélicats. A ma demande, une circulaire du Premier ministre adressée en février à chaque préfet a précisé les procédures et accéléré l'installation dans tous les départements d'une commission de prévention des expulsions locatives. Malgré cela, des drames tels que celui d'Istres se produisent encore. Pour avoir lu le compte rendu fait par la préfecture, je sais que les services sociaux ont fait le maximum de ce qu'ils devaient faire, mais ce n'était pas encore suffisant puisqu'une femme s'est défenestrée, qui laisse trois orphelins. Au-delà de l'application des lois et règlements, il faut du discernement. Jamais, dans ce cas, on n'aurait dû recourir à la force publique ; il aurait fallu privilégier le dialogue. Outre qu'il faut articuler les interventions, il importe de déclencher une intervention sociale dès les premiers problèmes et de concentrer les moyens sur les personnes les plus en difficulté. Cela vaut aussi pour les bailleurs privés ; j'ai donc demandé que les baux comportent une clause faisant obligation au propriétaire de tirer la sonnette d'alarme au premier loyer impayé.
Il faut aussi, je vous l'ai dit, maintenir l'effort de construction de logements sociaux. A cet égard, l'annonce faite par le Président de la République que, par le biais des bailleurs sociaux, l'État achèterait 30 000 logements pour soutenir l'activité du bâtiment, peut être une opportunité formidable s'ils sont destinés au moins en partie à accroître le nombre de logements sociaux.
En tout état de cause, il faut prolonger l'effort de construction. J'aurais souhaité que l'on prolongeât le plan de cohésion sociale qui prévoyait la construction annuelle de 142 000 logements sociaux dont 20 000 logements « très sociaux ». Le Gouvernement envisage plutôt, semble-t-il, un objectif de 120 000 logements. Pourquoi pas ? Mais il faut se rappeler que « financer » ne signifie pas mettre en chantier ni mettre à disposition et qu'il y a toujours une solution de continuité entre l'annonce des crédits et la réalisation des constructions.
Il convient aussi de maintenir au-delà de 2009 l'exonération pendant 25 ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties et sa compensation intégrale par l'État, en particulier pour les PLAI.
J'en viens à la controversée loi « SRU ». Je suis favorable à ce qu'elle soit mieux appliquée et plus exigeante. Elle a permis que des progrès notables soient réalisés en matière de construction de logements sociaux, mais ils ne sont pas encore suffisants. Puisque nous ne parvenons pas à consommer tous les crédits dédiés à la pierre, je propose de rendre obligatoire, dans les communes en constat de carence au regard de l'article 55 de la loi, la réalisation d'au moins 30 % de logements sociaux, dont un tiers de PLAI, dans l'ensemble des programmes de construction de l'année. Je propose aussi d'imposer 20 % de logements sociaux dans tout projet immobilier de plus de vingt logements dans les communes de plus de 2 500 habitants. Je propose enfin de compter double chaque place en maison relais et chaque PLAI.
Pour remédier à la pénurie de logements dans les zones tendues, il faut immédiatement déclencher l'achat de 1 000 logements privés par des opérateurs, en mobilisant des PLAI majorés, actuellement non utilisés, pour loger les familles prioritaires ; ainsi faciliterait-on le déblocage de la filière et l'application de la loi DALO. Il convient aussi de développer des dispositifs de locationsous-location avec des loyers « solidaires » en augmentant la déduction fiscale consentie aux bailleurs privés dans ce cadre. Enfin, ces logements à loyer maîtrisé devraient être intégrés, au moins temporairement, dans le quota de 20 % de logements sociaux prévu par l'article 55 de la loi « SRU ».
Il reste à développer l'accès au logement social des plus modestes, qui est une de nos priorités. On pourrait utiliser le produit du surloyer pour favoriser l'accès au logement social des ménages les plus modestes qui ont des revenus insuffisants pour accéder au parc social neuf. Cette ressource pourrait être versée, dans les comptes des organismes HLM, dans des fonds de solidarité qui financeraient des rabais de loyers pour ces ménages. Les bailleurs sociaux pourraient aussi expérimenter en Ile-de-France une politique de loyer progressif en fonction du revenu.
Accentuer les efforts de lutte contre l'habitat indigne suppose de se donner les moyens de traiter 100 000 logements d'ici 2012 en consolidant les moyens affectés à l'ANAH et en simplifiant ses modalités d'intervention, en réformant le prêt d'amélioration de l'habitat distribué par les caisses d'allocations familiales aux propriétaires occupants, et en renforçant les moyens juridiques et financiers de traitement des logements dégradés qui ne relèvent pas de procédures d'insalubrité ou de péril. Tous les occupants de logements indignes ne sont pas des locataires : c'est aussi le cas de très nombreux propriétaires. Ainsi, dans le département du Nord, 49 % des logements sont considérés comme indignes. Cette proportion est effrayante, mais l'intervention de l'ANAH n'est pas facile : où loger les propriétaires dont on doit entièrement rénover l'habitat ?
En conclusion, les commissions de médiation prévues dans le cadre de la loi DALO, et chargées d'examiner les demandes d'hébergement ou de logement, ont été installées et ont commencé d'examiner les dossiers. Ils n'ont pas été aussi nombreux qu'on pouvait s'y attendre, en raison de leur complexité et du manque d'information probable d'une grande partie du public éligible. Fin août, 40 000 demandes étaient en cours de traitement devant les commissions et le dispositif monte en puissance, notamment en Ile-de-France. Dans quelques semaines, les premiers recours vont être déposés devant les tribunaux. Force est de constater que nous nous sommes fixé des objectifs très ambitieux et probablement irréalistes que nous ne pourrons pas honorer. Il est urgent d'y faire face.
Je vous remercie, cher collègue, pour ce rapport passionné. J'indique qu'à la demande de M. Pinte, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales se saisira pour avis du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion. Avant de céder la coprésidence à M. Pierre Morange, j'observerai seulement que les dispositifs sont nombreux et d'une très grande complexité ; il faut donc se mettre à la place des élus qui, de surcroît, se sentent bien seuls quand il leur faut traiter les problèmes d'une population en proie à des troubles psychiatriques. Ils peuvent y perdre courage.
Je remercie à mon tour notre collègue Etienne Pinte, à qui M. Piron posera les premières questions.
Ce rapport témoigne d'un souci constant d'améliorer la mixité sociale et appelle l'attention sur les plus fragiles en soulignant que l'hébergement ne saurait se concevoir sans accompagnement social. Vous avez souhaité, cher collègue, qu'un « super-préfet » soit nommé, chargé de la coordination interministérielle de la politique d'hébergement et d'accès au logement ; quel a été son rôle depuis sa nomination ? La pluriannualité, qui renforce la visibilité des politiques publiques, est une bonne chose. Par l'accord signé avec le « 1 % logement », il s'appliquera pour l'ANRU et l'ANAH, mais qu'en est-il au-delà ? S'agissant de la prévention des expulsions, les pratiques diffèrent nettement selon les territoires ; ne faudrait-il pas envisager une réforme globale du dispositif ? Quelle possibilité réelle avons-nous d'offrir un logement à toute personne sortant d'un séjour dans un établissement de santé, d'une prison ou d'une structure relevant de la protection de l'enfance ? Sachant que l'habitat indigne n'est pas le triste apanage des locataires pauvres mais qu'il concerne aussi un grand nombre de propriétaires pauvres, une réflexion apaisée sur l'article 55 de la loi « SRU » ne vous paraît-elle pas s'imposer pour mettre au point les outils tendant à renforcer la mixité sociale ? Globalement, vos propositions ont été prises en compte par le Gouvernement, ce qui est heureux. Cependant, toutes ne l'ont pas encore été ; parmi celles-ci, lesquelles, selon-vous, serait-il le plus souhaitable d'adopter ? Enfin, dans le contexte de crise que nous connaissons, comment préserver la priorité absolue qui doit être donnée au logement ?
La nomination d'un « super-préfet » était indispensable pour assurer la coordination interministérielle et la coordination de l'action des préfets de région en faveur des sans-abri et des mal logés. Le choix de M. Alain Régnier est judicieux : il était très investi dans ces questions à la préfecture du Rhône, il connaît parfaitement le dossier et il a des relations de confiance avec les associations. Je suggère que la Commission l'auditionne dans le cadre de l'examen du projet de loi de mobilisation pour le logement et du PLFSS.
Je suis, bien sûr, favorable à la pluriannualité du financement des politiques publiques mais à condition que l'on s'engage dès maintenant à consacrer au domaine prioritaire qu'est le logement au moins les mêmes sommes que celles qui lui sont destinées dans les budgets 2008 et 2009. Or je ne suis pas satisfait de la manière dont les choses sont envisagées dans le projet de loi de mobilisation pour le logement.
S'agissant des expulsions, les pratiques sont en effet très différentes selon les départements, les tribunaux, les commissions départementales et les préfets. Sur le fond, je souhaite que l'on ne mette plus personne à la rue sans solution de substitution : expulser s'il le faut, soit, mais s'il existe une solution de rechange.
Je considère d'autre part qu'une sortie d'établissement pénitentiaire doit se préparer pour éviter que l'ancien prisonnier ne se retrouve à la rue. Il devrait en être de même pour ceux qui sortent d'un hôpital psychiatrique et j'en parlerai avec Mme Bachelot. Actuellement, chacun joue son rôle dans son domaine mais ne s'occupe pas de la suite. De plus, s'agissant de l'aide sociale à l'enfance, certains départements ne font pas ce qu'ils devraient ; si la capacité d'accueil d'un centre est insuffisante, qu'on en construise un deuxième, au lieu de diriger des mères et leur nourrisson vers un hôtel ! Il est de la responsabilité de chacun de contribuer à ce que l'on ne mette plus à la rue et qu'on permette à tous de vivre dignement.
S'agissant de la loi « SRU », mes propositions vont au delà des dispositions en vigueur. Sachant que les deux tiers de la population sont éligibles au logement social et que cette proportion risque de s‘accroître encore, je ne suis pas certain, tant s'en faut, que dans certaines zones tendues, les 20 % de logements sociaux suffisent.
Le projet de loi de mobilisation pour le logement doit être étoffé car certaines de mes propositions, bien qu'acceptées par le Premier ministre, ne figurent pas dans le texte. Je compte donc sur le Sénat pour un premier travail, qu'il nous reviendra de parfaire.
Notre priorité est de nous battre pour que le logement social le soit effectivement. Alors que l'on évoque très souvent les problèmes de l'emploi, de la formation et de la santé, on oublie non moins souvent le logement. C'est une faute. L'effort en faveur du logement social doit être un grand engagement national mais, trop souvent, il n'est pas ressenti comme tel par tous les acteurs concernés, ce que je déplore. Si d'ici 3, 4 ou 5 ans, nous parvenons à débloquer une filière à ce jour embolisée, ce sera bien mais auparavant nous vivrons des hivers difficiles et nous serons à la merci, dans quelques mois, des Enfants de Don Quichotte.
Ce rapport est d'une grande qualité. Permettez-moi de soumettre à votre analyse la situation ubuesque dans laquelle se trouve ma commune, Epinay-sur-Orge. Bien qu'il n'y ait pratiquement plus de terrains constructibles, quatre-vingt huit logements sont sortis de terre, dont 61 % de logements sociaux. Malgré cela, une pénalité croissante nous est imposée pour non-respect de l'article 55 de la loi « SRU ». La chose est d'autant plus sidérante que nous accueillons sur le territoire de la commune, en places d'hébergement et de stabilisation, 150 personnes qui campaient Quai de Valmy à Paris. Mais comme elles sont hébergées dans la partie désaffectée de l'hôpital de Perray-Vaucluse, qui appartient à la Ville de Paris, ces places ne sont pas prises en compte dans le calcul de notre quota. De même, nous avons engagé des discussions avec l'ADOMA pour la réalisation d'une maison relais, qui n'entrera pas davantage dans le quota. En résumé, le maire de Paris construit, dans le 13ème arrondissement, des logements sociaux qui entreront dans le contingent pris en compte par la loi « SRU », mais il exporte les cas les plus difficiles vers le centre Emmaüs de Perray-Vaucluse. Par ailleurs, l'hôtel Formule 1 d'Épinay-sur-Orge est empli de jeunes femmes africaines amenées par le Samu social de Paris. Mais rien n'y fait : notre cotisation continue d'augmenter.
Je vous félicite pour ce rapport passionnant. Je tiens à souligner que ce n'est pas le maître d'ouvrage qui définit le statut d'un logement mais le montant du loyer demandé, qui détermine à qui l'on s'adresse. Or les loyers demandés pour les PLUS sont souvent trop élevés et les PLAI ne concernent pas forcément ceux qui s'y dirigent. Dans ce contexte, ne pourrait-on encourager les propriétaires privés à donner leur bien en gestion à une société HLM, en contrepartie d'un loyer de niveau PLAI ? Une telle mesure permettrait aux communes qui n'ont plus de terrains disponibles de satisfaire à leurs obligations en matière de logement social. Cette proposition tend à compléter la loi « SRU » et non à la critiquer, car le texte a permis que certaines communes égoïstes réagissent.
Je vous remercie à mon tour, cher collègue. Comme vous, je pense qu'il faut améliorer l'information sur la loi « DALO », dont les dispositions sont méconnues, et que la mission du « super-préfet » Alain Régnier est essentielle. J'aimerais savoir si l'hébergement de stabilisation a fait l'objet d'un premier bilan. D'autre part, un engagement avait été pris dans le plan d'action renforcée pour les sans-abri qui visait à la rénovation des centres, où ils ne veulent plus se rendre tant ils sont dégradés. Où en est-on ? Le logement à l'hôtel est un cache-misère, une fausse solution qui, outre qu'elle ne résout rien, coûte une fortune. Les maraudes sont faites par des gens exceptionnels mais elles sont mal réparties car beaucoup d'associations se rendent toujours dans les mêmes quartiers, notamment à Paris, et en ignorent d'autres. Il faut donc mieux les organiser pour renforcer leur efficacité. S'agissant enfin de la prise en charge des personnes présentant des troubles psychiatriques, peut-on envisager une coordination entre le « super-préfet » et les services de santé ?
Je partage votre analyse : il est primordial que chacun ait un toit, et c'est l'orientation nationale qui doit fonder l'action, mais son application concrète suppose des stratégies locales. La mobilisation s'impose, notamment pour les zones rurales à l'habitat disséminé, où les maires se sentent bien seuls. L'accompagnement de l'État leur est nécessaire. J'ajoute qu'un toit ne suffit pas - se pose aussi la question de l'amélioration de l'habitat, non seulement pour les locataires mais aussi pour les propriétaires occupants, comme vous l'avez souligné. Les élus ont un grand rôle à jouer en cette matière ; il leur revient en particulier de faire connaître les financements possibles. C'est un cheval de bataille pour le conseil général du Nord, qui a créé des « logements tiroirs ». Nous avons aussi créé un hébergement d'urgence, mais ces structures doivent être conçues dans le cadre général de l'aménagement du territoire car pour répondre efficacement à l'urgence, un maillage territorial est nécessaire.
Un autre problème est peu évoqué : le logement des personnes âgées qui, parce qu'elles sont calmes et peu exigeantes, ne se font pas entendre. A la campagne, elles habitent souvent des hameaux, mais elles veulent rester chez elles le plus longtemps possible, ou au moins dans leur commune. Or l'allongement de la durée de vie conduit à l'augmentation de l'occurrence des maladies dégénératives. Une piste ne serait-elle pas de favoriser la cohabitation des personnes âgées ? S'agissant enfin des logements sociaux, la difficulté tient aussi aux coûts de fonctionnement ; on ne peut construire sans chercher à les réduire.
La situation de l'hébergement en Ile-de-France est assez dramatique mais il faut éviter de se renvoyer la balle de département à département. Beaucoup de gens sans ressources ont tendance à venir à Paris parce qu'ils savent qu'on y fait la manche avec plus de succès qu'ailleurs, parce que l'aide alimentaire y est fournie et aussi parce qu'ils ont plus de possibilité d'y trouver un « toit ». La répartition de l'hébergement dans la région pose problème, c'est vrai, mais c'est à Paris qu'il y a le plus de places. La planification des nouvelles places doit aussi tenir compte de ce que la plupart des personnes concernées ne sont pas financièrement en mesure de payer les moyens de transport, et que la question de l'aide alimentaire ne doit pas être mésestimée. Question iconoclaste : puisque de nombreuses casernes vont être libérées, certaines ne pourraient-elles être réaffectées à l'hébergement, là où un manque se fait sentir ? S'agissant de l'intermédiation, les bailleurs sociaux font valoir qu'ils ne sont pas équipés pour gérer des lots isolés.
La prévention des expulsions est un enjeu considérable. Or, l'État étant désormais tenu, par le biais du Pass GRL, de garantir le risque de loyers impayés, les préfectures exercent une forte pression pour que les locataires en difficulté partent d'eux-mêmes. Dans le même temps, un bailleur privé peut refuser de recevoir les fonds octroyés au locataire par le FSL ; ne faut-il pas rendre ces refus impossibles ? De plus, si un retard de loyer est constaté, l'allocation de logement est immédiatement suspendue, si bien que le locataire en difficulté « s'enfonce » encore davantage. Ne pourrait-on imaginer de verser cette allocation directement au bailleur, sans que celui-ci puisse le refuser ?
Enfin, les bailleurs sociaux, considérant que les pensionnés, même jeunes, relèvent des maisons de retraite, ne leur proposent jamais de logement. Ne faudrait-il pas concevoir de nouveaux types d'hébergement pour les personnes âgées ?
Je joins mes félicitations à celles qui vous ont été adressées. La suspension de l'aide au logement servie par les caisses d'allocations familiales en cas d'impayé a été évoquée. Le problème est connu, mais on ne parvient pas à trouver une solution juridique. La révision du dispositif serait utile car les plans de remboursement des retards d'impayés sont très rarement applicables actuellement. Je partage sans réserve votre avis sur la nécessité de préparer la sortie des hôpitaux psychiatriques. Je me féliciterais d'un financement pour partie privé, pour partie public. Les « maisons familiales » semblent avoir disparu ; elles étaient pourtant très utiles. La mixité sociale doit demeurer un objectif essentiel ; il peut aussi être atteint par l'accession sociale à la propriété, qui doit être prise en compte dans le quota défini par l'article 55 de la loi « SRU ». Dans tous les cas, il faut éviter la concentration en un même lieu des familles en difficulté. Enfin, l'idée de centres parentaux est intéressante.
Le diagnostic est brossé de manière pertinente mais tout n'a pas été dit assez fort. S'agissant de l'hébergement d'urgence, les associations nous ont fait savoir que le gel des crédits a suscité des difficultés dès le mois de juin. Le coût sans cesse croissant de la construction n'a pas été évoqué ; il en résulte pourtant que le montant actuel des aides ne permet plus l'accès aux logements dits sociaux, même ceux qui sont en PLAI. Il faut donc revoir le montant de ces aides. D'autre part, les élus ont peur de construire des PLAI, car cela suppose aussi l'accompagnement de familles que l'on imagine toutes en difficulté, ce qui n'est pas toujours le cas. Je me réjouis de vos propositions relatives au rôle de l'État et des préfets car je préconise de longue date cet interventionnisme pour faire respecter l'obligation de construire des logements sociaux. L'enjeu est tel, votre rapport le montre, qu'il faudra bien en passer par là.
Je traiterai de la solitude de l'élu face aux aléas du conventionnement. En 2000, on comptait 2 500 logements sociaux au Domaine de Beauregard à La Celle Saint-Cloud, soit 38 % de la population. Après l'entrée en vigueur de la loi « SRU », parce que le domaine appartient à la Ville de Paris, ces logements n'ont pas été pris en compte dans le quota de la commune, si bien qu'un arrêté de carence a été pris, et une pénalité imposée. Logements et habitants sont pourtant toujours là ! C'est une aberration administrative. J'aimerais d'ailleurs savoir à qui est affecté le produit des pénalités imposées aux communes dans ce cadre, et s'il ne pourrait l'être à la rénovation du logement social.
Vous proposez de porter à 30 % la proportion obligatoire de logements sociaux, mais uniquement pour les communes où la carence au regard de la loi « SRU » est déjà constatée. Je doute que cela suffise à entraver la « gentryfication » des centres villes où fleurissent les logements « défiscalisés » cependant que des ghettos de logements sociaux sont construits dans des zones excentrées. Si l'on veut une mixité sociale effective, il faut imposer cette proportion de logements sociaux dans tous les nouveaux programmes. Par ailleurs, il faut instituer une solidarité entre les communes rurales pour les logements aidés. Enfin, s'agissant de la prévention des expulsions, je redis avec force que les bailleurs, y compris les bailleurs sociaux, sont à l'origine des fortes pressions exercées par les huissiers sur les familles en difficulté pour qu'elles quittent les lieux d'elles-mêmes. Beaucoup de gens se retrouvent ainsi à la rue. C'est un processus très douloureux qui, pour ne pas apparaître dans les statistiques, n'en est pas moins réel.
Sans nier les problèmes des personnes en grande difficulté, j'observe que le développement de l'accession sociale à la propriété contribuerait à les résoudre.
Je félicite notre collègue pour son rapport d'une très grande qualité. J'appelle l'attention sur le fait que l'application du décret sur les surloyers peut avoir pour conséquence le départ d'une partie des locataires du parc HLM. S'il n'y pas de logements intermédiaires en nombre suffisant, on assistera à la paupérisation de la classe moyenne et une nouvelle population basculera dans la précarité. C'est dans ce cadre aussi qu'il convient d'apprécier la décision prise par le Président de la République de faire acquérir 30 000 logements par l'État pour soutenir le marché de l'immobilier : deviendraient-ils des ILM – immeubles à loyer moyen – que l'on éviterait d'aggraver la situation.
Le moins que l'on en puisse dire est que la situation de la ville d'Epinay-sur-Orge au regard la loi « SRU », telle que décrite par M. Malherbe, est paradoxale. Là encore, le préfet doit savoir faire preuve de discernement. Je précise toutefois que les places en maisons relais entrent dans le calcul du quota. Une disposition ancienne prévoit au moins une place d'hébergement pour 1 000 habitants, mais elle n'est pas toujours appliquée. Je propose de rendre cette disposition obligatoire dans les zones tendues, et que l'on revoie, au regard de la loi « SRU », l'appréciation du couple logement-hébergement à la lumière des efforts réalisés par chaque collectivité.
Il est possible, Monsieur Gérard, de requalifier en PLAI les logements sociaux qui sont plutôt des logements intermédiaires. Cela permet d'adapter le parc social à la situation des demandeurs et à leurs revenus. L'intermédiation doit compléter l'action publique. Nous avons besoin du parc privé et nous devons inciter intelligemment les bailleurs privés à la solidarité. Il est vrai que la gestion d'appartements en « diffus » pose problème mais l'on peut prendre modèle sur la communauté d'agglomération Rennes Métropole, qui a créé une structure spécifique. La chose est un peu plus compliquée pour les organismes HLM, je le reconnais.
C'est exact, Madame Vautrin, les dispositions de la loi « DALO » sont encore mal connues, et les dossiers sont complexes. Un accompagnement s'impose donc par les élus et les associations. Les places de stabilisation ont eu un si grand succès que les CHU et les CHRS sont totalement engorgés ; par ailleurs, les structures sont malheureusement en nombre insuffisant. De toute évidence, 30 % des personnes hébergées dans les CHRS devraient avoir un logement pérenne, mais la filière est bloquée.
Le coût pour l'État de l'hébergement en hôtel est d'1 million par jour, soit de 350 à 400 millions par an… Imaginez ce que nous pourrions faire avec pareille somme, qui représente la moitié de notre dépense annuelle pour l'hébergement !
Les maraudes se passent bien en province. A Paris, selon M. Xavier Emmanuelli, il peut se produire que quatre ou cinq associations passent chaque nuit dans le même arrondissement, et aucune ailleurs. J'ai donc proposé que le préfet coordonne l'organisation, car il y a un réel problème en Île-de-France en général, principalement dans la capitale.
L'humanisation des centres est impérative et il est particulièrement choquant qu'elle puisse piétiner en raison de divergences d'interprétation sur les objectifs du financement. J'ai évoqué le cas de La Mie de pain mais il y en a d'autres. Je comprends que la mairie de Paris veuille « mettre le paquet » sur les PLAI, mais le besoin de rénovation n'en est pas moins manifeste.
Je parlerai à Mme Bachelot de la coordination entre le préfet Régnier et le ministère de la santé, mais ce n'est pas facile à mettre sur pied. Quoi qu'il en soit, il faut donner un rôle essentiel à M. Régnier.
Vous avez raison, Monsieur Pérat, qu'il y ait des crédits ne suffit pas, ils doivent être utilisés et pour cela une volonté politique doit s'exprimer au niveau local. Créer des « logements tiroirs » pour permettre la réhabilitation des logements indignes avec l'aide de l'ANAH me semble une idée excellente, à supposer que la collectivité en ait les moyens. Dans un autre domaine, il faut appliquer effectivement la règle selon laquelle une place d'hébergement d'urgence au moins doit être prévue pour 1 000 habitants ; cela montrerait que les pouvoirs publics prennent en compte tous les besoins - en logement et en hébergement.
Le maintien des personnes âgées dans leur commune ou dans leur quartier pose d'autres difficultés. Jusqu'aux années 1970, les immeubles de logements sociaux étaient construits sans ascenseur. Il arrive fréquemment qu'y vivent dans de grands appartements des personnes âgées installées depuis fort longtemps et à présent seules. Il convient donc de construire, là où existe encore du foncier disponible, des immeubles d'appartements plus petits, avec ascenseur. En les proposant, au même loyer ou à un loyer plus faible, aux personnes âgées, dont on financerait le déménagement, on mettrait de grands logements sociaux à la disposition des familles. L'évolution sociologique rend ces permutations nécessaires, car l'éclatement des familles conduit chaque parent séparé à rechercher un appartement où accueillir ses enfants. Mais, par ailleurs, le chômage fait que de 400 000 à 450 000 personnes sont contraintes de revenir vivre chez leurs parents, si bien que de nombreux retraités, inquiets de ce que l'avenir réserve à leurs enfants, hésitent à se loger plus petitement. La fluidité de l'accès au parc de logements sociaux en est entravée.
J'ai proposé des loyers diversifiés. Par souci de déontologie, le produit des surloyers devrait servir à « amortir le choc » pour les plus modestes, et permettre qu'ils bénéficient d'un logement social avec un loyer correspondant à leurs revenus.
La coordination entre la Ville de Paris et la petite couronne est urgente, Madame Billard, car l'échange de population est évident. J'ai visité un centre du Val-de-Marne qui héberge des gens envoyés de Paris. Il faut éviter que les habitants d'Île-de-France ne se disent « Paris nous envoie ses pauvres ».
Les personnes sans domicile fixe savent qu'elles feront plus facilement la manche à Paris - ou à Versailles - qu'ailleurs. Cela explique que de 60 à 70 % des besoins en hébergement d'urgence soient recensés en Île-de-France ; une coordination régionale est donc indispensable.
L'intermédiation pour les logements « diffus » pose problème, c'est vrai ; il faut donc créer des structures spécifiques. S'agissant de la prévention des expulsions, on note que certains propriétaires refusent le FSL mais aussi que certains locataires refusent le versement direct de l'aide au logement à leur bailleur. Pourtant, le propriétaire devrait au moins, en cas de carence du locataire, pouvoir bénéficier de ces fonds. Ne faut-il pas passer outre les refus ? Il est anormal qu'une partie des ressources disponibles soit « gelée » au motif que le locataire ne paye plus son loyer.
S'il est avéré que les bailleurs sociaux se livrent à des discriminations à l'égard des retraités, c'est scandaleux, et ils détournent l'esprit dans lequel ils doivent gérer leur patrimoine.
Madame Bourragué, les maisons relais ne sont autres que les anciennes maisons familiales. La nouvelle dénomination étant source d'ambiguïté puisque le séjour en maison relais peut être définitif, j'envisage de proposer d'en revenir à l'intitulé originel.
Comme vous, Monsieur Goua, j'ai entendu dire que des crédits destinés à l'hébergement ont été gelés. Cela me fâche, car j'avais obtenu que le préfet Régnier puisse annoncer aux DDASS les sommes qu'elles recevraient et qu'elles répartiraient entre les associations. Il est donc anormal que les associations nous disent ne plus avoir d'argent depuis juin ; je m'enquerrai si les arrêtés ont enfin été pris. Il est irritant qu'une décision ne soit pas suivie d'effet ; il y va de la crédibilité de l'État en général et de celle du législateur en particulier.
S'agissant du coût de la construction, on peut envisager la révision des taux permettant une subvention de l'État. La seule bonne chose que l'on puisse espérer de la crise que nous traversons est qu'elle entraîne la baisse des prix du foncier.
Nous avons la même opinion sur le rôle des préfets, et je pense comme vous que le rôle de la puissance publique est de corriger les déséquilibres quand il s'en produit.
Mme Le Moal a décrit l'invraisemblable situation dans laquelle se trouve La Celle Saint Cloud. C'est qu'il y a trente ans, les édiles parisiens y ont construit 2 500 logements sociaux – à l'époque, la Ville, peu enthousiaste à l'idée de construire des logements sociaux intra muros, le faisait chez ses voisins… Mais par la suite, la définition du logement social a changé par trois fois, au gré des lois successives. C'est ainsi qu'en 1990, selon la loi Besson, Versailles comptait 20 % de logements sociaux ; six ans plus tard, la loi Juppé aidant, cette proportion n'était plus que de 18,5 % et avec la loi « SRU », nous sommes tombés à 14 % ! Un minimum de cohérence est nécessaire, et changer les règles du jeu tous les cinq ans n'est pas raisonnable.
Vous relevez à juste titre, Madame Maquet, le retour aux mauvaises habitudes des années 1950 et 1960 consistant à construire les logements sociaux en périphérie des communes pour profiter des possibilités de défiscalisation permises au centre ville. Là encore, une volonté politique ferme doit s'exprimer. Lorsque j'étais maire, j'ai imposé pour tout projet de logements collectifs un pourcentage de logements sociaux. Au début, il y a eu des grincements de dents, mais progressivement chacun a compris qu'il le fallait… ne serait-ce que pour l'image. Nous avons permis par ce biais le maintien de la mixité sociale, même au centre de Versailles, où les prix sont très élevés.
La volonté politique est moindre dans les communes qui sont au-delà du quota de 20 % de logements sociaux prévues par la loi « SRU »…
C'est vrai, car elles ont bonne conscience. Mais ce n'est pas le cas partout. Cela étant, dans certaines régions, dans certains départements, les 20 % de logements sociaux prévus par la loi ne suffiront pas pour répondre aux besoins. Il serait très grave de ne pas s'en convaincre et de répéter les erreurs passées.
Pour éviter les expulsions, il convient, je le répète, que tous les bailleurs tirent la sonnette d'alarme au premier impayé, c'est-à-dire au bout d'un mois, deux au maximum, afin que les difficultés auxquelles se trouve confrontée la famille soient traitées en amont. Il faut aussi privilégier les accords amiables, moins coûteux pour toutes les parties.
Je vous remercie, Monsieur Pinte, pour ce rapport dense, fouillé et d'actualité.
La séance est levée à 12 heures 35.