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Séance en hémicycle du 1er décembre 2011 à 15h00

Résumé de la séance

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Sommaire

La séance

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de M. François de Rugy et plusieurs de ses collègues relatives à la transparence de la vie publique et à la prévention des conflits d'intérêts. (n°s 3838, 3997, 3866, 3998).

Ce matin, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale commune.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Claude Bodin.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Monsieur le président, monsieur le ministre de la fonction publique, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, sans entrer dans le détail des articles proposés par les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui, on remarquera que nombre de ceux-ci ont d'ores et déjà été discutés lors de l'examen de textes précédents, tel le « paquet électoral », et que nous les avons déjà rejetés. Nous les avons rejetés, non pas parce que nous ne voulons pas de la transparence, mais parce que nous considérons que la transparence est un moyen au service de la démocratie et non une fin en soi. En outre, chers collègues, en matière de transparence, notre majorité n'a ni à recevoir de leçons ni à rougir. Faut-il rappeler que le principe de déclaration de patrimoine, tout comme la création de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, qui en assure le contrôle, ont vu le jour par la volonté de deux gardes des sceaux issus de notre famille politique : Albin Chalandon en 1988, et Jacques Toubon en 1996 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Les ministres ont apporté leur soutien, c'est l'essentiel !

Faut-il souligner à nouveau qu'en avril dernier nous avons adopté ce qu'on a appelé le « paquet électoral », composé de deux textes : un projet de loi et, à l'initiative de nos collègues Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, que je salue, et Charles de La Verpillière, une proposition de loi relative à la transparence de la vie politique ?

À l'occasion des travaux parlementaires, nous avons pris l'initiative de renforcer le rôle de la Commission pour la transparence financière de la vie politique et nous avons notamment créé, pour les élus, une nouvelle incrimination : la déclaration mensongère passible de la privation des droits civiques et de 30 000 euros d'amende.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Partisans du toujours plus, vous nous demandez d'aller encore et toujours plus loin, de laver plus blanc que blanc, dans une quête qui n'aurait de cesse. Nous ne le ferons pas, et le débat en commission des lois l'a démontré, il y a consensus – une fois n'est pas coutume ! – entre notre groupe et le groupe SRC sur ce point : la transparence, dans sa forme extrême, c'est la concrétisation des théories de Georges Orwell dans la vie publique, c'est le Big Brother de 1984 !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Ainsi, mes chers collègues, je ne crois pas que l'objectif, certes louable, de ces propositions de loi, censées restaurer l'autorité morale des politiques auprès des citoyens, puisse être atteint par les solutions préconisées. Vous nous proposez, en effet, de renforcer l'arsenal législatif en matière de transparence dans la vie publique, mais vous êtes en pleine contradiction. Car c'est au moment même où l'arsenal législatif et réglementaire n'a jamais été aussi complet en la matière que la suspicion est la plus répandue ! Nous sommes nombreux à penser que cela pourrait même être contre-productif.

En effet, en adoptant ces deux textes, nous pourrions laisser penser que des comportements marginaux sont légion, que les élus ont besoin d'être surveillés par des juges, que nous ne sommes capables d'aucune autodiscipline, bref que nous n'avons aucune d'éthique. La vérité est que, si nous légiférons en permanence pour satisfaire une opinion persuadée que nous sommes corrompus, nous nous trompons. Soyez persuadés, chers collèges, que ceux de nos concitoyens qui pensent que nous ne rendons pas assez de comptes, que nous ne divulguons pas assez de détails sur l'emploi de nos crédits, sur les revenus de nos conjoints, ces citoyens penseront toujours que ce n'est jamais assez, et que nous trouvons toujours des moyens détournés pour échapper à la législation.

S'agissant maintenant des mesures relatives aux conflits d'intérêts, il serait faux de prétendre que la majorité n'a encore rien mis en place. Permettez-moi de pallier votre mémoire défaillante. C'est bien Nicolas Sarkozy qui a décidé de confier en septembre 2010 à une commission,…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

…présidée par M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, une réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Le rapport de la commission, remis en janvier 2011, a notamment montré que la France dispose déjà d'une législation efficace pour encadrer le financement de la vie politique, pour interdire les cumuls d'activités porteurs de risques ou pour proscrire la détention d'intérêts incompatibles avec l'exercice des fonctions.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Vous êtes de mauvaise foi, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Bien que le projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, déposé le 27 juillet dernier sur le Bureau de l'Assemblée nationale, ne soit pas encore inscrit à l'ordre du jour, plusieurs recommandations du rapport Sauvé ont déjà trouvé application.

Suite à une décision de son Bureau en date du 6 avril 2011, l'Assemblée nationale a prévu l'instauration, dès 2012, d'un déontologue au sein de notre chambre. Il sera notamment chargé de recueillir les déclarations d'intérêts des députés, mais aussi de connaître les dons et avantages dont ils pourraient bénéficier.

Lors du conseil des ministres du 9 février 2011, le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité que la procédure des déclarations d'intérêts des ministres soit mise en oeuvre sans délai.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Bien sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Ainsi les déclarations d'intérêts des ministres sont publiques et consultables en ligne depuis le 21 avril. Les membres des cabinets ministériels, conformément au rapport Sauvé, ont également dû remettre à leur ministre leur déclaration d'intérêts. Ce n'est sans doute pas suffisant à vos yeux, mais ce n'est pas rien. Là encore, chers collègues du groupe GDR, les mesures que vous proposez ne font pas l'unanimité, en particulier en ce qui concerne le chapitre VI de la proposition de loi ordinaire relatif à l'Autorité de la déontologie de la vie publique. Non seulement, cher collègue de Rugy, nous aurions affaire à une autorité administrative supplémentaire…

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

…alors que nous nous efforçons d'en réduire le nombre à la commission des lois, mais vous proposez, contrairement à ce que prévoit le projet de loi, que cette autorité soit uniquement composée de magistrats.

Serait-il normal de ne doter le Parlement d'aucun rôle dans ce dispositif ? Cela n'est pas conforme aux évolutions institutionnelles que nous avons souhaitées dans cette législature.

Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, nous voterons contre ces deux propositions de loi, car nous avons le sentiment que, pour ne pas se fourvoyer, il ne s'agit ni de se poser en chevalier blanc ni de légiférer sur ces sujets à quelque mois de l'échéance présidentielle, sous prétexte de satisfaire une prétendue revendication de l'opinion.

Pour conclure, je souhaiterais vous livrer une déclaration de Jean-Marc Sauvé, président de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, faite en juillet 2011 : « L'aspiration contemporaine à une transparence totale [...] est peut-être, sous certains aspects, le révélateur d'une société qui privilégierait la transparence des procédures et des individus par rapport à la défense des valeurs, de l'autonomie personnelle ou de la conscience individuelle. »

Je ne peux croire, chers collègues, que l'un d'entre nous, sur aucun de ces bancs, puisse appeler une telle démocratie de ses voeux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, les deux propositions de loi présentées par notre collègue François de Rugy défendent le principe d'une plus grande transparence de la vie politique, principe auquel nous sommes naturellement attachés, notamment en matière de financement des campagnes électorales et de renforcement de la prévention des conflits d'intérêts.

Plusieurs dispositions de ces deux textes reprennent nos propositions antérieures. Et je ne voudrais pas laisser sans réponse l'affirmation de Claude Bodin selon laquelle il y aurait eu un accord unanime en commission des lois entre le groupe SRC et la majorité présidentielle. En effet, s'agissant de la transparence du financement des partis politiques, les amendements que nous avions présentés lors de précédents débats parlementaires auxquels vous avez fait allusion ce matin, monsieur le ministre, avaient été combattus – et avec quel acharnement ! – par un nouveau président du groupe UMP qui s'appelait M. Jacob. Il était même, me semble-t-il, revenu d'un déplacement lointain pour présider, le soir, une réunion de son groupe afin de faire évoluer quelque peu la position de celui-ci.

Nous sommes plutôt d'accord avec M. de Rugy sur un grand nombre de points, même si nous sommes quelque peu réticents et nuancés sur d'autres.

Ce débat n'est pas nouveau. J'aimerais, monsieur le ministre, compléter sinon rectifier votre assertion de ce matin selon laquelle l'UMP, la droite parlementaire, aurait déjà beaucoup agi sur cette question.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Et le centre ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Vous avez d'ailleurs signalé, et je vous en remercie, que nous l'avions fait, à l'époque, de concert avec la gauche.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

C'était vrai concernant les lois de 1988, ce l'était aussi en 1995. Vous avez simplement omis de préciser qu'en 1990, d'autres textes, tout à fait significatifs, ont reprécisé les lois de 1988. En effet, la loi de janvier 1990 a fixé les règles de financement des campagnes électorales, créé les comptes de campagne, délimité le plafonnement des dons et mis en place la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Or nous n'avons pas tout à fait trouvé un accord sur ce texte. Il est pourtant fondateur de la manière dont le monde économique a été exclu du financement de la vie politique dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il y a eu un clivage à cette époque entre la gauche et la droite dans cet hémicycle.

En ce qui concerne la transparence du financement de la vie politique, les dispositions de la proposition de loi ordinaire reprennent largement celles que nous avions défendues en séance le 14 octobre 2010. Sur toute une série de dispositions, monsieur Bodin, nous n'étions pas d'accord, et nous ne le sommes toujours pas.

Nous sommes d'accord sur l'objectif de mettre fin au détournement des dérogations à la législation sur le financement public des partis pour les formations ne présentant des candidats aux législatives qu'en outre-mer. Si vous n'êtes pas d'accord, dites-le. Si vous l'êtes, pourquoi demander un vote groupé qui nous empêche d'aborder ces questions ? Les choses doivent être claires.

Le plafonnement des dons des personnes physiques aux partis politiques nous semble une disposition utile, à condition d'aménager le plafond des cotisations versées par les élus. Il est en effet républicain que les élus contribuent au financement des partis politiques auxquels ils appartiennent.

Nous sommes d'accord aussi sur la déclaration de situation patrimoniale des élus et le renforcement des sanctions. Nous l'avions proposé par amendement l'année dernière, ce qui nous avait attiré les foudres de Jean-François Copé et de Christian Jacob. Nous soutiendrons à nouveau ce dispositif. Nous restons convaincus qu'il est indispensable de progresser sur ce plan. Nous ne pouvons admettre, pas plus qu'en juin dernier, qu'un député ayant menti effrontément sur sa déclaration de patrimoine risque moins qu'un jeune ayant volé une mobylette.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Si, c'est vrai, et je vais citer moi aussi M. Sauvé. Alors que vingt personnes ont été signalées au parquet pour enrichissement sans cause entre le début et la fin de leur mandat, aucune poursuite pénale n'a été engagée depuis que la commission de transparence existe.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Le mensonge d'un parlementaire doit être sanctionné pénalement.

Nous approuvons également l'instauration d'une déclaration annuelle de revenus pour les élus, qu'ils soient nationaux ou locaux. Pour éviter bien des fantasmes, il serait bon que ces déclarations soient rendues publiques. Je parle des revenus liés à l'activité des mandats électifs. Je vois des haussements d'épaule. C'est la règle aujourd'hui, mais rien n'est organisé. Chacun sait quel est le montant de l'indemnité parlementaire, chacun sait quel est le niveau des indemnités des élus dans les villes, les départements, les régions puisque cela fait l'objet de délibérations qui sont rendues publiques. Autant rendre public ce qui est consolidé au niveau des élus puisqu'un élu ne peut recevoir plus d'une fois et demie le montant de l'indemnité parlementaire. Disons-le, cela fera du bien à la démocratie que les citoyens puissent voir clairement ce que gagnent leurs élus.

Enfin, nous sommes attentifs à la nécessité de clarifier les conditions d'utilisation de la réserve parlementaire. Cela concerne moins le Gouvernement que le Parlement lui-même, mais la proposition de M. de Rugy va dans le bon sens.

Si nous sommes d'accord sur de nombreux points, monsieur le rapporteur, il y a sur quelques autres des nuances entre nous.

L'exigence des citoyens en matière de transparence est légitime et doit être entendue, mais, en ce domaine, nous devons éviter de tomber dans le piège de deux raisonnements fallacieux qui schématiseraient notre débat. Le premier serait de considérer que seuls ceux qui ont quelque chose à cacher craignent la transparence, et le second d'affirmer que trop de transparence conduit à une forme de totalitarisme, pour reprendre le terme utilisé par un constitutionnaliste que nous avons reçu. Le travail du parlementaire, c'est de trouver un équilibre et de placer le curseur là où il doit se situer.

À cet égard, nous sommes réticents sur l'article 2, qui propose de publier les déclarations de patrimoine. Autant nous sommes d'accord pour que soient publiés les revenus des élus, autant la publication de la déclaration de patrimoine nous semble sans utilité. L'intérêt de la déclaration de patrimoine déposée auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, c'est de permettre à une commission légitime et totalement indépendante de vérifier, puisque cette déclaration est obligatoire en début et en fin de mandat, qu'il n'y a pas eu d'enrichissement sans cause lié à l'exercice du mandat par l'élu en question. Cela concerne aussi les élus locaux. L'objectif, c'est de vérifier que les élus sont honnêtes et sincères, ce n'est pas de montrer à tout le monde qu'un élu, sa femme, ses enfants ont ou n'ont pas tel ou tel bien. Ce n'est pas intéressant. Nous ne voulons pas instituer une forme de voyeurisme, nous voulons simplement garantir l'honnêteté des représentants du peuple, et le dispositif actuel me paraît suffisant. Il faut le conforter en renforçant l'indépendance de la commission.

Nous sommes aussi réservés sur l'article 4, qui prévoit une déclaration annuelle sur l'utilisation de l'indemnité représentative de frais de mandat. Nous craignons, en effet, qu'un excès de transparence ne soit contre-productif. Ceux de nos collègues, dont vous, monsieur de Rugy, qui ont publié toutes les informations sur l'utilisation de leur IRFM ont été échaudés. La transparence ne perd rien à s'arrêter aux frontières du respect de la vie privée. Cette limite n'empêche pas la clarté et la rigueur qui, elles, doivent être totales.

En revanche, les règles relatives à l'utilisation du crédit collaborateur peuvent être renforcées en cas de gestion directe de ce crédit par le parlementaire.

J'évoquerai enfin la question de l'Autorité de déontologie de la vie publique, qui aurait vocation à se substituer à la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Il nous semble préférable de la déjuridictionnaliser. Une instance de cette nature, composée exclusivement de magistrats, ne nous paraît pas être une bonne chose. Nous proposons qu'elle soit composée de trois magistrats mais aussi de personnalités qualifiées proposées par le Président de la République et acceptées par Parlement à la majorité des trois cinquièmes. Nous préférons cette solution à celle retenue dans la révision constitutionnelle pour certains candidats, désignés si les trois cinquièmes du Parlement ne s'y opposent pas. Cela permettrait d'avoir réellement une autorité indépendante. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Nous attendons le débat ! C'est le Gouvernement qui doit nous permettre d'en avoir un. Il y a le mythe des niches, mais vous nous interdisez de débattre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Vous n'avez plus la parole, monsieur Roman. Vous pourrez la reprendre dans la discussion des articles.

La parole est à M. Lionel Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux que nous puissions débattre aujourd'hui dans l'hémicycle de ce sujet important.

La transparence de la vie publique et la prévention des conflits d'intérêts sont des thèmes essentiels, qui répondent à des attentes très fortes de nos concitoyens. On ne peut ignorer ces attentes, et il me semble indispensable de mener à bien des réformes sur ces questions. Je suis donc heureux que cette proposition de loi soit mise à l'ordre du jour à un moment où aucune affaire, aucun scandale ne vient troubler la sérénité du débat. On ne peut, en effet, délibérer correctement sous la pression.

Il faut commencer par se mettre d'accord sur ce qu'est un conflit d'intérêts. La définition n'est pas simple car c'est un concept venu des pays anglo-saxons, qu'il faut adapter à notre culture. Cela prend du temps.

Prévenir les conflits d'intérêts, c'est assurer une conciliation. D'un côté, il faut protéger l'intérêt public contre les torts qu'il pourrait subir du fait des intérêts privés des personnes en charge de sa gestion, qu'il s'agisse d'un mandat ou d'une fonction. De l'autre côté, il faut tout de même laisser aux décideurs une marge de manoeuvre, et éviter de décourager les plus aptes uniquement parce qu'ils sont trop immergés dans un milieu et parce que leurs intérêts privés pourraient interférer avec leur mandat ou leur fonction.

Pour prévenir les conflits d'intérêts, on peut agir sur trois niveaux.

Le premier, le plus radical, est l'incompatibilité des fonctions. On supprime tout simplement la possibilité d'exercer une activité d'intérêt privé qui pourrait interférer avec les intérêts publics.

Le deuxième est l'obligation de déport. En cas de conflit d'intérêt potentiel, la personne ne siège pas ou laisse une autre prendre la décision ou voter à sa place.

Le troisième est la transparence des intérêts privés, qui permet à chacun de comprendre les tenants et aboutissants de la décision d'un élu. C'est souvent très efficace pour mettre en place une autorégulation. Dès lors que les choses se voient, on évite les débordements.

Il faut une combinaison de ces trois outils, chacun répondant à des situations bien particulières. Cela permet une proportionnalité entre les restrictions et la réalité du risque de dérapage en cas de conflit d'intérêts.

Pour que cela fonctionne, il faut des sanctions crédibles. J'ai regretté, et je continue à le regretter, le signal très malheureux que nous avons envoyé en refusant la peine de prison pour les déclarations de patrimoine mensongères. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je sais que la sanction qui fait le plus peur à un élu est la perte de son mandat mais il faut qu'en cas de fraude particulièrement scandaleuse, on puisse frapper plus fort.

Pour que la sanction soit crédible, il faut aussi qu'elle soit prononcée par une autorité suffisamment forte. Je suis assez dubitatif quant à la nouvelle autorité prévue par ce texte. Aura-t-elle les moyens matériels suffisants ? Aura-t-elle l'autorité, au sens du poids et du respect, voire de la crainte qu'elle inspire ?

Je serais plutôt partisan de confier la surveillance de la transparence de la vie politique et la prévention des conflits d'intérêt à des organes puissants et reconnus comme le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État, qui ne se laisseront certainement pas marcher sur les pieds.

On voit bien avec l'actuelle commission pour la transparence financière de la vie politique ce que cela donne de confier de telles missions à un organe dénué non seulement des moyens juridiques et matériels mais aussi et surtout de toute autorité morale. Ce n'est pas la solution.

Il faut donc des sanctions pénales dissuasives qui frappent l'élu ou le décideur ayant fait primer son intérêt personnel sur l'intérêt public.

Il faut aussi frapper le bénéficiaire du conflit d'intérêts : la société qui, par exemple, a pu ainsi obtenir un marché public.

On peut décider que les actes ainsi entachés d'un conflit d'intérêts sont nuls, on peut décider que le bénéficiaire de la fraude autre que le décideur concerné peut lui aussi être sanctionné.

Il faut bien entendu adapter cette législation à notre sensibilité. Il n'est pas question d'imiter en tous points les Scandinaves ou les Anglo-Saxons. Ces règles doivent absolument rester dans les limites de l'acceptabilité, car le mieux est très souvent l'ennemi du bien.

Je plaide ici pour le réalisme. Pour moi, ce texte est une étape dans un processus d'échanges, de concertation, de dialogue, qui doit transcender les clivages politiques.

Même si je suis en accord avec un grand nombre de ses propositions, je ne le voterai pas pour deux raisons. J'estime tout d'abord que la question n'est pas encore mûre, que c'est trop tôt. Il faut encore discuter, échanger, car on ne peut pas décider sur de tels sujets à la va-vite. J'estime aussi que nous n'avons plus la légitimité, en toute fin de mandat, à la veille d'élections, pour trancher définitivement. Ce sera aux députés élus en 2012 de s'emparer d'un thème que nous aurons défriché.

Notre travail est utile, mais ce n'est pas aujourd'hui que nous devons conclure. Cette proposition de loi permet de prendre date et, croyez-moi, je serai particulièrement vigilant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Clément

Monsieur le président monsieur le ministre, mes chers collègues, les propositions de loi de nos collègues du groupe GDR sur la transparence de la vie publique et la prévention des conflits d'intérêt veulent répondre à la défiance que manifestent nombre de nos concitoyens à l'égard du monde politique.

S'engager sur la voie de la réhabilitation du politique constitue l'aveu implicite que régnerait dans le monde politique une confusion des genres entre l'action publique et les intérêts personnels des élus. Rien que pour cela, ces deux textes sont légitimes, mais l'exercice auquel nous renvoie l'examen de ce texte est périlleux, tant la réalité est complexe. Si la transparence est le gage de l'honnêteté, rien ne nous assure que celle-ci serait appréciée et permettrait de rétablir la confiance indispensable entre les citoyens et leurs élus, même si ce texte était adopté en l'état.

Nous ne pouvons qu'être tous d'accord avec l'esprit général de ces textes, dont certaines dispositions sont frappées au coin du bon sens, comme cela a été dit avant moi. Nous avions déjà avancé certaines d'entre elles dans de précédentes propositions de loi.

Je pense au détournement de la législation sur le financement public des partis politiques qui conduirait, dans d'autres domaines, à parler d'abus de droit ou de requalification de portée des actes, notion bien connue du juge civil, avec l'article 12 du code de procédure civile, par exemple.

Je pense aussi au plafonnement des dons des personnes physiques aux partis politiques, actuellement fixé à 7 500 euros par parti. C'est au plafonnement d'une niche fiscale que renvoie l'article 1er de la proposition de loi. Comment ne pas y souscrire quand on sait que plus la générosité de ces dons est grande, plus les arrière-pensées qui les animent sont intéressées ? Peut-on vraiment parler de don lorsque la contrepartie attendue se compte en avantages fiscaux, en levées de contraintes sociales ou administratives, en ouvertures de nouveaux marchés, faisant passer des services du public vers le privé ?

Il me semble aussi que les dispositions relatives à la transparence de l'attribution des subventions publiques doivent être soutenues. Il s'agit de l'usage de l'argent public. La notion de réserve parlementaire, par exemple, est d'une opacité telle qu'elle nous renvoie à celle de clientélisme qui devrait être l'exact contraire de cet usage.

S'agissant de la prévention des conflits d'intérêts, les dispositions vont également dans le bon sens, même si une difficulté sérieuse existe : la définition de la notion elle-même, difficile à circonscrire. La définition donnée dans la proposition n° 1 du rapport Sauvé, reprise en partie, notamment à ses troisième et quatrième alinéas, par la proposition de loi, représente à n'en pas douter une avancée, en ce qu'elle comprend une dimension préventive que tout élu ou membre d'un cabinet ministériel serait alors à même d'apprécier, plutôt que de devoir se justifier a posteriori.

Même quand la preuve est apportée qu'il n'y a pas conflit d'intérêts, une suspicion subsiste toujours chez nos concitoyens. Il suffit de nous rappeler que la notion de mise en examen est assimilée chez les mêmes à celle de garde à vue, une impression que jamais n'efface un non-lieu.

Je pense qu'inscrire dans une loi une telle définition a davantage de sens que de mettre en avant des sanctions, car ce que nous voulons, c'est que l'ère du soupçon s'éloigne de la sphère politique. Plus nous aurons sérié cette définition, moins nous aurons à nous justifier, mes chers collègues. Et si nous partageons cet objectif, chacun de nous doit individuellement se sentir responsable, au risque, autrement, de jeter l'opprobre sur tous.

Bien des professions ont défini un code de déontologie dans ses rapports aux usagers de leur service et les rapports entre membres d'une même corporation. N'est-ce pas une manière de s'obliger à donner en toutes circonstances la preuve d'une volonté de probité mutuelle ? Reste qu'en l'état, l'Autorité de la déontologie de la vie publique apparaît trop, par sa composition, comme une juridiction pour constituer le pendant de la volonté affichée de la prévention des conflits d'intérêts.

L'application de règles déontologiques suppose que ceux qui ont à apprécier les contours d'un comportement soient eux-mêmes susceptibles d'être confrontés à de semblables situations. On me rétorquera qu'il y aurait alors le risque de régler les problèmes entre soi. Il me semble qu'un juste équilibre pourrait être trouvé, pour peu que soit assurée la publicité des débats de cette autorité et que sa composition soit mixte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Clément

Parvenir à ce niveau d'exigence de transparence constituerait à n'en pas douter un pas significatif dans la reconquête de la confiance que nous recherchons.

Faut-il aller plus loin ? S'agissant des déclarations de patrimoine, plutôt que de rendre publiques celles-ci, mieux vaudrait renforcer les pouvoirs d'investigation et de contrôle. Au contrôle citoyen, il faut, je crois, préférer celui d'une commission indépendante dotée de moyens d'investigation adaptés à l'objectif recherché.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Clément

Prenons garde à ne pas aller à l'encontre de cet objectif en aggravant la défiance de nos concitoyens. « Trop de sévérité nuit à la sévérité », disait Montesquieu, et je crois pour ma part que trop de transparence nuira à la transparence. Vouloir tout justifier, tout expliquer, c'est prendre le risque d'une surenchère dont jamais l'élu ne sortira indemne devant le tribunal de l'opinion. Les jurés populaires sont si nombreux qu'il s'en trouvera toujours un pour porter le discrédit ou le doute dans les esprits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Clément

La transparence n'est pas une fin en soi et le mieux est parfois l'ennemi du bien, comme notre collègue Lionel Tardy l'a dit avant moi. Assurons-nous plutôt que veille une autorité de la déontologie, sans pour autant porter sur la place publique ce que ses membres pensent être la vérité, car la vérité, nous le savons, c'est l'interprétation que chacun se fait de chaque chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Clément

Parce que le doute et le soupçon seront toujours alimentés par l'excès ou l'absence de transparence, sachons mettre en place les moyens d'une réponse indépendante. En l'état, ces projets constituent des avancées réelles, que nous pourrions encore améliorer, pour qu'autant que la volonté d'y parvenir soit partagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale commune est close.

La parole est à M. François de Rugy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Comme de coutume, j'apporterai quelques éléments de réponse aux différentes interventions qui ont eu lieu.

De la part du Gouvernement, nous avons eu le droit à la défense et à l'illustration du projet de loi que M. Sauvadet a présenté en Conseil des ministres. Nous verrons si ce projet est inscrit à l'ordre du jour. Ce n'est pas le cas pour le moment, et d'ailleurs, même s'il l'était, nous aurions toutes les peines du monde à boucler son examen et son vote définitif, le calendrier parlementaire étant encombré jusqu'à la fin de la législature.

Ce projet ne couvre d'ailleurs pas les mêmes champs, encore une fois, que les présentes propositions de loi. Je considère donc que ces textes méritent d'être examinés au fond et jusqu'au bout, et le cas échéant adoptés, peut-être après avoir été amendés. En tout état de cause, on ne peut pas dire que le projet du Gouvernement règle tout.

Je salue mon collègue Yves Cochet, dont c'était peut-être la dernière intervention dans notre hémicycle. Il a évoqué les micro-partis. Le passage de 28 à plus de 250 partis déclarés – et l'inflation se poursuit – montre que la loi est détournée. Il a bien fait de souligner le problème. Je ne reprends pas les noms de ces micro-partis, l'Alliance Méditerranée Alpes – un tel objectif justifie certainement la création d'un parti ! –, le Rassemblement pour Levallois… Ils se seront tous reconnus.

Notre collègue Claude Bodin se cache, tout à la droite de l'hémicycle…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Vous craignez, dites-vous, que nous tombions dans la logique de Big Brother. Il est assez amusant d'entendre cela de la part d'un membre d'une majorité qui n'a d'autre cheval de bataille que la généralisation de la vidéosurveillance et autres,…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…que d'aucuns associent pourtant également à Big Brother ! Chacun va puiser dans George Orwell. Ce n'est pas mon cas. Pour ma part, je considère que ce dont nous parlons n'a rien à voir avec une logique totalitaire, ceci soit dit en réponse à ceux qui prétendent que la transparence pourrait être une forme de totalitarisme.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Ce sont des exigences citoyennes. Il existe plusieurs écoles en matière de contrôle et de transparence, mais en aucun cas il ne s'agit d'excès.

Vous avez également parlé, cher collègue, de nos « contradictions ». J'en relève une belle dans vos propres propos. Vous avez ainsi affirmé qu'il ne fallait pas un arsenal complet. C'est bien la première fois, en matière de lutte contre la délinquance, car il s'agit bien d'une forme de délinquance, délinquance en col blanc mais délinquance tout de même, que j'entends dire qu'il ne faudrait pas un arsenal complet ! Dans ce domaine, vous allez pourtant jusqu'à demander la création d'un nouveau code pénal. Il faudrait savoir !

Vous avez même ajouté qu'il pourrait être contre-productif que des élus soient surveillés par des juges plutôt que de se régir par l'autodiscipline. Bien que je trouve que vous vous laissez parfois aller à des excès en matière pénale, je n'ai jamais pensé que l'on pouvait s'en remettre à la seule autodiscipline, et je trouve tout à fait normal qu'une surveillance s'exerce et que des sanctions soient prononcées par des juges. Pourquoi les élus seraient-ils les seuls citoyens de notre République à ne pas être soumis à la surveillance des juges et, le cas échéant, sanctionnés ? Reconnaissez que vous avez été excessif.

Vous vous êtes également permis de dire qu'il fallait pallier ma mémoire défaillante,…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…et vous avez souligné que Nicolas Sarkozy avait créé la commission Sauvé, ce que j'avais pourtant moi-même rappelé dans mon propos liminaire. Je vais vous rafraîchir à mon tour la mémoire, cher collègue, car vous n'êtes pas allé jusqu'au bout : pourquoi le Président de la République a-t-il jugé utile de créer cette commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Vous savez comme moi, car vous avez suffisamment d'expérience politique et parlementaire, qu'une commission est créée quand il y a un problème, et certains disent même que c'est parfois pour l'enterrer !

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Nous n'avons pas enterré le problème !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Nous ne voulons pas l'enterrer non plus, puisque nous avons déposé ces propositions de loi.

Le problème, je vais vous le rappeler, cher collègue, c'est que M. Woerth était à la fois ministre, non pas du budget, mais des « comptes publics » – on ne saurait mieux dire –, trésorier de l'UMP, ex-trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, dirigeant d'un micro-parti – non content d'être trésorier d'une grande formation, il voulait son propre parti – et maire de Chantilly. Sur tous ces points, il y a eu des problèmes, des conflits d'intérêts. M. Woerth était à la fois juge et partie, il recevait en tant que trésorier des dons, qu'il allait même parfois collecter personnellement, et il accordait ensuite, en tant que ministre, des ristournes fiscales, alors que, par ailleurs, il diligentait, dans cette fonction, les contrôles fiscaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Schosteck

A-t-il été jugé ? Que faites-vous de la présomption d'innocence ?

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Dans n'importe quel autre pays, on aurait trouvé incroyable qu'une personne puisse se trouver dans une telle situation de conflit d'intérêts. Cela s'est passé pendant cette législature, cher collègue, ce ne sont pas de vieilles histoires que je vous ressors !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Lisez donc Le Canard enchaîné d'aujourd'hui !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bodin

Vous êtes député Vert, et il y a un très intéressant article sur votre parti !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

En ce qui concerne l'Autorité de la déontologie, vous avez indiqué qu'il ne convenait pas de créer un organisme supplémentaire. Or, comme je l'ai indiqué en commission – il n'y a pire sourd que celui qui ne veut entendre –, il s'agit de fondre deux, voire trois commissions existantes en une seule. C'est donc tout à fait conforme au souci de rationaliser le nombre de nos autorités administratives indépendantes.

Enfin, alors que vous exigez un consensus, car, dites-vous, les grandes lois auraient toujours été votées dans le consensus, notre collègue Bernard Roman a rappelé que cela n'a pas toujours été le cas dans le domaine du financement de la vie politique. Même les grandes lois de société n'ont pas toujours été votées dans le consensus, tant s'en faut, et c'est souvent bien des années après que le consensus se crée. Cela se passe ainsi dans notre République.

Je remercie Bernard Roman pour son soutien à la plupart des dispositions que nous proposons. Pour répondre à d'autres collègues et au ministre, je reprendrai son argument : nous revenons en effet à la charge. Le groupe socialiste avait déjà déposé des propositions de loi, que nous avons reprises car nous considérions qu'elles étaient bonnes. Je vous en rends la paternité, mes chers collègues.

Je précise néanmoins, s'agissant du plafonnement des dons, que nous avons intégré l'idée que les cotisations d'élus devaient avoir un plafond spécifique, que nous avons fixé à 20 % du montant global des indemnités.

J'indique également que, pour notre part, nous ne souscrivons pas à l'idée que des élus puissent reverser à leur parti – c'est une pratique qui existe, nous le savons – l'intégralité de leurs indemnités, car nous considérons que c'est un détournement de la loi. En effet, les indemnités sont versées pour l'exercice d'un mandat et non pour le financement d'un parti. Qu'elles y contribuent accessoirement, comme d'autres cotisations, c'est légitime, mais il ne faut pas que ce soit à titre principal.

Je souscris, cher collègue, à votre propos sur la transparence des indemnités. S'il est aujourd'hui possible de trouver les informations, c'est au prix d'un véritable chemin de croix ! Pour un citoyen, et même pour un journaliste payé pour cela, trouver le montant des indemnités dans les collectivités locales, par exemple, relève du parcours du combattant. Si la loi fixe pour ces indemnités des maxima, les assemblées locales votent à chaque début de mandat leur niveau, qui peut être très inférieur au maximum autorisé. Il n'y a aucune raison de le cacher à nos concitoyens, bien au contraire. J'ai moi-même été adjoint au maire d'une grande ville. Alors que notre indemnité était de 40 % du montant maximum affiché par la loi, les gens étaient persuadés que nous percevions la totalité de ce montant.

M. Roman a donc tout à fait raison de rappeler qu'en la matière les collectivités locales ne font malheureusement pas oeuvre, du fait de l'organisation législative, de transparence.

Enfin, il a posé, d'autres collègues aussi, un débat de principe sur la transparence. Lorsque nous avons procédé aux auditions, il nous a bien été indiqué qu'il y a deux écoles en la matière. La première considère que la transparence doit être totale pour les citoyens car ce sont eux, en dernier ressort, les seuls juges. Je l'ai dit en commission : ceux qui craignent le gouvernement des juges devraient soutenir cette position, consistant à dire que le citoyen doit être éclairé lorsqu'il vote, mais que c'est lui qui décide en dernier ressort. Une autre école estime en revanche qu'il vaut mieux s'en remettre à des commissions qui ont des moyens de contrôle – encore faut-il qu'elles les aient – et des moyens de sanction. C'est un peu la logique du confessionnal, dirai-je pour rappeler une tradition chère à notre pays ou en tout cas à un certain nombre de ses citoyens. Il n'y a alors évidemment pas de transparence à l'égard du citoyen, puisque c'est une commission qui se charge de la question.

Je préfère, chacun l'a bien compris, la première école, mais je ne suis pas contre la seconde et l'on peut trouver des compromis par voie d'amendement. En tout cas, je suis tout à fait ouvert sur le sujet, de même que sur la composition de l'Autorité de la déontologie de la vie publique. J'en viens ainsi à vous, monsieur Lionel Tardy, puisque vous avez déposé un amendement à ce sujet qui pourrait faire l'objet d'un avis tout à fait favorable.

Je note avec beaucoup d'intérêt, monsieur Tardy, que vous avez soutenu notre démarche, rappelant que vous avez été en désaccord avec le vote de votre groupe quand celui-ci a refusé de pénaliser fortement les fausses déclarations. Mais je ne partage pas l'idée selon laquelle le sujet ne serait pas mûr. Je constate en effet qu'il y a eu d'autres propositions de loi, qu'on en a souvent parlé, et que, lorsque nous ferons le bilan des cinq ans de notre législature, il apparaîtra sans doute qu'aucune mesure législative n'a été prise, sinon à la marge. Par conséquent, dire qu'un tel texte arrive trop tard est un argument que je n'aime guère, et d'autant moins que le groupe auquel j'appartiens ne choisit pas la date à laquelle il peut inscrire une proposition de loi. La dernière fois, c'était il y a un an, et l'avant-dernière fois, il y a deux ans ! Notre texte est inscrit maintenant, et je ne crois pas qu'il soit trop tard. Je ne vois pas pourquoi nous serions maintenant moins légitimes aujourd'hui pour voter, en cette matière comme en d'autres. Si la légitimité du Parlement est trop faible en fin de mandat, que dire des mesures fiscales prises en flux continu depuis plusieurs mois ?

Je finirai sur votre intervention, monsieur Jean-Michel Clément. Je l'ai appréciée, elle était tout à fait mesurée. Je suis d'accord avec vous sur le fait que la notion de conflit d'intérêts est difficile à définir. Mais si l'on s'en tient principalement aux questions économiques et financières, au mélange des genres entre des intérêts privés et l'intérêt public, je constate que nous avons tout de même bien cerné la question.

Par ailleurs, s'agissant du « tribunal de l'opinion », selon votre expression, je crois que cela pose un problème quand on est dans la logique des révélations. À cet égard, la transparence serait une forme de dissuasion et de tranquillisation puisque les choses seraient connues et dites. Il ne serait plus question d'aller chercher des révélations sur telle ou telle personne pour la mettre en difficulté ou tout simplement par curiosité.

C'est pourquoi, mes chers collègues, monsieur le ministre, je pense qu'il est possible de prolonger la discussion et d'examiner les amendements afin de mieux cerner le sujet. Faisons-le maintenant sur les articles.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Tout d'abord, je ne voudrais pas qu'on laisse croire à l'opinion qu'il y aurait un avant le dépôt des deux propositions de loi et un après dans lequel les difficultés seront réglées. Ce n'est pas sérieux. Ici même, mesdames, messieurs les députés, vous avez débattu avec le Gouvernement d'une série de dispositifs, et trois lois sur la transparence de la vie politique ont été promulguées le 14 avril dernier. Elles prévoient des incriminations supplémentaires, notamment en cas de déclaration incomplète, et les sanctions ont été renforcées. Ces lois sont trop récentes pour être appliquées aux prochains scrutins puisqu'ils vont se dérouler dans quelques mois seulement. Je ne voudrais pas qu'il y ait d'un côté, la vertu assumée,…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…et, de l'autre, des comportements irascibles suscitant des inconvénients.

Je l'ai dit ce matin : nous avons en partage la responsabilité de faire coïncider deux exigences, celle de la transparence dans l'exercice de sa fonction publique afin qu'il n'y ait pas conflit d'intérêts, c'est-à-dire prise d'intérêts dans l'engagement politique et public, mais aussi, ne l'oubliez pas, monsieur de Rugy, celle de la préservation des libertés individuelles, à laquelle je suis personnellement très attaché. Vous avez parlé de la commission Sauvé en faisant référence à de pseudo-affaires,…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…en citant des noms.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je récuse un tel comportement ! Vous demandez sans cesse au Gouvernement et à certains membres de la majorité de respecter à l'égard de l'opposition un principe essentiel, celui de la présomption d'innocence, mais appliquez vous-même ce principe. La présomption d'innocence est un droit fondamental qui ne peut être bafoué.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Vous ne pouvez pas déclarer la culpabilité d'Untel ou d'Untel, parler d'affaires, alors même que les juridictions de notre pays ne se sont pas prononcées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je vous le dis, monsieur de Rugy : c'est insultant pour la République ! Je revendique pour chacun des élus de la République, comme pour chacun des citoyens de la République, un droit fondamental : la présomption d'innocence, garantie de la préservation des libertés individuelles.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je tiens aussi à vous dire que la commission Sauvé a été créée pour sortir de la suspicion que vous et vos collègues avez savamment entretenue pendant des mois et des mois au mépris de la présomption d'innocence.

L'arsenal juridique existe. J'ai en outre déposé un projet de loi. J'espère que le calendrier permettra de l'examiner, mais vous conviendrez que celui-ci est contraint et je vous appelle à un peu d'esprit de responsabilité. Vous savez la gravité de la crise à laquelle nous sommes confrontés, les réajustements qu'il nous faut faire face à l'évolution d'événements dont personne ne sait quel sera le prolongement, notamment en termes de croissance. Certes, cela a bousculé le calendrier, mais je souhaite que nous puissions prolonger le débat, notamment à travers la mise place d'une autorité de la déontologie. À ce propos, certains orateurs ont demandé qu'elle soit équilibrée, et j'en suis d'accord. Il faut qu'elle permette la prévention des conflits d'intérêts.

J'ai une question à poser au rapporteur comme à l'ensemble des députés : jusqu'où aller dans la transparence ? Si vous avez un lointain cousin qui exerce des responsabilités dans une entreprise, ce lointain cousinage pourrait-il être un motif de suspicion quand vous assumez une fonction parlementaire ou gouvernementale ? Je pense que la prévention du conflit d'intérêts, grâce à la possibilité de solliciter l'avis d'une autorité de la déontologie pour savoir si nous sommes ou non concernés, sera une grande avancée, et je souhaite qu'elle soit mise en place le plus tôt possible.

S'agissant des micro-partis, vous savez que nous sommes le pays aux trois cents fromages. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

J'emploie cette formule parce que j'ai eu l'impression que vous y faisiez allusion en parlant des micro-partis.

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

Mais ce ne sont pas de vrais partis politiques, monsieur le ministre !

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je tiens à prendre mes distances par rapport à ce que vous avez sous-entendu en faisant un rapprochement entre intérêt personnel et création de son micro-parti. Je vous rappelle que l'article 4 de la Constitution garantit la libre formation des partis pour pouvoir exprimer des choix politiques. Il appartient évidemment ensuite à l'opinion de se faire son avis sur l'opportunité ou non de la création de tel ou tel parti. En tout cas, quand j'entends des partis de gauche parler des micro-partis sans chercher à les définir – nous pourrions éventuellement trouver une définition, mais actuellement il n'en existe pas –, je rappelle que la seule référence aujourd'hui, c'est la Constitution, c'est-à-dire la loi fondamentale de la République.

Je dirai à M. Cochet que la vertu, il faut la vivre soi-même avant de la recommander à d'autres. Je ne suis plus parlementaire, mais les mots qu'il a employés m'ont choqué, ainsi que ses allusions à certaines situations prétendument privilégiées : parler de privilèges s'agissant de parlementaires qui exercent leurs missions au nom du peuple français, au sein de la représentation nationale ! Mais j'ai apprécié la tonalité, les mots très mesurés de certaines interventions, telle celle de M. Roman car il faut trouver un bon équilibre dans cette affaire. En tout cas, on ne peut pas accepter l'idée qu'au sein même du Parlement, je le dis au nom du Gouvernement, certains puissent laisser entendre que la République abriterait des privilèges au sein de sa représentation nationale. Nous avons tous fait, les uns et les autres, des efforts de gouvernance et des efforts de transparence considérables pour réconcilier une opinion troublée – mais troublée par la crise aussi – avec une représentation nationale qui est la seule expression de la démocratie ! Je récuse les propos tenus par M. Cochet. Ses mots inutilement blessants contribuent à une suspicion permanente et au climat entretenu autour de l'élu. Ce n'est pas rendre service à la démocratie que d'employer de tels mots.

Claude Bodin, vous avez rappelé ce qui a été fait. C'était opportun au moment de ce débat légitime.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

À ce propos, il n'y a pas de débat illégitime s'agissant des questions de transparence, monsieur de Rugy,…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…mais j'espère que vous l'avez porté avec l'intention de servir la démocratie, sans arrière-pensées liées à un calendrier et visant à faire croire qu'il y aurait des affaires que nous n'aurions pas voulu traiter. Si c'était le cas, vous auriez manqué votre objectif et manqué au devoir de participer à la transparence démocratique.

Monsieur Bodin, disais-je, vous avez rappelé tout ce qui a été fait en avril 2011. Le débat avait été nourri. Je sais que M. Tardy et certains de ses collègues avaient évoqué des peines de prison, que d'autres avaient exprimé une position divergente – je pense au Nouveau Centre –, et l'Assemblée est parvenue à une position d'équilibre qui a renforcé les sanctions, avec des peines d'inéligibilité. Il ne faut donc pas sous-estimer le travail qui a été fait par le Parlement. Vous l'avez opportunément rappelé.

Vous avez aussi rappelé la nécessité de prévenir les risques de conflit d'intérêts en créant une autorité indépendante qui garantisse à l'opinion que la prévention prend bien en compte le risque éventuel et donc ses conséquences. Je dis oui à une autorité de la déontologie qui soit équilibrée. Je vous remercie du soutien que vous avez apporté au Gouvernement, dans une démarche courageuse et équilibrée.

Monsieur Roman, je suis assez d'accord sur l'essentiel de ce que vous avez dit, sauf un point : vous avez voulu faire croire que le Gouvernement aurait enterré le dialogue. On peut avoir des désaccords sur jusqu'où aller, mais cela n'empêche pas le dialogue. En tout cas, j'ai apprécié le fait que vous considériez que nous avions en partage cette nécessité de transparence dans la vie politique et dans le fonctionnement de la démocratie. Je fais miennes vos déclarations sur ce point.

J'ai observé que vous aviez des réticences sur deux articles de la proposition de loi organique, et je les partage. Pour ce qui est de la déclaration annuelle de l'IRFM, il appartient en effet au Parlement d'en décider. Pour avoir été député quelques années, je partage votre prévention. Et puis, s'agissant de l'objectif de rendre public le patrimoine, cela n'aurait aucune utilité sinon celle de servir un voyeurisme. Une telle disposition susciterait aussi des tensions inutiles autour de l'élu et de sa famille. Je pense comme vous que le vrai objectif, c'est de vérifier la sincérité et qu'il n'y a pas d'enrichissement qui serait lié à l'exercice d'une fonction. Je fais mien le mot « sincérité » que vous avez employé.

Pour le reste, je veux vous rappeler, monsieur Roman, que des dispositions ont été prises concernant les micro-partis. Récemment, sur un amendement de Gilles Carrez, le projet de loi de finances a plafonné à 15 000 euros la défiscalisation par foyer fiscal. Il y a là un progrès que vous auriez pu signaler. Je sais que vous le considérez comme tel, mais vous avez péché par omission.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur Tardy, je vous ai écouté avec intérêt. Oui, il faut évidemment renforcer l'arsenal législatif. C'est ce qui a d'ailleurs été fait au mois d'avril. Vous souhaitiez aller au-delà, mais ce n'est pas la position qui a été retenue, au terme d'un débat nourri auquel a participé l'ensemble du Parlement, y compris de la majorité. Je prends acte de votre position, mais nous pouvons nous retrouver sur le fait qu'il faut prévenir tout risque, notamment grâce à une autorité de la déontologie. En tout cas, je compte sur vous pour soutenir, lorsque le projet de loi viendra à l'ordre du jour, cette nouvelle initiative gouvernementale pour garantir la prévention contre les risques de conflits d'intérêts.

Monsieur Clément, j'ai apprécié la tonalité de votre intervention qui fait honneur à la République, et je me suis réjoui de votre appel en faveur d'une composition mixte de l'Autorité de la déontologie de la vie publique.

C'est précisément cet équilibre que nous avons retenu après avoir rencontré beaucoup d'interlocuteurs dont M. Jean-Marc Sauvé, l'auteur du rapport. Il faut des représentants désignés par les hautes juridictions et des membres nommés par l'autorité politique. Cet équilibre dans la composition de la future Autorité de la déontologie de la vie publique représente une grande avancée.

Je partage aussi votre sentiment sur la présomption d'innocence. Monsieur le rapporteur, envisager comme vous le faites dans votre proposition de loi – ce qui a suscité l'interrogation de M. Clément – de rendre publique une déclaration de patrimoine au moment de sa transmission au parquet et de rendre publique les raisons qui la rendent douteuse, c'est prendre un risque considérable.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

C'est marquer du sceau de l'infamie une personnalité qui, pour le coup, se retrouverait dans un considérant non encore tranché par la justice.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je vous le redis, le Gouvernement a un point cardinal dans ces affaires : le respect de la présomption d'innocence qui est dû à chacun, notamment à chaque député.

Ce débat est utile et légitime, mais de grâce qu'il serve l'objectif que nous avons en partage, monsieur de Rugy : être au service de la transparence et d'une réconciliation entre une France bousculée par des changements profonds et de grandes interrogations, et des élus qui sont légitimes parce qu'ils sont l'expression de la volonté du peuple. C'est cet équilibre-là qu'il nous faut trouver. En tout cas, vous pouvez compter sur la résolution du Gouvernement à avancer en préservant cet équilibre et aussi le respect des libertés individuelles.

Par ailleurs, monsieur le président, en application de l'article 96 du Règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes sur la proposition de loi organique et sur la proposition de loi ordinaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle en premier lieu les articles de la proposition de loi organique dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l'amendement n° 3 , portant article additionnel après l'article 5.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

À la suite des auditions que j'ai conduites avec d'autres collègues de la commission des lois, j'ai proposé moi-même certains aménagements à la proposition de loi. Nous sommes bien dans un travail parlementaire. Mais, avant de présenter ces amendements, je voudrais dire, monsieur le ministre, que nous regrettons profondément que le Gouvernement ait demandé la réserve des votes sur tous les articles de la proposition de loi.

Pour que cela soit noté au compte rendu, je redis que c'est inacceptable pour le Parlement, et surtout pour l'opposition puisque la réserve n'est pas demandée pour les propositions de loi émanant de la majorité. En fait, les propositions de loi de l'opposition ne sont pas vraiment débattues puisque nous examinons des amendements sur lesquels nous n'allons même pas pouvoir voter.

Par cet amendement n° 3 , j'ai souhaité poser le débat des incompatibilités entre l'exercice d'un mandat parlementaire – de député en l'occurrence – et du métier de conseil ou d'avocat. En commission, certains collègues, peut-être concernés, se sont élevés contre cette idée.

Certains parlementaires détournent le métier d'avocat pour se livrer à des activités de conseil, en étant rétribués parfois même au forfait – dans ce cas la rémunération n'est même pas liée à un travail forcément effectif.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Ces situations ont beaucoup choqué nos concitoyens. Vous qui protestez, sur les bancs de la majorité, vous savez très bien que l'ancien président du groupe UMP, M. Copé, a été tellement mis en cause qu'il a préféré abandonner sa double casquette qui choquait jusque dans les propres rangs de son groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

On ne peut pas accepter que des parlementaires portent une double casquette et sont ainsi amenés à toucher des rétributions d'entreprises directement intéressées à certaines propositions ou projets de loi.

Voilà pourquoi je vous demande de voter pour cet amendement, même si la commission ne l'a pas adopté.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

D'abord, je vous signale que la profession d'avocat est déjà encadrée. Un avocat parlementaire ne peut pas engager de poursuites contre l'État ; il ne peut pas être l'avocat ou le conseil d'une entreprise publique à moins d'avoir exercé ces fonctions avant son élection.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

C'est exact.

Cela concerne les sociétés nationales, les collectivités, les établissements publics. Par ailleurs, l'article L.O. 146-1 du code électoral interdit à tout député de commencer à exercer une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat.

Les incompatibilités doivent être définies de manière stricte et limitative, mais elles doivent tenir compte de la capacité de chacun à exercer ses fonctions. Être élu ne dure qu'un temps, celui de la durée du mandat que vous ont confié les électeurs.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Monsieur le ministre, il ne s'agit pas d'empêcher les avocats de devenir députés, mais de leur demander de suspendre leur activité le temps du mandat. Un avocat peut reprendre son métier ensuite.

Ce ne sont pas les avocats plaideurs – il y en a toujours eu au Parlement – qui sont visés, mais ceux qui détournent ce statut. En outre, monsieur le ministre, je m'élève – et je ne suis pas le seul – contre le distinguofait entre ceux qui exerçaient une activité de conseil avant d'être élus et ceux qui la commenceraient pendant la durée de leur mandat. L'un qui le faisait déjà depuis très longtemps peut continuer totalement librement, alors que l'autre ne peut pas commencer.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

C'est parce qu'il n'y a pas d'incidence !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

C'est absurde. Il faudrait que ce soit impossible dans les deux cas.

Si l'on veut limiter les conflits d'intérêts, la question des incompatibilités de fonctions est posée.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Ces derniers temps, certains députés, de tous les bancs, sont devenus avocats. C'est légalement possible si l'on justifie d'un diplôme juridique et d'au moins huit ans d'ancienneté dans une profession juridique. Les députés écrivant la loi, ils satisfont aux critères.

Ne nous voilons pas la face : ils ne sont pas recrutés pour leurs qualités de juristes, mais pour leur carnet d'adresses, leur connaissance des rouages du pouvoir et, pour certains, leur notoriété. De fait, ils exercent une activité de conseil.

Monsieur le ministre, il se trouve que l'article L.O. 146-1 du code électoral interdit aux députés de commencer à exercer une activité de conseil qui n'était pas la leur avant le début de leur mandat. Nous avons abordé le sujet fin 2010. Cette interdiction se comprend aisément, mais elle comporte une exception : elle n'est pas applicable aux membres des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

Nous n'allons pas refaire le débat de 2010 et je n'ai pas redéposé l'amendement que j'avais proposé alors pour apporter une solution, mais il y a des exceptions. Mais lorsque nous reviendrons sérieusement sur le sujet, nous repasserons par là.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

La proposition de loi pose une vraie question, même si elle est trop limitée. La question des incompatibilités et des inéligibilités dans notre pays mérite d'être réexaminée pour tous les postes, tous les mandats. Pourquoi parler seulement les avocats ? Les médecins hospitaliers et les professeurs d'université peuvent continuer à exercer des activités. Quand il s'agit d'activités privées, on peut les poursuivre et même continuer à diriger son entreprise en étant parlementaire. Il faut donc reposer la question.

Si une proposition de loi comme celle de M. de Rugy pouvait nous permettre d'engager une réflexion sur les incompatibilités, ce serait une très bonne chose pour la démocratie.

Pour ma part, je cite toujours un exemple : je suis choqué que nous n'ayons jamais réussi, malgré nombre de tentatives, à rendre incompatibles les fonctions de maire et de notaire. Il me semble aberrant, car lourd de conflits d'intérêts, que le notaire d'une commune puisse aussi en être le maire, qu'il puisse être à la fois l'ordonnateur du plan d'occupation des sols et celui qui organise les cessions et les héritages sur ce territoire. Pourtant, la loi française le permet. C'est bien plus choquant qu'un parlementaire qui continue à plaider ou qui devient avocat.

L'intérêt de cette proposition de loi est d'ouvrir un chantier qui doit l'être.

(Le vote sur l'amendement n° 3 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2 .

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Cet amendement porte aussi sur cette question des incompatibilités mais en adoptant une position plus médiane, dans le cas où des activités sont jugées compatibles. Il vise à plafonner à la moitié de l'indemnité parlementaire de base les revenus tirés de ces autres activités.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Il est vrai qu'un parlementaire perçoit une indemnité pour l'exercice de sa fonction, et les chiffres sont publics. Cela étant, il peut choisir d'exercer ou non sa profession, dans le cadre des limites fixées par la loi, notamment sur les incompatibilités.

Si l'on vous suivait, tout parlementaire devrait cesser ou réduire son activité. Pensant à tous ceux qui seraient obligés de renoncer à leur vie professionnelle, je rappelle qu'un mandat n'est pas une profession. Vous ne quittez pas votre profession pour devenir définitivement parlementaire : vous ne le restez que tant que les électeurs vous font confiance et que vous vous présentez à leur suffrage.

Faire coïncider une vie professionnelle et une vie parlementaire si on le souhaite, c'est aussi une garantie de diversité des représentations. D'ailleurs, la question des disponibilités a souvent été posée, à propos de personnes qui pouvaient s'éloigner de leur métier tout en conservant d'ailleurs leur promotion dans certains corps.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Si nous suivions votre logique, nous aboutirions à une situation complexe, où certains renonceraient à leur engagement public parce que le processus que vous décrivez n'est pas possible dans tous les métiers.

Cette généralisation ferait peser un risque sur la nécessaire diversité de la représentation ainsi que sur l'égal accès de tous les citoyens à la fonction parlementaire. Préservons cette diversité qui est l'un des gages de la représentativité…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…et un gage d'indépendance. Vous ne pouvez pas pointer des dysfonctionnements éventuels et, dans le même temps, interdire l'exercice d'une profession par la limitation des revenus.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

C'est, encore une fois, une vraie question qui se pose, et il est très difficile d'y répondre. Cela montre qu'il faut y travailler.

Nos voisins italiens sont souvent montrés du doigt : « C'est scandaleux, le président du conseil italien était le patron d'un grand groupe de presse, le propriétaire de plusieurs chaînes de télévision ! » Ce faisant, nous oublions qu'un parlementaire français, un sénateur plus précisément, est le président du plus grand groupe de presse de France, sans que personne y trouve rien à redire !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Je sais, mais nous sommes, en l'occurrence, un certain nombre à trouver à y redire !

En l'état actuel du droit, personne ne peut empêcher cet élu de continuer à être le propriétaire de son groupe, quand bien même il cesserait d'exercer son éventuel mandat de président ou ses éventuelles fonctions officielles, à supposer qu'il en ait, au sein de son groupe. Personne ne l'empêchera de percevoir les dividendes de sa propriété. Voilà une vraie difficulté, à laquelle nous devons continuer de travailler.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Monsieur le ministre, je suis heureux que nos échanges soient consignés noir sur blanc dans le compte rendu des débats. La position du Gouvernement, telle qu'elle ressort de vos propos, est donc la suivante : l'exercice d'une profession dont on tire des revenus importants, éventuellement supérieurs à ceux perçus au titre de l'exercice de son mandat parlementaire, garantit l'indépendance des parlementaires ! Quel renversement, tant philosophique que juridique, de notre ordre politique actuel !

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Ce n'est pas ce que j'ai dit !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

On considérait, jusqu'à présent, que c'était l'indemnité versée aux élus qui garantissait leur indépendance.

Deuxième point, votre thèse selon laquelle les dispositions que nous proposons pourraient entraîner une éventuelle rupture d'égalité est absolument incroyable.

Il y a tout de même des gens qui nous écoutent, des gens qui nous regardent et des gens qui nous lisent. Revenons donc aux origines de l'indemnité parlementaire. Le versement de celle-ci se justifie par le fait que l'élu ne peut plus exercer la profession qui était la sienne antérieurement à son élection. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'un revenu de substitution qui lui permet de consacrer le temps nécessaire à l'exercice de son mandat. C'est d'ailleurs en vertu de la même logique que fut instauré un plafonnement du cumul des indemnités.

Pourquoi donc plafonnerait-on le montant global des indemnités perçues au titre de l'exercice de mandats électifs confiés par le peuple français et non le montant revenus perçus au titre de l'exercice par un parlementaire d'une activité professionnelle ? Personne n'est forcé de faire de la politique. Pour ma part, je considère qu'il faut faire un choix : si certains veulent faire de l'argent, pour reprendre une expression que j'ai déjà employée, eh bien, qu'ils ne fassent pas de politique !

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je vous invite, monsieur de Rugy, à préserver la qualité qui était jusqu'à présent celle de notre débat en ne déformant pas les propos tenus.

J'ai dit la chose suivante : ce qui garantit l'indépendance, c'est, naturellement, l'indemnité. C'est l'indemnité parlementaire qui permet le plein exercice de son mandat par les parlementaires, et l'égal exercice de leur mandat par tous les parlementaires, qu'ils soient de la majorité, de l'opposition ou non-inscrits. Elle permet à chacun d'exercer son mandat librement, car il n'y a pas de mandat impératif. Je m'en souviens pour avoir moi-même été parlementaire quelques années.

Cela dit, vous ne vous en tirerez pas par un tour de passe-passe…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…pour faire adopter une proposition que je récuse. Ce qui garantit l'égal accès à la fonction, c'est aussi la possibilité laissée à certains de poursuivre l'exercice d'une activité professionnelle et d'éviter ainsi une professionnalisation de la politique que refusent un certain nombre de nos compatriotes.

Prenons un exemple très concret pour éviter toute confusion. Si l'on vous suivait, monsieur de Rugy, un médecin élu député serait contraint d'abandonner son activité à l'orée de son mandat. Au nom du Gouvernement, je rejette cette éventualité, et je tenais à préciser la portée exacte de votre proposition pour éviter toute confusion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Considérez quand même, monsieur de Rugy, qu'après avoir été parlementaire pendant quelques années et étant susceptible de le redevenir un jour, le moment venu, sans précipitation (Sourires), je ne suis pas moins attaché que vous au mandat parlementaire et à ses conditions d'exercice. C'est un attachement que nous partageons tous.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je récuse donc les procès de ce type.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Sur le fond, je le répète, vous ne vous en tirerez pas par un tour de passe-passe.

Un certain nombre de nos compatriotes éprouvent le sentiment d'une inégalité. Pour s'engager en politique, ils devraient quitter leur profession, alors que d'autres peuvent être placés un temps en position de détachement et sont sûrs de retrouver ensuite leurs fonctions antérieures ! Pour ma part, je veux un Parlement à l'image de la société française et de sa diversité.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je suis pour un Parlement où les hommes et les femmes soient également représentés, pour un Parlement ouvert à tous les talents et à toutes les compétences.

Cette conception me conduit à émettre un avis défavorable à votre proposition.

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

Puisque nous parlons de l'indemnité parlementaire, je m'en voudrais de ne pas rappeler à notre rapporteur que l'Assemblée nationale est l'une des rares institutions où celui qui exerce son mandat à temps plein est moins rémunéré que celui qui exerce son mandat à temps partiel. Le parlementaire qui exerce des responsabilités locales perçoit effectivement des indemnités à ce titre et, comme il doit mener de front différentes activités, il n'est pas un parlementaire à temps complet. En revanche, le parlementaire qui n'a pas de responsabilités locales, ne percevant pas d'indemnités locales, est finalement moins bien rémunéré, alors qu'il est, lui, un parlementaire à temps complet.

La même remarque vaut pour les ministres.

Cette situation est quelque peu anormale, et je tenais à le rappeler, sans pour autant déposer d'amendements car je sais trop bien le sort qui leur serait réservé.

(Le vote sur l'amendement n° 2 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

Il est question, dans cet article, d'une Autorité de la déontologie de la vie publique.

J'ai eu l'occasion, avec mon collègue Christian Vanneste, de faire un rapport sur les autorités administratives indépendantes. Nous recommandions, tout d'abord, de ne pas les multiplier. Las, voici qu'on nous propose d'en créer une nouvelle ! Nous recommandions également, ce qui me paraît beaucoup plus important, la mise en place d'une haute autorité de la vie politique dont le responsable serait non pas nommé par le pouvoir exécutif, mais élu à la majorité des deux tiers, c'est-à-dire, dans la pratique, à l'unanimité, par le Parlement. C'est ce qui se passe, notamment, au Québec, où une personnalité élue par le Parlement, c'est-à-dire désignée par la majorité et l'opposition réunies, dispose d'une autorité sans commune mesure avec celle d'un fonctionnaire nommé et rend compte au Parlement, ce qui revalorise le rôle de ce dernier. Je le dis parce que le Gouvernement nous avait répondu, dans le cadre du Comité d'évaluation et de contrôle, que, les autorités administratives étant des démembrements de l'exécutif, il revenait plutôt à ce dernier qu'au Parlement de les nommer. Si l'on peut souscrire à ce raisonnement, on ne saurait pour autant affirmer que la vie politique, son financement, le découpage électoral, les sondages, etc., doivent échapper à la responsabilité du Parlement, c'est-à-dire de la majorité et de l'opposition, de l'ensemble des représentants du peuple.

Christian Vanneste et moi-même continuerons de plaider pour la mise en place d'un tel système, beaucoup plus démocratique et de nature à revaloriser considérablement le rôle du Parlement.

Pendant dix ans, le vice-président du Conseil d'État, personnalité certes tout à fait respectable, et fonctionnaire parmi les plus élevés, a répété que la législation qu'il était chargé d'appliquer n'était pas satisfaisante. Rapport après rapport, il réclamait qu'on l'améliorât ! Finalement, il fallut un temps fou pour que cela fût fait. Une personnalité élue par le Parlement n'eût pas laissé passer dix ans sans réagir.

(Le vote sur l'article 6 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Lionel Tardy pour soutenir l'amendement n° 1 portant article additionnel après l'article 6.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je souhaite, par cet amendement, ouvrir un débat sur le régime des incompatibilités parlementaires. L'article L.O. 146 du code électoral énumère un certain nombre de fonctions incompatibles avec l'exercice d'un mandat parlementaire. Or, par deux fois, en 2004 et 2009, M. Serge Dassault est passé au travers. Par deux fois, le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire au cumul de son mandat de sénateur et de ses activités professionnelles. Excusez-moi de citer ainsi nommément un parlementaire, mais la chose est publique.

En revanche, notre collègue Jean-Charles Taugourdeau s'est vu récemment refuser l'autorisation de créer une société de conseil en horticulture. (Sourires.)

Ces deux exemples portent un coup à la crédibilité d'un dispositif qui apparaît trop formel. Ce qui compte, ce n'est pas le poste, c'est la réalité du pouvoir décisionnel, qu'il s'agisse d'un pouvoir privé ou du pouvoir conféré par des fonctions publiques. C'est le pouvoir décisionnel qui crée des risques de réel conflit d'intérêts.

Faut-il, mes chers collègues, que le régime des incompatibilités impose d'abandonner son activité privée lorsque l'on souhaite exercer un mandat public ? Parfois oui, parfois non. Il faut pouvoir juger cas par cas. En tout état de cause, le système actuel est trop formel pour répondre à nos attentes.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je tiens à vous le dire, cher Lionel Tardy : je partage votre analyse, y compris s'agissant des situations particulières que vous avez évoquées en citant des noms ; je ne vois d'ailleurs pas pourquoi s'interdire de les citer, car ces informations sont archi-connues. Comme vous, je suis choqué de tels conflits d'intérêts entre le mandat de sénateur – ou de député, d'ailleurs, car il s'agit, en l'occurrence, d'une affaire de famille de père en fils – et les intérêts privés d'un grand industriel de l'armement par ailleurs propriétaire de journaux.

Cependant, votre amendement ne me paraît pas tout à fait de nature à résoudre ce problème précis.

Nous nous interrogeons en outre sur le caractère très subjectif d'une notion de pouvoir effectif dont l'usage pourrait d'ailleurs restreindre le champ des incompatibilités.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je vous ai écouté avec un grand intérêt, monsieur Tardy, mais vous comprendrez que je rappelle, en tant que membre du Gouvernement, le rôle éminent du Conseil constitutionnel, que celui-ci remplit en toute indépendance.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Surtout en matière de comptes de campagne présidentielle ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je prends donc acte de ses décisions, qu'il ne s'agit pas pour moi de commenter. Voilà pour cet aspect, qui relève du bon fonctionnement de nos institutions.

Cela dit, le souci dont procède votre amendement, monsieur le député, est tout à fait louable. Loin de se contenter de considérer les fonctions officiellement exercées, il faudrait apprécier si elles donnent un pouvoir effectif de direction dans l'entreprise afin de déterminer si elles sont compatibles avec l'exercice d'un mandat parlementaire.

Toutefois, vous conviendrez avec moi de la difficulté de l'exercice. Quels critères nous permettraient d'apprécier cas par cas si de telles fonctions sont réellement incompatibles ? Peut-être faudrait-il formuler cela dans d'autres termes que ceux que vous avez retenus.

Travaillons en tout cas, et continuons d'avancer. Je sais, monsieur Tardy, que vous réfléchissez à la question, et le Gouvernement sera attentif aux propositions des parlementaires.

Cela dit, vous comprendrez que j'émette, en l'état actuel des choses, un avis défavorable. Le fond n'est pas en question, c'est la rédaction de votre amendement qui peut poser problème.

(Le vote sur l'amendement n° 1 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen des articles et des amendements à la proposition de loi organique.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le rapporteur, en application de l'article 44, alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles, à l'exclusion de tout amendement, et sur l'ensemble de la proposition de loi organique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

En application de l'article 44, alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles, à l'exclusion de tout amendement, et sur l'ensemble de la proposition de loi organique.

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi organique, auront lieu le mercredi 7 décembre, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. René Dosière, inscrit sur l'article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

À l'occasion de l'article 1er, j'évoquerai ce que le rapporteur a souligné, c'est-à-dire le financement des partis outre-mer. Mais, par sympathie et gentillesse pour le ministre et le président de séance, je ne parlerai pas du financement du parti Fetia Api, qui est un cas particulier. (Sourires.)

Je signale, en revanche, un détournement tout à fait légal de la législation par l'un de nos collègues.

Pour qu'un parti puisse bénéficier d'un financement public, il faut d'abord qu'il ait obtenu des voix au titre de l'élection, après quoi des parlementaires peuvent se rattacher à ce parti.

Or, pendant longtemps, cette condition qui existe en métropole n'était pas en vigueur outre-mer. Il suffisait à un parti d'obtenir une seule voix pour pouvoir bénéficier de deux euros par suffrage. Ensuite, les parlementaires métropolitains qui se rattachaient au parti en question pouvaient verser leur contribution, soit environ 40 000 euros par parlementaire.

Cela a duré pendant une dizaine d'années. Le parti politique en question avait des attaches évidentes avec l'outre-mer, il s'appelait « Metz pour tous » et a été renommé « Démocratie et République » – nom particulièrement bien choisi…

On a changé la législation : maintenant, outre-mer, il ne suffit plus d'obtenir une voix, il faut 1 % des voix, ce qui n'est pas très difficile à obtenir avec un candidat un tant soit peu connu.

C'est ce qui s'est produit en Polynésie pour l'une de nos anciennes collègues, qui a obtenu un millier de voix. Ce millier de voix a permis à « Metz pour tous » d'obtenir 2 000 euros de financement public. Dès lors, puisque ce parti avait droit à un financement public, un certain nombre de parlementaires pouvaient s'y rattacher : ils sont une dizaine à l'avoir fait.

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

Son responsable reconnaît lui-même n'être qu'une boîte aux lettres : les parlementaires lui versent 40 000 euros et il leur rend lorsqu'ils en ont besoin – par exemple lors d'une campagne électorale, puisqu'il s'agit d'un parti politique. Il peut ainsi financer totalement une campagne.

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

Je termine, monsieur le président.

Des parlementaires qui n'appartiennent pas à de véritables partis politiques peuvent donc déposer un financement dans une sorte de boîte aux lettres et on le leur retournera.

Cette situation est scandaleuse ; elle est pourtant parfaitement légale puisque l'on utilise la loi pour ce détournement. Il faudra y mettre fin un jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l'amendement n° 1 .

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je prendrai moins de précautions oratoires que mon collègue Dosière.

Actuellement, le choix de rattachement d'un parlementaire à un parti, indiqué sur la fameuse feuille bleue que nous venons de remplir, n'est pas public.

On sait seulement que, l'an dernier, treize parlementaires – neuf députés et quatre sénateurs – ont choisi de se rattacher au micro-parti du sénateur Jean-Louis Masson « Démocratie et République ». Je vous prie de m'excuser de citer nommément l'un de mes collègues. Celui-ci a d'ailleurs reconnu qu'il reversait à ses élus des sommes ainsi récoltées en gardant un pourcentage pour les frais.

Même si l'on peut penser bien des choses de ce système, il n'est, comme M. Dosière vient de le dire, pas forcément illégal dès lors qu'il sert de financement à une activité politique et non de revenu complémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

En effet, il n'est pas du tout illégal. Nous sommes d'accord.

En revanche, et c'est ce qui est gênant, le nom des élus qui ont fait ce choix n'est pas rendu public, ce qui interdit toute vérification de l'usage fait de cet argent public destiné à financer la vie politique.

Par cet amendement, je propose que l'on rende publics les choix de rattachement. À chacun d'assumer ensuite ses choix et de rendre des comptes de l'usage de cet argent s'il n'a pas été reversé à un parti politique.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Monsieur Dosière, le problème que vous avez exposé serait réglé si la proposition de loi était adoptée, puisque l'article concerné met fin à ce détournement.

Monsieur Tardy, à titre personnel, je suis favorable à votre amendement, qui a malheureusement été repoussé, comme tous les autres, par la commission.

Cette disposition viendrait renforcer l'article 1er, puisque le premier objet de cette proposition est de mettre fin au détournement de la procédure.

Il est tout à fait normal qu'il existe un régime spécifique pour nos collègues d'outre-mer, car certains partis n'ont une existence qu'outre-mer. Je défends la spécificité des départements et territoires d'outre-mer, et, sans refaire le débat sur la colonisation, cette situation me semble tout à fait normale.

En revanche, il n'est pas normal, je le dis clairement et nettement, que certains parlementaires de la métropole se rattachent à ces partis.

Monsieur Tardy, vous avez bien fait de citer le nom du parlementaire que vous évoquiez et vous n'avez pas à vous en excuser. Tout cela est public. D'ailleurs, le parlementaire en question le revendique et, vous venez de me l'apprendre, il se fait payer en quelque sorte des droits d'auteur pour sa trouvaille ! (Sourires.)

Je plaisante, mais cela ne me fait pas rire. Ces comportements choquent nos compatriotes.

Vous avez parfaitement raison, cher collègue Tardy, cette procédure fait partie de l'engagement politique. La loi dispose qu'un parlementaire doit signer une déclaration de rattachement à un parti politique – comme nous devions d'ailleurs le faire hier au plus tard pour l'année prochaine – et une dotation est attachée à cette signature. Le moins que puisse faire un élu est d'assumer ce geste et son engagement politique en faveur de tel ou tel parti.

Là encore, la transparence aurait un effet dissuasif à l'égard de tels détournements.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur Dosière, je vous ai écouté avec un grand intérêt, et un débat que nous avions eu ici en octobre 2007 m'est revenu en mémoire.

Cette question y avait été posée mais je ne vous ai pas senti aussi enthousiaste pour apporter des réponses au financement durable des partis politiques, notamment pour ceux qui disposent d'un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale et qui se voient dépourvus de tout financement public par des règles appliquées dans les conditions que vous avez rappelées.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

La constance de l'engagement est une vertu. Mais je sais que vous êtes maintenant sur ce chemin et je m'en réjouis car cela ouvrira de nouvelles perspectives. Je vous remercie de cette avancée.

Monsieur le rapporteur, tout le monde souscrit à l'objectif de transparence. Cependant, je le rappelle encore une fois, et je le ferai tout au long de ce débat, il existe des règles de droit fondamentales dans lesquelles nous devons inscrire les démarches de transparence.

Un principe est constitutionnellement garanti : l'interdiction du mandat impératif. C'est le cadre de la République : il n'y a pas de mandat impératif.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur de Rugy, je vous fais observer que, lorsque vous êtes élu, votre rattachement financier pour la première part n'est pas rendu public.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Non, il ne l'est pas.

Vous déclarez votre engagement politique, mais pas votre rattachement financier pour la première part, c'est-à-dire celle qui est liée au nombre de voix obtenues et qui sert au financement au plan national selon les règles que vous connaissez.

En outre, vous pouvez évoluer dans votre vie politique pendant votre mandat parlementaire. Lorsque vous sollicitez la confiance des électeurs, c'est pour un mandat de cinq ans, et il n'existe pas de mandat impératif qui vous conduirait, pendant ces cinq années, à rester irrémédiablement attaché par des engagements antérieurs.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

D'ailleurs, vous-même, y compris dans des temps récents, vous avez évolué dans votre groupe. Un groupe n'est pas constitué pour cinq ans. Il faut respecter cette évolution.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

C'est la raison pour laquelle M. Tardy nous pose une vraie question, bien plus large que le seul sujet que vous évoquez.

En effet, il faudra engager une réflexion beaucoup plus ouverte sur les conditions de financement à terme des partis politiques et la représentation parlementaire pour éviter d'avoir recours aux procédés que vous avez décrits.

Si le Gouvernement a émis un avis défavorable à l'amendement de M. Tardy, c'est parce qu'il intervient dans ce contexte. Il doit néanmoins servir de perspective à la réflexion que l'ensemble de la représentation nationale et du gouvernement doivent mener pour assurer la transparence de la vie politique et de son financement.

(Le vote sur l'amendement n° 1 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 6 .

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Il s'agit d'un amendement quasi rédactionnel.

Une nouvelle fois, nous avons pu remarquer combien le ministre est un grand orateur et un champion toutes catégories pour retourner les grands principes du droit !

En effet, le mandat impératif est tout le contraire de ce que vous avez dit, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Vous êtes un prestidigitateur !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

On parle de mandat impératif lorsqu'un parti oblige un élu à tel ou tel vote. En revanche, obliger un élu à déclarer quel parti il finance n'a rien à voir avec le mandat impératif, car il s'agit dans ce cas de fonds publics et de transparence vis-à-vis de l'engagement politique.

D'ailleurs, aucun parti, fût-il polynésien, n'a donné un mandat impératif à celles et ceux qui s'y étaient rattachés. Mais c'est un autre débat.

L'amendement n° 6 a été rejeté par la commission, ce qui montre bien l'absurdité de cette procédure, car cet amendement vise à supprimer un alinéa. En effet, après vérification et suite à l'audition de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, il est apparu sans objet puisque cette disposition existe déjà.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur de Rugy, vous me prêtez des talents d'orateur, ce dont je vous sais gré ; moi, je vous prête des talents de prestidigitateur ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Vous retournez la situation en déclarant que le mandat impératif serait un principe « saucissonnable » : soit il concernerait le financement et le rattachement du député à un parti ou un groupement politique, soit il désignerait une obligation fixée par le parti politique.

Or ce principe est indivisible, comme tout principe : il n'y a pas de mandat impératif en droit.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Malgré tous vos talents de prestidigitateur, vous ne parviendrez pas à jeter de la confusion sur cette situation : les principes sont les principes de droit, ce sont ceux de la République.

Je vais vous surprendre, monsieur le rapporteur, votre amendement vise à constater que votre proposition n'a pas lieu d'être puisqu'elle est déjà satisfaite. Dans ces conditions, je ne peux pas résister au plaisir de vous donner satisfaction à mon tour.

En conséquence, j'émets un avis favorable à l'amendement n° 6 .

(Le vote sur l'amendement n° 6 est réservé.)

(Le vote sur l'article 1er est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

L'article 4 portant sur les rémunérations des parlementaires, je souhaiterais que M. le ministre nous apporte quelques précisions à cet égard. L'une des lois du 14 avril 2011 a prévu de diminuer le montant du cumul d'indemnités que pouvait toucher un ministre, pour le ramener à une fois et demie l'indemnité parlementaire. Le cumul qui était autorisé à hauteur de 7 000 euros par mois a donc été ramené à 2 700 euros. La loi a été publiée au Journal officiel, mais j'ignore si cette disposition est effectivement appliquée. Dans le cas des indemnités locales, le ministre de l'intérieur établit une circulaire précisant aux préfets comment ils doivent informer les collectivités locales concernées des délibérations qu'elles doivent prendre, et dans quels délais. À ma connaissance, aucune circulaire n'est sortie. Pourriez-vous m'éclairer à ce sujet ?

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je tiens à saluer le travail de suivi que vous effectuez, monsieur Dosière, car c'est grâce à ce dialogue permanent entre le Gouvernement et le Parlement sur le suivi des textes que nous pouvons remplir notre devoir démocratique de transparence. Une fois que la loi est votée, il faut s'assurer de son application.

Je peux vous assurer que la disposition qui vise à réduire les possibilités de plafonnement entre les indemnités d'un ministre s'applique aujourd'hui aux membres du Gouvernement dans les conditions que vous venez de décrire.

(Le vote sur l'article 4 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 6.

La parole est à M. Lionel Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Cet article traite d'un sujet sensible que certains ont déjà évoqué dans la discussion générale : la réserve parlementaire. Il est vrai qu'un tel dispositif est contestable et sera supprimé un jour ou l'autre. La réserve parlementaire est en fait un droit de fléchage de subventions d'État qui est accordé à un parlementaire pour un montant déterminé. Si le bénéficiaire désigné par le parlementaire ne remplit pas les conditions, la subvention n'est pas versée. On reste dans les clous de la légalité. Si l'on voulait imposer une réelle transparence, c'est aux ministères qui accordent les subventions qu'il faudrait imposer l'obligation de transparence. Il ne leur est guère difficile de recueillir et de publier dans un « jaune » budgétaire toutes les subventions fléchées, qu'elles le soient par les parlementaires ou par les ministres.

Debut de section - PermalienPhoto de René Dosière

Je ne répéterai pas ce qu'a dit M. Tardy : je suis d'ailleurs peut-être moins circonspect que lui à l'égard de la réserve parlementaire. Je veux simplement rappeler à M. le rapporteur que, s'il faut s'interroger sur les critères d'attribution et sur la répartition des sommes, il faudrait éviter de stigmatiser les parlementaires. Le montant global de la réserve parlementaire, pour l'Assemblée et le Sénat, est de 130 millions d'euros. Or la totalité des subventions que les conseils généraux accordent aux collectivités dépasse les 4 milliards d'euros. Certains départements accordent des réserves départementales à leurs conseillers généraux, qui peuvent les attribuer librement dans leur canton. Lorsqu'un parlementaire dispose de 40 000 euros pour financer quelque 200 communes, certains conseils généraux en financent dix avec 50 000 euros. C'est donc dans son ensemble qu'il faut considérer l'affectation des ressources publiques.

Cependant, je l'ai dit ce matin, il est un point qui me paraît fort contestable du point de vue constitutionnel : c'est le fait que le Président de la République ait décidé d'attribuer lui-même la réserve ministérielle du ministère de l'intérieur aux collectivités locales, alors qu'elle figure toujours au budget du ministère de l'intérieur, qui en a la gestion administrative. Ces 20 millions d'euros sont distribués sous forme de petites subventions pour des travaux divers d'intérêt local. Il est surprenant que ces décisions ne soient plus prises par le ministre de l'intérieur.

(Le vote sur l'article 6 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

À l'article 10, je suis saisi d'un amendement n° 2 .

La parole est à M. Lionel Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Les déclarations d'intérêts doivent être publiées, car, pour évaluer par eux-mêmes les risques de conflit d'intérêts et comprendre certaines prises de position, les citoyens ont le droit de savoir ce que font leurs élus en plus du mandat qui leur est confié. Cette transparence est aussi indispensable pour que les mécanismes de déport fonctionnent bien. À partir du moment où les intérêts sont connus de tous, le déport est quasi obligé, alors que, autrement, la tentation peut être grande de passer outre. Le caractère public par nature des déclarations d'intérêts est, à mes yeux, une exigence de base à laquelle nous ne pourrons pas échapper.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

À titre personnel, je suis plutôt favorable à cet amendement. Nous avons proposé différentes règles de publicité et de transparence pour les déclarations d'intérêts. Cet amendement pousse le curseur un peu plus loin. Pourquoi pas ? On pourrait également renforcer le dispositif au niveau local, car, comme l'a dit René Dosière, si les collectivités locales ne sont pas toutes logées à la même enseigne, si elles ne passent pas toutes des marchés de la même ampleur, certaines ont des moyens budgétaires très importants. On pourrait imaginer que des règles comme celles que propose M. Tardy seraient utiles appliquées aux collaborateurs du cabinet du président d'un département comme les Hauts-de-Seine, par exemple, le plus riche de France.

À ce propos, je remercie M. Tardy, comme M. Dosière et M. Roman, de participer à ce débat et de l'alimenter par leurs propositions.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement. Quelle est la raison d'être de la règle de transparence en vigueur, qui s'applique à chacun des élus ? Il s'agit de vérifier si, dans l'exercice d'un mandat, il y a eu prise d'intérêt, conflit d'intérêts ou enrichissement personnel. Cependant, il faut veiller à ce que la liberté individuelle soit garantie pour chacun, et à ce que la règle de transparence ne soit pas excessive. Nous devons vérifier qu'il n'y a pas d'enrichissement, mais évitons d'aller au-delà, car nous ne saurions plus où nous arrêter ? L'épouse d'un élu exerce une activité, de même que sa fille ou son oncle.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur le rapporteur, permettez que le Gouvernement s'exprime ! La question soulevée par cet amendement est beaucoup plus large : jusqu'où devons-nous aller ? Il est question ici d'une déclaration d'activité, et non plus d'une déclaration d'intérêts, qui, je le rappelle, monsieur de Rugy, s'impose désormais aux membres du Gouvernement. Ces déclarations sont rendues publiques, vous pouvez aller sur le site internet du Gouvernement pour le constater.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Monsieur Dosière, vous pouvez trouver que ce n'est pas suffisant, mais le Gouvernement s'impose quasiment des règles de déport. Ses membres doivent confier à un tiers la gestion de tout placement de plus de 5 000 euros. Reconnaissez au moins les efforts qui sont faits dans ce domaine. Le Gouvernement a été vertueux et s'est imposé à lui-même les règles qu'il préconise pour l'ensemble des autorités politiques du pays.

(Le vote sur l'amendement n° 2 est réservé.)

(Le vote sur l'article 10 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

À l'article 11, je suis saisi d'un amendement n° 3 .

La parole est à M. Lionel Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Il faut laisser au juge administratif la possibilité d'annuler un acte sur la seule base de l'existence d'un conflit d'intérêts. Il faut bien entendu encadrer cette possibilité et la réserver aux cas les plus graves, mais nous n'écartons pas cette possibilité. Il faut faire annuler un marché public s'il s'avère qu'il a été obtenu par des combines, quand bien même il est formellement régulier. C'est comme pour la lutte contre la fraude : à quoi sert de condamner le fraudeur si le receleur ou les bénéficiaires indirects des fraudes peuvent continuer à bénéficier des produits de la fraude ? C'est une sanction de plus pour dissuader les élus de trahir l'intérêt général dont ils sont les gardiens au profit de l'intérêt privé.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Peut-être y a-t-il un léger malentendu sur la rédaction de l'alinéa 9 de l'article 11, et je veux apporter quelques précisions. Le dispositif que nous proposons dans cet alinéa n'existe pas : il vient s'ajouter, et non pas se substituer, au dispositif actuel de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit l'annulation des délibérations auxquelles un élu intéressé a pris part, ce qui concerne la prise illégale d'intérêts et qui demeure. Nous aurions d'ailleurs pu, dans la proposition de loi, renvoyer simplement à cet article du code général des collectivités territoriales. Nous avons souhaité ajouter la question du déport, qui n'entraîne pas de sanctions pénales. Un élu qui ne se serait pas déporté alors qu'il est en situation de conflit d'intérêts ne risque rien, contrairement au dispositif déjà existant.

Dans la mesure où aucune sanction, autre que politique, n'est prévue pour le défaut de déport, nous avions voulu – avec cette disposition qui peut être mal comprise – éviter les abus d'utilisation : des personnes qui savent qu'elles peuvent se trouver en situation de conflit d'intérêts vont laisser faire pour, ensuite, faire annuler la délibération en invoquant ce simple motif. Contrairement à ce que vous avez dit, cela n'empêcherait absolument pas un juge d'annuler une délibération, d'abord au titre de la législation actuelle et, ensuite, au titre de la législation nouvelle que nous proposons. Pour éviter toute confusion, je répète que nous aurions pu simplement renvoyer à l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je me réjouis que vous reconnaissiez qu'il y a une confusion, monsieur le rapporteur. Avec cet article, elle est même totale.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Confusion ou incompréhension, le problème reste le même : on ne comprend pas ce que vous voulez faire.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je rejoins M. Tardy, qui veut supprimer l'alinéa 9. Cet alinéa interdit l'annulation d'une délibération d'une collectivité pour cause de non-déport d'un élu en situation de conflit d'intérêts. Monsieur le rapporteur, les bras m'en tombent !

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Sur ce point, la proposition de loi est extrêmement paradoxale. Elle prétend lutter contre les conflits d'intérêts, mais protège les délibérations qui en sont issues.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Quel est l'objectif que vous poursuivez ?

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je m'interroge, et je suis même inquiet.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Il me semble que l'amendement n° 3 va dans le sens d'une meilleure prévention. En fait, il rétablit une mesure qui existe déjà. Vous connaissez probablement aussi bien que moi l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, créé par la loi du 21 février 1996 : « Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires. » Les choses sont suffisamment claires et je me réjouis que l'on puisse continuer à déférer devant un tribunal administratif pour constater s'il y a eu ou non conflit d'intérêts lors de la délibération.

Monsieur Tardy, je suis donc très favorable à votre amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Nous découvrons, à chaque instant, les talents du ministre : après les talents oratoires, voici le talent de l'acteur de théâtre ! (Sourires.) Cependant, il n'a pas réussi à faire réellement tomber ses bras, ce qui montre que son texte était un peu surjoué !

Soyons clairs : on ne peut pas faire dire à cette proposition de loi autre chose que ce qu'elle dit. Notre idée était de rajouter quelque chose aux dispositions actuelles. Si cela n'a pas été compris, je le répète. Comme vous le savez, je suis partisan de la pédagogie de répétition ! S'il y avait eu la moindre ambiguïté, nous aurions pu adopter l'amendement de Lionel Tardy, mais je précise qu'il s'agit de rajouter une disposition à l'arsenal actuel, non d'en enlever une.

(Le vote sur l'amendement n° 3 est réservé.)

(Le vote sur l'article 11 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Nous abordons maintenant un sujet très glissant, qui a été abondamment débattu au Sénat. Il s'agit de restreindre le champ du délit pénal de prise illégale d'intérêts.

Cet article pose problème, car on renverse la charge de la preuve. C'est celui qui accuse un élu de prise illégale d'intérêts qui devra prouver que l'intérêt était de nature à compromettre son impartialité. Si l'on a des doutes, mais pas de preuves, le délit pénal ne sera pas constitué.

J'appelle à la plus grande prudence sur ce sujet. S'il y a, dans ce texte, un article litigieux avec lequel je suis en désaccord, c'est bien celui-là.

(Le vote sur l'article 12 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je souhaite revenir sur la nécessité d'avoir une autorité spécialisée.

Je l'ai dit dans la discussion générale, je préfère confier cette mission à une autorité déjà reconnue, le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel. Ces deux institutions ont en effet les moyens matériels et humains d'assurer ces fonctions et de se défendre contre les pressions et les menaces.

Il ne faut pas se leurrer, certaines personnes n'auront qu'une envie, celle de couper les ailes de cette autorité et de la rendre incapable d'exercer correctement ses fonctions. On a bien vu jusqu'ici comment les autorités en charge de ces sujets ont été muselées. Il faut en tirer les leçons et je crains que le modèle proposé dans cette proposition de loi n'amène aux mêmes dérives et à la même impuissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Monsieur Tardy, puis-je considérer que vous avez également défendu l'amendement n° 4 ?

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

À titre personnel, je suis favorable à cet amendement qui vise à compléter la composition de l'Autorité de la déontologie de la vie publique.

Il n'est pas mauvais d'afficher clairement, dès le départ, qu'il y a des hauts magistrats parmi les membres de cette autorité, ce qui donne à celle-ci une garantie d'indépendance. Ces hauts magistrats sont en effet, de par leur fonction, non par nomination, issus de telle ou telle autorité extérieure. C'est pourquoi je ne suis pas favorable au système de nomination – prévu par le Gouvernement dans son projet de loi – par le Président de la République, par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat, sans le moindre contrôle et sans le moindre contre-pouvoir.

Vous portez sur cette question un regard citoyen, ce qui est intéressant. Il faudrait toutefois préciser les conditions dans lesquelles s'appliquerait la mesure que vous proposez.

De la même façon, je dirai à notre collègue Dosière – qui s'est absenté momentanément – que je trouve intéressante sa démarche concernant le vote par le Parlement.

J'appelle votre attention sur le fait qu'en la matière, il n'y a pas de recette miracle. Il conviendrait donc de faire un mixte, car sa proposition de vote d'une majorité, comme il l'a dit lui-même, c'est en réalité la quasi-unanimité quand on est sur une majorité qualifiée des deux tiers. Il faut faire attention, car ce système, qui existe dans d'autres pays, a parfois donné lieu à des arrangements entre les principaux partis, au détriment de l'indépendance de ces organismes.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Défavorable.

Monsieur le rapporteur, vous ne m'avez pas convaincu. Vous non plus, monsieur Tardy !

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Je comprends l'idée selon laquelle, dans le cadre d'une autorité indépendante, on pourrait procéder à un tirage au sort. Mais je ne vois pas en quoi le tirage au sort serait une garantie d'indépendance !

À quoi va servir cette Autorité de déontologie ? Il faut revenir à l'essence même de sa création : elle va servir à prévenir les risques de conflits d'intérêts, ce qui suppose une certaine expérience, de l'indépendance et des compétences particulières pour déterminer précisément la nature du risque. Comme il s'agit de prévention, on porte les éléments d'information à la connaissance de l'Autorité qui exprime son point de vue, dans le but d'éviter la suspicion permanente de conflits d'intérêts avec sa famille, ses cousins, ses voisins, etc.

Le projet de loi que j'ai présenté au Gouvernement prévoit des magistrats de la Cour des comptes, du Conseil d'État, ainsi que, comme c'est la tradition dans notre République…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…le représentant du Président de la République, le représentant de l'Assemblée nationale et le représentant du Sénat.

C'est une proposition mesurée qui garantira le caractère d'autorité et d'indépendance de cette Autorité de la déontologie de la vie publique que le Gouvernement appelle de ses voeux.

(Le vote sur l'amendement n° 4 est réservé.)

(Le vote sur l'article 13 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Sur l'article 14, je suis saisi d'un amendement n° 5 .

La parole est à M. Lionel Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je comprends la nécessité de préserver le secret des avis donnés à titre préventif. Je ne souhaite pas le remettre en cause, mais, en même temps, il peut être intéressant que la commission puisse s'informer de sa jurisprudence.

Je propose donc de laisser la commission décider, ou non, de publier des prises de position sur des questions qu'elle sait récurrentes, dans le respect du secret de l'anonymat des personnes qui l'ont consultée.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

L'amendement de notre collègue Tardy est satisfait par l'article 16 de la proposition de loi que je défends, laquelle crée un rapport annuel. Peut-être M. Tardy considère-t-il que ce n'est pas une périodicité suffisante. Pour autant, c'est une synthèse des avis que rend l'Autorité.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Défavorable. En l'occurrence, je partage le point de vue du rapporteur ! (Sourires.)

Je précise que le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale autorise, comme la présente proposition de loi – dont vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la convergence avec le texte du Gouvernement – l'Autorité de déontologie à publier, sur sa propre initiative, des recommandations sur la mise en oeuvre de la loi. Il n'y aura donc pas de difficulté sur ce point.

(Le vote sur l'amendement n° 5 est réservé.)

(Le vote sur l'article 14 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Sur l'article 15, je suis saisi d'un amendement n° 7 .

La parole est à M. François de Rugy.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Il s'agit d'introduire une peine d'amende de 3 750 euros lorsqu'une personne à qui l'Autorité a demandé communication de ses déclarations ne l'a pas fait.

Cette suggestion a été faite lors des auditions par le président et le secrétaire général de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Une procédure a été introduite en avril 2011, mais elle est très lourde. La Commission demande l'automaticité de la communication des déclarations, sous peine d'une amende – ce qui garantira l'effectivité de sa demande.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

D'abord, monsieur le rapporteur général, une amende, pour quoi faire ?

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Le principe de la transparence, c'est d'avoir à disposition tous les éléments permettant de savoir s'il y a eu ou non enrichissement.

Aujourd'hui, si quelqu'un omet d'envoyer sa déclaration d'ISF ou de revenus à la Commission, celle-ci a deux mois pour constater qu'elle n'a pas les éléments. Il lui suffit alors de les réclamer aux services d'État et elle obtiendra tous les renseignements nécessaires à l'appréciation de la situation.

Pourquoi complexifier ce sujet ? D'autant que la loi du 11 avril a renforcé les incriminations en cas de manquement et que les sanctions ont été alourdies.

Il est donc inutile de renforcer cette disposition du 11 avril, dont nous pourrons mesurer les effets avec le temps et dont je suis sûr qu'ils seront bénéfiques. L'important, c'est que la Commission puisse disposer de tous les éléments d'appréciation de l'évolution de la situation personnelle de telle ou telle personne.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Roman

Il faut arrêter de supprimer des postes dans les services fiscaux !

(Le vote sur l'amendement n° 7 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je suis saisi d'un amendement n° 8 .

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Cet amendement fait suite aux auditions auxquelles nous avons procédé. Nous avons déjà évoqué ce point pendant le débat : toutes les saisines du parquet par la Commission pour la transparence de la vie politique ont été conclues par un classement sans suite. Cela fait peser le doute sur l'effectivité et la capacité à prononcer des sanctions.

Une des garanties pour éviter les classements sans suite un peu douteux consiste à donner une publicité à la saisine du parquet par la Commission pour la transparence de la vie politique.

M. le ministre a dit tout à l'heure, dans ses grandes envolées lyriques sur les grands principes de la République, que l'on remettait en cause le principe de la présomption d'innocence.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Nous ne remettons pas en cause les grands principes de la République dans cette proposition de loi. Au contraire, nous cherchons à les conforter.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que la présomption d'innocence serve de paravent, de sorte que l'on n'aurait jamais la moindre publicité autour des problèmes. Je ne parle même pas d'« affaires », car ce mot a une connotation péjorative. Je préfère parler des problèmes qui peuvent se poser.

La meilleure façon de juger de la réalité des problèmes, c'est que les éléments des dossiers soient publics. Vous savez comme moi, monsieur le ministre, que ce sont souvent les personnes mises en cause qui demandent que les éléments soient publics. En la matière, il ne s'agit pas de mettre en cause la présomption d'innocence, mais d'expliquer pourquoi il y a une saisine.

Je vous rappelle que lorsqu'il y a une saisine, aujourd'hui – par exemple, une plainte –, les éléments sont connus du public : ce sont les éléments de la plainte, non les éléments de l'instruction. L'instruction vient après. La présomption d'innocence ou le secret de l'instruction concernent la procédure d'instruction, non la saisine.

Dans ce cas, nous serions conformes aux principes généraux du droit, mais nous éviterions le doute ou l'étonnement qui pourraient surgir du fait qu'il y a toujours eu des classements sans suite lorsque la Commission nationale a saisi le parquet.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

J'ai l'impression que le vice côtoie la vertu dans la proposition que vous venez de faire, monsieur de Rugy !

Vous dites que vous voulez éviter d'alimenter le doute.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Pour éviter d'alimenter le doute, vous proposez que la saisine du parquet par la Commission soit a priori accompagnée d'une publicité donnée aux éléments du dossier, avant même que l'instruction n'ait été déterminée et qu'il y ait effectivement incrimination et sanction.

Il faut être très prudent avec ces concepts. J'ai trop souvent entendu, dans cette assemblée, traîner dans la boue des noms de personnes qui n'étaient pas encore jugées, pas encore condamnées, et qui, au terme de l'instruction ou de leur procès, se sont révélées ne pas être à l'origine des crimes ou des délits dont elles étaient accusées. Voilà pourquoi je ne peux pas encourager ce genre de démarche.

Ce dont il faut s'assurer en permanence, c'est que, s'il y eu un manquement, c'est-à-dire un enrichissement, et que le dossier est transmis au parquet, les éléments incriminants soient bien pris en compte. À cette fin, les règles en matière de transparence doivent permettre, précisément, de constater cet enrichissement indu, qui est insupportable.

Je vous le dis donc clairement, monsieur de Rugy : non,…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…le Gouvernement ne vous suivra pas dans cette voie, car on entrerait dans une ère de suspicion.

Il faut éviter, au nom de la transparence, d'en arriver à jeter la suspicion sur les individus. Cela ne ferait que nourrir l'incompréhension à l'égard des élus. Bref, je suis pour le respect strict de la présomption d'innocence…

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

…et du secret de l'instruction.

Par ailleurs, il appartient au tribunal de se prononcer lorsqu'il y a eu instruction et transmission au parquet. Sur cette question, l'opposition du Gouvernement est donc formelle.

(Le vote sur l'amendement n° 8 est réservé.)

(Le vote sur l'article 15 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Au terme de ce débat, je souhaite d'abord remercier tous ceux qui y ont participé. Des convergences sont apparues sur certains sujets. Nous avons une république en partage et la règle de transparence s'impose à nous tous. Il y a eu, en la matière, des évolutions importantes, sous tous les gouvernements ; celui-ci y a contribué également, notamment par la loi du 14 avril. Il n'y a donc pas d'un côté les vertueux et de l'autre ceux qui ne recherchent pas la vertu.

L'exercice auquel nous nous livrons est délicat : il faut assurer l'équilibre entre l'exigence de transparence, qui est nécessaire, et la préservation des libertés individuelles –c'est-à-dire, en définitive, des règles de droit. Il faut que chaque personne ayant accédé à la représentation nationale puisse exercer son mandat dans des conditions qui garantissent à la fois la transparence et l'indépendance. Pour cela, il convient de respecter l'absence de mandat impératif : c'est la garantie de la liberté d'expression pour chacun des parlementaires.

Je vous remercie donc pour ce débat. J'ai constaté au cours de la discussion que votre intention, avec cette proposition de loi, était non pas de pointer du doigt une quelconque absence, mais plutôt d'enrichir un débat que le Gouvernement s'est lui-même engagé à nourrir et impulser.

Monsieur le président, en application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles à l'exclusion de tout amendement, sur l'ensemble de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Monsieur le rapporteur, selon notre règlement, vous n'avez plus le droit de prendre la parole car nous avons terminé l'examen des articles. Je vous accorde néanmoins deux minutes pour vous exprimer.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je vous remercie, monsieur le président.

M. le ministre nous remercie tout en nous faisant un drôle de cadeau, puisque cela conduit à ne pas pouvoir voter dès maintenant sur ce texte ! Nous aurons donc un vote solennel la semaine prochaine. J'inviterai à ce moment-là l'ensemble des députés à prendre leurs responsabilités sur ce texte.

À travers ce débat qui, bien que court, a tout de même permis l'examen d'un certain nombre de sujets, nous avons pu constater qu'il y existait plusieurs visions, pas toujours inconciliables d'ailleurs et qui dépassaient les clivages entre les groupes. En effet, ce n'est pas seulement une question de gauche et de droite, même si je considère qu'en la matière la majorité est pour le moins frileuse et qu'elle a le pied sur le frein plutôt que sur l'accélérateur.

Pour ma part, je voudrais remercier tous ceux qui ont participé à ce débat : mes collègues députés, bien sûr, mais aussi le ministre, pour le respect dont il a fait preuve à chaque stade du débat, y compris sur l'examen des amendements. À chaque fois il a pris le temps de répondre, ce qui n'a pas toujours été le cas de ses collègues lors d'autres débats.

Debut de section - PermalienFrançois Sauvadet, ministre de la fonction publique

Merci à vous, monsieur le député !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi, auront lieu le mercredi 7 décembre, après les questions au Gouvernement.

Application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Pierre Gosnat et plusieurs de ses collègues relative à l'encadrement des loyers et au renforcement de la solidarité urbaine (nos 3868, 3958).

La parole est à M. Pierre Gosnat, rapporteur de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Gosnat

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du logement, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de regretter ce retard dans nos débats, qui fait que nous serons sans doute obligés de réduire un peu notre discussion sur cette proposition de loi, étant donné que nous avons tous des obligations. Je dois moi-même participer dans peu de temps à un débat dans le Val-de-Marne.

Jadis facteur d'élévation sociale et d'intégration républicaine, le logement est devenu au cours des années un des marqueurs fondamentaux des nouvelles inégalités et injustices. Aujourd'hui, 60 % des Français déclarent avoir peur de devenir un jour SDF et quatre millions de personnes sont en situation de précarité directe en matière de logement. La situation, loin de s'améliorer, n'a cessé de se dégrader.

La publication des derniers chiffres n'augure rien de bon. En effet, les derniers chiffres du chômage ont acté une hausse de 1,2 % au cours du mois dernier, soit 34 000 chômeurs supplémentaires. En 2011, le chômage aura donc bondi de 5 % ! La violence de la crise sociale est dramatique et le logement est devenu le premier poste de dépenses dans la dégradation sans précédent du pouvoir d'achat de la population.

Les pouvoirs publics, au premier rang desquels l'État, doivent mettre en oeuvre les moyens adéquats avec comme objectif majeur l'accès au logement, autrement dit, ils doivent assurer le droit au logement inscrit dans la Constitution.

Or à quoi avons-nous assisté sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy ?

En cinq ans, le logement social a été malmené et fragilisé. La baisse cumulée des aides à la pierre depuis 2007 s'établit à 1,2 milliard d'euros. La part de l'État dans le financement du logement social n'est plus que de 4 %. Rendez-vous compte mes chers collègues : en 2012, l'État ne financera plus le prêt locatif à usage social qu'à hauteur de 600 euros. Tous les budgets Ville et logement présentés par le Gouvernement ont été marqués par des coupes claires. Je ne parle même pas du hold-up sur le 1 % logement et du pillage des trésoreries des bailleurs sociaux : 250 millions pour cette année !

Parallèlement, le Gouvernement a multiplié les subventions au logement privé et à l'accession à la propriété. Des milliards ont ainsi été gaspillés pour des résultats bien décevants. Je rappelle à cet égard que l'accès à la propriété est en recul constant dans les couches moyennes et populaires.

D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas. Ils jugent sévèrement la politique du Gouvernement : 82 % d'entre eux déclarent qu'il est difficile de trouver un logement et, pour 69 % d'entre eux, l'action des pouvoirs publics en la matière n'est pas satisfaisante. En réalité, au cours des cinq dernières années, l'action du Gouvernement a été animée par la volonté de faire du logement une marchandise comme les autres, en le soumettant totalement aux lois du marché.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui repose sur un tout autre postulat : non, le logement n'est pas une marchandise comme les autres ! Il est un bien de première nécessité indispensable à la dignité de l'homme À ce titre, le logement, public et privé, doit revêtir un caractère d'utilité publique. Notre proposition de loi relative à l'encadrement des loyers et au renforcement de la solidarité urbaine vise à accroître considérablement les moyens d'intervention des pouvoirs publics.

Cette proposition de loi est certes loin d'être exhaustive. Les contraintes des niches parlementaires empêchent d'inscrire à l'ordre du jour des textes plus conséquents – notamment en matière financière. Le 30 mars dernier, toutefois, les députés communistes, républicains et parti de gauche ont déposé une proposition de loi établissant un programme d'urgence pour le logement et de lutte contre la spéculation immobilière. Ce texte d'une trentaine d'articles constitue d'ailleurs la base logement du programme du Front de gauche, porté par Jean-Luc Mélenchon, intitulé L'humain d'abord, que je vous conseille de lire et que j'ai ici.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Je l'ai moi aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Il faut non seulement le lire, monsieur le secrétaire d'État, mais il faut l'appliquer et travailler avec ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Gosnat

Cependant, dans le cadre de la niche parlementaire de ce jour, nous déposons un texte court, celui que nous examinons maintenant.

De quoi s'agit-il ? Cette proposition de loi comporte quatre articles qui définissent quatre axes d'action forts.

À l'article 1er, nous proposons d'interdire les expulsions pour les personnes faisant face à des difficultés économiques et sociales. L'an passé, sur les 113 000 décisions d'expulsion prononcées par la justice, 12 000 ont été effectives ! Je suis fermement convaincu que pousser d'honnêtes gens à la rue ne grandit pas notre pays. À l'inverse, interdire les expulsions serait un geste républicain fort.

L'article 2 de cette proposition de loi définit un système d'encadrement des loyers dans le parc privé. Nous observons depuis les années quatre-vingt une augmentation exponentielle de la part du logement dans le budget des familles. Alors qu'il ne comptait que pour 13 % des dépenses à la fin des années soixante-dix, le logement représente aujourd'hui en moyenne 26 % des revenus. Il atteint même jusqu'à 50 % des revenus de certaines catégories de la population, comme les étudiants et les personnes âgées – en particulier dans certaines régions. Selon le quotidien Libération, en dix ans, les loyers privés ont augmenté de 50 % à Paris et de plus de 40 % en petite et en grande couronnes. Plus généralement, selon l'INSEE, toutes populations confondues, le prix des logements a augmenté de 25,7 % alors même que les revenus des ménages ont baissé de 2 %.

Nous proposons donc un encadrement administratif des loyers. Ainsi, l'article 2 vise à faire baisser les loyers en zone tendue et à les stabiliser sur le reste du territoire. Pour nous, les logements privés doivent, à l'égal des logements sociaux, concourir à la mise en oeuvre du droit au logement opposable et avoir un caractère d'utilité publique. Nous proposons donc de modifier les dispositions de la loi de 1989 sur les rapports locatifs, afin de permettre aux préfets de région de fixer par arrêté des plafonds de loyers pour les logements du parc privé. Ce dispositif serait applicable aux locations nues et meublées. L'arrêté du préfet serait pris chaque année après avis du comité régional de l'habitat et tiendrait compte des différents bassins d'habitat. Il fixerait un taux de modulation maximal des plafonds de loyer en fonction de plusieurs critères : les aides publiques à la construction ou à la rénovation ; la performance énergétique ; l'ancienneté et la salubrité du bâtiment concerné ; la proximité d'équipements publics, commerciaux et de zones d'activité. Un arrêté ministériel encadrerait les conditions dans lesquelles seraient définis ces dispositifs régionaux.

J'ai entendu, monsieur le ministre, que vous aviez déclaré que l'encadrement des loyers était une mauvaise idée. Je crois même que vous avez parlé d'une « proposition Bisounours ».

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Je n'aurais jamais osé dire une chose pareille !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Gosnat

Monsieur le secrétaire d'État, à l'heure où le Gouvernement ne cesse de vanter les mérites du modèle allemand, je tiens à vous rappeler qu'outre-Rhin, un système de modulation du marché locatif privé est en vigueur. Aux Pays-Bas également, les loyers sont encadrés depuis l'après-guerre : un loyer plafond s'applique aux locations tant dans l'ancien que dans le neuf ; 95 % du marché locatif est encadré ; et tous les baux sont à durée indéterminée. Vous le voyez, encadrer les loyers n'est en rien une « fausse bonne idée ». Bien au contraire, c'est une mesure sollicitée par les Français.

À l'article 3, nous proposons de renforcer la réquisition des logements vacants. Ils représentent 6 % du parc total. Je partage à ce sujet les propos de notre collègue Étienne Pinte, qui déclarait hier que deux millions de logements sont vacants dans notre pays et demandait pourquoi l'État ne fait pas plus usage de son droit de réquisition. Dans les faits, ce droit permettrait aux préfets de réquisitionner pour une durée d'un à six ans les logements vacants depuis plus d'un an dans les zones tendues.

Enfin, le dernier article renforce la solidarité urbaine. La loi Solidarité et renouvellement urbain a déjà commencé à porter ses fruits, mais insuffisamment. Nous proposons donc de modifier l'article 55 de la loi SRU en imposant un seuil obligatoire de logements sociaux de 30 % en zones tendues et de 25 % sur le reste du territoire. Ne sont pris en compte dans ce calcul que les prêts locatifs aidés d'intégration et les prêts locatifs à usage social.

En cas de constat de carence et de non-application volontaire de la loi, nous proposons une série de mesures coercitives : obligation de substitution du préfet ; baisse de la dotation globale de fonctionnement et des subventions publiques aux équipements ; interdiction des permis de construire pour les programmes privés de plus de dix logements.

La loi SRU est une chance pour notre pays et le logement social. Il ne tient qu'à nous de la renforcer. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, quelques mots, si vous le voulez bien, sur cette proposition de loi.

Je voudrais tout d'abord, monsieur le rapporteur, vous remercier pour le programme du Front de gauche que vous avez bien voulu me donner. J'ai d'ailleurs noté que, dans l'une des premières des propositions sur le logement, vous souhaitiez que l'effort de la nation en faveur du logement soit porté à 2 % du PIB. Je vous répondrai simplement qu'en 2010, l'effort de la nation en faveur du logement s'est élevé à 2,1 % du PIB. Voyez, vos ambitions sont réduites par rapport aux nôtres ! Il vous suffit pour vous confirmer ces chiffres de vous reporter aux comptes du logement publiés depuis quelques jours.

Au-delà de cette introduction, quelques mots sur votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, pour vous dire que je partage une partie du constat que vous formulez dans votre proposition.

Nous constatons une insuffisance de logements dans certains nos territoires, très tendus – je pense à l'agglomération parisienne, à la région Rhône-Alpes et à la Côte d'Azur – et ces insuffisances en nombre de logements, en production de logements, s'accompagnent bien évidemment de prix élevés, d'une très faible rotation du parc et de différentes dérives ou abus que vous pointez dans votre proposition de loi, tels que la présence de marchands de sommeil ou la sur-occupation des logements.

Dès lors que nous faisons ce constat, les uns et les autres, encore faut-il savoir quelles conclusions en tirer. Pour ce qui nous concerne, la seule conclusion possible est d'augmenter la production de logements et de densifier là où c'est nécessaire.

Augmenter la production de logements signifie augmenter le nombre global de logements construits dans ce pays. En 2011, nous devrions atteindre la mise en chantier de près de 400 000 logements, récupérant ainsi les retards subis en raison de la crise. L'année 2007 a été, je vous le rappelle, une année record : si mes souvenirs sont exacts, nous avions produit 435 000 logements. Entre 2008 et 2009, nous avons enregistré une baisse de 100 000 logements sur ce chiffre due à la crise. En 2010, nous avons remonté la pente et 2011 sera une année où nous retrouverons à peu près le niveau de 2007, année record, je le répète, de la construction de logements.

Mais une fois que l'on a dit cela, on n'a pas dit grand-chose, car la question n'est pas de savoir s'il faut construire 400 000 logements, mais de savoir où les construire. Le principal problème auquel nous nous heurtons à l'heure actuelle sur le territoire national est que nous ne produisons pas toujours des logements dans les endroits où ils seraient nécessaires. Je ne citerai qu'un seul exemple pour vous le confirmer : celui de la région d'Île-de-France. C'est le territoire sur lequel on produit le moins de logements par habitant. À l'exception d'une région d'outre-mer qui en produit encore moins, par habitant, c'est en Île-de-France que l'on en produit le moins alors qu'évidemment, cette région devrait être la première région de production.

C'est la raison pour laquelle dans le cadre de la loi sur le Grand Paris, nous nous sommes fixé comme objectif de produire 70 000 logements par an en Île-de-France, alors que nous n'en produisons aujourd'hui que 40 000.

Mais au-delà de ces 400 000 logements tous types de logements confondus, regardons ce qui a été fait sur le logement social.

Sur la période du quinquennat, qui se terminera dans six mois, nous aurons financé 600 000 logements sociaux…

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

…avec une année record, puisqu'en 2010, 131 000 logements sociaux furent financés.

Je rappelle, pour éviter toute polémique, qu'entre 1978 et 2004 – donc, durant une période très large, droite et gauche confondues – nous produisions en moyenne 50 000 logements sociaux par an. Depuis 2004, grâce notamment au Plan de cohésion sociale, nous en produisons 100 000 logements en moyenne, avec, je le répète un record en 2010 de 131 000 logements sociaux.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Avec les collectivités locales…

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

…, avec les bailleurs sociaux…

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Bref, avec tous ceux qui participent à la chaîne de production.

À l'intérieur de ces 131 000 logements sociaux, regardons les productions de logements très sociaux : les PLAI, par exemple. Durant cette même année 2010, nous aurons atteint les 26 600 PLAI, contre les 20 000 que la loi DALO nous obligeait à distribuer. Avant 2007, la production annuelle était de 5 000 PLAI. En cinq ans, nous sommes passés de 5 000 à 25 000 PLAI. C'est donc un effort massif qui a été fait, là encore par l'ensemble des partenaires, sur la production de logement social.

M. Le Bouillonnec et M. Gosnat nous disent que ce sont les collectivités locales qui financent, et que l'État ne fait plus rien – vous avez évoqué le chiffre de 4 % de financement de la part de l'État sur la production des logements sociaux dans notre pays, monsieur Gosnat. C'est un débat que nous avons depuis longtemps. Si je vous entends, monsieur Gosnat, quand on fait une dépense fiscale au bénéfice du logement privé, le « Scellier » par exemple, c'est un scandale.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

En revanche, quand on fait une dépense fiscale au bénéfice du logement social, celle-là vous ne la comptabilisez pas.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

La question n'est pas là. Quand vous me dites que l'État finance 4 %, je vous demande de ne pas oublier la dépense fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Mes chers collègues, vous aurez l'occasion de vous exprimer dans la discussion générale. Laissez M. le secrétaire d'État s'exprimer.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

La question n'est pas de savoir si c'est un bien public ou si ce n'est pas un bien public.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

L'argent public et l'argent privé, ce n'est pas pareil !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

La question est de savoir qui finance quoi. En l'occurrence, vous devez prendre en compte les aides à la pierre, 500 millions d'euros par an, 450 millions cette année pour être très précis, ainsi que toutes les dépenses fiscales qui vont avec, 4,5 milliards d'euros que vous oubliez de comptabiliser.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Autre élément de la dépense publique au bénéfice du logement à prendre en compte, les APL. Les 5 milliards d'APL versés en tiers payant représentent un tiers du chiffre d'affaires des bailleurs sociaux. Cela participe évidemment à l'effort de construction qui est fait dans notre pays.

Au total, l'État consacre au logement social non pas 500 millions d'euros mais 10 milliards d'euros par an. C'est une toute petite nuance, qui, semble-t-il, vous a échappé, monsieur Gosnat.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Sur le contenu même de votre proposition de loi, monsieur Gosnat, je voudrais faire quelques remarques.

Premièrement, vous demandez grosso modo l'interdiction des expulsions dans le pays – vous allez plus loin que ceux qui proposent un simple moratoire. Je ne partage pas cette analyse. La conséquence d'une telle interdiction serait très simple, ce serait une déresponsabilisation complète des locataires.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Exactement ! Il n'y aurait plus de locations !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

En outre, à force de déséquilibrer les rapports entre locataires et propriétaires, vous n'aboutirez qu'à un seul résultat : un certain nombre de propriétaires arrêteront leur investissement locatif et le nombre de propriétaires qui mettront en location leurs biens, autrement dit le nombre de biens en location, sera moins important qu'il ne l'est aujourd'hui.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

La volonté du Gouvernement est de prévenir les expulsions. Nous avons mis en place, grâce à la loi MOLE que vous n'avez pas votée, les CAPEX, les commissions départementales pour prévenir les impayés de loyers. Nous constaterons très rapidement leur impact.

En matière de loyers, vous proposez un encadrement des loyers. Le résultat serait similaire. Que s'est-il passé dans les années 80 et 90 en France ? Les bailleurs dits institutionnels, les fameux « zinzins », avaient 23 % du parc locatif en Île-de-France. Aujourd'hui, ils n'en possèdent plus que 3 %. Ils sont partis, tout simplement parce que, à l'époque, l'investissement dans le logement était moins rentable que l'investissement de la bourse et surtout de l'immobilier d'entreprise.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Encadrez les loyers, baissez la rentabilité locative, vous obtiendrez le même résultat.

Enfin, si les propriétaires ne peuvent plus louer leur logement à 1 000 euros mais seulement à 800 euros, je ne suis pas convaincu qu'ils seront nombreux à continuer à entreprendre des travaux pour améliorer la qualité des logements. Bref, vous allez générer des générations d'habitat insalubre comme avec les loyers soumis à la loi de 1948.

Concernant les logements vacants, vous proposez la réquisition. Je vous rappelle que la réquisition a déjà été appliquée, en 2000, par Mme Lienemann. Combien avait-elle identifié de logements « réquisitionnables » ? 100 000 logements. Combien ont été réquisitionnés ? Moins de cent. Voilà le résultat auquel vous allez aboutir ! La réquisition ne marchera pas.

Vous citez le chiffre de 2 millions de logements vacants, 6 % du parc. Les chiffres sont exacts mais dites-nous simplement où sont les logements vacants. Dans ma ville, Châlons-en-Champagne, l'attente pour un logement social est de quatre mois, parce que nous avons une fluidité dans le parc.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Nous avons 42 % de logements sociaux et 10 % de vacances. Vous pouvez réquisitionner ces logements si cela vous amuse, il faudra juste m'expliquer qui vous mettez dedans, à moins d'imaginer des transferts de population, de transporter la population d'Île-de-France en Champagne-Ardenne. Peut-être est-ce votre préconisation ?

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Mais alors allez jusqu'au bout de la démarche. Sinon, vous allez réquisitionner des logements vides, et vous n'aurez personne à mettre dedans. Je ne vois vraiment pas l'intérêt de la mesure. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

Enfin, concernant les logements sociaux, l'Île-de-France connaît un déficit, nous sommes bien d'accord. Mais le taux de vacance n'est pas de 6 %, contrairement à ce que vous semblez indiquer, il est beaucoup plus bas.

S'agissant de l'obligation prévue par la loi SRU de produire des logements sociaux, vous nous dites, comme chaque fois, que la loi SRU n'est pas appliquée. Au terme de dix ans d'application de la loi SRU, nous avons dressé un bilan. Sur les dix années qui viennent de s'écouler, l'obligation légale était de produire 200 000 logements sociaux dans les communes qui comptent moins de 20 % de logements sociaux. En réalité, on en a produit 300 000. Et vous prétendez que la loi SRU n'est pas appliquée ? C'est faux, la loi SRU est appliquée.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Je compte les PLS, comme le prévoit la loi SRU. La loi SRU a été votée sous vos majorités, vous avez créé à cette époque-là les PLS et vous les avez intégrés dans l'article 55 de la loi. Alors que le respect de la loi obligeait à construire 200 000 logements sociaux, on en produit 300 000. Cela me paraît amplement suffisant.

Quant à vouloir appliquer le même taux de production de logement social sur tous les territoires, cela me semble irréaliste. Vous prévoyez un minimum de 25 % dans votre proposition de loi – vous montez de 20 % à 25 % – y compris dans les territoires où il n'est pas nécessaire de produire du logement social. Notre politique, c'est de concentrer les productions de logement social là où c'est nécessaire.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

C'est-à-dire là où il y a un différentiel de loyer très important entre le privé et le parc public. C'est là où il faut accentuer l'effort, notamment en Île-de-France, je me répète, si nous souhaitons répondre à l'attente de nos concitoyens.

Bien évidemment, le Gouvernement ne souhaite pas l'adoption de cette proposition de loi. Si nous pouvons partager les constats que vous posez, nous n'envisageons pas les mêmes réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la discussion générale, la parole est à M. Lionel Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi aborde un vrai problème, celui du logement, particulièrement tendu dans certains endroits de France, notamment dans mon département de la Haute-Savoie, mais également, comme cela a été précisé par M. le secrétaire d'État, en région parisienne. Malheureusement, les solutions proposées relèvent de l'idéologie et de la démagogie.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

On abuse nos compatriotes avec de tels textes, qui semblent animés des meilleures intentions, avec des objectifs généreux et des mesures en apparence simples, donc faciles à comprendre. Le seul souci, c'est que les mesures proposées dans ce texte sont non seulement inopérantes, mais en plus perverses, car elles risquent d'aggraver les problèmes, au lieu de les résoudre.

La première disposition est l'interdiction des expulsions. Nous connaissons tous le drame humain que peut constituer une expulsion, mais celle-ci n'a jamais lieu sans raison et est sérieusement encadrée. On ne se retrouve pas expulsé du jour au lendemain, sans aucune sommation.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

On ne peut pas être expulsé pendant la trêve hivernale, on ne peut pas non plus être expulsé au-delà d'un certain âge, ce qui permet d'ailleurs à M. Chevènement de continuer à occuper son logement social à Paris, malgré des revenus très confortables.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

On est expulsé parce que l'on n'a pas respecté les termes d'un contrat que l'on a signé.

Interdire les expulsions, c'est tout simplement permettre aux locataires ne plus payer leurs loyers, puisqu'il n'y aura plus aucune sanction.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Si vous voulez tuer le secteur locatif privé, c'est la méthode la plus expéditive !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-George Buffet

Franchement ! Les familles paient d'abord leur loyer, avant de se nourrir !

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Vous proposez également un encadrement des loyers. Là encore, excellente mesure pour décourager l'investissement locatif. Si ce n'est pas rentable, économiquement, de louer un logement, parce que les charges excèdent les recettes, plus personne ne louera. Or, vous semblez l'ignorer, pour qu'il y ait des locataires, il faut des propriétaires qui acceptent de louer.

Il faut aussi que les propriétaires aient les ressources pour entretenir les logements. Avec un plafonnement des loyers, on risque fort de faire progresser l'habitat indigne et insalubre. Je ne pense pas que ce soit le but des auteurs de ce texte, mais cela risque malheureusement d'en être le résultat.

Votre troisième proposition sur les logements vacants est dans la même lignée. Bien entendu que des abus existent et qu'il est rageant de voir des logements vacants dans des zones tendues. Mais avant de sévir, car, parfois, c'est nécessaire, il faut peut-être chercher à comprendre les raisons de ces vacances de logements. Parfois, il faut réaliser de gros travaux, qui demandent du temps, parfois, les logements sont en vente mais ont du mal à se vendre, ou, tout simplement, ils sont gelés pour des raisons parfaitement explicables, comme le règlement d'une succession complexe. Il ne faut pas croire que c'est de gaieté de coeur qu'un propriétaire laisse dormir un patrimoine qui pourrait lui rapporter.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Les outils existent déjà dans ce domaine, qui se sont révélés utiles. À vouloir aller trop loin, on risque de leur faire perdre toute efficacité en favorisant des pratiques de contournement. Certains propriétaires pourraient ainsi déclarer le logement vacant comme une résidence secondaire, si le montant des impositions est inférieur à la taxe pour logement vacant.

Enfin, vous revenez sur le seuil de logements sociaux. Nous pensons que le seuil de 20 % est le bon, et qu'avant de le relever, il faut déjà l'atteindre.

Certes, il y a encore des efforts à faire. Quand la mauvaise volonté des élus est manifeste, ce qui est finalement assez rare, il existe des sanctions financières, sur l'alourdissement desquelles on peut éventuellement discuter. Mais, dans bien des cas, les élus locaux se heurtent à des difficultés liées au foncier. Je suis bien placé dans ma circonscription pour voir ce que donne une conjonction de la loi montagne et de la loi littoral sur une même zone. Il n'y a tout simplement plus de foncier disponible dans bien des communes. Ou alors, c'est au prix d'une destruction des paysages et des espaces naturels.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

On peut avoir beaucoup de logements sociaux partout, mais cela a un prix. Même si le groupe UMP est attaché à la réalisation de cet objectif inscrit dans la loi SRU, ce n'est pas n'importe comment et à n'importe quel prix !

La solution, c'est de construire davantage de logements, pas seulement des HLM, et d'organiser une fluidité, comme l'a indiqué le secrétaire d'État, afin que tous nos concitoyens puissent trouver le logement adapté au moment où ils en ont besoin.

La majorité travaille là dessus, avec des résultats. En 2010, 131 500 logements sociaux ont été financés, contre seulement 30 000 en 2000. Le taux de villes qui ne respectent pas l'objectif de la loi SRU est passé de 45 % en 2005-2007 à 38 % aujourd'hui. Entre 1978 et 2010, le parc de logement a augmenté de 4 millions, soit 14 %.

Malheureusement, nous en conviendrons tous, cela ne suffit pas, car, dans le même temps, et tout le monde s'en félicitera, la qualité et la taille moyenne des logements augmentent, ainsi que la natalité, sans compter que, du fait des divorces, le nombre de ménages monoparentaux progresse aussi, entraînant une demande plus forte en logements.

Mais tout ne relève pas de l'État. La maîtrise du foncier est largement entre les mains des collectivités locales. Ce sont elles qui décident, ou pas, de consacrer davantage de foncier aux habitations ou de densifier l'habitat. Le législateur peut inciter, mais pas contraindre. Vous seriez d'ailleurs les premiers à nous reprocher de le faire !

Ce texte est l'expression de la position de la gauche française, qui, au lieu de résoudre le problème en fournissant un emploi ou un logement à tout le monde, préfère gérer la pénurie et la répartir, qui plus est de manière inéquitable.

Il faut bien se rendre compte, mes chers collègues, qu'interdire les expulsions et plafonner les loyers revient à sécuriser ceux qui ont un logement, et à fermer la porte au nez de ceux qui n'en ont pas ! Qui va rester dehors ? Les plus pauvres, les jeunes, les précaires, ceux que vous dites défendre, alors même que vos propositions les plombent. Il faut dire les choses telles qu'elles sont, cette proposition de loi est une machine à renforcer la précarité et l'exclusion des plus faibles, afin de satisfaire votre clientèle électorale.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Gosnat

Voilà ce que l'on appelle une caricature. Vous n'y croyez même pas, monsieur Tardy.

Debut de section - PermalienPhoto de Lionel Tardy

Nous préférons adopter d'autres solutions, certes plus difficiles à mettre en oeuvre, moins vendables médiatiquement, mais qui s'efforcent d'offrir un toit à tous et de ne laisser personne sur le bord du chemin.

C'est pourquoi le groupe UMP votera contre ce texte qui, sous un vernis de bons sentiments, organise un système d'exclusion sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable, pour le groupe GDR.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les textes sur le logement se sont multipliés depuis des années, sans répondre à la crise d'une extrême gravité que nous connaissons. La demande continue d'exploser faute de construction suffisante. 68 % des maires d'Île-de-France se déclarent maintenant favorables à un encadrement des loyers, selon une enquête de l'AMIF publiée cette semaine.

Le comité de suivi de la loi DALO vient de présenter des conclusions accablantes : il parle de crise humanitaire et montre que l'État est davantage hors-la-loi qu'il y a un an. Et la récente décision de supprimer l'indexation des aides au logement sur l'inflation, alors qu'elles sont les plus redistributives, ne va pas dans le bon sens.

Notre arsenal législatif n'est plus adapté à l'ampleur de cette crise. Nous ne pouvons plus nous contenter de demi-mesures ou simplement prolonger celles qui ont été prises depuis des années.

Le très récent abandon du dispositif Scellier est un premier pas. Lors de sa convention sur le logement, l'UMP se félicitait d'avoir fait construire 145 000 logements en deux ans avec cette mesure, mais à quel prix ? Cette niche permet de financer directement, en moyenne 45 000 euros par logement et par an. Faites le calcul ! Sachant qu'il faudra la financer jusqu'en 2020, nous allons donc encore dépenser des milliards, malgré l'augmentation de la TVA sur le bâtiment. Nous vous encourageons donc à aller plus loin, en réintroduisant par exemple des critères de revenus pour l'attribution du prêt à taux zéro ou en réformant la fiscalité sur les plus-values immobilières. Vous pourriez également revoir l'ensemble du financement de la construction du logement social, car les 2 % du PIB que vous venez d'évoquer représentent à peine 1 % pour l'État, tout le reste étant à la charge des collectivités locales et des bailleurs. Nous vous faisons des propositions très concrètes en la matière depuis des années.

Pierre Gosnat a déjà expliqué la situation catastrophique du logement en France. Si les chiffres nous permettent d'évaluer les besoins, n'oublions pas que, derrière, se cache la détresse de centaines de milliers de femmes, d'homme et d'enfants. À la lecture des débats en commission, je constate à quel point nos collègues de l'UMP et du Nouveau Centre sont opposés à notre première mesure, visant à interdire les expulsions locatives pour des raisons économiques et sociales. Je me permets donc de vous faire part de témoignages recueillis devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise la semaine dernière, lors de l'audience sur l'arrêté anti-expulsion que j'ai pris dans ma ville. Des responsables associatifs, une directrice d'école, une présidente de club de prévention ont évoqué la situation d'une mère avec trois enfants menacés d'expulsion, suite à la perte d'emploi du père. Je cite : « Les enfants étaient très perturbés, très introvertis, la plus jeune se réveillait souvent de la sieste en hurlant, l'aînée a complètement raté son année de CP et n'a pas appris à lire. » Il a aussi été question de la situation d'une petite fille qui arrivait systématiquement en retard à l'école, soit endormie, soit en larmes, et qui était incapable de travailler en classe : sa mère était seule avec son enfant et n'osait dire qu'elle était hébergée par le SAMU social. La semaine dernière, j'ai encore reçu une jeune femme avec son compagnon et son enfant, qui enchaîne les contrats à durée déterminée ; ils gagnent 2 300 euros par mois mais alternent les hébergements depuis 2009 ! Ces situations ne sont malheureusement pas isolées, nous pourrions tous en citer. Ne rien faire est indécent et coupable ; il est temps que la représentation nationale agisse avec fermeté.

En Île-de-France, 406 000 foyers attendent un logement social. L'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France rapporte qu'en 2006, 89,4 % des ménages franciliens étaient éligibles au logement social, 62,3 % avaient des ressources inférieures aux plafonds PLUS, et 27,1 % des ménages avaient des revenus qui se situaient entre le plafond PLUS et intermédiaire.

Dans le secteur privé, le logement locatif a fait l'objet d'une spéculation affolante ces dix dernières années. Pour 2011, dans les grandes villes de Rhône-Alpes, les loyers ont progressé entre 7 et 6 %, atteignant plus de 12 euros le mètre carré ; à Marseille, le prix moyen du mètre carré atteint 15 euros et à Paris, entre 20 et 39 euros ! Les salariés, dont le pouvoir d'achat n'a pas connu le même sort, ne peuvent plus se loger décemment dans le secteur privé et se tournent vers le secteur public. Et cette flambée n'est pas due uniquement, comme vous le soutenez, à une baisse de l'offre mais bien à la spéculation ! Ne rien faire revient à encourager les profiteurs. Il est donc devenu nécessaire d'agir sur les deux secteurs.

L'UMP propose, pour répondre à la crise du logement, de développer le parcours résidentiel en favorisant davantage l'accession à la propriété. Permettez-moi, au regard des chiffres déjà énoncés, de douter. Je cite à nouveau l'étude sur le logement social de l'IAURIF : « L'explication principale de l'augmentation du délai d'attente tient à l'impossibilité pour une part importante des ménages modestes qui occupent un logement social de quitter ce parc. Les logements en accession comme en location dans le secteur libre sont devenus depuis une vingtaine d'années inaccessibles pour ces ménages franciliens. » Le parcours résidentiel est au point mort dans les zones tendues et tend à le devenir sur l'ensemble de notre territoire. La France du « tous propriétaires » que le Président de la République appelait de ses voeux a vécu, il est temps de regarder la réalité en face !

Les propositions visant à encadrer administrativement le montant des loyers et à renforcer les moyens de lutte contre les logements vacants vont donc dans le bon sens. De même, la réforme de l'article 55 de la loi SRU, adoptée il y a onze ans, est devenue indispensable pour répondre à une situation qui s'est considérablement dégradée depuis.

Nos mesures prévoient de répondre réellement aux besoins des demandeurs et de garantir la mixité sociale sur nos territoires. Sans une contrainte plus forte, nous savons tous que la loi ne sera pas appliquée. Ainsi, dans mon département des Hauts-de-Seine, quatorze communes sur trente-six n'ont pas encore atteint le taux de 20 % de logements sociaux, et ces derniers sont inégalement répartis. Des villes ont fait la démonstration que l'on pouvait contourner cette loi. Prenons l'exemple de Neuilly où, en engageant 3,3 millions d'euros pour la construction de logements sociaux – soit 2,6 % de son budget pour 2011 –, la ville ne paie pas d'amende et ne réalise pas non plus ses objectifs triennaux !

Pire, les communes vertueuses subissent une double peine. La création du Fonds de péréquation intercommunale et communale, discutée lors du projet de loi de finances pour 2012, pourrait permettre de répartir les richesses entre nos territoires. Mais votre majorité a refusé d'inclure le critère du logement social ! Vous vous apprêtez donc à pénaliser une seconde fois les collectivités qui tout à la fois répondent aux besoins de leurs habitants en investissant et subissent les charges les plus lourdes.

Et les dernières mesures de rigueur budgétaire accentuent cette même logique libérale inégalitaire et dépassée, au service de la finance et des plus nantis. Elles auront surtout pour conséquence d'augmenter le nombre de situations similaires à celles que j'ai évoquées précédemment. Vous aurez beau tenter d'argumenter sur l'équité de vos mesures, il n'en demeure pas moins que 86 % des ménages en paieront la facture. N'aurait-il pas été plus juste de maintenir la taxe de 2 % sur l'hôtellerie de luxe, qui a été pratiquement abrogée trois mois après avoir été instaurée ? de taxer les plus hauts revenus alors que la majorité des Françaises et des Français devront encore se serrer la ceinture ? d'empêcher les dirigeants de banque de percevoir des augmentations de revenus de 44,8 % en moyenne en pleine crise financière ? C'est une question élémentaire de justice sociale !

Parce que les discours ne suffisent pas et que nos concitoyens attendent des pouvoirs publics des actes forts, les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche vous invitent à soutenir ces mesures concrètes, fermes et innovantes qui s'attaquent aux raisons structurelles de cette crise. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour le groupe SRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, au moment où notre pays dresse le bilan de l'action du Gouvernement et plus évidemment encore celle du président Sarkozy, force est de constater qu'en matière de logement le compte est accablant.

10 millions de personnes sont concernées par des difficultés de logement ; 3,6 millions de personnes sont très mal logées, en hôtel, abris précaires, camping ou hébergement, et 5 millions vivent dans des situations de réelle fragilité à court ou à moyen terme – copropriétés dégradées, impayés de loyers de plus de deux mois ou surpeuplement.

La liste est longue : dégradation des conditions d'accès à un logement abordable, hausse exorbitante des loyers et du foncier, augmentation des dépenses des ménages pour se loger, progression du sans-abrisme, manque criant d'hébergements d'urgence, insuffisance de la construction de logements sociaux pour les demandeurs dont le nombre devient alarmant, insuffisance des aides aux locataires entraînant pour ceux qui ne peuvent payer leur loyer une progression très inquiétante des expulsions !

Cette liste effrayante n'est pas une surprise : vous avez choisi de mener une politique libérale. C'est une des différences fondamentales avec nous, élus de gauche, qui considérons que le logement n'est pas un bien ordinaire, une marchandise comme les autres.

Pourtant, paradoxalement, depuis la loi DALO de mars 2007, l'État est garant du droit au logement. Il lui incombe d'assurer à tous nos concitoyens un habitat digne, condition incontournable de leur épanouissement, première étape d'intégration vers l'éducation. Or rien n'a été fait pour rendre ce droit effectif.

Le quatrième bilan DALO est d'abord un sévère constat d'inefficacité. Il rappelle quatre exigences incontournables pour l'application de la loi DALO : offrir au moins un hébergement à toute personne en détresse, de façon immédiate et inconditionnelle ; mettre en oeuvre un plan d'urgence pour reloger les ménages prioritaires dans les zones tendues ; organiser la gouvernance du logement ; réorienter les moyens de la solidarité nationale vers les personnes à revenus modestes. En pleine rigueur budgétaire, les plus modestes, les plus fragilisés ne doivent pas être oubliés !

Et pourtant, tous les instruments, tous les leviers de l'action publique ont été cassés ! En effet, les budgets successifs de ces dernières années consacrent clairement votre volonté d'abandonner toute politique du logement juste, équitable et solidaire, en privilégiant des dépenses fiscales qui n'ont pour seule conséquence que d'encourager la spéculation et la hausse des loyers.

La contribution directe de l'État au financement du logement social par l'aide à la pierre sera de 300 millions d'euros en 2012, alors que, dans le même temps, il prélève 140 millions d'euros sur les bailleurs sociaux et les HLM. Ainsi, en pleine crise du logement et de l'hébergement, exacerbée par le contexte économique, l'État a fait le choix sans vergogne de poursuivre son désengagement !

Aujourd'hui, avec l'explosion des loyers et des charges, de plus en plus de ménages peinent à couvrir leurs dépenses de logement. Même les classes moyennes sont fragilisées par la hausse des loyers. L'État demande à tous ses partenaires d'assumer des responsabilités qui sont normalement les siennes, en ponctionnant le 1 % et les organismes HLM, sans se soucier de la pérennité de ces financements.

La proposition de loi que nos amis du groupe GDR ont eu l'heureuse initiative de proposer à la représentation nationale n'a pas vocation à exprimer toutes les politiques, toutes les actions qu'imposent cette situation catastrophique du mal-logement dans notre pays. On connaît les contraintes de procédure et de temps qui limitent l'usage pour les députés de l'opposition du droit de déposer des propositions de loi.

Cette proposition de loi visite cependant quatre des exigences fondamentales qui doivent être comblées pour améliorer une réalité bien sombre : le maintien des locataires dans leur logement ; l'encadrement des loyers ; le renforcement de la loi SRU ; la lutte contre la vacance. Elle rappelle la nécessité de mener une politique fondée sur la justice sociale. Nous le répétons depuis des années : l'État doit impérativement réinvestir le secteur du logement par une politique publique fondée sur la solidarité et la responsabilité, avec des moyens financiers suffisants et pérennes.

En ce qui concerne l'interdiction des expulsions, je rappelle que sont rendus chaque année plus de 100 000 jugements d'expulsions et que l'on assiste à une augmentation inquiétante des impayés, qui viennent grossir les rangs des bénéficiaires DALO.

Vous avez oublié les difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontées les ménages modestes ou plus ponctuellement les classes moyennes, et la crise économique ne vous a fait infléchir en rien votre politique. Alors que les APL n'ont cessé de perdre de leur pouvoir solvabilisateur et ont vu s'amenuiser leur rôle d'amortisseur social, vous avez choisi d'en plafonner la revalorisation à 1 %. Il faut en amont un véritable système de prévention des expulsions, ce qui suppose un accompagnement des familles.

Le taux d'effort en matière de logement, qui mesure bien la charge que représente pour le ménage le coût du loyer, a progressé tant pour les salariés que pour ceux qui bénéficient de minima sociaux. Notre collègue Marie-Hélène Amiable vient d'évoquer à juste titre l'augmentation des loyers. Je n'y reviens pas, mais c'est l'un des aspects flagrants de cette situation. Et c'est bien la capacité des locataires à payer leur loyer qui est entamée. Vous êtes vous-mêmes à l'origine de mesures qui se traduiront pourtant par une augmentation des procédures d'expulsion, en constante progression ces dernières années.

Lors de la présentation du rapport du comité d'évaluation de la loi DALO, hier, on nous a compté l'histoire d'une famille obligée de libérer les lieux qu'elle habitait et qui avait fait une demande de logement, puis déposé un dossier DALO. Le dossier a été accepté par la commission, la famille n'a pas obtenu de logement, elle a saisi la juridiction administrative, mais a été expulsée avec le concours de la force publique. Cherchez l'erreur ! Voilà l'état de notre république aujourd'hui.

Il est évident que ceux qui sont expulsés deviendront bénéficiaires en priorité du droit au logement au titre de la loi DALO. Il est donc nécessaire de mettre un terme à ce processus kafkaïen. Il faut tout d'abord cesser de mettre les gens à la rue et faire en sorte que, lorsque l'expulsion ne peut être évitée, on ne la dissocie pas de l'obligation républicaine de reloger ailleurs les expulsés. C'est le sens de ce dispositif législatif, qu'il faudra un jour revisiter pour en supprimer les aberrations.

S'agissant des loyers, vous avez reconnu il y a quelques semaines, monsieur le secrétaire d'État, la réalité du problème et, pour la première fois, la nécessité de les encadrer. Vous en avez réglementé la progression pour les micrologements par le biais de la fiscalité. C'était un aveu, c'était aussi la possibilité pour le Gouvernement d'amorcer une nouvelle stratégie. Mais que faites-vous pour encadrer les loyers et empêcher leur hausse constante ? Rien. Nos collègues du groupe GDR ont donc raison de dire : cela suffit.

Nous avions proposé la fixation d'un loyer de référence et le blocage de la hausse lors du changement de locataire. Vous ne voulez pas utiliser ces instruments. Il est pourtant important d'agir, sinon toutes les politiques publiques en pâtiront.

Sur le renforcement de la loi SRU, nous partageons totalement les objectifs de la proposition de loi. Nous avions d'ailleurs signé des amendements communs lors des débats sur le logement et inscrit ces mesures dans nos propositions de loi. Porter le seuil de logements sociaux à 30 % dans les zones sous tension est une exigence impérieuse. D'ailleurs, il nous semble bien que c'est la référence que l'on va choisir dans le cadre du Grand Paris. Il faut le porter à 25 % ailleurs. Il faut bien entendu exclure du comptage les logements de type PLS, que certains maires favorisent pour ne pas avoir à construire de logements très sociaux, notamment les PLAI. D'ailleurs, on a recours à cette dernière formule pour les foyers logements et les résidence pour étudiants, mais beaucoup moins pour les familles. Il y a là une situation que vous ne contestez pas et qu'il nous faudra corriger. Il faudra aussi aggraver les sanctions pour les villes dont on constate la carence. Elles supportent beaucoup mieux de payer l'amende qui leur est infligée actuellement qu'elles ne supporteraient un prélèvement pour financer le logement social sur leur territoire – mesure que nous sommes en train de préparer.

Il faut parvenir à ce que, demain, ces maires financent le logement social dans leur commune. C'est difficile, certes, mais il le faudra. Il faudra aussi, comme le demande cette proposition de loi, encadrer la possibilité pour les maires de communes en infraction de délivrer des autorisations en matière d'urbanisme. C'est le seul moyen de réussir, et cette proposition de loi définit donc la bonne stratégie.

Enfin, elle porte sur la réquisition des logements vacants. Il y en a, vous ne pouvez pas le contester. C'est une insulte pour les gens sans toit qui campent au pied de ces immeubles, c'est une aberration. Cela explique que, de temps à autre, des groupes occupent ces logements. Nous vous avons fait bouger, puisque vous avez examiné comment on pourrait accélérer la transformation de bureaux en logements, y compris par des mesures fiscales. Je vous en félicite ; nous-mêmes l'avions proposé dans notre proposition de loi. Mais cela ne va pas assez loin. Il faut que la réquisition soit effective. Vous dites que lorsque Marie-Noëlle Lienemann a pris cette mesure, elle n'a pas été suivie d'effet. Mais elle avait dit la même chose que M. Périssol. Pour que la réquisition soit appliquée, il faut que tout le monde la veuille. Quand les préfets suivent, il n'y a pas de problème pour réquisitionner ; quand ils ne suivent pas, il y a problème. C'est pourquoi il faut mobiliser toute la capacité de l'État ou plutôt, selon la formule d'Étienne Pinte, que la menace soit suffisamment forte pour que les logements soient occupés.

Nous partageons donc la stratégie définie par cette proposition de loi. Cette nuit, nous avons adopté, à l'article 11 de la loi de finances, une augmentation du taux de TVA pour les travaux de construction et de réhabilitation du patrimoine social ainsi que pour la rénovation du patrimoine privé. C'est à cause de la crise, nous dit-on. Mais la crise a bon dos. Le pacte républicain imposait au Gouvernement et à la nation de ne pas se soumettre à la loi de la crise dès lors qu'il s'agit de construire ces logements si attendus par ceux qui en manquent, de construire les centres d'hébergement si attendus par les sans-abri.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

C'est cela la République. Mais vous n'avez pas été capable de tracer la frontière entre les politiques libérales que vous avez le droit de mener, puisque vous avez la majorité, et ce que la République imposait. Vous avez claqué la porte : ces immeubles, ces centres on ne les construira pas. C'est là une terrible erreur que nous tenterons, avec nos collègues du groupe GDR, de corriger lorsque dans quelques mois, au sein d'une majorité forte, nous donnerons la priorité au logement.

Nous allons voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale est close.

La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Monsieur le président, en application de l'article 96 du règlement de l'Assemblée, le Gouvernement demande la réserve des votes sur la présente proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement puisque la commission n'a pas adopté de texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

En application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles et sur l'ensemble de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je rappelle que la Conférence des Présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition, auront lieu le mercredi 7 décembre, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. André Chassaigne et de plusieurs de ses collègues visant à encadrer les prix des produits alimentaires (nos 3745, 3957)

La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, cette proposition de loi cherche à apporter des réponses concrètes à la question des prix et des revenus des agriculteurs sans oublier les difficultés des consommateurs.

Elle s'appuie sur un double constat : d'une part, la dégradation durable des prix d'achat des productions agricoles issues de l'agriculture française ; de l'autre, l'augmentation constante des prix de vente des produits alimentaires aux consommateurs.

La crise des fruits et légumes de cet été constitue une des preuves les plus flagrantes du besoin d'intervenir rapidement pour encadrer les prix des productions agricoles. Nous aurions tort de penser que, pour la filière des fruits et légumes, cette mauvaise année 2011 tient aux seules fluctuations conjoncturelles des marchés comme je l'entends parfois : il s'agit bien d'un problème structurel qui affecte l'agriculture française dans son ensemble.

En effet, les prix d'achat de la production agricole subissent une pression constante à la baisse, alors que les coûts des consommations intermédiaires, eux, ne cessent d'augmenter, qu'il s'agisse des prix de l'énergie, des engrais ou des produits phytosanitaires. Cette double évolution a des conséquences très claires : si l'on en juge par les moyennes triennales, le revenu agricole, tous secteurs confondus, n'a pas évolué depuis 1995 ! Les revenus des exploitations familiales et de taille modeste ont même baissé, plongeant des milliers de paysans et leurs familles dans la pauvreté, poussant malheureusement certains à des gestes désespérés.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : de 2000 à 2010, le nombre d'exploitations a diminué de 26 % et l'emploi agricole de 22 %. Ce sont évidemment les petites et moyennes exploitations, les exploitations familiales, qui ont payé le plus lourd tribut, alors que le nombre de très grandes exploitations s'est accru.

L'extrême concentration du nombre d'exploitations sur le territoire national doit nous faire réfléchir à ce que devient le tissu rural français en ce début de XXIe siècle, et sur la capacité que nous aurons à maintenir, dans les prochaines décennies, une agriculture diversifiée, de qualité, à dimension humaine. Nous ne pouvons nous résoudre à voir des campagnes de France déshumanisées, privées de leur vocation première : nourrir les hommes !

Le constat est sans appel : sur certains produits, les marges de la grande distribution ont presque doublé en dix ans, au détriment des agriculteurs et des consommateurs.

S'agissant de la formation des prix, nous ne disposons pas de données aussi précises qu'il le faudrait : le premier rapport annuel de l'observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, publié le 27 juin 2011, souligne le manque d'informations fournies par les distributeurs s'agissant des marges nettes. Il a néanmoins le mérite de mettre en lumière certaines évolutions.

La longe de porc est un exemple typique de l'augmentation des marges des distributeurs au détriment des autres acteurs. En 2000, 45 % du prix final de ce produit revenait à l'éleveur, contre seulement 36 % aujourd'hui. La part de l'industriel chargé de l'abattage a également chuté de 11 à 8,8 %. En revanche, le distributeur a considérablement augmenté sa marge, puisqu'il touche aujourd'hui 55 % du prix final, contre 39 % en 2000.

Pour les consommateurs, les prix alimentaires ont crû de 2 % par an, avec des hausses allant jusqu'à 13,5 % pour les produits frais. Certes, la part du budget des ménages consacrée à l'alimentation est passée de 20 % dans les années 1960 à 13 % aujourd'hui ; mais la consommation de fruits et légumes frais n'a pas progressé depuis cinquante ans. On le sait, la consommation de produits frais est directement liée au pouvoir d'achat des ménages et à leur catégorie socioprofessionnelle. Le nombre de Français dans la précarité augmente sans cesse, ce qui se traduit par une explosion du nombre de bénéficiaires de l'ensemble des associations d'aide alimentaire. Une politique de l'alimentation ambitieuse suppose donc, en priorité, de soutenir la demande de produits frais pour les foyers les plus modestes. Mes chers collègues, nous avons la responsabilité de ne plus laisser les prix alimentaires de ces denrées de base faire l'objet de telles dérives de la part de la distribution !

Pour toutes ces raisons, il paraît indispensable de réguler – pour employer un concept redevenu à la mode – les marges et les pratiques de la grande distribution, avec pour double ambition de fournir une alimentation de qualité accessible à tous et une rémunération digne du travail paysan.

J'avais déjà déposé, il y a deux ans, une proposition de loi visant à instaurer un véritable droit au revenu des agriculteurs, dont beaucoup d'articles avaient retenu l'intérêt des parlementaires de toutes sensibilités. Le ministre de l'agriculture, présent au débat cette fois-là, m'avait simplement opposé le caractère « prématuré» de mes propositions. Quelques mois plus tard, lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture, la majorité avait encore rejeté mes amendements, se limitant à soutenir les propositions du Gouvernement : contractualisation, renforcement des interprofessions, regroupement des organisations de producteurs, et extension des mécanismes dits « d'assurance-récolte ».

Je ne mets pas en doute la volonté du ministre d'apporter des réponses avec la loi de modernisation agricole. Mais elles sont manifestement peu efficaces. Je pense notamment à la contractualisation qui devait garantir des prix aux producteurs. Cela ne marche pas, au point que ces derniers ne signent pas les contrats.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Pire encore, la domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par les évolutions législatives récentes, en particulier la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et la loi du 4 août 2008, dite de modernisation de l'économie. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs dans la négociation : tous les responsables du monde agricole en conviennent ! La grande distribution, par ses pratiques contractuelles, sa politique active d'importation en fonction de l'arrivée des productions françaises sur les marchés, maintient une pression à la baisse des prix d'achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.

Aujourd'hui, force est de constater que les problèmes demeurent et s'aggravent, et que la question des prix et des revenus agricoles est la grande oubliée de notre politique agricole et alimentaire. C'est pour apporter des réponses dès maintenant, sans attendre le grand soir de 2012, que j'ai déposé le texte que nous examinons aujourd'hui.

Je souhaite donc que ces mesures recueillent un large assentiment de notre assemblée ; elles redonneraient un véritable espoir à des agriculteurs à bout de souffle sans pénaliser les consommateurs.

L'article 1er prévoit l'application d'un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des produits agricoles. L'objectif est d'étendre l'application d'un dispositif qui s'est appliqué de 1945 à 1986, avant d'être réintroduit en droit français en 2005 pour le seul secteur des fruits et légumes, sans toutefois être mis en oeuvre.

Le coefficient multiplicateur tend, en fait, à limiter les taux de marge des distributeurs. Son principe est simple : l'État fixe un coefficient, sous la forme d'un taux plafond, entre le prix d'achat au producteur et le prix de vente au consommateur. Pour une efficacité optimale, cette mesure s'appliquerait évidemment à toute la chaîne des intermédiaires.

S'agissant des importations, je tiens à souligner que le coefficient multiplicateur peut s'appliquer aux produits importés. Aujourd'hui, on importe pour casser les prix de nos productions, notamment les productions saisonnières. Or, avec un coefficient multiplicateur appliqué aux importations, la grande distribution n'aura plus intérêt à acheter à des prix très bas à l'étranger puisque sa marge bénéficiaire sera beaucoup plus étroite.

Une autre objection courante consiste à souligner la complexité du dispositif et la difficulté de sa mise en oeuvre. Je la rejette. Ce mécanisme a été mis en oeuvre pour différentes productions pendant près de quarante ans. Il faisait alors l'objet de chapitres spécifiques dans tous les manuels de brevet de technicien agricole. À l'heure où les spéculateurs rivalisent d'ingéniosité technique pour proposer des innovations financières, comme celles concernant les marchés à terme agricoles, la puissance publique serait-elle incapable de fixer un simple taux arithmétique ?

L'article 2 propose de définir, pour chacune des productions, un prix minimum qui restera indicatif afin de ne pas contrevenir à la réglementation européenne. Ce prix serait défini au niveau interprofessionnel, via une concertation au sein de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, FranceAgriMer.

L'article 3 institue une conférence annuelle par production, regroupant l'ensemble des acteurs des différentes filières – fournisseurs, distributeurs et producteurs –, et élargissant le champ de la représentativité syndicale agricole aux organisations minoritaires. Cette conférence annuelle donnerait lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix qui permettra de définir des indicateurs, tels que les coûts de production et l'inflation, qui serviront ensuite de base aux négociations interprofessionnelles.

Les responsables de l'observatoire des prix et des marges des produits alimentaires et ceux de FranceAgriMer l'ont souligné lorsque je les ai rencontrés : si nous sommes capables de dresser un constat, il n'aboutit pas à une action concrète. Une conférence annuelle sur les prix par type de production permettrait de réunir tous les acteurs, grande distribution et consommateurs compris. De l'avis de tous mes interlocuteurs, il faut se parler. Or, les contacts n'existent pas aujourd'hui. Les échanges noués dans une conférence annuelle pourraient aboutir à la mise en oeuvre des conclusions de l'observatoire sur le prix de revient des produits, l'évolution des charges et des coûts, et l'augmentation du prix des intrants. En créant cet outil, nous serions à même d'établir un socle de négociation assorti d'indicateurs.

Les auditions que j'ai menées et le débat en commission m'ont conduit à penser qu'un consensus était possible. Aussi, je vous proposerai un amendement à l'article 3 pour lever les objections sur la non-conformité avec le droit de la concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Monsieur le rapporteur, je vous prie de bien vouloir conclure.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des biens de consommation comme les autres ; on ne doit pas pouvoir les échanger sur des marchés mondialisés où la spéculation règne en maître, mettant en péril tant la survie de nos exploitations que l'autosuffisance alimentaire de l'Europe et, in fine, l'équilibre alimentaire mondial. Les grands groupes de la distribution ne doivent pas se voir confier les pleins pouvoirs dans leurs relations avec les agriculteurs, sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre agriculture, tandis que s'opère un véritable racket sur les consommateurs, captifs des hypermarchés, dont le pouvoir d'achat se dégrade.

Les mesures que je vous présente ne visent qu'à rétablir un juste équilibre entre tous les acteurs de la filière, au bénéfice des consommateurs et des paysans. J'insiste bien sur les consommateurs et les paysans.

Mes chers collègues, notre responsabilité de parlementaire ne doit pas se résumer à pointer sans cesse l'origine des problèmes qui se posent aux Français. Nous avons la responsabilité d'apporter des réponses à la hauteur des enjeux et des besoins. Les agriculteurs méritent que la représentation nationale ne s'abaisse pas devant les artifices juridiques ou les égoïsmes de quelques intérêts particuliers.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Je souhaite que nous puissions travailler ensemble dans cette direction grâce aux trois articles de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les députés, je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, M. Bruno Le Maire, qui se trouve actuellement en déplacement avec le Président de la République à Toulon.

Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi entend apporter des réponses à une vraie question, celle du juste partage de la valeur ajoutée au sein de nos filières alimentaires, au service de nos producteurs comme des consommateurs.

Il n'est pas normal qu'un kilo de fraises acheté 2,40 euros au producteur se retrouve à 6 euros sur les étals des supermarchés ; le Gouvernement vous rejoint sur ce constat. Il ne vous a d'ailleurs pas attendu pour faire du partage de la valeur ajoutée une priorité de son action. Nos réponses ne sont toutefois pas les mêmes que les vôtres.

Nous avons d'abord voulu introduire plus de transparence dans la filière.

La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche a renforcé l'observatoire de la formation des prix et des marges pour lui donner les moyens de faire toute la vérité sur les prix et les marges à chaque étape de la production. Cela permet aux producteurs de bénéficier de plus d'informations sur les coûts de production des acteurs de leur filière plutôt que de devoir négocier leurs prix sans connaître la concurrence. L'observatoire a remis son premier rapport annuel en juin dernier. Nous veillons à ce que tous les acteurs jouent le jeu de la transparence, en particulier la grande distribution.

Pour assurer un meilleur partage de la valeur ajoutée, nous avons ensuite voulu qu'il y ait plus d'équité dans les relations commerciales

Cela passe par l'encadrement des pratiques de prix après vente et des promotions hors lieux de vente, et par l'interdiction des remises, rabais et ristournes. L'accord de modération des marges du 17 mai 2010 va également dans ce sens. C'est la première fois que la distribution prend un tel engagement ; c'est la première fois qu'elle doit rendre des comptes sur ses rapports avec la production et sur ses marges.

Cela passe aussi par l'accord du 3 mai 2011 dans la filière viande qui permet que les négociations sur les prix soient rouvertes en cas de variation excessive des prix de l'alimentation animale.

Pour un meilleur partage de la valeur ajoutée, nous avons également souhaité assurer plus de sécurité aux producteurs.

Tel est l'objectif des contrats. Nous croyons dans la contractualisation parce qu'il s'agit du seul moyen de donner de la visibilité, et donc de la prévisibilité, à l'ensemble des producteurs. M. Bruno Le Maire a déjà eu l'occasion de le dire dans cet hémicycle : les contrats ne sont évidemment pas une solution miracle, mais, dans un marché dominé par la loi de l'offre et de la demande, ils constituent une garantie de sécurité indispensable pour les agriculteurs.

Vous nous répondez que les contrats ne marchent pas. C'est faux ! Il y a quelques années, on prédisait qu'avec la concurrence de la Nouvelle-Zélande, la filière agneau était condamnée dans notre pays. Force est de constater que ce n'est pas le cas. La filière ovine se porte même plutôt très bien et, si elle n'a pas disparu aujourd'hui, c'est en grande partie grâce à l'organisation du secteur et à la mise en place de contrats de premier et de deuxième niveau. Voilà bien la preuve que le système des contrats marche.

Enfin, pour améliorer le partage de la valeur, il faut plus d'équilibre dans les négociations avec l'aval de la filière

La contractualisation n'a de sens qu'avec l'organisation des producteurs. Pour que les contrats soient justes et efficaces, il faut renverser le rapport de force entre les producteurs et l'aval de la filière. Que pèse en effet un producteur seul face aux industriels ? Si les producteurs veulent peser davantage par rapport à l'aval de la filière, il faut qu'ils s'organisent.

Les règles actuelles permettent déjà aux producteurs de se regrouper mais pas suffisamment. Prendre un nouveau décret n'apporterait cependant aucun droit supplémentaire. Il faut plutôt agir au niveau communautaire. La France a donc lancé des travaux pour modifier le droit de la concurrence européen, en particulier pour ce qui concerne le lait. Si ce « paquet lait » est voté, il permettra aux producteurs de se regrouper en organisations non commerciales, sans mandat de gestion, dans la limite où ils ne dépassent pas 3,5 % de la production laitière communautaire et un tiers de la production nationale. Pour la France, cela représente 5 millions de tonnes de lait sur une production nationale de 25 millions de tonnes, soit l'équivalent de la production de toute la Bretagne. Vous imaginez le poids commercial qu'aurait un tel regroupement face à la grande distribution.

La proposition de loi de aborde un autre grand problème : les prix alimentaires. Le Gouvernement a pris ce sujet à bras-le-corps et il considère que le texte d'André Chassaigne ne constitue pas la bonne réponse.

D'une part, cette proposition de loi méconnaît la réalité du marché.

Cette réalité est caractérisée par une concurrence mondiale et européenne de plus en plus farouche. Mais la France n'est pas une île, monsieur Chassaigne ! On ne peut pas définir systématiquement un coefficient multiplicateur et un prix plancher. Et l'on ne pourra pas empêcher la grande distribution d'aller s'approvisionner ailleurs, en Espagne ou au Maroc.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Non seulement on ne peut pas l'en empêcher, mais votre système incitera la distribution à accorder systématiquement la préférence aux produits importés, au détriment des produits français. Ce n'est pas ce que nous voulons.

En plus de favoriser l'importation de produits étrangers, le prix plancher risque de pénaliser les produits français à l'exportation. Je vous rappelle que notre agriculture enregistre un solde commercial positif de 7 milliards d'euros.

D'autre part, si le coefficient multiplicateur permet de limiter la hausse du prix de vente au consommateur, il ne permet pas de faire remonter le prix d'achat au producteur.

Si l'objectif de votre proposition de loi était de limiter les marges de la grande distribution, le coefficient multiplicateur pourrait, à la limite, être une bonne option. Mais si l'objectif est, comme je le crois, de redonner du revenu aux producteurs, le coefficient multiplicateur est un miroir aux alouettes, car il ne garantit pas le relèvement mécanique du prix à la production.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Vous n'avez pas lu les articles de la proposition de loi ! Il faut lire un texte avant d'en parler !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

J'ajoute que nous avons mis en place, avec la loi de modernisation agricole de 2010, un mécanisme analogue : les enseignes se sont en effet engagées à contenir leurs marges en périodes de crise sur les fruits et les légumes frais.

Enfin, votre texte n'est pas conforme au droit communautaire. L'article 3 de la proposition de loi entend instituer une conférence annuelle décidant, par produit, la fixation d'un prix plancher d'achat aux producteurs. Monsieur Chassaigne, j'ai bien compris que vous souhaitiez lier les articles 2 et 3, le coefficient multiplicateur et le prix plancher. Mais à partir du moment où les dispositions de l'article 3 sont contraires au droit communautaire, mes propos précédents sont cohérents. Vous pouvez toujours souhaiter l'établissement d'un prix plancher, dès lors qu'il est juridiquement impossible de le mettre en place, le coefficient multiplicateur seul ne répond pas au problème posé. Ne doutez pas que j'ai bien lu votre texte, j'en ai même à peu près compris la cohérence. Il reste que le droit communautaire qui interdit les ententes sur les prix empêche de créer la conférence annuelle que vous appelez de vos voeux.

J'en profite pour aborder un autre grand sujet, car l'encadrement des prix n'est pas le seul moyen d'améliorer le revenu des producteurs. La preuve en est que nous n'avons pas attendu votre proposition de loi pour agir tous azimuts afin que les prix agricoles remontent. Nous commençons d'ailleurs à obtenir des résultats.

Votre texte pèche parce qu'il ne prend pas en compte des éléments essentiels qui permettraient de faire remonter les prix agricoles. Ainsi, vous négligez les coûts de production. Il faut faire des choix économiques, et le premier de ces choix porte sur la compétitivité qui passe d'abord par la maîtrise des coûts de production, et notamment du coût du travail. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé d'alléger considérablement le coût du travail occasionnel dans l'agriculture française et, il y a quelques jours, de réduire celui du travail permanent dans ce secteur d'un euro de l'heure au 1er janvier 2012. Il convient ensuite d'améliorer l'organisation économique des filières, car la compétitivité n'est pas l'affaire des seuls producteurs, c'est également celle de chacun des maillons de la filière. Enfin, nous devons insister sur la qualité, qui doit encore monter en gamme, car nous savons que les consommateurs sont prêts à payer plus cher quand la qualité est là.

Le deuxième choix, c'est celui de l'exportation. Il faut en effet aller chercher la richesse là où elle se trouve, c'est-à-dire sur notre marché intérieur certes, mais aussi sur les marchés extérieurs, ceux des pays en voie de développement. Pour cela, il faut une véritable politique d'exportation. Elle existe déjà dans le secteur des céréales et se met en place dans le secteur de la viande bovine : si, aujourd'hui, les prix de la viande bovine remontent, c'est parce que le Président de la République et le ministre de l'agriculture se sont battus pour ouvrir un certain nombre de marchés à l'exportation ; je pense à la Turquie, au Kazakhstan ou à l'Afrique du Nord. Si nous sommes redevenus la première viticulture au monde, c'est parce que nous avons gagné des parts de marché à l'export grâce à la restructuration de nos filières et au regroupement des interprofessions.

Le troisième choix pour améliorer le revenu des producteurs, c'est celui de la régulation des marchés. Vous connaissez la position du ministre de l'agriculture sur ce sujet : la libéralisation totale des marchés agricoles est une folie économique qui entraînerait la disparition de milliers d'exploitations à la première difficulté venue. Bruno Le Maire continuera donc de se battre pour la régulation des marchés. Il estime que nous avons eu gain de cause sur le principe, mais que, sur les modalités, nous devons aller plus loin que les propositions actuelles de la Commission. Le Gouvernement se battra pour cela.

Tels sont, monsieur le rapporteur, les quelques éléments de réponse que Bruno Le Maire souhaitait vous apporter, pour vous montrer qu'une autre politique est possible : celle que nous menons actuellement. Cette politique permet en effet d'améliorer le niveau de vie de nos agriculteurs et de conserver notre compétitivité sans pour autant mettre en place, comme vous le suggérez, des prix totalement encadrés et administrés. Ces techniques-là n'ont jamais fait la preuve de leur efficacité. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'opposera à votre proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-George Buffet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, aujourd'hui, en France, des hommes et des femmes ne peuvent pas manger à leur faim ni se nourrir de produits de bonne qualité, car les prix sont trop élevés et leur pouvoir d'achat est en berne. À l'autre bout de la chaîne, des agriculteurs subissent l'exploitation des groupes de la grande distribution, de sorte que, souvent, ils ne parviennent même pas à gagner l'équivalent d'un SMIC.

Pendant ce temps, ainsi que l'annonçait Le Figaro du 21 février dernier, « les dividendes du CAC 40 battent des records ». En atteignant 40 milliards d'euros, les dividendes versés en 2011 ont en effet été supérieurs de 13 % à ceux versés l'année précédente et ont même dépassé ceux versés en 2007, avant le début de la crise. En revanche, les salaires, eux, stagnent : en euros constants ceux des ouvriers ont progressé, sur la même période, de 0,1 % et ceux des employés de 0,3 %. Cela ne permet pas à une personne payée au SMIC de remplir ne serait-ce que le quart d'un caddie supplémentaire. Quant au chômage, il explose. Les derniers chiffres sont tombés ce mardi : plus de 2,8 millions d'hommes et de femmes sont au chômage et 4,5 millions de personnes ont une activité tellement réduite qu'elle est assimilée au chômage. Une telle situation ne s'était pas produite depuis dix ans.

Les minima sociaux – qui ne relèvent pas l'assistanat : ce sont des droits – sont en baisse. Selon le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, le pouvoir d'achat du RMI, remplacé depuis par le RSA, était, en 2009, 25 % moins élevé qu'en 1990. Actuellement, le RSA socle est de 460 euros par mois. Comment se nourrir avec si peu ? Les autres minima et prestations ont suivi la même trajectoire : moins 25 % pour l'AAH et moins 20 % pour le minimum vieillesse. Pour 2012, le Gouvernement vient de limiter leur augmentation à 1 %, ce qui équivaut à une baisse, compte tenu de l'augmentation des prix.

Plus de 9 millions de personnes, soit 13,5 % de la population, vivent sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 950 euros par mois. Des millions de personnes sont contraintes de vivre avec le SMIC, c'est-à-dire 1 093 euros par mois. Des salariés de Carrefour – la fameuse enseigne de grande distribution – que j'ai rencontrés il y a deux heures m'ont indiqué qu'ils étaient toujours au SMIC après 34 ans de présence dans cette entreprise. Une fois le loyer payé, il leur reste d'autant moins pour vivre qu'étant au SMIC, ils n'ont droit à aucune aide.

Nous avons donc affaire à une véritable crise du pouvoir d'achat : les revenus baissent et la solidarité nationale est amoindrie, tandis que les prix ne cessent de monter. Ainsi les prix à la consommation ont progressé en moyenne de 2,4 % depuis octobre 2010. La hausse est de 3,4 % pour les prix alimentaires et même de 3,7 % hors produits frais. Les prix du lait et de la crème ont crû de près de 4 %. Le prix de la volaille a bondi de 9 % et celui des huiles et margarines de 10,5 %. La facture ne cesse de s'alourdir, au moment même où les revenus diminuent.

Les familles sont contraintes de se serrer la ceinture, à tel point que, selon l'observatoire national de la pauvreté, une personne sur cinq vivant sur notre territoire sous le seuil de pauvreté est en situation d'insécurité alimentaire. Dans son dernier rapport, la Défenseure des enfants a souligné les carences dont souffrent ces derniers. Les bénévoles du Secours populaire, des Restos du coeur, de la Croix-Rouge voient, chaque jour, affluer de nouvelles familles, des jeunes, des personnes âgées. Ils n'ont plus assez de stocks pour répondre à cette demande croissante ; ils n'arrivent plus à faire face. L'action des grandes associations a permis d'obtenir le maintien du programme d'aide alimentaire européen, mais combien de temps durera ce sursis ?

La hausse des prix alimentaires n'est pas liée au hasard. Elle est due en grande partie à la spéculation internationale, qui se développe sur les matières premières agricoles et provoque la flambée des cours. Mais elle découle aussi largement des marges que s'accaparent les grandes surfaces, au détriment des consommateurs et des agriculteurs : un kilo de prunes est aujourd'hui acheté aux producteurs 1,20 euro et revendu au consommateur à 2,60 euros ; acheté 45 centimes, le kilo de tomates se retrouve sur les étals à environ 2 euros.

Les gouvernements de droite qui se sont succédé ne sont pas étrangers à cet état de fait. Ils ont en effet encouragé la libéralisation du commerce, à Bruxelles comme à l'OMC, et contribué à renforcer le caractère inégalitaire de la PAC en la mettant davantage encore au service des gros propriétaires terriens.

En outre, ainsi que l'a rappelé mon collègue André Chassaigne, c'est cette majorité qui a aggravé la dérégulation des relations commerciales entre les agriculteurs et la grande distribution. Cette politique a été prétendument pensée pour faire baisser les prix. Mais, on le voit bien, ceux-ci grimpent et plombent le pouvoir d'achat des consommateurs. Les revenus des agriculteurs baissent et la pauvreté se développe dans les campagnes. Les salaires et les conditions de travail des employés de la grande distribution se dégradent. L'imposture apparaît au grand jour quand on regarde l'explosion des profits des multinationales de la grande distribution : ne serait-ce qu'entre 2009 et 2010, le résultat net de Carrefour a progressé de 437 à 568 millions d'euros. En réalité, cette politique a été conçue, non pas pour nos concitoyens, mais pour les actionnaires de ces grands groupes. Le comble du cynisme est atteint quand ces multinationales de la grande distribution se présentent comme les championnes du pouvoir d'achat, les vrais remparts face à la crise. Car, si elles font des promotions, c'est en pressurant leurs fournisseurs et leurs salariés.

Les majorités de droite partagent avec ces multinationales la responsabilité de la baisse du pouvoir d'achat des ménages. Le Président de la République ne restera pas dans l'histoire comme celui du pouvoir d'achat, mais comme l'un de ceux qui ont le plus aidé les plus grandes fortunes au cours des dernières décennies.

Après-guerre l'idée s'était imposée que le progrès social passe par l'accomplissement de la personne, grâce à l'accès à la culture, aux loisirs et aux vacances. Aujourd'hui, la régression de civilisation imposée par la droite est telle que des millions de gens n'ont plus désormais en tête que ces questions : « Comment finir le mois ? Comment nourrir les enfants ? »

L'heure est donc venue de mettre fin à ce système. Face à l'urgence, cette proposition de loi prévoit un encadrement des prix alimentaires et vise à créer de nouvelles relations entre les agriculteurs et les grandes surfaces pour rendre possible une autre répartition des richesses. Elle est donc porteuse d'améliorations concrètes et immédiates pour la vie de nos concitoyens.

Pour garantir des revenus décents aux agriculteurs, le texte propose de fixer un prix minimum indicatif pour chaque type de production et un plancher pour les prix d'achat aux agriculteurs. Ainsi les grandes surfaces ne pourraient plus imposer aux agriculteurs de vendre à perte. Les filières locales seraient renforcées, la qualité privilégiée et il serait mis un terme aux logiques qui conduisent à l'appauvrissement de nos campagnes au nom des profits.

Pour protéger les consommateurs, il est proposé de limiter les marges des intermédiaires, en fixant un coefficient multiplicateur qu'ils ne pourront pas dépasser. Non seulement il serait possible de manger mieux, mais les produits seraient moins chers. C'est la meilleure réponse que l'on peut apporter au développement de l'insécurité alimentaire et le meilleur moyen de rendre possible pour tous et toutes une alimentation non seulement suffisante, mais aussi diversifiée.

Mais cette proposition de loi est aussi une invitation à faire d'autres réformes portées par le Front de gauche. Le problème du pouvoir d'achat, c'est en effet tout autant celui de l'emploi et des salaires que celui des prix. Il faut donner de nouveaux droits aux salariés pour qu'ils puissent dire non à la spéculation et proposer des plans de développement de leur outil de travail. Il faut refonder le crédit, pour favoriser les entreprises qui créent des emplois bien rémunérés, qui investissent dans la recherche et le développement durable. Il faut plafonner les hauts salaires, revaloriser le SMIC et réformer la fiscalité pour la rendre juste et efficace. Ces propositions de bon sens formulées par le Front de gauche rendent nécessaire non seulement le vote de cette proposition de loi, mais aussi une véritable alternative en 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Cosyns

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'ambition de cette proposition de loi est noble : « protéger les producteurs et les consommateurs », « garantir aux producteurs et aux consommateurs un prix de vente, pour les uns, et d'achat, pour les autres, juste ». Nous partageons tous, ici, ces préoccupations. Néanmoins, la méthode proposée par notre collègue André Chassaigne pour garantir ce « prix juste » est irréaliste et, je le dis d'emblée, va à l'encontre du droit communautaire. Cette proposition de loi se présente comme une réponse à la crise, mais les solutions qu'elle préconise sont inadaptées, voire contre-productives.

Nous le savons tous, le secteur agricole a connu une crise majeure, dont il sort peu à peu. Cette crise a été marquée par une baisse sans précédent du revenu des agriculteurs, de 20 % en 2008 et de 34 % en 2009. Face à cette situation dramatique, le Gouvernement est intervenu pour venir en aide aux exploitations les plus fragiles et aux agriculteurs les plus touchés par la crise. Cette action a permis de redresser la situation : en 2010, la tendance s'est progressivement inversée en faveur des agriculteurs, dont les revenus ont connu une hausse significative.

Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le rapporteur, si le revenu agricole s'est redressé en 2010, c'est avant tout grâce au plan d'urgence de 1,8 milliard d'euros mis en oeuvre par le Président de la République et le Premier ministre. C'est également parce qu'ils sont intervenus auprès de la Commission européenne pour dégager 300 millions d'euros pour la filière du lait et, enfin, parce que notre majorité a décidé d'exonérer de toutes charges sociales et patronales le travail saisonnier dans le secteur des fruits et légumes de l'agriculture française. C'est ainsi que nous avons concrètement répondu à la crise agricole. Force est de constater que, malgré les contraintes qui pèsent sur notre budget, nous n'avons jamais laissé tomber nos agriculteurs.

Au-delà de ces mesures immédiates, nous avons pleinement conscience que la question du revenu des producteurs est structurelle. Nous croyons, comme vous, monsieur le rapporteur, que les éleveurs et les agriculteurs doivent pouvoir être rémunérés à la hauteur de la qualité de leurs productions et en tirer un revenu qui leur permette de vivre décemment. En la matière, reconnaissons que les choses ne sont pas satisfaisantes. Nous sommes frappés par les écarts entre les prix de vente des productions par les éleveurs et les prix en rayonnage. Nous avons été nombreux à dénoncer les marges excessives de la grande distribution sur certains produits. De ce point de vue, le constat que vous dressez est juste : la grande distribution ne joue pas le jeu ! C'est donc bien parce que nous avons fait de la question des prix et des marges une priorité, que nous avons installé un observatoire de la formation des prix et des marges.

Cet observatoire est un instrument d'équité et de justice au service des producteurs agricoles et un outil de transparence pour les ménages français. Je crois que l'on peut rendre hommage au Gouvernement pour cette initiative qui, vous l'avouerez, nous est aujourd'hui bien utile, puisqu'elle permet de poser le débat.

Si nous partageons votre diagnostic, en partie corroboré par les travaux de l'observatoire que la LMA a mis en place, nous refusons tout discours simpliste, voire démagogique, qui consisterait à faire de la grande distribution le bouc émissaire de la crise.

À cet égard, rappelons que les prix alimentaires sont particulièrement complexes à appréhender. Je donnerai un seul exemple, celui des productions animales, qui font l'objet de nombreuses transformations, répercutées sur les prix en rayon. La décomposition de la chaîne des prix est, de ce point de vue, extrêmement importante : pour la viande, il faut prendre en compte la part de l'éleveur, de l'abatteur-découpeur, de la grande distribution ainsi que la TVA reversée à l'État.

Si nous considérons, comme vous, que les marges excessives sont inacceptables, nous regrettons que votre constat aboutisse à des propositions qui, permettez-moi de le dire, ne sont pas crédibles. Premièrement, vous nous proposez d'avoir recours à un coefficient multiplicateur pour l'ensemble des produits agricoles et agro-alimentaires. Comme vous le savez, ce mécanisme existe déjà : l'article L. 611-4-2 du code rural autorise en effet, en période de crise conjoncturelle, la possibilité d'instaurer un coefficient multiplicateur encadrant les marges des fruits et légumes périssables.

Mais votre texte va plus loin, puisqu'il prévoit d'étendre le coefficient multiplicateur, qui concerne aujourd'hui les fruits et légumes, à l'ensemble des produits agricoles et agroalimentaires ; de renforcer sa portée contraignante en ne le limitant pas aux périodes de crises conjoncturelles ; enfin, de supprimer la limitation de trois mois pour son application.

Vouloir étendre le coefficient multiplicateur n'est pas une proposition nouvelle : l'opportunité de généraliser ce mécanisme a déjà fait l'objet d'un examen, principalement dans le cadre des débats sur la LMA. Cette piste n'a pas été retenue, et ne peut être retenue pour une raison très simple : l'imposition aux enseignes d'un coefficient comporte le risque que lesdites enseignes se détournent du produit au bénéfice d'un produit dont les conditions de vente ne seraient pas encadrées.

Deuxièmement, vous proposez d'établir un prix minimal d'achat aux producteurs. Celui-ci prendrait en compte l'évolution des coûts de production et des revenus des producteurs et serait négocié annuellement, pour chaque produit. Vous proposez également que cette négociation se déroule lors d'une conférence qui rassemblerait tous les acteurs d'une même filière, depuis les organisations paysannes jusqu'aux associations de consommateurs, en passant par la distribution.

Je tiens à faire deux remarques. D'une part, l'instauration d'un prix plancher pour les produits français conduirait à ce que, sur les étals du supermarché, le consommateur soit confronté à des produits français plus chers que les produits venant d'ailleurs. D'autre part, une telle mesure serait anti-communautaire. En effet, elle constituerait une aide aux producteurs et serait, à moins que cela ne s'applique qu'aux producteurs français, contraire au droit du commerce international.

Vous prenez le soin de préciser que ce « prix serait indicatif ». Certes, mais je ne vois pas quel serait l'intérêt de ce prix indicatif. S'il s'agit d'éclairer chacun des acteurs de la filière sur les coûts de production de chacun des maillons, l'observatoire de la formation des prix et des marges joue déjà ce rôle ; d'autre part, les travaux de l'observatoire permettent déjà de mieux comprendre les besoins de chacun des acteurs en termes de prix et leurs possibilités en termes de rémunération ; enfin, en rassemblant l'ensemble des acteurs de la filière, l'observatoire permet un partage de cette information et une meilleure connaissance des réalités auxquelles font face tous les maillons. En conclusion, monsieur le rapporteur, votre constat est juste, votre ambition également, mais vos propositions demeurent inadaptées.

Enfin, le Gouvernement n'a pas attendu cette proposition de loi pour se préoccuper de la question des revenus agricoles ou s'emparer de celle des prix et des marges dans la grande distribution. Nous avons mis en oeuvre plusieurs mesures essentielles visant à permettre un juste partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de production, au bénéfice des producteurs et des consommateurs.

Cette stratégie écarte la logique des prix administrés, qui n'est pas autorisée par le droit et, qui plus est, serait contre-productive. Avec un tel mécanisme, comment nos paysans iraient-ils conquérir des marchés à l'export, en Chine ou en Russie, c'est-à-dire là où se trouve un fort potentiel de croissance ?

Par ailleurs, la LMA a permis d'assurer une plus grande visibilité sur les revenus des producteurs grâce à la contractualisation. Elle a également favorisé un meilleur encadrement des pratiques commerciales et renforcé le pouvoir de négociation des organisations de producteurs. Certes, il reste des problèmes à résoudre, mais la LMA est un texte relativement récent, qui fera ses preuves.

En outre, plusieurs accords volontaires ont été mis en place, afin d'assurer une meilleure prise en compte des fluctuations du marché. Je ne vais pas vous les citer, monsieur le rapporteur, vous les connaissez aussi bien que moi, sinon mieux. Vous comprendrez que c'est au travers de ces accords que nous entendons que la grande distribution joue le jeu : aussi les distributeurs qui ne respectent pas ces accords se verront-ils appliquer une taxe additionnelle à la taxe sur les grandes surfaces commerciales.

Je terminerai en évoquant l'action du Gouvernement au niveau européen, où la France défend le renforcement de l'encadrement des marchés agricoles dans le cadre de la future PAC. Vous devez le reconnaître : nous menons aux côtés du Gouvernement une action courageuse en faveur des agriculteurs et des consommateurs. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP ne soutiendra pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Je serai bref, monsieur le président, car je sais bien que le temps de chacun est compté. Je tiens cependant à souligner que j'ai ressenti, à l'écoute des interventions de M. le secrétaire d'État et de M. Cosyns, l'impression d'un décalage complet, un décalage proprement époustouflant avec la réalité vécue par les paysans sur nos territoires.

Quand vous parlez de la contractualisation, mise en oeuvre dans le cadre de la loi de modernisation agricole, vous semblez faire abstraction du fait que, de l'avis de l'ensemble des organisations syndicales agricoles, cette contractualisation ne marche pas ! En réalité, c'est un échec complet, et je vous mets au défi de donner les chiffres de ce dispositif ! Dans certains secteurs, tel le secteur laitier, les contrats ne sont tout simplement pas signés ! Parce que la réglementation l'exige, les laiteries envoient des contrats tout prêts aux exploitants agricoles, mais ça s'arrête là ! C'est un jeu de dupes, vous ne pouvez le nier !

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

De même, quand vous évoquez l'accord du 3 mai sur la volatilité des cours – qui ne comportait d'ailleurs qu'un engagement tout à fait théorique –, vous semblez oublier qu'il s'est traduit, l'été dernier, par une hausse des prix des fruits et légumes ! Allez donc dire, par exemple, aux producteurs de fruits et légumes du sud-ouest, que cet accord a eu un résultat positif ! Cette année, il a eu au contraire des conséquences terribles pour la profession : l'arrêt de certaines exploitations avec, parfois, des exploitants poussés aux dernières extrémités – des suicides ont été déplorés. Comment pouvez-vous tenir, à la tribune de notre assemblée, des propos tellement décalés par rapport à la réalité du terrain, par rapport à ce que disent la profession agricole et les syndicats ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Pour ce qui est du coefficient multiplicateur, je m'étonne d'entendre M. le secrétaire d'État se plaindre de l'inefficacité de ce dispositif. Si le coefficient multiplicateur est inefficace, pourquoi un ministre de l'agriculture et des parlementaires de votre majorité l'ont-ils inscrit dans la loi en 2005 ?

Il y a là, je ne crains pas de le dire, une forme de schizophrénie ! D'un côté, on inscrit dans la loi le principe du coefficient multiplicateur, de l'autre, on affirme qu'il n'est pas applicable ! Si tel est le cas, faites preuve de courage et retirez-le de la loi ! En tout état de cause, il faut trouver une solution. Ma proposition de loi n'est pas parfaite, j'en conviens…

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Ah !

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

…mais elle a au moins le mérite de proposer des solutions à un problème qui n'en a aucune pour le moment – tout au moins, aucune de celles qui ont été essayées n'a marché pour le moment.

Parmi les dispositions de notre proposition de loi, l'une au moins devrait faire l'unanimité : la conférence annuelle, car elle est réclamée par tous. Les différents acteurs de la filière agricole – producteurs, centrales d'achat, transformateurs, grande et petite distribution, restauration collective, et caetera – ne se parlent pas assez. De ce point de vue, la mise en place de l'observatoire des prix et des marges a été une excellente décision. Certes, il commence à peine à fonctionner, et les résultats obtenus jusqu'à présent ne sont pas parfaits. Mais ne perdons pas de vue que cet outil sert avant tout à faire des radioscopies : il permet de prendre la mesure, à un moment donné, de la hausse ou de la baisse des prix, ou de la réalité des marges.

Sans doute la lecture des valeurs fournies par l'observatoire va-t-elle s'affiner avec le temps. Mais il faudrait surtout essayer de l'utiliser pour d'autres applications, par exemple la détermination du coût d'une production, en tenant compte de toutes les charges de fonctionnement, de toutes les cotisations que les agriculteurs doivent payer avant de fixer un prix permettant un revenu. Il faut cesser d'amuser les agriculteurs, de les balader ! Ce que tout le monde attend, c'est une véritable mise en application des conclusions que fournit l'observatoire des prix et des marges ! Il nous faut des actes !

À cet égard, vous pourriez au moins retenir la conférence annuelle, unanimement attendue. Sans doute êtes-vous gêné par le fait que cette proposition provienne d'un député de l'opposition. Toujours est-il que la revendication monte de partout ! Lors de toutes les auditions auxquelles j'ai procédé, face à toutes les personnes que j'ai rencontrées, j'ai toujours entendu la même chose : nous voulons la conférence annuelle ! J'ose donc espérer que vous voterez au moins l'article 2 de notre proposition de loi, prévoyant la mise en oeuvre de cette conférence annuelle.

Pour ce qui est de l'article 3, votre analyse était juste, monsieur le secrétaire d'État. Lors de la réunion de la commission, plusieurs intervenants ont relevé, comme vous, que la rédaction de cet article posait un problème de compatibilité avec la réglementation européenne. Nous avons donc réfléchi à une nouvelle rédaction qui permettrait de lever cette incompatibilité. Bien sûr, je ne prétends pas qu'au niveau européen, les choses vont être acceptées telles quelles, et sans doute des négociations seront-elles nécessaires. Mais ne soyons pas trop pessimistes ! On a bien su lever les obstacles au sujet du prix des énergies renouvelables, ou encore des livres : dans ce domaine, les prix sont désormais fixés par décision de l'État. Pourquoi ce qui a été possible pour l'énergie et pour cette nourriture intellectuelle que sont les livres ne le serait-il pas pour les produits alimentaires ? Nous l'avons fait pour l'énergie, bien commun de l'humanité et exigence première de la vie ; nous l'avons fait pour les livres, qui permettent l'accès du plus grand nombre à la culture. Dès lors, pourquoi ne serions-nous pas capables de le faire pour ce bien élémentaire qu'est l'alimentation ? C'est une question de volonté politique mais aussi, tout simplement, d'humanité. Et il me semble que, lorsque se pose une question d'humanité, on peut faire preuve de volontarisme politique.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je veux répondre, sur quatre points, à ce que vient de dire M. le rapporteur.

Premièrement, vous nous expliquez que la contractualisation ne marche pas. Je vous ai pourtant cité un exemple, celui de l'agneau, où la contractualisation a prouvé son efficacité. De même, les contrats sont en voie de conclusion pour toute la filière lait…

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

..et devraient être signés dans les semaines à venir. Tous les grands groupes ont proposé des contrats, et vous pourrez vous-même en constater le résultat très prochainement, monsieur le rapporteur. Ne soyez pas impatient, vous verrez très bientôt que cela fonctionne vraiment !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Je parie bien volontiers que cela va marcher, monsieur le rapporteur.

Deuxièmement, vous affirmez que l'accord du 3 mai n'a pas fonctionné, l'été dernier, au sujet des fruits et légumes. À vrai dire, cela n'est guère étonnant, puisque l'accord du 3 mai ne s'applique qu'à la filière viande !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

C'est tout simplement la vérité, monsieur le rapporteur !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Si vous considérez qu'un accord sur la production de viande bovine est une coquille vide, c'est votre droit, mais je ne suis pas sûr que l'ensemble des producteurs de cette filière soient d'accord avec vous !

Troisième élément : vous nous dites qu'il faut appliquer un coefficient multiplicateur. J'ai déjà évoqué ce point dans mon intervention. L'objet même de votre proposition de loi est d'améliorer le revenu des agriculteurs. Mais le coefficient multiplicateur n'aura aucun impact à cet égard. Il peut en avoir un sur les prix payés par le consommateur, donc sur le pouvoir d'achat.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Mais, si mes souvenirs sont bons, votre proposition de loi n'a pas vocation à agir sur le pouvoir d'achat, mais à améliorer les revenus des agriculteurs. Le coefficient multiplicateur, je le répète, n'aura donc aucun impact en la matière.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Il nous semble que la réponse apportée par le Gouvernement, via l'observatoire, sera bien plus efficace.

Enfin, s'agissant de la conférence annuelle, je me contenterai de répéter ce que j'ai dit, car nous y reviendrons dans quelques instants lorsque nous examinerons votre amendement. Ce que vous préconisez à l'article 3 n'est pas conforme au droit communautaire. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'opposera bien évidemment à cet article 3, y compris à sa nouvelle rédaction proposée par votre amendement.

Monsieur le président, en application de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Sur l'article 3, je suis saisi d'un amendement n° 1 .

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Cet amendement résulte des différentes rencontres et des échanges que j'ai pu avoir, des auditions auxquelles j'ai assisté et du débat particulièrement constructif que nous avons eu en commission des affaires économiques. Nous avons donc choisi de ne pas évoquer, dans cet article 3, le prix plancher, mais de fixer des indicateurs s'appuyant sur les coûts de production et sur le niveau de l'inflation. Ces indicateurs serviraient de base aux négociations interprofessionnelles. Bien évidemment, l'ensemble des syndicats agricoles et les associations de consommateurs seraient conviés à participer à cette conférence.

Par ailleurs, cet article s'oppose à la vision réductrice que vous avez de cette proposition de loi, car celle-ci ne traite pas seulement de l'outil qu'est le coefficient multiplicateur, mais tend à garantir les prix à la production. La conférence annuelle a justement pour objet de tenir compte de l'ensemble des niveaux de la filière et des coûts de production. J'ajouterai même que c'est une question prioritaire. Il est facile d'obtenir, aujourd'hui, des indicateurs par le biais d'organismes de gestion. Ces nombreux indicateurs doivent pouvoir servir de base à une référence, répondant à l'exigence des agriculteurs qui veulent vivre de leur travail.

J'anticipe, en défendant cet amendement, les propos que vous allez tenir. Vous considérez, en effet, que cet article est incompatible avec la réglementation européenne et que cette proposition de loi ne répond pas aux attentes des agriculteurs. Il est vrai qu'elle a une caractéristique : contrairement à ma précédente proposition de loi, elle ne concerne pas seulement les agriculteurs et leur niveau de vie, mais également les consommateurs. Il n'y a absolument pas d'incompatibilité entre les uns et les autres. Bien au contraire ! J'ai tenté de démontrer que des mécanismes existent qui permettent de satisfaire les uns et les autres.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Je ferai quelques commentaires pour justifier l'avis défavorable – j'en suis désolé – du Gouvernement sur votre amendement.

De deux choses l'une : soit votre proposition entend permettre aux interprofessions de définir des indicateurs de marchés. Si tel est votre objectif, vous devez retirer votre amendement. Ce n'est, en effet, pas une avancée législative, car la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche le permet déjà !

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

Si en revanche, parce que vous avez compris que l'article 3 était contraire au droit communautaire, vous voulez parvenir à une forme de convergence des prix, si votre but est donc d'organiser une « référence prix » – et je reprends le terme que vous venez d'utiliser – vous entrez alors directement dans le mécanisme de l'entente sur les prix, entente à laquelle le droit communautaire s'opposera bien évidemment.

Telles sont les deux raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Je suis surpris !

(Le vote sur l'amendement n° 1 est réservé.)

(Le vote sur l'article 3 est réservé.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous avons achevé l'examen des articles de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienBenoist Apparu, secrétaire d'état chargé du logement

En application de l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, le Gouvernement demande à l'Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles, à l'exclusion de l'amendement, et sur l'ensemble de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

C'est l'application du règlement et de la Constitution, j'en suis navré !

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition, auront lieu le mercredi 7 décembre, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de Mme Martine Billard et plusieurs de ses collègues portant sur l'accessibilité universelle pour les personnes en situation de handicap. (3853).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, en adoptant la loi du 11 février 2005, la France n'a fait que rattraper un retard accumulé depuis des décennies dans le domaine du handicap.

Au-delà de ses manques, la loi du 11 février 2005 dispose que « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». Cette définition assez large des obstacles à l'accessibilité aurait dû permettre de répondre à la plupart des problèmes rencontrés dans ce domaine.

Aussi la loi du 11 février 2005 a-t-elle suscité des attentes qui, malheureusement, sont en grande partie restées lettre morte. L'objectif n'était-il pas d'assurer « l'accès à tout pour tous » ? De même, la réglementation devait s'articuler autour de trois éléments : le repérage, l'atteinte et l'usage. Nous sommes, aujourd'hui, très loin du compte et la proposition de résolution que nous vous soumettons a pour objet de donner l'impulsion nécessaire afin de rendre effective la loi du 11 février 2005.

Je tiens à vous rappeler que la notion d'accessibilité est reprise dans la loi dite «Grenelle 1» comme faisant partie intégrante de la notion de développement durable. Ainsi, dans son article 3, l'accessibilité est classée parmi les objectifs à prendre en compte systématiquement pour satisfaire l'objectif de développement durable. L'accessibilité est donc bien une dimension essentielle des politiques à mener en faveur des personnes en situation de handicap. En effet, l'accessibilité est un préalable qui permet l'autonomie et la participation à la vie sociale des personnes en situation de handicap. L'accessibilité doit répondre aux différentes attentes des personnes concernées afin de supprimer le fossé existant entre les capacités des personnes, leurs besoins et l'environnement dans lequel elles sont amenées à évoluer. Il est donc indispensable que toute personne puisse se déplacer et accéder librement et en toute sécurité à tous les lieux, services et activités. C'est seulement si ces différents éléments sont réunis que nous pourrons atteindre l'objectif d'universalité qui doit conduire la démarche de la représentation nationale et des pouvoirs publics envers les personnes en situation de handicap.

Or la réalité sur le terrain est assez éloignée des principes retenus par les différents textes – lois, décrets, arrêtés... – particulièrement pour ce qui concerne le bâti et les moyens de transport. L'adaptation des établissements recevant du public, des lieux de travail, des logements collectifs n'a pas avancé au rythme fixé par la loi. La mise en conformité de la voirie, des espaces publics – jardins, parkings, trottoirs… – et des transports publics – métro bus train, tram – est loin d'être satisfaite et le délai de dix ans fixé en 2005 ne sera, à l'évidence, pas tenu en 2015 si les pouvoirs publics, madame la secrétaire d'État, ne mènent pas une politique très volontariste. En ce sens, l'annonce d'un renvoi à une date ultérieure qui semble se profiler serait un très mauvais signe qui conduirait immanquablement à une démobilisation de l'ensemble des acteurs, qu'ils soient publics ou privés.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

Qui plus est, le Gouvernement a déjà tenté à quatre reprises de mettre en place des dérogations aux dispositions législatives et réglementaires. À chaque fois, et j'insiste, madame la secrétaire d'État, le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel et la vigilance du mouvement associatif ont bloqué ces mauvais coups, au moins pour un temps. Il reste qu'une partie de ces dérogations sera toujours possible par voie réglementaire. Les reculs envisagés concernent, notamment, le domaine de l'accessibilité aux locaux de travail et le bâti neuf. Parallèlement, la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales déposée par le sénateur UMP, M. Éric Doligé, prévoit aussi des dérogations tout aussi inquiétantes.

Debut de section - PermalienPhoto de André Chassaigne

J'espère que Mme la secrétaire d'État nous donnera des assurances que cette proposition restera lettre morte.

Ce n'est pas parce que l'État n'a pas pris les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre et faire respecter la loi qu'il faut baisser les bras et chercher par tous les moyens à la contourner par la voie réglementaire. Les conséquences de tels reculs seraient très importantes, en partie parce que, en règle générale, il est admis qu'un bâtiment a une durée moyenne de plus de soixante-dix ans. C'est dire les conséquences à moyen et long terme qu'aurait une remise en cause des dispositions issues de la loi de 2005 ! Tout le travail législatif et réglementaire de ces dernières années serait ébranlé, alors même que notre pays reste largement en retard au regard des besoins existants.

Une étude de l'INSEE relève qu'un peu plus de 10 % de la population sont en situation de handicap et près de 21 % des personnes vivant dans une habitation sans aménagement particulier déclarent rencontrer des difficultés dans les actes de la vie au quotidien du fait d'un handicap passager ou permanent.

L'accessibilité concerne donc une large fraction de la population. Ainsi, on l'oublie souvent, elle bénéficie aux personnes âgées qui peuvent être en situation de handicap. Le nombre de personnes de plus de quatre-vingt-cinq ans n'a cessé d'augmenter pour bientôt atteindre les deux millions et sans doute plus dans les décennies à venir. C'est donc un élément – un élément nouveau – que nous devons prendre en compte.

Les aménagements réalisés comme les rampes d'accès, la sonorisation des véhicules de transport public, l'abaissement des bordures de trottoir sont bien souvent aussi utiles à tous et rappellent aux citoyens que les situations de handicap font partie des réalités de la vie. Nous devons aussi prendre en compte cette dimension, qui va au-delà des seules personnes en situation de handicap. C'est d'autant plus important que, toujours selon l'INSEE, 48 % des personnes interrogées en 2001 déclaraient avoir une ou plusieurs déficiences. La question de l'accessibilité touche donc une grande partie de la population.

La mise en oeuvre pour le moins chaotique de la loi du 11 février 2005 nous a donc amenés à vous soumettre cette résolution en forme de piqûre de rappel. L'adopter serait un signal fort à l'adresse des différents niveaux de décideurs, les pouvoirs publics, le Gouvernement et l'État, les collectivités territoriales, et des acteurs privés tout autant, propriétaires immobiliers, promoteurs, chefs d'entreprises.

La mobilisation de tous ces niveaux de décision est indispensable. Notre rôle de parlementaires est de rappeler à la bonne application de la loi et dans les meilleurs délais. Nous vous donnons l'occasion ici de le faire en faveur des personnes en situation de handicap.

J'ai prononcé ces mots à la place de Martine Billard, qui devait être à cette tribune. J'espère avoir respecté ce qu'elle avait écrit parce qu'elle est extrêmement impliquée dans cette démarche. Je tenais à la saluer à la fin de mon intervention. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Debut de section - PermalienMarie-Anne Montchamp, secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Monsieur le président, mesdames, messieurs, l'objectif de l'accessibilité de tout pour tous est posé par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, que j'ai eu l'honneur de porter dans cet hémicycle il y a six ans. Je me félicite que vous en réclamiez aujourd'hui l'application, puisque la gauche n'avait pas cru bon à l'époque de la voter. On voit que cette loi a permis de faire bouger les lignes, au sens le plus large du terme.

L'accessibilité de tout pour tous à l'horizon 2015, c'est bien l'ambition de la loi du 11 février 2005. Cette ambition est éminemment républicaine. L'adjectif n'est pas galvaudé, puisqu'il ne s'agit ni plus ni moins que de la condition du vivre ensemble pour nos compatriotes handicapés.

Le vivre ensemble, c'est déjà pouvoir se déplacer. C'est la raison pour laquelle la loi prévoit la mise en accessibilité de l'ensemble de la chaîne des déplacements. Le texte concerne à la fois le cadre bâti, les espaces publics, la voirie, les systèmes de transport et leur intermodalité. L'enjeu est d'éliminer tout obstacle, toute rupture dans le cheminement de nos compatriotes handicapés.

Le vivre ensemble, c'est aussi pouvoir accéder aux services, aux nouvelles technologies, à la culture, aux loisirs.

Le vivre ensemble, c'est également concevoir un texte qui prenne en compte tous les handicaps, physiques comme psychiques. C'est ce qu'a fait la loi de 2005.

Vous comprendrez donc, mesdames, messieurs les députés du groupe GDR, que nous soyons un peu étonnés du ton assez comminatoire de votre proposition de résolution. Le Gouvernement et la majorité n'ont en effet pas attendu cette séance pour s'en préoccuper. L'adoption de la loi de 2005, la création de l'observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle – dont la présidence vient d'être acceptée par Philippe Bas, mon prédécesseur, dont l'engagement pour la politique du handicap n'est pas à démontrer –, le dialogue permanent avec les associations représentatives des personnes handicapées, c'est cela agir pour l'accessibilité.

Cette action résolue exige la continuité. Elle a trouvé un nouvel élan avec la conférence nationale du handicap qui a eu lieu le 8 juin dernier. Au cours de celle-ci, le Président de la République a en effet annoncé un effort sans précédent pour l'accessibilité, objectif dont il a réaffirmé le caractère intangible pour 2015.

La proposition de loi Doligé, monsieur Chassaigne, n'est pas inscrite à ce stade à l'ordre du jour du Sénat. Au-delà de cet aspect technique un peu marginal, le Gouvernement s'est d'ores et déjà prononcé contre l'article 1er, qui concerne en effet l'accessibilité.

Debut de section - PermalienMarie-Anne Montchamp, secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Les exemples de la volonté inébranlable du Gouvernement, suivant les propos du Chef de l'État lors de la conférence du handicap, abondent, et je vais en citer quelques-uns qui en sont la meilleure illustration.

C'est le lancement d'un plan pluriannuel de mise en accessibilité des lieux de travail dans les trois fonctions publiques, les écoles du service public et les petites communes, ce qui représente 125 millions d'euros sur trois ans.

C'est un plan d'accessibilité numérique des sites internet de l'État et du Gouvernement, pour 25 millions d'euros ; c'est permettre aux fonctionnaires d'accéder aux logiciels et progiciels avec lesquels ils travaillent au quotidien.

C'est le lancement d'un nouveau service public, le centre national relais des appels d'urgence pour les déficients auditifs, que j'ai eu l'honneur d'inaugurer à Grenoble vendredi dernier. Un nouveau numéro d'urgence national et gratuit, le 114, accessible par fax et par SMS, permet aux personnes sourdes ou malentendantes, victimes ou témoins d'une situation d'urgence, de contacter les services compétents, le 15, le 18 ou le 17, en un seul appel, avec un remarquable suivi et une remarquable présence à leurs côtés pendant ces moments difficiles ; c'est d'ailleurs souvent l'occasion pour elles de porter assistance à des personnes « ordinaires », comme l'on dit dans la politique du handicap.

Dans le prolongement, c'est la mise en place d'une expérimentation des centres relais téléphoniques, qui permettront de rendre accessibles les communications téléphoniques, en temps réel, entre une personne sourde ou malentendante et son interlocuteur entendant, en tenant compte des différents modes de communication utilisés : langue des signes française, langage parlé complété ou modes oralisants.

C'est la mise en place d'un centre de ressources doté d'un site web,www.accessibilite.gouv.fr, pour venir en appui des professionnels car les questions de l'accessibilité ne sont pas linéaires. On parle tellement souvent des rampes d'accès, et c'est important ; mais on voit bien que la question de l'accessibilité ne se résume pas à la hauteur de la marche et suppose que l'on ait une véritable connaissance technique approfondie de ces sujets.

C'est un plan de formation de ces professionnels, notamment à destination des membres des commissions départementales de sécurité et d'accessibilité.

C'est aussi un plan des métiers du handicap, orienté vers le développement des métiers de l'accessibilité et de la conception universelle ; c'est en effet du côté de cette dernière notion que se trouve la clé de l'avenir. Elle est inscrite dans la convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la France.

La conception universelle vise à reconnaître et à respecter toutes les aptitudes humaines, en cherchant une solution commune pour le plus grand nombre. Il s'agit bien d'une démarche inclusive : l'unité dans la diversité, par la participation sociale de tous. La conception universelle, en somme, nous invite à faire société.

Le Gouvernement organise, sous l'égide de l'observatoire interministériel de l'accessibilité, une conférence qui porte précisément sur le thème de la conception universelle, le 9 décembre prochain. Cette conférence mettra en lumière les puissants leviers qui existent derrière ce concept, avec les applications industrielles, les produits et services disponibles, bien sûr, mais également et surtout le progrès social qui peut en découler.

C'est bien par cette approche, en effet, ce nouveau paradigme, qui vise la qualité d'usage et le confort pour tous, comme vous l'avez souligné en évoquant la situation de nos compatriotes vieillissants, que nous devons aborder la question de l'accessibilité et non par une approche qui se réduirait à la stricte question de l'application des normes.

La loi a fixé le cadre, l'objectif intangible, dans lequel s'est inscrit le discours du Président de la République lors de la conférence nationale du handicap le 8 juin dernier. Les solutions pour la mettre en oeuvre doivent être trouvées sur le terrain, par l'ensemble des acteurs concernés. Ce n'est pas la puissance publique qui, du haut d'une tribune, peut décréter en pointant du doigt ou en claquant les doigts que l'accessibilité est en marche dans la société française.

La participation des associations de personnes handicapées dans les différentes instances, aux côtés des acteurs, est déterminante pour favoriser la recherche de solutions. C'est un nouveau partenariat social qui s'esquisse.

C'est ce qui nous a inspirés lors de la création de l'observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle, cette instance aujourd'hui incontournable, qui met autour de la table, entre autres, les associations, les élus, les administrations, les architectes, les professionnels du bâtiment et de la construction.

C'est un partenariat de ce type qui, dans le secteur de l'audiovisuel, que la loi oblige à faire du sous-titrage, a permis de dépasser les objectifs fixés. C'est parce que l'organe de régulation, le CSA, a su construire un partenariat solide, confiant et efficace avec les associations, les chaînes de télévision et les laboratoires de sous-titrage que des progrès remarquables ont pu être réalisés.

Quand on pointe ce résultat, on voit bien en quoi l'objectif pour 2015 est atteignable, mais il exige bien sûr des dépassements, des partenariats, de la volonté et un travail permanent avec les associations.

Mesdames, messieurs, nous en faisons en ce moment même la démonstration, l'accessibilité est une question de premier plan dans le débat politique. Je m'en félicite.

En effet, pour relever le défi de l'accessibilité au sens le plus large, au logement, aux transports, à la culture, au sport, à la santé, aux services, à l'éducation, à l'emploi, les pouvoirs publics ont besoin de la mobilisation de tous. Il n'y a pas, d'un côté, la puissance publique et, de l'autre, une opinion publique qui, en quelque sorte, s'ignoreraient. Il y a, il faut une mobilisation de tous les acteurs. Voilà ce que notre République doit réaliser.

C'est en effet le pacte républicain qui est renforcé lorsque toute la société française se rassemble pour régler des problèmes qui intéressent toute la société.

La politique du handicap est au coeur de ce pacte républicain, car elle réactualise l'exigence d'autonomie et de participation. Elle garantit à ceux qui la méritent plus que d'autres, du fait de leur effort constant et du dépassement de soi dont ils font preuve, la solidarité nationale. Elle fait le pari de la citoyenneté qui transcende les particularismes. Elle vise l'égalité des chances, qui est l'ambition de notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Le Mèner

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, se mobiliser pour les personnes handicapées est assurément un devoir pour chacune et chacun des élus qui siègent dans cette assemblée. Nul doute que la présente proposition de résolution ne s'inscrive dans cet esprit, même si elle apparaît à mes yeux en léger décalage temporel.

La question est essentielle puisqu'elle concerne la place que notre société entend réserver aux plus fragiles d'entre nous, à ceux qui subissent, par un accident de la vie, une limite permanente à leur liberté d'action. Chacun conviendra aisément de l'injustice qu'il y aurait à leur faire subir de nouvelles entraves, par désintérêt ou pusillanimité. Ce n'est heureusement pas le cas aujourd'hui, et nous sommes fiers d'appartenir à une majorité qui, par les fondements qu'a posés la loi du 11 février 2005, a su relever le défi de l'accessibilité, avec de grands principes et la compensation des conséquences du handicap.

Ces grands principes, ce sont tout d'abord, comme vous l'avez rappelé, madame la secrétaire d'État, l'accessibilité pour tous, quel que soit le handicap, et y compris pour celles et ceux qu'il convient d'appeler des personnes à mobilité réduite. C'est un progrès essentiel, dans la formulation et dans l'action.

C'est ensuite l'accessibilité dans l'ensemble des déplacements. Il s'agit de mettre fin au véritable parcours du combattant des déplacements urbains, que ce soient dans les espaces publics ou les transports.

Il s'agit, par ailleurs, d'une loi réalisée dans la concertation, pour une accessibilité concertée. Cette loi du 11 février 2005 est en effet le résultat d'une très large concertation avec toutes les associations représentatives, une concertation qui ne se limite d'ailleurs pas dans le temps puisque ces associations sont toujours, aujourd'hui, régulièrement entendues.

Enfin, vous l'avez rappelé, c'est un cap qui est fixé, avec l'année 2015. Cet objectif n'est pas, à mon sens, négociable ; c'est d'ailleurs ce qu'a déclaré le Président de la République, lors de la conférence annuelle sur le handicap. De même, c'est grâce à la concertation permanente que nous devons franchir les étapes, de manière pragmatique, notamment au niveau local, dans les commissions départementales de sécurité et d'accessibilité. Dans nos communes, dans nos entreprises, à la SNCF, à la RATP, dans les médias, chacun est à l'oeuvre aujourd'hui, et il s'agit de redoubler d'efforts si nous voulons tenir le cap, en cette période de tempête économique.

Nous avons bien entendu les inquiétudes exprimées par les élus locaux face à des budgets de plus en plus contraints, mais c'est seulement l'expression d'une inquiétude qu'il faut entendre, sans l'interpréter comme un désintérêt coupable pour cette question.

Il y a d'ailleurs à ce sujet des dérogations prévues, pour des impossibilités techniques ou la préservation du patrimoine, qui sont de nature à rassurer ceux qui se trouvent confrontés à de telles situations, mais il ne saurait à mon sens y avoir de dérogation pour convenances budgétaires. Si l'on peut comprendre les difficultés d'adaptation du bâti ancien, il n'en est pas de même pour les bâtiments neufs, où la règle de l'accessibilité est intangible, et je me réjouis de l'obligation nouvelle faite aux promoteurs d'imposer un volume de chambres ou de logements à 100 % accessibles dans le cas des locations saisonnières ou temporaires.

Aujourd'hui, l'obligation d'accessibilité totale des immeubles ne concerne que les parties communes, et les logements doivent être facilement adaptables par des travaux simples, ce qui convient pour des logements ordinaires loués ou achetés. Néanmoins, il y a sûrement un effort supplémentaire à faire en direction de la formation des professionnels, dans l'accompagnement des opérateurs concernés et la discussion avec les collectivités locales, en tenant compte des usages précis des bâtiments ou des services concernés. C'est au prix de la concertation et non avec de nouvelles contraintes que l'on obtiendra les résultats attendus, dans une plus grande efficacité et l'optimisation de l'utilisation des fonds publics.

Enfin, je ne voudrais pas conclure cette intervention sans évoquer brièvement le chemin parcouru, même si je mesure celui qui reste à faire. Depuis le début de la législature, notre pays a fait un effort sans précédent en direction des personnes handicapées. Malgré la crise historique que nous traversons, les budgets ont augmenté de près de 20 %, qu'il s'agisse de la revalorisation de l'allocation adulte handicapé, qui atteindra 25 % en 2012, de la création de places dans les établissements et services destinés aux personnes handicapées – 26 000 places pour adultes et enfants –, de l'autorisation du cumul de l'AAH et de revenus d'activité, ou de ce qui restera sans doute comme l'action la plus emblématique de cette politique volontariste souhaitée par le Président de la République, l'intégration de 200 000 enfants handicapés dans nos écoles, pour en faire des élèves comme les autres. Quelle plus belle image de détermination à offrir à la nation que de favoriser dès le plus jeune âge l'intégration de ces enfants victimes de handicap ? Quelle plus belle ambition que d'empêcher que ne se transforment, selon la formule de Tahar ben Jelloun, les handicaps en inégalités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Hutin

Comme il est tard et que nous sommes en bonne compagnie – Mme la secrétaire d'État est sympathique –, j'ouvrirai mon propos sur une note légère. Je suis député du Nord, théâtre du film Bienvenue chez les Ch'tis, qui a fait vingt millions d'entrées. Au-delà des clichés, ce film a plutôt donné une bonne image du Nord. Aujourd'hui, quelque neuf millions de nos concitoyens sont allés voir le film Intouchables. Je ne l'ai pas vu et ne peux donc en parler, peut-être y trouve-t-on également certains clichés, mais je crois que cette affluence est révélatrice de ce que peuvent penser nos concitoyens, de leur amour, de leur affection, dans un esprit républicain et égalitaire, à l'endroit des personnes handicapées. Que neuf millions de personnes aillent voir un film comme celui-là, ce n'est pas innocent. Il me semble que, dans le cadre du présent débat, cela méritait d'être souligné.

La proposition de résolution du groupe GDR s'inscrit dans cet esprit. Si elle présente quelques traits excessifs, je tiens à dire, au nom du groupe SRC, que nous la voyons d'un oeil favorable. Les valeurs défendues par Martine Billard, ses préconisations, l'exposé sommaire de la proposition nous satisfont particulièrement, au plan philosophique et politique. Notre groupe avait déjà défendu, dans le débat sur la loi de 2005, notamment par la voix de Christophe Sirugue, des amendements qui exprimaient notre opposition à certains reculs et certaines dérogations, une opposition que nous retrouvons dans la présente proposition.

De manière plus actuelle, le groupe SRC a saisi le Conseil constitutionnel, le 13 juillet, de la loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, dont les articles 19 et 20 remettaient en cause le principe général d'accessibilité et méconnaissaient plusieurs articles de notre Constitution ainsi que le préambule de la Constitution de 1946. Martine Billard renvoie d'ailleurs elle-même, dans l'exposé sommaire de sa proposition, en première page, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'au préambule de 1946 qui la précise. Il me paraît important d'indiquer que le Conseil constitutionnel a censuré ces articles 19 et 20, au nom de principes qui nous semblent essentiels.

Ces principes, vous les avez rappelés, madame la secrétaire d'État. C'est tout d'abord la conception universelle de l'accessibilité prévue par les conventions internationales, notamment dans la définition de l'OMS approuvée par la France le 1er avril dernier. Pour que cette signature ne soit pas un poisson d'avril, il faut que le Gouvernement s'oppose résolument à tout ce qui peut être dérogatoire. Il y a des principes intangibles, ce sont ceux de la République.

Nous sommes proches de l'échéance de 2015. Nous aurons eu dix ans pour faire le boulot, ce n'est pas rien ! À l'approche de l'échéance, certains lobbies interviennent, des cavaliers arrivent dans le débat législatif. Tout récemment, a été déposée au Sénat une proposition de loi visant à reculer cette date. Ces faits sont mal ressentis par les associations de personnes handicapées, par tous ceux qui militent – et ils sont nombreux – pour cette cause et à qui nous pouvons rendre hommage car des choses seraient passées et ne l'ont pas été grâce à leur action déterminée et, à juste titre, virulente.

Déroger, du latin derogare, c'est s'écarter du principe de la loi. Par extension, les latinistes y voient aussi le sens de « s'éloigner de ce qui est bien » : morem non servare, ne pas servir la morale, s'écarter du chemin légitime. C'est diminuer la liberté : liberté de travailler, d'aller et venir, de se promener, de voter, de militer, de vivre, d'exister dans le cadre d'une société. Le préambule de la proposition de résolution réaffirme des valeurs égalitaires, qui seraient bafouées si nous reculions par rapport à la loi de 2005. Un tel recul porterait également un coup à la fraternité, à la solidarité à laquelle j'ai fait allusion en évoquant ce film, peut-être pas majeur mais en tout cas révélateur, Intouchables.

Nous avons eu du temps depuis 2005. Pour être pragmatiques, parlons de choses simples. Dans l'habitat neuf, les choses sont claires : un permis de construire ne peut être délivré que si le projet respecte les normes sur l'accessibilité des parties communes, les volumes, l'adaptabilité… Je crois que nous pouvons tous être d'accord sur le fait qu'ici il est essentiel d'être rigoriste.

Le logement social peut poser problème mais il bénéficie d'aides publiques, ce qui justifie des contraintes. Dans le cadre de constructions neuves, il faut, à notre avis, adopter la même attitude : le permis de construire en échange du respect absolu des normes, sans dérogation. La priorité pour les personnes handicapées, ce sont les parties communes. Quant à l'adaptation de certains logements, elle me semble également légitime.

La situation des logements à changement d'affectation est parfois un peu plus complexe. Dans le cas de commerces, cela peut rester simple, quand il s'agit de rez-de-chaussée facilement adaptables. Il peut s'agir aussi d'immeubles à la découpe. Dans ce domaine, je crois qu'il faut être absolument intransigeant : une personne qui souhaite réaliser une opération immobilière sur un immeuble à la découpe, dont nous savons que le but est essentiellement mercantile et financier, doit s'adapter.

La proposition de résolution GDR aborde également des points plus délicats. Il s'agit tout d'abord de l'habitat privé. Nous connaissons tous des propriétaires privés qui ont peu de moyens, et nous savons que certaines conditions historiques et patrimoniales rendent difficile l'adaptation des centres-villes. La solution ne peut passer que par l'intervention de la puissance publique, c'est-à-dire les aides d'État, même si les contraintes budgétaires sont ce qu'elles sont.

Les commerces sont un autre problème. J'ai visité un certain nombre de commerces de la ville de Dunkerque. Ils ne sont pas adaptés, et l'adaptation peut poser problème pour ces commerçants, eu égard à leurs possibilités mêmes de pérennité.

Il existe également des cas de franchises, essentiellement étrangères, dans le domaine du vêtement, par exemple, qui, alors que la loi de 2005 était entrée en vigueur, n'ont pas intégré dans leurs cahiers des charges le principe de l'accès pour les personnes handicapées. Elles auraient dû se conformer à la loi en 2005 et ne l'ont pas fait, ce qui pose à présent quelques problèmes aux commerçants franchisés. Je pense que le FISAC pourrait agir à cet égard. C'est nécessaire en particulier pour les plus petits commerçants ; je ne parle pas des grands groupes, qui s'en sortiront toujours.

S'agissant des établissements recevant du public, au nombre de 650 000 en France, je crois que nous devons là aussi être rigoureux. Nous ne pouvons pas accepter de dérogations, en dehors de cas très particuliers, liés au patrimoine. Il faut que les choses soient nettes, que l'État adopte une attitude coercitive : l'adaptabilité doit être la plus grande possible. Le Gouvernement peut vraiment être une force publique d'importance en ce domaine.

Ce matin, j'étais en réunion à la communauté urbaine de Dunkerque à propos de l'accessibilité de la voierie. Un bon nombre d'EPCI font de réels efforts quel que soit leur bord, ils ont fait travailler leurs services de la plus belle manière possible en ce domaine et ils seront globalement à peu près aux normes dans les années 2015. C'est une bonne chose. S'il y a un certain nombre de problèmes, je pense que ce n'est pas forcément volontaire, et ce n'est en tout cas pas le fait d'une volonté politique institutionnelle.

J'en viens à deux points que j'ai abordés avec un de mes amis, Gilles Canet, un des spécialistes de la question sur le littoral dunkerquois.

On cherche souvent des gisements d'emplois. Or il manque souvent chez les promoteurs, qu'ils soient publics ou privés, de réels spécialistes dans le domaine de l'accessibilité. Je sais que Pôle emploi commence à s'y intéresser et il serait important qu'il mette le paquet. Ce serait un gisement d'emplois important. On recherche des spécialistes en matière de déperdition d'énergie ou d'amiante quand il faut passer un acte devant notaire : pourquoi n'y aurait-il pas des spécialistes de l'accessibilité ? Je suis sûr qu'il y a une possibilité de travail intéressante. À cet égard, on peut travailler avec les associations qui ont déjà beaucoup de connaissances dans le domaine de l'accessibilité, mais on pourrait développer une vraie spécialisation créatrice d'emplois.

Enfin, nous pouvons jouer sur le fait que les promoteurs publics ou privés ne considèrent plus l'accessibilité pour les personnes en situations de handicap comme une contrainte, mais peut-être même comme une plus-value. C'est assurément une plus-value humaine, et peut-être, quand un poil de mercantilisme se mêle à l'humanisme républicain, pourrions-nous réussir à convaincre encore plus d'acteurs de la construction et de la promotion immobilières d'être beaucoup plus volontaires, beaucoup plus généreux et beaucoup plus républicains.

Je terminerai en évoquant Georges Couthon. Je suis sûr que vous le connaissez, madame la secrétaire d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Hutin

Exactement, mon cher collègue. Georges Couthon, né à Clermont-Ferrand, était devenu un avocat parisien.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Hutin

Il a défendu les pauvres à l'époque prérévolutionnaire, puis a été un des conseillers juridiques du Tiers État.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Hutin

Il est devenu ensuite conventionnel. À l'âge de dix ans, Georges Couthon avait eu d'énormes problèmes articulaires et il a perdu l'usage de ses jambes vers 1782. Il se promenait dans toute la Convention et au comité de salut public avec un fauteuil que l'on appelait « fauteuil à élastique » parce qu'il fallait le remonter pour qu'il avance. On le voit d'ailleurs dans le film Danton. C'est très révélateur. Quand je suis entré pour la première fois dans cet hémicycle, j'étais d'abord sensible à la dimension républicaine et à ce qu'a d'extrêmement impressionnant le fait d'être élu par ses concitoyens. Mais la deuxième chose qui m'a frappé, c'est le problème de l'accessibilité. Je me suis dit : « C'est tout de même incroyable. Alors que le président de séance ne peut être au-dessus du député présent dans la travée la plus élevée, comment fait ici un député ou un ministre en situation de handicap ? » C'est déjà révélateur. Ce bâtiment a bien sûr une valeur patrimoniale et historique, mais cela doit nous amener à réfléchir. J'ajoute que Georges Couthon a été guillotiné avec Robespierre parce qu'il était jacobin – comme moi, mais j'espère que cela ne m'arrivera pas (Sourires.) –, et même alors, il n'a pas bénéficié de l'accessibilité puisqu'on a dû le porter…

Cette petite évocation historique m'amène à dire que nous avons encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. La loi de 2005 est un progrès. L'échéance de 2015 est une nécessité républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Après ce plaidoyer pour la guillotine accessible, rassurez-vous, monsieur Hutin : elle est passée de mode, donc vous ne risquez rien. (Sourires.)

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Fraysse

Il y a bien longtemps que les personnes handicapées et leurs associations revendiquent légitimement l'accessibilité, autrement dit le droit d'accéder, comme tout le monde, à tous les lieux, qu'ils soient publics ou privés. Leur action courageuse et persévérante a permis d'indispensables progrès, tant dans la prise de conscience individuelle et collective que dans la mise en oeuvre de mesures concrètes. Mais nous sommes loin du compte et notre pays reste très en retard en matière d'accessibilité.

Le meilleur moyen de surmonter ces difficultés est de changer fondamentalement notre approche en passant d'une conception micro-environnementale défendant une accessibilité restreinte à certains équipements particuliers, avec des services plus ou moins spécifiques et des accès réservés aux personnes handicapées, à une conception macro-environnementale qui vise à éliminer toute ségrégation dans l'utilisation de l'environnement entre personnes valides et personnes en situation de handicap. Ce point est essentiel à plusieurs titres : tout d'abord, parce que le handicap peut toucher momentanément ou définitivement chacun d'entre nous ; ensuite, parce que concevoir d'emblée la ville, ses voies, ses transports, ses logements et ses équipements comme accessibles à tous évite la stigmatisation et favorise l'égalité des chances ; enfin, parce qu'instaurée dès la conception des différents lieux, l'accessibilité coûte beaucoup moins cher.

Estimer le nombre de personnes en situations de handicap est un exercice très difficile car les frontières entre handicaps, incapacités et dépendance, pour reprendre le titre d'une enquête de l'INSEE datant de 2002, sont extrêmement floues. En prenant en compte ces trois aspects différents, l'enquête montrait que plus d'un quart de nos concitoyens souffrait d'une limitation d'activité. De plus, le handicap au sens large est une expérience universelle : qu'il s'agisse des conséquences temporaires d'un accident – fracture de membre – ou d'une maladie, de l'insuffisance cardiaque ou respiratoire, de la perte progressive ou brutale, partielle ou totale de la vue ou de l'ouïe, ou encore du simple effet du vieillissement, nous sommes ou serons tous, aujourd'hui ou demain, en situation de handicap.

Or la ville moderne est construite pour des personnes plutôt jeunes, dynamiques et en bonne santé ; elle n'est pas adaptée aux personnes en fauteuil roulant, aux invalides, aux malentendants ou aux aveugles. Elle n'est pas adaptée non plus aux personnes âgées, qui sont appelées, du fait du vieillissement de la population, à devenir de plus en plus nombreuses. Et l'on pourrait ajouter à cette liste les personnes accompagnées d'enfants en bas âge et les femmes enceintes.

En un mot, nous sommes tous les bénéficiaires potentiels d'une meilleure accessibilité des lieux et des bâtiments publics. C'est pourquoi il est aujourd'hui nécessaire autant qu'inévitable de prévoir une accessibilité universelle effective pour toutes les nouvelles constructions.

L'accessibilité universelle consiste à faciliter l'accès de tous – quelles que soient les situations de handicap, temporaires ou définitives – à l'éducation, à l'emploi, aux loisirs et aux équipements publics en rendant accessibles et fonctionnels les voiries, les transports, les logements, les lieux de travail et de loisirs ; pas seulement quelques-uns de ces lieux, mais tous, dans une approche, je le répète, macro-environnementale.

L'accessibilité universelle profitera à tous : aux personnes en situation de handicap tout d'abord, qui verront réduit ce qui fait obstacle à leur participation à la vie sociale et qui gagneront en autonomie et donc en intégration ; mais également à la société tout entière, car sera ainsi favorisé l'accès du plus grand nombre à la connaissance et à l'emploi.

Plus fondamentalement, l'accessibilité universelle est une mesure de justice sociale. Car dans les faits, l'égalité des chances n'existe pas encore pour les personnes en situations de handicap. Ainsi, selon l'enquête handicap santé de l'INSEE de 2008, parmi les personnes qui connaissent une limitation physique d'activité, 30 % seulement obtiennent le baccalauréat, ce qui leur permet d'accéder aux études supérieures, contre 53 % chez ceux qui ne déclarent aucune limitation fonctionnelle. En conséquence, le taux de chômage est trois fois plus élevé parmi les personnes ayant de fortes restrictions de possibilités d'activité que dans le reste de la population.

Enfin, sur le plan financier, il est beaucoup moins onéreux de prévoir l'accessibilité dès la conception des projets que d'adapter les bâtiments existants. Je le mesure notamment dans ma ville où de nombreux travaux ont été accomplis dans ce domaine ces dernières années, permettant de faire passer Nanterre du trentième rang en 2009 au seizième aujourd'hui dans le classement de l'accessibilité des villes réalisés par l'association des paralysés de France. Mais ces travaux ont nécessité de très importants moyens financiers. Ainsi, la seule installation d'un ascenseur spécifique pour accéder à la salle des mariages de l'hôtel de ville a coûté environ 650 000 euros, une somme très élevée. Si l'on peut aujourd'hui se féliciter que les écoles, l'hôtel de ville et les mairies de quartier, les marchés, les lieux cultuels, le palais des sports soient progressivement mis aux normes pour accueillir tous les publics sans discrimination, il faut aussi souligner l'ampleur de ces dépenses que nombre de collectivités locales ne peuvent pas supporter.

Le retard pris par notre pays dans ce domaine est d'abord dû à la reconnaissance tardive de l'accessibilité universelle. Il faut remarquer en effet qu'au Canada, cette notion est inscrite dans la loi depuis 1983, et aux États-Unis depuis 1990, pour ne prendre que ces deux exemples, alors qu'en France, elle est seulement mentionnée depuis la loi de février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Si la loi de 2005 a permis d'indéniables avancées, pour les associations, le compte n'y est pas. Elles considèrent que la sensibilisation des architectes, des urbanistes et des différents aménageurs publics est insuffisante et regrettent que les sanctions prévues ne soient jamais mises en oeuvre. Des décrets et des circulaires ont bien été pris, mais s'ils mettent l'accent sur les mesures et les normes chiffrées devant figurer sur les plans d'architectes, ils font l'impasse sur des détails pourtant d'importance, telle la hauteur des boîtes aux lettres ou des interphones. De plus, vu l'importance des moyens nécessaires, l'État, mais aussi les communes, contournent la difficulté en s'appuyant sur les dérogations inscrites dans la loi, ce qui en limite considérablement la portée. Et comme si cela ne suffisait pas, vous tentez en permanence d'ajouter d'autres dérogations, madame la secrétaire d'État. Déjà, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2009, le Gouvernement avait fait adopter un amendement renforçant les dérogations concernant l'accessibilité des constructions neuves en cas d'impossibilité technique résultant de l'environnement du bâtiment ou de contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural. S'il a reculé devant la bronca des associations, c'est pour mieux revenir à la charge, en juin dernier, via une proposition de loi qu'il a fait adopter au Sénat.

De telles remises en cause sont tout à fait inacceptables et justifient à elles seules cette proposition de résolution.

Permettez-moi, au moment de terminer mon propos, de souligner que l'accessibilité n'est pas essentiellement un problème d'architectes, d'urbanistes ou de designers, mais une question de volonté politique, avec comme objectif de changer le regard sur le handicap et de le banaliser dans la cité, en faisant progresser dans un même mouvement le respect de la personne humaine et le respect des différences.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Lancelin

Il est assez étonnant de voir le groupe communiste défendre le contenu de la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées contre laquelle il avait voté à l'époque, comme madame la secrétaire d'État l'a d'ailleurs rappelé.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Lancelin

Je n'étais pas là en 2005 mais je considère que cette loi nous engage toujours autant et même encore plus aujourd'hui, alors que son application a pris une grande ampleur et que nous approchons de l'échéance de la mise en accessibilité des bâtiments.

Cette loi nous engage tous, que ce soit en matière d'accessibilité de l'habitat et des transports collectifs – dont le groupe GDR souhaite débattre aujourd'hui – ou en ce qui concerne tous ses principes généraux : la compensation du handicap, l'amélioration des ressources des personnes handicapées, la scolarisation, avec l'affirmation du principe de l'école pour tous, l'insertion professionnelle, l'insertion dans la fonction publique, le rapprochement du milieu protégé et du milieu ordinaire, et la participation des personnes handicapées à la citoyenneté et à la vie politique.

Comme l'a rappelé le Président de la République lors de son discours de clôture de la dernière Conférence nationale du handicap, « l'accessibilité est un domaine primordial sur lequel nous devons faire porter tous nos efforts. La mise aux normes n'est pas un objectif en soi. L'objectif, c'est la participation à la société, c'est la capacité d'agir, l'objectif, c'est la mixité des publics. Les personnes handicapées sont encore trop nombreuses à ne pas avoir accès aujourd'hui au sport, à la culture, au logement, aux transports. »

Il a confirmé que l'horizon de 2015 n'était pas négociable. Nous avons donc à être, selon ses mots, « inventifs, innovants et déterminés », et nous le serons.

En effet, malgré tous les efforts qui ont déjà été entrepris, nous avons à intégrer toujours plus l'accessibilité dans notre conception du bâti, de la voirie et des services. C'est une révolution conceptuelle qu'il faut opérer, en créant des bâtiments et des services pour tous, pour les personnes en situation de handicap bien sûr, mais aussi pour les personnes âgées, et pour chacun d'entre nous.

Encore une fois, nous sommes très loin d'une simple mise aux normes : c'est avant tout notre regard qui doit changer. C'est la raison pour laquelle j'attache une grande importance à la question de l'intégration des élèves handicapés en milieu scolaire ordinaire. C'est une chance pour ces enfants, c'est évident. Mais c'est aussi et surtout une chance pour les autres enfants qui apprennent ainsi, dès le plus jeune âge, à accepter la différence et à l'intégrer avec le naturel qui est le leur.

Rappelons quelques données : 201 388 élèves handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire, soit 33 % de plus qu'en 2005 ; plus de 90 % de ces élèves sont scolarisés à temps complet ; 41 197 personnes accompagnent 61 720 élèves à titre individuel.

Depuis la rentrée 2011, des assistants de scolarisation qualifiés, recrutés dans le cadre de contrats de trois ans renouvelables une fois, sont venus renforcer les équipes d'auxiliaires de vie scolaire déjà en place pour accompagner les enfants handicapés dans la durée.

Quelque 2 000 postes d'assistants de scolarisation ont été créés à la rentrée 2011 et 2 300 postes supplémentaires sont prévus l'an prochain, pour un coût évalué à 69,4 millions d'euros en 2012. Cet effort est important, même s'il reste insuffisant.

Mais la scolarisation des enfants handicapés doit également s'accompagner de la mise en accessibilité des établissements, de l'adaptation du matériel pédagogique, de la possibilité de passer les examens de manière aménagée.

Madame la secrétaire d'État, je souhaitais en savoir plus sur les efforts déployés, mais vous avez déjà largement répondu tout à l'heure, en nous parlant du « vivre ensemble », du centre de ressources, des divers partenariats et de la mobilisation pour tous.

Nous agissons de manière concrète et pragmatique, armé d'un dispositif législatif clair et d'une volonté politique sans faille. Je suis attaché à continuer à oeuvrer pour être au rendez-vous de 2015, mais je ne me reconnais pas dans les termes de votre proposition de résolution.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe UMP, je m'y opposerai.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - PermalienMarie-Anne Montchamp, secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Mesdames et messieurs les députés, il se fait tard et je ne veux pas abuser du temps de la représentation nationale, mais par courtoisie et selon l'usage républicain, le Gouvernement répondra tout de même à cette discussion générale, pour souligner la qualité des interventions.

Cette proposition de résolution nous a donné la chance d'évoquer de nouveau cette politique du handicap dans l'esprit de la loi du 11 février 2005 qui a été rappelée sur tous vos bancs.

Avec les députés de la majorité, je partage l'idée que d'importantes avancées ont été réalisées. Madame Jacqueline Fraysse, je veux souligner votre honnêteté quand vous dites que certains équipements sont onéreux, par exemple cet ascenseur que vous avez dû installer pour permettre l'accès à la salle des mariages de votre ville.

C'est la raison pour laquelle, mesdames et messieurs, quand le Président de la République parle « d'objectif intangible » pour 2015, il faut comprendre que c'est une parole qui engage par la loi et parce que c'est la parole du chef de l'État dans le cadre de la Conférence nationale du handicap du 8 juin dernier.

Pour autant, est-ce dire que le processus est simple ? Bien sûr que non. Les exemples donnés au cours de cette discussion montrent bien que nos compatriotes, s'ils ne sont pas directement concernés par le handicap, peuvent parfois ne pas très bien comprendre la nécessité d'installer une rampe d'accès.

C'est tout l'intérêt de l'enjeu rappelé par le Président de la République et du cadre fixé par la loi du 11 février 2005 à l'élaboration de laquelle vous avez participé M. Dominique Le Mèner. Vous étiez très présent aussi, M. André Chassaigne, je m'en souviens très bien.

Il ne sert à rien de se faire peur. De temps en temps, la représentation nationale soulève certaines questions dans le cadre de propositions de loi. Vous observerez, mesdames et messieurs les députés, que la position du Gouvernement est aussi ferme que l'enjeu rappelé par le Président de la République qui ne suit jamais ces textes dans la mesure où ils pourraient défaire ce que la loi du 11 février a fait.

Cette proposition de résolution nous a permis une discussion fort intéressante ce soir, avec des évocations historiques parfois très riches, mais elle vient s'ajouter à un texte qui dit tout sur la volonté de notre République de répondre à la légitime demande d'inclusion sociale de nos compatriotes handicapés. Quoi qu'il en soit, je me réjouis de la qualité de cet échange tardif mais constructif. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur la proposition de résolution, auront lieu le mercredi 7 décembre, après les questions au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Prochaine séance, vendredi 2 décembre 2011 à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Nicolas Véron