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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Séance du 6 mai 2009 à 8h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • toxique

La séance

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PermalienPhoto de Didier Migaud

Notre réunion de travail avec M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire, et Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire, est consacrée aux actifs toxiques, risqués ou illiquides, à la façon dont ils sont évalués, et à leur volume résiduel en France et ailleurs.

Le directeur général du FMI a eu l'occasion de nous expliquer qu'aucune reprise ne serait possible tant que les bilans n'auraient pas été purgés. Et, selon ses informations, ils ne l'avaient pas encore été, avec toutes les conséquences que cela implique pour la conjoncture économique mondiale. Qu'en pensez-vous, monsieur le gouverneur ? Quelle est la situation des banques, et des autres institutions concernées, comme les compagnies d'assurance, en Europe et en France ? Comment évaluer les actifs en cause et quelles sont les méthodes utilisées ? Comment différencier les actifs illiquides, dont la dépréciation est temporaire, des actifs toxiques, c'est-à-dire irrécupérables ? Autant de questions auxquelles les gouvernements apportent des réponses différentes.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

S'agissant des actifs toxiques, j'aborderai trois aspects : le montant des encours, le niveau de couverture des risques, enfin les pertes enregistrées depuis le début de la crise.

Les banques françaises sont exposées par le biais d'actifs qui, pour l'essentiel, ne sont pas des crédits hypothécaires à risque américains, les fameux subprimes, mais des produits structurés qui ont pour sous-jacents, au moins en partie, des crédits de ce type. Il s'agit de produits aux noms complexes, surtout des RMBS, c'est-à-dire des parts de titrisation adossées à des crédits hypothécaires, et des CDO, qui sont des obligations adossées à des parts de titrisation. L'encours net détenu par l'ensemble des groupes bancaires français à la fin de l'année 2008 était respectivement de 8,9 milliards d'euros et de 7,3 milliards d'euros. Il convient de mentionner une dernière catégorie d'actifs, les crédits à risque qui étaient couverts par des réhausseurs de crédit, dits monolines, c'est-à-dire des filiales de compagnies d'assurance américaines. La couverture ne neutralisait pas le risque sur les actifs toxiques mais le transférait sur ces assureurs ; les banques se croyaient assurées, comme on peut l'être en souscrivant un contrat d'assurance. Il se trouve que ces monolines, qui, en l'absence de tutelle fédérale, étaient soumis aux autorités de contrôle de chacun des États, n'avaient pas la capacité de résister à la vague de dépréciation qui s'est produite. Dans un premier temps, ils ont été recapitalisés, puis dégradés. Comme la qualité de leur garantie s'était réduite, il a fallu provisionner les actifs qu'ils étaient censés couvrir. L'exposition globale nette des banques françaises se montait, à ce titre, fin 2008, à 5,5 milliards d'euros. Pour l'ensemble des groupes bancaires français, on est arrivé à la fin de l'année dernière à un total de 21,7 milliards d'euros, actifs toxiques, au sens étroit du terme, qui constituent le noyau autour duquel tourne la crise, ce qui correspond à 0,3 % du total de bilan des groupes bancaires français au 31 décembre 2008.

Les banques étrangères qui publient le plus d'informations – Citigroup, Deutsche Bank, Barclays, Royal Bank of Scotland et HSBC – et forment un échantillon varié, font état chacune d'une exposition plus élevée que la plus exposée des banques françaises. Et, si l'on adopte une approche catégorie par catégorie d'actifs, on trouve toujours une banque étrangère plus exposée que la totalité des banques françaises. Par exemple, sur les produits monoline, Deutsche Bank porte plus de 6 milliards, Barclays plus de 9 milliards et Royal Bank of Scotland plus de 5 milliards. L'ordre de grandeur n'est donc pas le même en France.

Pour être complet, il ne faut pas oublier d'autres risques, notamment ceux qui sont liés aux opérations à effet de levier, les LBO et les CLO, et qui ont en général un sous-jacent européen. Les six grandes banques françaises en détenaient à la fin de 2008 environ 35 milliards d'euros, dont la valeur est ajustée, le cas échéant, sous notre contrôle. Ce sont pour l'instant des risques moins provisionnés car rares sont les cas où le risque final est élevé. Il arrive, dans la mesure où le cash flow a été surestimé avant la crise, qu'il faille revoir l'échéancier initial, souvent à cinq ans, et l'étaler sur huit ou dix ans. C'est ce que les banques font autant que faire se peut ; sinon, elles provisionnent.

Elles détiennent aussi des CDPC. Ce sont des entités qui ressemblent à des monolines, à ceci près que le risque porte sur des entreprises, et non plus sur de l'immobilier américain. La garantie porte sur des dérivés de crédit qui ont pour sous-jacent des crédits aux entreprises. Dans ce cas, le problème tient à la crise économique qui augmente le risque de défaillance du sous-jacent. Nous surveillons de près ce type de produit, mais le niveau de risque n'est pas le même que celui des monolines.

À côté des actifs toxiques, n'oublions pas non plus que la récession mondiale va se ressentir dans la qualité des portefeuilles de crédit des banques, avec l'augmentation des défaillances d'entreprises et de particuliers, les rééchelonnements et les renégociations de taux qui s'ensuivront. Les provisions ne peuvent qu'être ajustées trimestre par trimestre. Sur ce point, on ne peut rien reprocher aux banques, elles n'ont fait que leur métier en prêtant aux entreprises. Fin 2008, les montants étaient significatifs, mais modestes : les créances douteuses nettes de provisions atteignaient 1,15 % des crédits à la clientèle, contre 0,95 % l'année précédente. Au pic de la crise de 1994, le ratio était de 4,8 %, y compris notamment les encours sur les promoteurs immobiliers.

Quant à la couverture de ces risques, les banques françaises ont appliqué aux actifs dits toxiques un taux de décote objectivement fort. À la fin de l'année, ce taux avait encore augmenté sur les monolines, dépassant 61 % puisque les dépréciations étaient de 8,5 milliards d'euros pour un risque de contrepartie de 14 milliards d'euros. Individuellement, les taux oscillent entre 56 % pour Natixis-Banques populaires-Caisses d'épargne et 64 %-67 % pour la Société générale et la BNP-Paribas. Ils sont donc très élevés dans la mesure où, d'après nos informations, la Deutsche Bank a provisionné à 24 %. Cela signifie que, si elle avait provisionné comme les banques françaises, elle n'aurait pas dégagé un aussi bon résultat. La Barclays aurait provisionné les risques monolines à 17 % seulement. Avec un taux de plus de 60 %, les banques françaises ont, à notre avis, appliqué une décote sévère car la récupération ne sera pas nulle.

Les banques ont souffert également à cause des normes comptables qui imposaient une évaluation des actifs à la valeur de marché, c'est-à-dire à la casse, bien en deçà de la valeur de l'actif sous-jacent. Les règles ont été modifiées à l'automne dernier, en particulier l'IAS 39, pour permettre aux banques de reclasser les actifs qu'elles n'envisageaient pas de négocier rapidement dans leur portefeuille de titres de placement que l'on conserve en principe jusqu'à l'échéance. Dans ce cas, on maintient les provisions, quitte à les augmenter par la suite en fonction du risque de défaut. En outre, les banques françaises ont procédé à cette opération en général à la date du 30 septembre 2008, alors que certaines banques étrangères sont remontées au 30 juin, ce qui est moins prudent. Une telle méthode repose sur une analyse du risque fondamental, et non plus sur une valeur artificielle de marché, qui souvent n'existe plus.

Les dépréciations d'actifs supportées par les banques françaises au cours des deux exercices 2007 et 2008, ont représenté 25,5 milliards d'euros au titre des CDO, des RMBS, des monolines et des CDPC, de la faillite de Lehman Brothers – 1,9 milliard d'euros à elle seule – et de quelques risques sur les banques islandaises ou liés à la gestion d'actifs – soit 3,5 milliards d'euros pour ces deux catégories d'actifs. Cette somme se ventile entre 7,5 milliards pour le Crédit Agricole, 6,4 milliards pour la Société générale, 4,3 milliards pour BNP-Paribas, deux fois 3,1 milliards pour les Caisses d'épargne et les Banques populaires, à cause surtout de Natixis, et 1,1 milliard pour le Crédit Mutuel-CIC.

La somme de 25,5 milliards d'euros représente chez nous 16 % des fonds propres tier one avant le début de la crise, contre 33 % en Allemagne, 37 % en Grande-Bretagne et 86 % dans les banques suisses et américaines. L'impact de la crise chez nous est fort, mais bien moindre qu'à l'étranger.

PermalienPhoto de Didier Migaud

Pourriez-vous faire le point sur la Société générale après les informations qui sont parues dans la presse ? Estimez-vous avoir les bons outils pour suivre la situation réelle des banques et apprécier exactement les risques qu'elles courent ? Quelle est notre exposition aux banques d'Europe de l'Est ?

PermalienPhoto de Gilles Carrez

Depuis un an et demi, nous avons eu au moins deux réunions à propos de la classification des actifs et je me souviens que vous ne pouviez pas donner de chiffres ni expliquer ce qui se trouvait sous chacune des rubriques. Quelles sont les méthodes qui vous ont permis d'arriver à ce degré de connaissance ? Pourquoi ne pouviez-vous pas vous prononcer il y a un an ? Les chiffres que vous nous communiquez sont-ils bruts ou bien procédez-vous à des retraitements ? Bref, qu'est-ce qui fait que vous pouvez faire aujourd'hui ce que vous ne pouviez pas faire hier ?

PermalienPhoto de Didier Migaud

Vos méthodes d'évaluation sont-elles semblables à celles utilisées par le FMI ?

PermalienPhoto de Gilles Carrez

Hier, nous avons examiné en commission le projet de loi relatif au rapprochement entre les Banques populaires et les Caisses d'épargne. L'intervention de l'État les concernant, différente dans ses modalités de celles accordées aux autres établissements financiers, est liée aux déboires de Natixis. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet établissement ?

S'agissant de la BaFin, l'homologue allemand de la Commission bancaire, elle évaluerait les risques des banques allemandes à 800 milliards d'euros. Comment expliquer un tel écart avec la France ?

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Je ne sais pas d'où vient ce chiffre. Les banques allemandes, bien qu'elles n'aient pas provisionné autant que les nôtres, ont imputé deux fois plus de pertes sur leurs fonds propres. D'après les comparaisons internationales, nos banques sont très bien provisionnées, outre qu'elles ont comptabilisé des pertes bien moindres. C'est un constat.

Il existe bien un comité de supervision bancaire mais, malheureusement, les États n'ont pas donné à la BCE un rôle de coordination en la matière. Nous sommes de chauds partisans depuis des années d'utiliser l'article du traité qui permettrait de le faire. C'est d'ailleurs l'une des propositions du rapport de Larosière, encore qu'il n'aille pas aussi loin en se bornant à préconiser une surveillance macro-prudentielle, adossée à la BCE. Ce serait déjà une première étape. À notre avis, le mieux serait de demander à la BCE d'abriter le comité européen des superviseurs bancaires comme le fait la Banque des règlements Internationaux pour le comité de Bâle. Notre capacité de coordination s'en trouverait sensiblement renforcée. Mais certains de nos partenaires ont du mal à se convaincre de l'utilité de la chose.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Un certain nombre de banques allemandes sont de vrais réservoirs à actifs toxiques, mais nous n'avons pas les chiffres. Le montant que vous avez cité ne paraît pas totalement impossible.

Pour ce qui est de la méthodologie, celle que le FMI a adoptée est américaine et correspond à une réalité américaine. Or il y a un écart entre la situation américaine et la situation européenne. Nous faisons depuis longtemps des stress tests et nous n'arrivons pas du tout aux chiffres du FMI.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Pourquoi pouvons-nous maintenant communiquer une information que nous n'avions pas avant ? C'est que nous n'avions pas les données publiées. Nous travaillions sur nos estimations internes qui ne pouvaient être utilisées ni diffusées à l'extérieur. Il s'agit maintenant de montants publiés qui résultent désormais de la comptabilité des banques, établis d'après leurs modèles d'évaluation, que nous avons validés et contrôlés sur place. Le contrôle s'appuie sur les modèles internes que nous testons, et dont nous vérifions les paramètres. Nous avons à la Commission bancaire une cellule scientifique qui travaille à la validation des modèles et teste leur qualité. On ne va pas vérifier à chaque arrêté des comptes, dans chaque banque, les créances ligne à ligne, mais on s'assure que le système de contrôle interne couvre l'ensemble des risques et qu'il est correctement construit. Et l'on discute à chaque arrêté le niveau des provisions.

Quant à l'article de presse concernant la Société générale, et qui a donné lieu à polémique, il se réfère à des choses anciennes qui ont été comptabilisées dans les résultats de 2008. Il y avait d'ailleurs eu une action déclenchée par la Commission bancaire et l'affaire est désormais classée. L'article confondait le montant des actifs ré-intermédiés et le montant des pertes.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

L'article présentait comme des pertes, des actifs provenant de la gestion d'actifs et qui ont été repris dans le bilan de la Société générale. La qualité du suivi de la gestion d'actifs était sans doute en 2007 la moins bonne des grandes banques françaises. Ce qui était exact dans l'article était connu de la Commission bancaire, qui avait diligenté une enquête dont la lettre de suite a été très sévère. Sur les 11,2 milliards d'euros repris par la Société générale, il en restait 5,3 milliards dans les comptes à fin 2008. Libération se demandait comment on passait d'un chiffre à l'autre. En fait, une partie a été amortie normalement, une autre a été cédée et une autre provisionnée pour 1,2 milliard, ce qui correspond à la perte. Le solde, soit 5,3 milliards d'euros, ne vaut pas « rien du tout ». De la discussion que nous avons eue ces derniers jours avec la Société générale, il ressort qu'une provision complémentaire de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros devra être constituée, de sorte que, in fine, l'affaire se solde à ce jour par une perte de 1,2 milliard d'euros et de quelques dizaines de millions d'euros passés dans les comptes du premier trimestre 2009.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

J'en viens à Natixis. Il s'agit avant tout d'une banque de financement et d'investissement. Elle a souffert comme toutes les autres, mais cela se voit plus parce qu'elle n'exerce qu'une activité et que ses résultats ne sont pas dilués avec ceux d'autres branches.

En y regardant de plus près, les risques étaient un peu plus mauvais, un peu plus importants eu égard à la taille de la banque, et les pertes un peu plus accusées qu'ailleurs. Pourquoi ? Parce que Natixis, ayant démarré plus tard que les autres, a voulu les rattraper en se développant plus vite. Or c'est en fin de cycle que l'on fait les plus mauvais crédits. Les taux de perte sont donc un peu supérieurs. Ensuite, les responsables ont sans doute tardé plus que les autres à « replier les voiles », en dépit de nos mises en demeure sévères. Le repli a été mené moins rondement que dans les autres groupes. La Société générale y avait été incitée après l'affaire Kerviel et le Crédit agricole avait pris la mesure du danger que présentait son niveau de compétence technique eu égard à la complexité de certaines opérations. La Commission bancaire voit donc d'un bon oeil la perspective d'un actionnariat solide et cohérent, ainsi que le renouvellement des méthodes de direction chez Natixis, d'autant que les équipes étaient sans doute un peu moins sophistiquées que celles des deux banques phares de la place, BNPP et Société générale.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Calyon est un bon exemple de ce qu'aurait pu faire Natixis : c'est un établissement comparable, avec une gouvernance plus décentralisée que la Société générale ou BNPP. Au moment de la crise, la direction a été changée – parce que cela ne requiert pas les mêmes talents pour développer les activités et pour réduire la voilure – et un certain nombre de décisions ont été prises extrêmement vite. C'est pourquoi les problèmes sont maintenant sous contrôle. Natixis, quant à elle, paye le prix des retards pris. Nous attendons beaucoup du changement de direction et de la réduction des activités les plus risquées : les deux groupes actionnaires ont tout à fait les moyens de mener à bien cette reprise en main.

PermalienPhoto de Gilles Carrez

La façon dont ces questions sont exposées dans la presse pose un réel problème. On confond actifs et pertes et s'il a été question de demander la garantie de l'État pour une petite quarantaine de milliards d'euros – il s'agit d'actifs, pas de pertes ! Les informations concernant les différentes hypothèses ont fait l'objet de fuites internes, et ont ensuite fait l'objet de confusions dans la presse. Aux États-Unis au contraire, l'équivalent de la Commission bancaire a donné une information complètement transparente et a rendu ses évaluations publiques. Ne faudrait-il pas faire la même chose pour faire taire les rumeurs, qui rendent les situations inextricables ?

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Le chiffre de 38 milliards d'euros, qui a été cité dans la presse, correspondait au portefeuille en gestion extinctive, évalué maintenant à 44 milliards d'euros. Mais il ne s'agit pas nécessairement de mauvais actifs : 33,5 milliards de risques pondérés sont actuellement en gestion extractive.

Tout est toujours très compliqué en matière de communication financière. Ainsi, la Société générale a publié un second communiqué très clair mais qui n'a été que très peu repris le soir par des journalistes qui ne voulaient pas revenir sur l'information qu'ils avaient donnée toute la journée. Faudrait-il communiquer à l'avance ? Pour l'instant, les Américains n'ont pas encore rendu publics les résultats des stress tests. Or la France est le pays d'Europe qui applique les stress tests les plus poussés, et de loin. Nous faisons des exercices à l'américaine. Nous allons donc observer la communication qui sera menée aux États-Unis avant de décider quoi faire, mais je prends bonne note du sentiment que vous exprimez.

Pour ce qui est du FMI, si nous adhérons complètement à ses recommandations d'ensemble, notamment sur l'assainissement du bilan des banques et la dissipation des tensions sur le financement du système bancaire, son estimation de nos besoins de recapitalisation est entachée d'importants défauts. Le premier est que les évaluations ont été faites selon une méthode américaine, qui n'est pas une méthode de risque pondéré mais de ratio de levier. Le ratio de levier, qui ne prend pas en compte l'importance des risques et n'est donc pas très crédible en l'occurrence, est en outre très sensible aux différences de règles comptables. La Deutsche Bank, pour illustrer la différence, a publié son bilan et ses ratios de fonds propres selon les deux méthodes américaine et européenne : son bilan passe du simple au double ! Calculer les besoins en fonds propres des banques européennes en appliquant cette méthode n'a donc aucun sens. Le deuxième défaut méthodologique a été de raisonner comme si la structure économique et financière était la même en Europe et aux États-Unis, en prenant un modèle bâti sur le système américain pour l'appliquer à l'économie européenne. En gros, on a fait comme s'il y avait des subprimes en Europe ! Le résultat n'a forcément rien à voir avec la réalité.

Mme Lagarde et moi-même avons été très contents d'entendre M. Strauss-Kahn nous assurer que les estimations du FMI ne montraient pas de problème pour la France, contrairement à d'autres pays d'Europe.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

À la demande du Gouvernement, le Parlement a voté une garantie de passif de 7 milliards d'euros pour Dexia après la vente de la filiale toxique qui a précipité sa perte. Savez-vous si elle devra être utilisée ? La Société générale, par ailleurs, a un temps couru un risque du côté de l'assureur américain AIG. Je n'ai pas le souvenir que vous l'ayez évoqué à l'époque. Était-il possible que vous ne connaissiez pas ce risque ?

Par ailleurs, dans le cas où les banques allemandes, qui ont un risque plus élevé et des provisions plus faibles que les nôtres, connaîtraient des difficultés, cela toucherait-il les banques françaises ? Ce risque est-il intégré dans le chiffre de 21,7 milliards d'euros, que vous avez cité. Sinon, est-il possible de l'estimer ?

Enfin, voyez-vous une relation de cause à effet entre les modifications des normes comptables adoptées lors du G 20 et les résultats surprenants publiés par les banques américaines ? Vous vous êtes félicité que les banques puissent geler leurs actifs indépendamment de leur valeur de marché : une banque qui avait émis une obligation à une valeur 100 qui ne vaut plus que 50 peut geler son actif à 50, le reste venant en atténuation du passif. Autrement dit, plus les choses iront mal, plus les banques américaines publieront de bons résultats, et vice-versa ! Cela est-il de nature à restaurer la confiance ?

PermalienPhoto de Lionel Tardy

Le FMI estime qu'il existe 4 000 milliards d'euros d'actifs toxiques au niveau mondial. Ils sont cachés dans les bilans et donnent peu de signes de résorption. Combien de temps faudra-t-il, selon vous, pour purger ces actifs toxiques ? Dans ces 4 000 milliards d'euros – qui regroupent des dettes d'entreprises, des LBO, des crédits aux particuliers et aussi les actifs devenus toxiques du fait de la dégradation brutale de la conjoncture –, on en compte 3 100 milliards d'euros aux États-Unis. Restent donc 900 milliards d'euros en Europe et en Asie. Quelle est la part réelle de la France, Natixis comprise, dans ces 900 milliards d'euros ?

Par ailleurs, les pays de l'Union européenne sont parvenus fin février à un accord cadre sur le traitement des actifs toxiques des banques, qui laisse à chaque État une grande flexibilité dans la détermination des actifs éligibles. Dans les faits, aucun n'utilise la même méthode ! Envisage-t-on à moyenne échéance la mise en place d'une structure de défaisance pour récupérer les actifs bancaires douteux en France ?

PermalienPhoto de Marie-Anne Montchamp

Même s'il s'agit d'une question marginale, pouvez-vous nous donner votre sentiment d'observateur privilégié sur l'évolution de l'endettement – et du surendettement – des ménages ? En outre, pensez-vous que la dégradation de la situation du secteur bancaire peut peser sur le retour de la performance ? Autrement dit, cette situation pourrait-elle provoquer des effets de vagues ?

PermalienPhoto de Bernard Carayon

Pourquoi les pertes de plus de 1 milliard d'euros de la Société générale paraissent-ils au premier trimestre plutôt qu'à la clôture de 2008, alors que la Commission bancaire les connaissait depuis mi-2007 ?

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Tout le monde les connaissait : elles étaient publiées.

PermalienPhoto de Henri Emmanuelli

Sans vouloir être brutal, la Commission bancaire a-t-elle vraiment les moyens d'expertise nécessaires pour évaluer la situation comptable des banques, compte tenu de la sophistication des produits ? Aujourd'hui, on « stress teste » à tour de bras, mais on n'a rien vu venir concernant les produits toxiques et les montages hasardeux ! Avez-vous réellement les moyens de savoir ce qui se passe à l'intérieur d'un bilan, y compris les arborescences étrangères, ou ne pouvez-vous que vérifier si le modèle de contrôle interne vous semble raisonnable ?

Quant à la valeur des actifs, on connaissait déjà deux méthodes : prix du marché ou calcul mathématique. Vous en évoquez une autre. Quelle est la méthodologie que la Commission bancaire recommande aux banques pour l'évaluation de leur portefeuille ?

PermalienPhoto de Gilles Carrez

La Commission bancaire fait-elle appel à des concours extérieurs pour l'assister, comme les grands groupes de consultants et d'audit auxquels l'État recourt parfois ?

La Securities and Exchange Commission américaine vient de publier, après autorisation du FASB, une nouvelle norme 157-e qui modifie la valorisation des actifs illiquides et permet de revenir à des valeurs historiques ou mathématiques. En Europe, l'IASB a simplement accepté des reclassements d'actifs illiquides dans des portefeuilles à terme ou des valorisations mathématiques. L'Europe envisage-t-elle d'aller dans le même sens que les États-Unis ou va-t-elle en rester à l'ouverture très limitée de l'IASB ?

PermalienPhoto de Didier Migaud

Cela pose le problème de la légitimité de cet organisme. Quel est votre point de vue sur la question ?

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Qu'en est-il de la perspective de fusion avec l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles ? N'y a-t-il aucun doute sur la bonne santé des actifs des sociétés d'assurances ?

PermalienPhoto de Patrick Lemasle

Pour finir, le gouverneur admet n'avoir pas entièrement répondu aux questions de la Commission des finances il y a un an. Nous cache-t-il encore d'autres éléments ?

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Je sais que je n'ai pas été très précis, mais je ne me rappelle sincèrement pas si c'est parce que je ne disposais pas des données ou parce qu'elles n'étaient pas publiées. Je n'ai pas l'habitude de cacher quoi que ce soit à votre Commission !

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Vous nous avez tout de même confié qu'au moment de l'affaire Kerviel, les choses vous avaient paru tellement graves qu'il vous avait semblé normal d'attendre deux jours pour informer la Présidence de la République !

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Je vous ai dit que j'avais considéré, à tort ou à raison, qu'il était de mon devoir d'apporter la solution en même temps que le problème. Je comprends qu'on puisse me reprocher ce choix, mais je l'ai fait pour cette unique raison.

Pour ce qui est de Dexia, je ne dispose pas d'éléments pour vous répondre.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Moi non plus. Personne ne dire aujourd'hui si la garantie que vous évoquez sera utilisée. Tout est fait pour recourir le moins possible à cette garantie, mais il n'est pas possible de donner de chiffres à ce stade concernant des prévisions d'utilisation.

PermalienPhoto de Henri Emmanuelli

Il existe tout de même des règles prudentielles !

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Les règles prudentielles ont permis de déterminer des provisions, qui ont été faites, mais les actifs continuent d'évoluer.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

D'autant qu'il s'agit de produits très particuliers et assez rares – en fait, des garanties de rémunération.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Il faut dire que, selon les règles européennes, nous n'étions pas le superviseur consolidé : c'était la Belgique. Nous n'avons découvert des précisions sur ces activités américaines que lorsque l'État français a décidé, avec les États belge et luxembourgeois, de soutenir Dexia – et encore avons-nous eu beaucoup de mal à avoir accès à toutes les informations. Je le déplore, mais ce fut une leçon sur la façon d'organiser la supervision au niveau européen.

Pour ce qui est d'AIG, il est vrai que je n'avais pas évoqué ce risque parce que d'une façon générale, nous considérons, sauf signes avant-coureurs forts, qu'une banque supervisée – ou une compagnie d'assurance, si elle devait être de notre ressort – est un établissement solide. Si l'on devait passer des provisions sur le risque de faillite hypothétique de toutes les compagnies du monde, aucune banque ne survivrait ! L'idée que l'État américain n'empêche pas la faillite d'AIG nous paraissait inconcevable. Quant à la filiale britannique d'AIG qui est à l'origine de ses déboires, personne n'en connaissait la faiblesse puisqu'elle n'était pas régulée. Je n'arrive d'ailleurs toujours pas à m'expliquer comment tant le superviseur américain d'AIG, c'est-à-dire le superintendant des assurances de l'État de New York, que l'autorité de contrôle britannique, le FSA, ont pu considérer qu'ils n'avaient pas à la superviser. Je vous assure que, si l'une de nos banques avait une filiale en Angleterre qui échappe à la supervision parce qu'elle n'a pas un statut de banque, on irait tout de même étudier les risques qu'elle ferait supporter au groupe ! Nous avons donc tous découvert le problème en même temps, et tous considéré comme évident qu'il serait réglé. S'agissant d'un établissement systémique tel que celui-là, même si des décisions très rudes de restructuration, de vente d'actifs ou de changement de management doivent être prises, l'objectif étant d'éviter de devoir être secouru par les États, l'idée d'une faillite ne m'a jamais effleuré. Le fait qu'une part significative de l'argent reçu par AIG ait été consacrée à des entités étrangères est le reflet du caractère mondial de son activité. Si AIG n'avait pas payé la Société générale, comme les autres banques qui avaient le même type de contrat, elle se serait tout simplement mise en faillite. J'ajoute que ces contrats étaient très sécurisés, mais je ne sais pas à combien le risque réel peut être évalué.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Le collatéral disponible à Paris était supérieur au montant du risque et chaque fois que la qualité d'AIG se dégradait, cela déclenchait de nouveaux versements de collatéral. Les banques françaises n'étaient de ce fait pas en risque. C'est d'ailleurs pour cela que les Américains ont repris à la fois la garantie et les actifs garantis.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Il y a eu là aussi un problème de communication : les chiffres parus dans la presse agrégeaient parfois la garantie initiale et le collatéral. Or le principe de ce type de contrats est de donner un montant initial de collatéral et, en cas de dégradation du risque, de redonner un actif sain pour couvrir ce risque. À la demande de la FED, venue à son secours, AIG a récupéré les collatéraux, les actions et obligations données en garantie, et repris les expositions garanties. Le chiffre donné par la presse est donc sans réalité. En tout état de cause, la Société générale était très bien couverte et n'aurait subi qu'une perte résiduelle très faible si AIG avait fait défaut.

Pour ce qui est des banques allemandes, si l'une des plus grandes faisait défaut, les banques françaises seraient à l'évidence touchées. Cela aurait été aussi le cas il y a quelques trimestres pour les Landesbanken, mais aujourd'hui les banques françaises sont beaucoup moins engagées, voire plus du tout, sur ces établissements du fait de leur mauvaise réputation. En tout état de cause, depuis la faillite de Lehman, nous vivons dans l'idée que les États ne laisseraient pas tomber une de leurs banques. Ils feront ce qu'il faut, quitte à fermer de façon ordonnée les cas désespérés, pour qu'aucune ne fasse défaut et ne crée un effet d'enchaînement. C'était en tout cas l'objectif de la déclaration solennelle des Chefs d'État et de gouvernement de l'automne dernier. Je me fie à leur parole ! Le Royaume-Uni ou l'Allemagne ont fait le nécessaire à plusieurs reprises pour sauver des établissements de la faillite et l'État allemand est en train de mettre en place des solutions pour les banques régionales qui seraient en défaut de paiement ou ne rempliraient plus les normes réglementaires. Nous ne pouvons donc partir que de l'hypothèse que les banques européennes ne feront pas défaut.

Pour ce qui est des normes comptables, des modifications ont effectivement eu lieu à l'automne dernier, à la demande des principaux pays industrialisés. En principe, les actifs sont évalués à la valeur du marché, c'est-à-dire un marché actif, organisé et surveillé qui permet d'obtenir un résultat objectif. Mais ce système ne marche pas lorsque les transactions ne sont plus suffisamment nombreuses pour faire un marché. Ainsi, il n'est plus question de revendre aujourd'hui certains actifs qui devaient n'être conservés que quelques semaines ou quelques mois : plus personne n'achète un bien qui a la moindre trace de subprime, et même les produits structurés sans subprimes sont difficiles à vendre. Ils n'ont donc plus de valeur de marché. Lorsqu'il y a une transaction, c'est que quelqu'un veut nettoyer son bilan pour pouvoir dire qu'il ne détient plus aucun de ces produits. Il les vend alors pour rien, même en perdant 99,9 % de leur valeur. Mais cela ne veut pas dire que tous ces actifs doivent être dépréciés de 99,9 % ! Les anciennes normes IASB se fondaient sur de telles transactions. C'est ce que les gouvernements ont voulu changer, et c'est une bonne chose. Cela aide à ramener la confiance en évitant des fluctuations complètement artificielles. En pratique, lorsqu'il n'y a plus de valeur de marché solide et que l'actif va être conservé jusqu'à l'échéance, il est placé dans un portefeuille semblable à un portefeuille de crédit. Comme pour un crédit, à partir de la valeur au jour du transfert, on cherche à savoir si la valeur est évaluée suffisamment prudemment ou si des provisions supplémentaires sont nécessaires. Et les provisions ne sont pas de 100 %, mais d'une fraction de la valeur, comme c'est le cas pour un crédit douteux.

Toutefois, les dernières modifications faites par le FASB posent problème. Le FASB, pour faire simple, a été convoqué devant une commission parlementaire américaine pour s'entendre dire que, s'il ne changeait pas deux normes, le Congrès se chargerait de légiférer. Le FASB s'est exécuté. L'IASB ensuite, en Europe, a très vite adopté le changement de la première norme, mais résiste pour la seconde. Sans discuter sur le fond de l'intérêt de ces modifications, il est sûr que cette façon de faire va exactement à l'encontre de la convergence des normes comptables que disent souhaiter les États du G 20. Il est absolument indispensable que les États-Unis, qui ont signé le communiqué du G 20, acceptent la concertation au lieu de prendre seuls de telles décisions – c'est ce que nous leur avons dit très vigoureusement à Washington il y a quelques jours. Mais il est tout aussi nécessaire que l'IASB s'aligne s'il le faut. Ainsi que nous l'avons dit à la Commission européenne, si l'IASB refuse de changer une norme, l'Europe peut adopter une directive : ce n'est pas cet organisme qui détient le pouvoir législatif ! Mais pour l'instant, l'IASB réfléchit et travaille…

PermalienPhoto de Gilles Carrez

Ainsi que l'a dit Jérôme Cahuzac, l'assouplissement qui s'est produit aux États-Unis n'est-il pas excessif ? En quoi consiste-t-il exactement ? La crise nous a appris à nous méfier !

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Le retour à bonne fortune aussi brutal des banques américaines ne paraît pas aussi rassurant que cela…

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Ce retour à bonne fortune s'explique par plusieurs éléments, mais il nous laisse sceptique.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

En matière de comptabilité, nous nous battons sur trois points.

Le premier est la possibilité de reclasser des portefeuilles qui avaient été mis à tort dans les actifs de négociation, probablement parce que cela coûtait moins cher en fonds propres du point de vue des risques de crédit. Que ces actifs retournent maintenant à leur place naturelle dans le portefeuille bancaire et donnent lieu aux exigences de fonds propres correspondantes est une bonne chose. L'IASB l'a d'ailleurs accepté en décembre.

La deuxième catégorie de modifications concerne les actifs en juste valeur des portefeuilles de négociation, qui sont destinés à être cédés rapidement. La juste valeur est déterminée par une méthode à trois niveaux, qui va du strict prix du marché au prix de modèle. Entre les deux modèles, le deuxième niveau prend en considération une part de jugement. Tous les enjeux se concentrent sur le passage du premier au deuxième niveau, puis au troisième et sur la façon dont on utilise son jugement. Dans ce domaine, il est clair que l'IASB est beaucoup trop rigide, mais il faut tout de même rester prudent et veiller à ne pas casser le thermomètre en pleine crise !

Enfin, la dernière modification concerne les actifs des portefeuilles classiques des banques commerciales et les provisionnements sur les pertes attendues. En pratique, avant même les scénarios de stress, les modèles Bâle II permettent de calculer les pertes attendues. Les exigences de fonds propres se fondent sur cette base. Si l'on croit aux modèles et aux statistiques, on devrait pouvoir commencer à provisionner sur cette même base : c'est ce qu'on appelle le provisionnement dynamique. Sur ce point, il faut absolument que les régulateurs comptables, et notamment l'IASB, le plus bloqué d'entre eux, évoluent. Pour l'instant, l'IASB nous propose de créer une réserve prudentielle après le calcul du résultat. Mais cela n'aura pas la même vertu pédagogique ! En outre, le superviseur peut le faire sans la permission d'IASB ! Surtout, c'est sur le résultat que se base toute la communication. C'est lui qui fonde en particulier le calcul des rémunérations variables. Tout ce qui se passe après le calcul du résultat est beaucoup moins visible.

Tout le monde est d'accord pour l'instant sur cette réserve prudentielle, ce qui n'est pas trop pesant tant que les résultats sont faibles. Mais nous serons soumis à une très forte pression, lorsque les choses iront mieux, pour la faire disparaître. Un provisionnement dynamique basé sur les pertes attendues statistiquement avant le calcul du résultat net est donc indispensable.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Nous essayons de promouvoir ce dernier point depuis le G 20 mais les premières réticences commencent à apparaître. Le provisionnement dynamique, dans la phase de boom, aboutit à ne pas distribuer les profits, à mettre de côté les survaleurs de marché et d'actifs qui ne sont pas encore vendus et à conserver une partie des bénéfices pour provisionner des pertes futures que l'on ne verra que dans le bas du cycle. C'est donc une très bonne technique, que les Espagnols ont utilisée pour les crédits bancaires classiques, par exemple. Mais si l'on rogne le résultat, on rogne aussi les bonus et, au premier signe d'embellie, les réticences se manifestent ! Le combat va être ardu, mais il est essentiel.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

L'idéal serait un système mondial, mais il faut convaincre tous les partenaires. En tout état de cause, je pense que nous avons des chances raisonnables de réussir parce que la leçon a été rude.

Le chiffre de 4 000 milliards d'euros d'actifs toxiques est surestimé, selon nous. D'ailleurs, ce ne sont pas des actifs toxiques : il s'agit de l'estimation par le FMI des pertes passées, présentes et à venir sur les actifs toxiques et des provisions sur les crédits qui devront être constituées compte tenu de son scénario de crise économique, d'ici à la fin de 2010. Le FMI anticipe une récession mondiale de 3 %. À partir de cette hypothèse, il évalue les défauts de paiement des entreprises et des particuliers qui devraient en découler, et estime les provisions à constituer d'ici à la fin de 2010.

Ma première réponse est de dire que le premier métier des banquiers, c'est de distribuer du crédit en dégageant une marge suffisante pour constituer les provisions nécessaires pour supporter les défaillances. Les pertes subies à ce titre viennent s'imputer sur la capacité bénéficiaire des banques. Tant que cette activité, plus ou moins rentable selon que l'on se situe en haut ou en bas d'un cycle qu'il faut lisser grâce au provisionnement dynamique, ne se traduit pas par des pertes nettes, elle ne constitue nullement une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des banquiers. Les pertes sur les crédits devraient être absorbées par les bénéfices dégagés sur la période.

Dans certains pays, la capacité bénéficiaire ne sera pas suffisante et les États devront intervenir.

En ce qui concerne les banques françaises, elles sont, jusqu'à preuve du contraire, capables de résister. Le scénario économique sur lequel reposent nos stress tests, et qui vient de la Banque de France, prévoit un taux de croissance de moins 3 % deux années de suite, ce qui est pessimiste. Quand nous avons arrêté les chiffres, tout le monde pensait que la récession serait de moins 1 % ou de moins 1,5 %. Cela dit, depuis quelques mois, tous les observateurs sans exception ont passé leur temps à revoir leurs prévisions.

En Europe, chacun fait ce qui lui paraît nécessaire pour traiter les actifs toxiques. De façon générale, le choix de la bad bank n'a d'intérêt que si un tiers prend la défaisance à sa charge : l'État dans le cas du CDR et du Crédit lyonnais, l'État fédéral dans celui du Resolution Trust et des caisses d'épargne. Il faut vraiment ne pas pouvoir faire autrement pour que l'argent du contribuable soit ainsi engagé. Notre sentiment est que nous n'avons pas besoin d'une telle structure en France aujourd'hui.

Très peu de pays ont choisi cette solution, qui est aujourd'hui extrêmement difficile à gérer : si la défaisance de crédits aux entreprises ou immobiliers est possible, celle d'actifs très structurés est très compliquée. Beaucoup de gens pensent qu'ils pourraient alors perdre toute valeur. Cela ne se fait pas encore en Europe. Il en est seulement question à propos de certaines banques régionales allemandes.

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Il me semble que le modèle allemand de bad bank est de conserver les actifs toxiques dans ces banques, avec une garantie publique. Dans certains cas, certaines de ces banques sont en tant que telles des bad banks !

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Pour répondre à Mme Montchamp sur l'évolution de la dette privée, je rappellerai que l'on a constaté un resserrement des conditions, plus d'ailleurs pour les entreprises que pour les particuliers. Pour ces derniers, l'essentiel de la baisse vient de la baisse de la demande, notamment en immobilier, à la fois parce qu'il y a moins de transactions et parce que les prix se sont retournés.

Le crédit à la consommation connaît un effet de saturation. Quant au crédit aux entreprises, il reste globalement assez dynamique. Notre sentiment est qu'il n'est pas possible, même en examinant les choses dans tous les sens, d'expliquer le ralentissement de la distribution du crédit par les actifs toxiques, ni d'ailleurs par les problèmes de refinancement. Les banques françaises en tout cas ont une trésorerie assez abondante. Ce qui manque le plus est ce pour quoi la SFEF, la Société de financement de l'économie française, a été créée : la ressource à moyen terme, puisqu'il n'est plus possible aujourd'hui de vendre des produits titrisés, même très simples. Il faut trouver le moyen de réamorcer la pompe afin que les acheteurs institutionnels se tournent à nouveau vers des produits titrisés, ou à défaut souscrivent des obligations bancaires permettant un financement à moyen terme. La structure de financement des banques commence en effet à devenir déséquilibrée, avec beaucoup de court terme face à des engagements à long terme – crédits immobiliers et aux entreprises. Nous travaillons sur plusieurs pistes. Ainsi, la BCE pourrait intervenir, bien qu'elle n'agisse généralement que sur le court terme et ait déjà porté ses délais à six mois. Les moyens de la SFEF pourraient aussi être augmentés. Certains pays utilisent une garantie publique, mais même ainsi les banques ont du mal à émettre. C'est un marché qui s'améliore doucement, mais trop lentement encore par rapport aux besoins et nous concentrons nos efforts sur ce point.

Les pertes de gestion d'actifs de la Société générale ont été constatées en 2008, au fil des trimestres, même si le sujet n'est sorti que récemment dans la presse. Après 1,2 milliard d'euros en 2008, une provision supplémentaire de quelques dizaines de millions sera passée en 2009.

S'agissant de notre capacité à expertiser la situation des banques, je serai modeste. Il y a beaucoup de choses que tous les superviseurs n'ont pas vues, ou ont mal vues. On ne peut jamais être sûr non plus d'avoir tout repéré lorsque l'on quitte un établissement, et les effectifs ne sont jamais suffisants. Cela étant, compte tenu de l'accroissement de la taille des bilans, de la complexité des opérations, nous avons fait considérablement monter en puissance les effectifs du secrétariat général de la Commission bancaire affectés à la supervision. Ils ont augmenté de plus d'un quart sur les quatre dernières années, soit entre 150 et 200 personnes pour un total de 600. Et nous n'en avons pas fini.

En ce qui concerne la qualité des personnels, nous avons le sentiment d'avoir des gens de grand talent. Nous disposons de mathématiciens qui travaillent dans la cellule scientifique et qui font de la recherche très pointue sur les produits sophistiqués. Nous avons aussi engagé un effort très important de formation des inspecteurs ou de ceux qui les accompagnent pour développer leurs capacités techniques. Il faut continuer dans cette direction, mais il n'est pas toujours facile de recruter. La Banque de France n'a pas la réputation de maltraiter ses agents, mais elle n'offrait pas, jusqu'à il y a peu, les mêmes rémunérations que le marché. Il fallait donc recruter des profils particuliers attirés par le service public et l'intérêt général.

PermalienPhoto de Didier Migaud

Pourriez-vous être plus précis sur les effectifs ?

PermalienDanièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire

Le chiffre de 600, qui comprend l'inspection, représente 550 équivalents temps plein, dont 350 sont affectés au contrôle sur pièces et 190 au contrôle sur place. Il s'agit pour ces derniers exclusivement de cadres, dont la moitié au moins est très à l'aise avec les modèles, entre 30 et 40 de ces agents sont très pointus en matière de modèles. Pour ceux qui sont dans les bureaux, une grosse moitié est constituée de cadres et une centaine manie les modèles sans difficulté, ce qui donne une masse critique significative. Il est important qu'il n'y ait pas trop d'écart entre nos excellents spécialistes et ceux qui travaillent au jour le jour sur les dossiers. Sinon, ce serait une source de faiblesse. La maîtrise des modèles va souvent de pair avec celle des opérations de marché, et elle tient sans doute à la qualité reconnue de l'enseignement des sciences et des mathématiques en France. C'est pourquoi, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, nous ne redoutons pas la complexité des opérations de marché. Pendant la période récente, nous avons mis en place le système Bâle II et les modèles qu'il implique. Et l'intérêt que cette réforme a suscité nous a permis d'attirer dès la sortie de l'université de jeunes et brillants talents.

À titre anecdotique, j'ai présidé entre 1998 et 2003 la Models Task Force du comité de Bâle, qui réunit tous les grands pays qui élaborent la réglementation. On ne fait pas cela pendant cinq ans à l'époque de Bâle II si l'on ne comprend pas tout ce dont il est question – et je ne fais pas partie des meilleurs spécialistes, en la matière, du secrétariat général.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

Pour ce qui est des concours extérieurs, notre homologue britannique, par exemple, n'a pas d'inspecteurs et ne fait aucun contrôle sur place : il envoie des cabinets d'audit spécialisés. En France, comme aux États-Unis d'ailleurs, nous envoyons nos propres inspecteurs. Nous ne nous interdisons pas d'utiliser des cabinets extérieurs mais, pour l'instant, à tort ou à raison, nous n'en avons pas ressenti le besoin. Nous essayons plutôt d'accroître nos compétences grâce à des échanges, pour vérifier si nos techniques sont à jour. Nous envoyons des gens se former notamment aux États-Unis et nous recevons des Américains qui participent à nos inspections. Pour relever encore le niveau, on pourrait, si besoin, procéder encore à des recrutements de grande qualité. La période actuelle y est favorable.

Sur le plan interne, je souhaite depuis un certain temps regrouper les équipes qui travaillent sur l'état civil et l'agrément des établissements avec celles de la partie contrôle, ce qui permettrait de dégager des gains de productivité et des forces pour la supervision. Mais, le Gouvernement étant en train de travailler à un rapprochement avec la supervision de l'assurance, ce projet est en stand-by. À mon sens, ce rapprochement avec l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) ne pourrait consister qu'en une fusion, le statut de la Commission bancaire restant le même. Dans le système actuel, la commission est en effet très intégrée à la Banque de France et bénéficie ainsi de très importants services logistiques – gestion du personnel, du matériel et de l'immobilier, audits internes, budget et comptabilité.

La Commission bancaire n'est certes pas parfaite mais, en l'occurrence, elle dispose d'un avantage comparatif.

PermalienChristian Noyer, gouverneur de la Banque de France et président de la Commission bancaire

La Direction du Trésor.

PermalienPhoto de Didier Migaud

Madame Nouy, monsieur Noyer, nous vous remercions.