Audition de M. Taïb Fassi-Fihri, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume du Maroc
La séance est ouverte à onze heures.
Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de l'honneur que vous nous faites en venant vous exprimer devant notre Commission.
Vous êtes un ancien élève du prestigieux lycée Descartes de Rabat et je sais que cette qualité réjouit beaucoup de nos collègues ; nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer l'enseignement français au Maroc. Vous avez ensuite poursuivi des études supérieures à Rabat et à Paris, à la Sorbonne et à Sciences Po.
Votre carrière vous a conduit à la direction de la planification et en 1985 vous avez été appelé au cabinet du ministre chargé des relations avec ce qui était à l'époque la Communauté économique européenne. Dès lors, vous ne quitterez plus la sphère diplomatique, et notamment les relations avec la CEE, comme négociateur, directeur de cabinet puis secrétaire d'Etat de nombreuses fois depuis 1993. Vous avez été nommé ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération en novembre 2002 et élevé au rang de ministre de plein exercice en octobre 2007.
Monsieur le Ministre, nous vous entendrons avec un grand intérêt nous présenter les priorités de la politique étrangère du Maroc avant d'engager le dialogue avec vous.
Le Maroc a obtenu, sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, le « statut avancé » dans ses relations avec l'Union. Il est le premier État d'Afrique du nord à bénéficier d'un tel statut. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de sa mise en oeuvre ?
Alors que l'Union pour la Méditerranée semble en passe de surmonter le blocage politique dû au conflit à Gaza, qui avait gelé son développement, pouvez-vous nous dire quelle est l'implication du Maroc en sa faveur ? Quelles sont, selon vous, ses chances de succès ?
Vous avez été chargé de négocier en 2002 l'accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis. Comment envisagez-vous les relations entre les deux pays, à la lumière du discours du Caire prononcé par le Président Obama le 4 juin dernier ?
Avant de vous donner la parole, je souhaite la bienvenue à M. El Mostafa Sahel, ambassadeur du royaume du Maroc en France, présent à vos côtés.
Je vous remercie de l'honneur que vous me faites en me permettant de venir exposer notre vision des relations entre le Maroc et la France et notre conception du rôle du Maroc en tant qu'acteur régional. Les relations extérieures d'un pays s'expliquent par des facteurs historiques et géographiques. Le Maroc se trouve aux confins de l'Atlantique et de la Méditerranée, aux portes de l'Afrique et au « balcon occidental » du monde arabe et musulman. Cette situation géographique singulière crée des occasions de dialogue et d'échanges mais aussi une responsabilité particulière, car elle est à la croisée des chemins et aussi au coeur des menaces. Qu'il s'agisse d'immigration clandestine, de trafic de stupéfiants ou de petites armes, de trafics de tout genre, le Maroc se trouve sur l'itinéraire euro-africain.
Un deuxième facteur déterminant est le poids de l'histoire. Le Maroc n'est pas seulement arabe, il a des origines multiples : musulmane, berbère, juive, arabe, africaine et andalouse. Ce brassage de sensibilités lui donne une identité nationale forte ; il implique aussi un devoir d'écoute et de compréhension. Cette particularité nous fait ce que nous sommes et nous impose de défendre certaines valeurs.
On ne peut négliger un troisième élément : nos options de la première heure, celles que nous avons prises immédiatement après avoir recouvré l'indépendance. À l'inverse d'autres pays dans le même cas, nous avons privilégié un système politique pluraliste sous l'égide d'une monarchie attentive aux besoins, et mis l'accent sur l'ouverture économique. Tout cela n'a pas été facile et je me souviens d'avoir entendu, jeune homme, des doutes s'exprimer : comment le Maroc pouvait-il s'engager, si peu d'années après la fin de la colonisation française et espagnole, dans un accord avec ce qui était alors la Communauté économique européenne ? Pourtant, nous avons sciemment décidé de nouer et de maintenir ce lien.
Le quatrième élément qui explique les orientations de la diplomatie marocaine, c'est la convergence parfaite entre les valeurs que nous défendons à l'intérieur du Maroc et celles pour lesquelles nous nous battons en politique étrangère. Cela peut sembler évident, mais ce n'est pas toujours le cas dans les pays du Sud. J'appartiens à un Gouvernement attaché à moderniser l'économie, à lutter contre la pauvreté et à aménager le territoire de manière à améliorer le sort de la population, sous la forte impulsion royale. Ces objectifs sont aussi ceux que poursuit la diplomatie marocaine. Il n'y a donc pas de contradiction entre les efforts que nous accomplissons au Maroc et nos options en politique étrangère.
Quelles priorités résultent de ce schéma ?
Le Maroc est maghrébin ; nous considérons que c'est dans un Maghreb uni, renforcé et complémentaire que son développement se fera.
Le Maroc est membre de la Ligue arabe, ainsi que de l'Organisation de la conférence islamique, créée sur son sol en 1969. Nous sommes l'un des premiers pays arabes qui ont cru la paix possible au Moyen-Orient, et nous avons pris de multiples initiatives pour qu'elle se réalise. La paix est plus nécessaire que jamais dans cette région du monde car elle dépasse les seuls intérêts des pays concernés. L'absence de paix au Moyen-Orient est un mal qui menace l'ensemble des pays du monde, sans qu'aucun ne soit à l'abri de ce qui peut se passer. Un engagement collectif est donc nécessaire pour permettre la reprise d'une négociation globale ; en effet, la Palestine n'est pas la seule concernée et il faudra aussi régler les dossiers syrien et libanais. Le Maroc demeure engagé dans la recherche de la paix, qu'il estime toujours possible. Nous continuons d'affirmer, comme nous le faisons depuis les années 1970, alors que le sujet était tabou, qu'Israël a le droit d'exister dans des frontières sûres, à côté d'un État palestinien viable et indépendant.
Le Maroc, pays majoritairement musulman, s'efforce de jouer un rôle dans le dialogue entre l'Islam et l'Occident, et il s'est engagé dans la voie indispensable de l'écoute mutuelle.
Le Maroc est un pays africain, et je suis très heureux que nous ayons resserré nos liens avec l'Afrique, singulièrement avec l'Afrique subsaharienne. Nous avons signé plus d'accords avec des pays africains au cours des dix dernières années que nous ne l'avions fait depuis 1956 ; cela illustre notre volonté de renforcer la coopération Sud-Sud. Cette évolution dépasse le seul cadre gouvernemental ; des entreprises publiques et privées s'associent à l'application des accords passés. Nous souhaitons que la France s'insère dans ce cadre, car une coopération triangulaire, associant l'expérience de tous, aurait d'heureux effets.
Le Maroc est un pays méditerranéen, et qui dit « Méditerranée » dit « Euro-Méditerranée ». Je l'ai dit, nous avons fait très tôt le choix d'une relation forte avec l'Union européenne, et le couple Maroc-France est une locomotive du rapprochement entre le Royaume et l'Union européenne. Ce n'est pas un hasard si c'est à Paris qu'en 2000, Sa Majesté le Roi a appelé l'Union européenne à renforcer cette relation dans le cadre du statut avancé ; ce n'est pas un hasard non plus si ce statut a été accordé au Maroc en 2008 pendant la présidence française de l'Union. L'octroi du statut avancé signifie un engagement politique renforcé de la part du Maroc, engagement qui se traduit dans les multiples conventions auxquelles il est partie : conventions relatives à la justice, à la lutte contre la corruption, à l'État de droit, à l'égalité des genres. C'est en appliquant ces conventions et celles du Conseil de l'Europe que le Maroc pourra se moderniser. En matière économique, nous souhaitons aller vers un accord de libre-échange approfondi, qu'il s'agisse de l'agriculture - dans l'attente de la révision de la PAC que nous appelons de nos voeux – ou du secteur des services. Nous considérons le statut avancé comme une étape dans l'approfondissement nécessaire des relations entre le Maroc et l'Union européenne – car l'oxygène vient du Nord.
J'en viens aux perspectives régionales. L'Union européenne a passé de nombreux accords bilatéraux dans la région. Cependant, en 1995, à Barcelone, nous avons, ensemble, décidé de créer un cadre régional à ces relations pour offrir une perspective de paix, de sécurité et de prospérité partagée à tous les pays riverains de la Méditerranée. L'Union pour la Méditerranée, voulue par le Président Sarkozy, est venue à point et elle a été encouragée par le Maroc, convaincu qu'il fallait renforcer le processus de Barcelone en lui donnant un contenu politique et économique concret.
En résumé, le Maroc, sous l'égide de Sa Majesté le Roi, demeurera attaché au dialogue, à l'écoute, à une diplomatie et à une coopération utiles aux populations. Il cherche à améliorer le bien-être de son peuple par le biais d'accords privilégiés avec l'Europe, son partenaire stratégique historique. Si nous y parvenons, on peut imaginer que l'ensemble des pays riverains de la Méditerranée y parviendra aussi. Autour de la Méditerranée, les écarts sont criants – de 1 à 12 pour ce qui est du revenu per capita. Si nous réussissons au sein de l'Union pour la Méditerranée, à éliminer les clivages culturels, à modifier la perception de l'autre et celle de la religion, nous pourrons envisager une solution planétaire des problèmes Nord-Sud. C'est pour cela que se bat le Maroc, c'est ce à quoi il essaye de contribuer modestement.
Ma question portera sur le Sahara occidental et sur l'application des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies relatives à la décolonisation de ce territoire. Le Sahara occidental est le dernier pays non décolonisé d'Afrique, et son peuple le seul qui n'ait pas le droit à l'autodétermination. La lecture d'un ouvrage récent – « Mohammed VI, le grand malentendu » – écrit par un journaliste marocain indépendant de talent, en apprend beaucoup sur le Maroc et sur ses rapports avec la France. J'en ai retenu en particulier combien le soutien de l'Élysée et du Quai d'Orsay est crucial s'agissant du Sahara occidental. M. Christopher Ross, nouvel envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Sahara occidental, vient de terminer son tour du Maghreb et il se dit optimiste. Comment le Maroc envisage-t-il la suite de la négociation ? N'est-il pas temps de revenir au référendum promis au peuple sahraoui en 1991 en échange de la paix, et de donner ainsi au Maroc une vraie dimension démocratique ? Les multiples observateurs qui se sont rendus au Sahara occidental ont tous noté que le non-respect des droits de l'homme qui y prévaut s'explique d'abord par l'absence de référendum d'autodétermination. La répression s'exerce contre tous ceux qui osent exprimer leur désaccord avec la « marocanité » du territoire ; elle entraîne des grèves de la faim dans les prisons et des procès. Lors du dernier, qui a eu lieu il y a quelques jours, les douze militants poursuivis n'ont eu droit à aucune clémence.
Ce procès était-il la réponse faite à M. Ross ? Quand le Maroc tiendra-t-il compte de la « dimension humaine » comme le réclame la dernière résolution du Conseil de sécurité ? La question du statut du territoire n'est pas encore tranchée ; pourtant, le Maroc y exploite les ressources naturelles qui sont la propriété du peuple sahraoui. Cette situation fait que plusieurs pays d'Europe reconsidèrent leurs accords commerciaux avec le Maroc.
Du règlement de la question du Sahara dépend la relance de l'Union du Maghreb arabe et pour partie la dynamique de l'Union pour la Méditerranée. Dans ce contexte, que compte faire le Maroc pour respecter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ?
Des initiatives ont été prises pour favoriser la coopération bilatérale et multilatérale entre les deux rives de la Méditerranée au sein de l'Union européenne, de l'OTAN, de l'OSCE et, naturellement, de l'Union pour la Méditerranée. C'est beaucoup. Quels sont à vos yeux les domaines prioritaires du dialogue que devrait permettre chacune de ces institutions ? S'agissant plus particulièrement de l'Union pour la Méditerranée, quelles orientations devrait prendre, à votre sens, la coopération franco-marocaine ? Enfin, quel est l'avenir de l'enseignement du français au Maroc, où la Mission laïque française est très présente ?
Je salue la présence du ministre des affaires étrangères du pays qui est sans doute le meilleur ami de la France. Ma question portera également sur le Sahara occidental et, plus globalement, sur vos relations avec l'Algérie. Je me suis rendu au Sahara occidental où j'ai admiré les investissements réalisés au service de ses habitants. Cela donne au Maroc une légitimité pour assurer la sécurité du territoire. Or, à chaque fois que des tensions internes se manifestent en Algérie, et elles ne manquent pas, on constate des problèmes au Sahara occidental. Toute solution définitive passe donc par un changement dans les relations entre le Maroc et l'Algérie, actuellement difficiles, la frontière entre les deux pays étant une des rares frontières encore verrouillées en ce siècle. Comment envisagez-vous l'évolution des relations avec votre grand voisin ?
Je vous interrogerai également sur le Sahara occidental. Vous aurez noté, Monsieur le ministre, que les avis diffèrent à ce sujet au sein de notre Commission. Beaucoup d'entre nous sont attentifs à la position du Maroc, qui est de donner à ce territoire une perspective de très large autonomie sous souveraineté marocaine. Vous venez de rencontrer le nouvel émissaire des Nations unies pour le Sahara occidental ; pensez-vous que sa mission puisse déboucher sur la reprise du processus lancé à Manhasset ? Une rencontre informelle entre les autorités marocaines et le Front Polisario est-elle envisageable ? En bref, le dialogue peut-il aboutir ?
Membre de l'Assemblée parlementaire de la francophonie ; je tiens à souligner les très importants efforts consentis par le Maroc dans ce cadre. J'aimerais, comme mon collègue François Rochebloine, en savoir davantage sur la situation de l'enseignement du français au Maroc et sur son évolution prévisible.
Vous avez évoqué les problèmes de sécurité sans dire un mot des Etats-Unis, qui jouent un rôle éminent en ce domaine. Vous avez aussi mis l'accent sur les relations entre le Maroc et l'Union européenne et dit combien vous souhaitiez les voir se renforcer. Mais qu'en est-il des relations du Maroc avec les États-Unis et avec l'OTAN ? En 1994, j'ai eu l'occasion d'accueillir le Maroc, auquel venait d'être conféré le statut d'observateur, au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Depuis lors, sa présence y a été timide, alors que l'Algérie renforçait sa représentation. Quelle évolution envisagez-vous à ce sujet, le rôle de l'OTAN étant primordial pour la sécurité ? Par ailleurs, vous avez mentionné un écart de 1 à 12 du revenu per capita entre les pays du Nord et les pays du Sud de la Méditerranée, écart d'autant plus préoccupant qu'il va grandissant. Comment le réduire ?
La question du Sahara a été évoquée trois fois. M. Lecoq a une vision particulière de ce dossier, comme en témoigne le fait qu'il n'a pas mentionné l'Algérie dans son intervention. J'ai reconnu dans ses propos la littérature du Front Polisario, ce qui explique certaines erreurs. S'agissant de l'application des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, je suis preneur ! En effet, elles fixent un cadre clair, établissant que toutes les parties, avec les États voisins – dont l'Algérie – doivent négocier pour trouver une solution politique réaliste fondée sur un compromis. Ce cadre de négociation, défini au fil des ans par le Conseil de sécurité, à l'unanimité, assure l'autodétermination des Sahraouis.
Ayant pris acte de ce qui était demandé aux parties, nous avons pensé à la voie évidente, qui était l'organisation d'un référendum visant à l'intégration totale d'une majorité de personnes qui vivent au Maroc, y paient l'impôt, y envoient leurs enfants à l'école, y travaillent. Mais d'autres personnes originaires de ce territoire ont une autre approche ; celles-là se trouvent sur le territoire algérien et sont ainsi retenues dans des camps. Or, le HCR n'a jamais eu l'autorisation de pénétrer dans ces camps ni pour y voir qui y vit, ni surtout, pour interroger ces personnes en leur posant des questions simples : « Voulez-vous rester ici ? Voulez-vous rentrer et retrouver vos familles ? Voulez-vous vivre ailleurs ? ». Aussi bien l'Algérie que le Front Polisario refusent le droit au retour librement consenti. Mais cela ne semble pas émouvoir M. Lecoq.
Je me limitais à un rappel de la situation…
…car on ne peut traiter ce dossier que de manière globale. Le Front Polisario n'a jamais existé pendant la période coloniale, et aucun « Mouvement de libération du Sahara » ne s'est manifesté pendant toute la période espagnole, la seule et unique revendication émanait du Maroc. La présence espagnole à Tanger a pris fin en 1956, Tarfaya a été rétrocédée au Maroc en 1958 et Sidi Ifni en 1969 puis, pour des raisons stratégiques évidentes, le général Franco a retardé la libération du Sahara, ce qui a permis la naissance du Front Polisario, dont on sait par qui il a été lancé – des personnes qui sont aujourd'hui sur un autre territoire. Actuellement, l'Algérie maintient ses frontières avec le Maroc fermées à cause de ce différend. Permettez-moi de dire que je vois mal la relation entre le droit à la liberté de circulation et une affaire qui est censée ne pas concerner l'Algérie. Le dossier est si complexe que même le Conseil de sécurité des Nations unies n'est pas parvenu à nous aider à le résoudre. Depuis ces dernières années, le Conseil de sécurité a clairement tracé le cadre de la solution politique et le Maroc a déployé des efforts pour y parvenir. Nous considérons que la stabilité régionale peut être atteinte sur la base de notre initiative. Si la volonté politique existe, nous parviendrons à une solution raisonnable.
Vous avez parlé, Monsieur Lecoq, de « l'exploitation des ressources » du Sahara. Allons donc ! L'effort de solidarité nationale en faveur de ce territoire est infiniment supérieur aux ressources locales, comme certains de vos collègues qui se sont rendus sur place peuvent en témoigner.
Vous m'avez interrogé sur les relations entre le Maroc et l'Algérie. Je le répète, le Maroc est désireux de construire son avenir dans un Maghreb uni. Cela étant, nous éprouvons beaucoup de difficultés à mener ce projet à terme avec un pays qui ferme nos frontières communes et qui refuse nos invitations à discuter, qu'il s'agisse de questions économiques, culturelles ou sécuritaires. Nous considérons que chacun est libre de défendre ses thèses devant la communauté internationale, mais que cela n'autorise pas à prendre des populations en otage. Les circonstances ont changé : personne n'a plus intérêt à un Maghreb divisé ; tout le monde souhaite qu'il s'unisse. Le Maroc est tout disposé à contribuer à cette édification, quitte à laisser aux Nations unies le soin de régler le dossier du Sahara. On ne peut que déplorer qu'en dépit de l'extension des pandémies et des guerres sur le continent, l'Union du Maghreb arabe n'ait pu démarrer, mais comment le pourrait-elle avec une frontière fermée entre l'Algérie et le Maroc ?
Si l'Union pour la Méditerranée rend possible la construction d'autoroutes, de lignes à haute tension et de gazoducs, et la mise au point de projets agricoles et agro-industriels, elle contribuera au développement du Maghreb. L'Union pour la Méditerranée a pour premier mérite d'exister, et d'exister en tenant compte des insuffisances du partenariat Euromed puisqu'elle a institué la parité de décision entre pays du Nord et pays du Sud de la Méditerranée qui manquait dans le processus de Barcelone. L'Union pour la Méditerranée n'est pas, pour le Maroc, l'enceinte appropriée au règlement du conflit israélo-arabe ; a contrario l'Union ne doit pas être « prise en otage » par ce conflit. Il faut donc trouver un équilibre propre à assurer la faisabilité d'un projet qui, en soi, peut contribuer à établir la confiance. C'est pourquoi nous devons faire prospérer l'Union pour la Méditerranée, même après le drame de Gaza. Le Maroc s'y emploie.
Il est vrai que les initiatives de coopération bilatérale prolifèrent, mais chacune dans un domaine spécifique. Les relations entre le Maroc et l'OTAN préexistaient à la chute du Mur de Berlin. Depuis la chute du Mur, l'OTAN se préoccupe de nouvelles menaces, provenant pour l'essentiel de l'Est et du Sud musulman. Pour ce qui nous concerne, nous nous investissons en faveur de la stabilité en luttant contre les divers trafics qui transitent par notre territoire.
L'appartenance à la francophonie est un de nos choix fondamentaux. Une volonté assumée s'exprime ainsi. La présence de la Mission laïque française est importante au Maroc, vous l'avez souligné, et l'ambassadeur de France à Rabat pourrait témoigner des incessantes sollicitations dont il est l'objet, visant à trouver une place pour un enfant dans un des établissements d'enseignement de la mission. De fait, l'époque n'est plus où tous les élèves des lycées français au Maroc étaient issus de la classe aisée ; le besoin se généralise. Aussi l'avenir de la langue française au Maroc ne passe-t-il pas seulement par les établissements de la Mission laïque mais aussi par une meilleure prise en charge de l'enseignement du français dans le système éducatif marocain, au côté d'autres langues. Le français véhicule des valeurs que nous partageons ; c'est pourquoi le Maroc est membre de la famille francophone, et il ne saurait être question pour nous de minimiser ou d'oublier la francophonie.
J'aimerais connaître l'état d'avancement du projet d'agrandissement du port international de Tanger.
J'ai apprécié la subtilité de vos propos. Le Maroc est à l'ouest de l'Ouest et aussi, vous l'avez souligné, au confluent de diverses appartenances dont il doit tenir compte. Mais vous avez dit aussi que « l'oxygène vient du Nord ». Cela signifie-t-il que l'identité méditerranéenne a quelque chose d'étouffant ? Le conflit au Sahara occidental en donne une indication, mais sur la rive nord de la Méditerranée, des pays méditerranéens membres de l'Union européenne trouvent aussi à s'opposer. Qu'en penser ? L'identité méditerranéenne constituerait-elle un frein au développement ?
Évoquant le Moyen-Orient, vous avez souligné l'implication du Maroc dans les efforts de paix, mais vous n'avez rien dit de l'Iran, voisin compliqué et encombrant pour de nombreux pays. L'Iran est en train de se doter d'installations nucléaires qui peuvent inquiéter, et des élections viennent de se dérouler dans des conditions plus que contestables, qui inquiètent tout autant. Quelle est la position du Maroc à l'égard de ce pays ?
Comment le Maroc ressent-il l'afflux de résidents français ? Je souhaite par ailleurs vous interroger, au nom de ma collègue Chantal Bourragué et en mon nom personnel, sur la manière dont le Maroc entend faire entrer les femmes dans la modernité. Enfin, j'aimerais connaître votre opinion sur le rôle que peut jouer la Turquie au sein de l'Union pour la Méditerranée, et de manière globale sur la scène internationale.
Je vous prie d'excuser l'absence de M. Jean Roatta, président du groupe d'amitié France-Maroc, empêché. Je souscris aux propos de mon collègue Dominique Souchet, sur le Sahara occidental et j'approuve ce que vous en avez dit. Qui va au Maroc voit des chantiers partout et, à Casablanca, le maire nous a montré des hectares de logements sociaux sortant de terre. Certes, chacun ne bénéficiera pas du jour au lendemain d'un habitat de qualité, mais les progrès sont sensibles. Nous avons beaucoup de valeurs communes et, si délocalisations il doit y avoir, je préfèrerais pour ma part qu'elles se fassent vers le Maroc plutôt que vers l'Asie. Cela étant, de nombreux investisseurs se plaignent des lenteurs de l'administration marocaine. Que pensez-vous faire à ce sujet ?
Le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec l'Iran il y a deux mois. Ne supportant plus les ingérences de ce pays dans nos affaires intérieures, nous avions exprimé notre solidarité avec Bahreïn, ce qui a suscité en retour une réaction inadmissible à notre égard. La chose était d'autant plus étonnante que nous n'étions pas le seul pays arabe à avoir réagi. Pourquoi le Maroc a-t-il été traitéde la sorte par l'Iran ? Serait-ce parce que nous sommes un pays sunnite ? Serait-ce parce que, au Maroc, le religieux et le politique cohabitent sereinement ?
Avec la même clarté, nous disons que l'Iran a un rôle à jouer. Le discours des Iraniens est que jusqu'à présent l'Islam a été guidé par les Sunnites, par Saladin et par les Turcs et qu'il est grand temps qu'il soit piloté par le chiisme iranien. Comme ils se sont marginalisés sur la scène internationale, ils essaient aujourd'hui de jouer leurs cartes régionales.
Je n'entrerai pas dans le débat relatif à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et il appartient aux Européens et aux Turcs de choisir le cadre de leurs relations. J'en reviens aux relations entre le Maroc et l'Union européenne pour souligner que notre désir de renforcer les liens avec l'Union est parfaitement compatible avec notre désir d'un Maghreb intégré. Nous ne nous tournons pas vers l'Union européenne par dépit, au motif que nos frontières avec l'Algérie sont fermées et que nous avons quelques difficultés avec la Mauritanie, mais parce que le resserrement des relations avec l'Europe est pour nous une option stratégique. Nous partageons les mêmes valeurs, ce qui justifie le statut avancé qui fait de nous un partenaire privilégié de l'Union européenne – ce statut que la France recommande pour la Turquie. Le statut avancé auprès de l'Union européenne et la volonté d'un Maghreb uni sont parfaitement compatibles.
Tanger Med est un projet structurant qui participe des efforts accomplis par le Maroc pour lutter contre la pauvreté. Alors que, il y a dix ans encore, la moitié seulement de la population avait accès à l'eau et à l'électricité, plus de 90 % des Marocains ont désormais accès à ces services. Mais le développement du Maroc ne pourra se poursuivre que si des infrastructures structurantes sont réalisées, ce qui suppose des investissements. Nous avons signé de nombreux accords à cette fin avec plusieurs pays, dont les Etats-Unis, et avec l'Union européenne. Nous n'ignorons pas que, pour que ces accords fassent pleinement sentir leurs effets, nous devons lutter contre la corruption et améliorer le système judiciaire afin de rassurer les opérateurs. Nous nous y employons. Notre objectif économique est en effet d'attirer les investissements, de créer de la valeur ajoutée puis d'exporter grâce aux accords commerciaux préférentiels que nous avons conclus.
Vous m'avez interrogé sur la place de la femme dans la société marocaine. Vous le savez, nos plus hautes autorités ont pris quelques risques à ce sujet et le code de la famille a été revu. Nous visons ainsi une plus grande implication des femmes dans la vie sociale, économique et politique de notre pays. Les dernières élections municipales le montrent : ainsi, le nouveau maire de Marrakech est une femme de 33 ans. Cette évolution considérable est appréciée par la population. Elle démontre que l'Islam est parfaitement compatible avec la démocratie et avec la tolérance.
Les relations entre le Maroc et la France, anciennes, évoluent à mesure que la société et l'économie marocaines évoluent. Actuellement, la coopération entre nos deux pays n'est plus du seul ressort des autorités politiques ; elle est portée par les opérateurs économiques, les ONG, les élus nationaux et territoriaux, les intellectuels, et les communautés marocaine en France et française au Maroc. Cette coopération se caractérise par un dialogue serein, dans une lecture apaisée du passé. Elle peut ne pas être exempte de critiques, mais les critiques sont utiles car elles permettent de progresser. Chacun, au Maroc, a une idée de la France et de ce qu'il est possible de faire avec elle… Des accords de coopération et de décentralisation culturelle ont été mis au point entre la France et le Maroc, que la France a ensuite reproduits dans ses relations avec d'autres pays. Nous sommes donc des pionniers, qui souhaitons un espace euro-méditerranéen apaisé et stable dans un environnement mondial préoccupant.
La séance est levée à douze heures vingt.