COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)
Mercredi 9 juin 2010
La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.
(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d'enquête)
La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Bernard Fragneau, ancien préfet du Loiret.
Monsieur, vous n'êtes plus préfet du Loiret. Mais vous l'étiez lors de la campagne de vaccination et c'est bien votre expérience de l'époque qui nous intéresse. Les détails sont, pour nous, moins importants que les impressions du terrain ; nous sommes en effet très attachés à recueillir des bilans d'expériences locales, en contrepoint des descriptions de la stratégie vaccinale nationale qui nous ont été présentées.
Bernard Fragneau prête serment.
Cette affaire nous a tenus occupés bien en amont du 12 novembre. Avant que la campagne de vaccination ne débute, nous avons dû remettre à plat nos plans de continuité d'activité, conduire la distribution des masques, animer la campagne d'information sur les mesures-barrières et gérer le fameux épisode de la fermeture de classes.
Notre mission était de mettre en place un dispositif lourd et inédit. Nous avons relevé ce défi en faisant preuve de réactivité. Dans le Loiret, nous avons réussi à ouvrir six centres de vaccination à la date prévue. Ils ont fonctionné six jours sur sept, sans problème particulier. Des modifications, notamment sur les horaires d'ouverture, ont été apportées par la suite, selon les demandes du Gouvernement.
Celles-ci étaient claires, même si l'accumulation frénétique de textes administratifs – une trentaine de circulaires dites « importantes » et une trentaine d'instructions en trois mois, parfois contradictoires – a pu rendre les choses un peu difficiles.
La chaîne territoriale a correctement fonctionné, d'autant que l'échelon zonal y a été inséré. Celui-ci, dont le rôle est parfois contesté, a beaucoup facilité notre action en anticipant les informations et les instructions venues de Paris.
Nous n'avons pas éprouvé de difficultés à trouver des locaux auprès des collectivités locales, notamment à Montargis… En revanche, nous avons eu du mal à rassembler les personnels médicaux nécessaires et j'ai dû me fâcher pour que les services de l'administration déconcentrée fournissent leur quota de personnels administratifs. Sans doute faut-il y voir le signe d'un esprit civique français insuffisamment développé en France, qui s'aiguise pourtant lorsqu'il est question de rémunération !
Dans la région Centre, les différences entre les départements ont tenu aux viviers de personnes potentiellement vaccinables. Six centres ont été ouverts dans chacun des départements de l'Eure-et-Loir, de l'Indre-et-Loire, du Cher et du Loiret, sept centres ont été ouverts dans l'Indre, quatre dans le Loir-et-Cher. Sur les 650 000 habitants que compte le Loiret, 55 269 ont été vaccinées, 186 731 l'ont été en région Centre, soit un taux moyen de 8 % ; dans la zone Ouest, ce taux a atteint 11 %.
Nous avons rempli notre mission même si les centres auraient pu accueillir davantage de personnes. Je ne pense pas au demeurant que le faible taux de couverture vaccinale puisse nous être imputé.
Nous avons souhaité vous auditionner pour mieux connaître le fonctionnement de la campagne de vaccination dans un département dit « rural ». Les services de la préfecture ont-ils assuré la communication ?
En effet, nous avons dû relayer la campagne nationale. J'ai assuré plusieurs conférences de presse pour expliquer le dispositif de fermeture des classes, détailler les mesures préventives et annoncer l'ouverture des centres.
Par ailleurs, nous avons rédigé beaucoup de communiqués de presse pour accompagner les changements d'horaires d'ouverture ou l'assouplissement des conditions d'accès aux centres. Nous nous sommes bornés à transmettre des informations pratiques, de la manière la plus précise qui soit. Mais tout le monde ne lit pas la presse et donner les horaires, les adresses et les numéros de téléphone des centres ne suffit pas toujours.
Sur un plan juridique, il s'agissait effectivement de réquisitions individuelles, mais elles n'étaient pas « forcées » comme à l'encontre des médecins qui faisaient grève en 2002. J'ai dû user également de mon pouvoir hiérarchique auprès d'un certain nombre de personnels relevant des services déconcentrés qui ne voulaient pas apporter leur quote-part à l'effort collectif.
Vous avez évoqué certaines contradictions dans le contenu des circulaires et instructions. De quel ordre étaient-elles ?
Il s'agissait surtout de contradictions entre ce que l'on nous disait et les textes. La date de début de la campagne a ainsi changé à plusieurs reprises. Nous avons appris par la presse ce que nous étions censés faire alors que nous n'avions pas reçu d'instructions. M. Luc Chatel a annoncé que la vaccination allait débuter dans les établissements scolaires alors que nous n'en avions pas été informés et que le dispositif n'était pas prêt. D'ailleurs, cet aspect de la campagne a été un échec total puisque les élèves ne se sont pas fait vacciner.
La règle était qu'à partir de trois élèves touchés dans une même classe, celle-ci devait fermer pour une durée n'excédant pas six jours. Lors du pic épidémique, entre 20 et 30 classes ont été fermées dans le Loiret.
L'Éducation nationale informait la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), qui évaluait la dangerosité de la situation. Le préfet demeurait libre de son appréciation, mais si une quinzaine d'élèves de la même classe présentaient les symptômes de la grippe A(H1N1), la question ne se posait pas. J'avoue avoir été étonné de la réaction des parents d'élèves, qui étaient plutôt favorables à la fermeture de classes.
J'ai connu une épidémie de méningite dans le Jura, qui nous a conduits à vacciner l'entourage des malades en une matinée.
En général, les parents d'élèves demandent à ce que la classe ou l'établissement soient temporairement fermés.
Vous avez évoqué la multitude de circulaires et l'existence de consignes contradictoires. Pensez-vous qu'il faudra à l'avenir désigner des chefs de secteur ? Estimez-vous que la campagne d'information organisée par les pouvoirs publics sur la vaccination a été bien faite ? Avez-vous ressenti l'impact des appels à la non- vaccination, appels relayés notamment par la presse audiovisuelle ?
Le fait que des sommités médicales aient parlé d'une « grippette » sans danger n'a certainement pas incité les personnes à se faire vacciner. En outre, la presse quotidienne régionale – notamment La République du Centre – a fait paraître des articles très alarmistes sur les effets secondaires du vaccin. Enfin, certains médecins ont tout bonnement dissuadé leurs patients de se faire vacciner.
La presse a aussi servi de relais à des critiques parfois virulentes exprimées sur l'organisation du dispositif, dont certaines étaient même formulées par des responsables politiques nationaux. Celles-ci ont été très mal ressenties par les agents impliqués dans le fonctionnement des centres de vaccination, notamment par les personnels des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, investis plus de douze heures par jour dans cette mission.
La France fait figure de modèle dans l'élaboration de plans de toute nature, mais elle les applique rarement. En la matière, le plan indiquait que le ministre de l'intérieur était aux commandes ; cela n'a pas empêché les autres ministères de prendre certaines initiatives, comme ce fut le cas pour le passage à l'an 2000, un épisode mémorable. Cependant, la chaîne de décision a bien fonctionné : la cellule interministérielle de crise (CIC), qui s'est réuni de façon régulière, a permis de donner une certaine unicité aux instructions.
La remontée des informations s'est avérée en revanche très compliquée, avec deux canaux, celui des directions départementales des affaires sanitaires et sociales et celui des préfets, qui transmettaient aux préfets de zone. Il faut savoir que Paris a exigé jusqu'à trois remontées d'information par jour, ainsi que de connaître chaque matin à 6 heures le nombre de personnes vaccinées la veille. Ces exigences se sont renforcées avec les critiques formulées à l'encontre du dispositif, mais elles n'avaient bien évidemment rien à voir avec son efficacité.
La décision de fermeture définitive des centres de vaccination a été brutale et mal ressentie par les personnels médicaux et administratifs, les élus locaux et la population.
Il s'est bien sûr trouvé des personnes pour s'en plaindre, qui n'avaient pas eu l'idée de venir plus tôt. Mais il faut rappeler qu'au moment où la décision a été prise, il n'y avait plus aucune activité dans les centres. Il est toujours difficile de mettre fin à un dispositif. Ainsi, le niveau rouge du plan Vigipirate demeure activé parce que personne ne prend la responsabilité de le faire passer à l'orange ! Les autorités ont ainsi donné l'impression de ne pas oser arrêter la campagne, même si, localement, nous en attendions tous la fin avec impatience. Cela étant, celle-ci est survenue de manière effectivement brutale.
Le préfet de la région Midi-Pyrénées, instruit par la première fermeture de collège à Quint-Foncegrives, qui avait donné lieu à l'hospitalisation controversée de plusieurs élèves, a pris la décision de ne plus fermer les établissements scolaires quand bien même 10 % de leurs effectifs étaient touchés. Cette décision a recueilli l'adhésion des enseignants et des parents d'élèves. Il faut dire que la fermeture semblait peu efficace, dans la mesure où les enfants continuaient de se fréquenter hors les murs. Savez-vous si les taux de contamination ont été moins élevés dans les régions où la règle de trois enfants par classe a été appliquée de manière plus systématique ?
Il n'y a pas eu de fermeture d'établissements dans le Loiret, même si deux collèges à Orléans ont été davantage touchés. Chaque jour, nous faisions remonter le nombre de classes fermées, mais je ne sais pas si elles apparaissent dans des statistiques nationales. Aucune de ces classes n'a été fermée une seconde fois, ce qui est un élément en faveur de la mesure. A-t-elle permis d'endiguer la propagation du virus ? Il est difficile de l'affirmer avec certitude.
Cette campagne a mobilisé les services de l'État, les services déconcentrés, les collectivités locales et nécessité des efforts considérables pour armer les centres et les faire fonctionner. N'aurait-il pas été plus facile et tout aussi efficace de s'appuyer sur les personnels de santé des réseaux de proximité ?
Dans le Loiret, nombreux étaient les médecins qui refusaient de vacciner, que ce soit par principe ou parce qu'ils considéraient la grippe A(H1N1) comme bénigne. J'ai donc été surpris par la campagne de protestation des médecins généralistes, organisée par la suite au niveau national.
Il faut bien dire que les cabinets médicaux qui permettent de recevoir les malades dans une salle d'attente et les personnes à vacciner dans une autre sont rares. Les médecins auraient pu scinder leur agenda en deux, mais cela aurait supposé qu'ils procèdent au nettoyage de leur salle d'attente avant de recevoir la population à vacciner. Il était donc difficile, si l'on s'appuyait sur ce réseau, de respecter à la fois l'exigence d'efficacité et le principe de précaution.
Le dispositif départemental, qui exigeait la présence d'un médecin, de six infirmiers et de cinq personnels administratifs par centre a été mis en place tant bien que mal. Il a permis de vacciner 55 000 personnes dans le Loiret. Que se serait-il passé s'il avait fallu en vacciner 650 000 ? Si une nouvelle pandémie devait se déclarer, je ne suis pas persuadé qu'une campagne de vaccination touchant plusieurs millions de Français pourrait être organisée.
La séance est levée à dix-neuf heures.