COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)
Mercredi 26 mai 2010
La séance est ouverte à dix-huit heures cinquante.
(Présidence de M. Guy Lefrand, vice-président de la commission d'enquête)
La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend le docteur Pierre Brodard, secrétaire général de la Fédération nationale des centres de santé.
Nous accueillons maintenant le docteur Pierre Brodard, secrétaire général de la Fédération nationale des centres de santé.
M. Pierre Brodard prête serment.
M. David Houri, président de la Fédération nationale des centres de santé – anciennement Comité national de liaison des centres de santé, lequel existait depuis 1954 –, confronté à de graves problèmes familiaux, m'a demandé de le remplacer.
Je suis également médecin directeur des centres municipaux de santé de la ville de Pantin.
La fédération est l'une des neuf organisations reconnues officiellement comme représentatives des organismes gestionnaires des centres de santé, qu'ils soient municipaux, associatifs ou mutualistes et, à ce titre, elle siège au sein de la commission paritaire nationale des centres de santé. Elle regroupe actuellement à peu près cent cinquante centres de santé, surtout médicaux et polyvalents, situés en majorité dans la région parisienne.
Comment les centres de santé ont-ils été mobilisés dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) ? Tous les centres ont-ils été mobilisés ? L'ont-ils été sur la base du volontariat ? Avez-vous organisé des vaccinations sur l'ensemble du territoire national ?
Comment les centres de santé qui ont participé à la vaccination ont-ils été approvisionnés en vaccins ? Quels sont les personnels qui ont vacciné dans les centres de santé : les médecins, les infirmières, les personnels de santé ?
Enfin, combien de personnes ont-elles été vaccinées dans ces centres ?
M. Pierre Brodard. Dès le mois de juillet 2009, nous avons été sollicités par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales et les préfectures pour étudier la faisabilité de l'organisation de séances de vaccination dans les centres de santé. Comme ces derniers sont également des lieux de soins, qui devaient pouvoir accueillir les malades en cas de pandémie, il a paru difficile de leur demander de jouer également un rôle de centre de vaccination. Il a donc été décidé d'organiser la vaccination dans des gymnases ou des salles de spectacle.
Quand les personnels médicaux des centres de santé ont commencé à vacciner, le 16 novembre 2009, ils l'ont fait dans des gymnases.
Cela étant, nous étions conscients que les centres de santé ne pourraient répondre à l'objectif de vaccination de 50 % de la population. Il fallait pour cela que tout le monde s'attelle à la tâche : médecins généralistes, infirmiers libéraux, personnels des centres de santé et hôpitaux.
Les premières personnes à être vaccinées faisaient partie des populations à risque. Or celles-ci sont très fidèles à leur médecin traitant. En conséquence, l'éloignement des centres de vaccination a été pour elles un problème.
Certains centres de santé auraient pu et voulu être centres de vaccination, mais leur demande n'a pas été retenue.
Du fait de l'éloignement des centres de vaccination dédiés, pensez-vous que vous auriez pu être partie prenante de la chaîne de vaccination ? Autrement dit, alors que les médecins libéraux n'étaient pas autorisés à vacciner en ville, une vaccination par les centres de santé aurait-elle pu être envisagée ?
Les centres de santé auraient pu contribuer à la vaccination mais ils n'auraient pas suffi. Au nombre de quatre cents, ils couvrent certaines zones urbaines sensibles, mais pas l'ensemble du territoire national.
Par ailleurs, compte tenu de la pandémie qui s'annonçait, ils n'auraient pu assumer à la fois un rôle de vaccination et un rôle de consultation.
La patientèle des centres de santé est-elle fidèle, ou bien ceux-ci accueillent-ils également d'autres types de patients ?
La patientèle est fidèle : les gens viennent y voir leur médecin traitant. Mais cela n'empêche pas d'autres patients de venir utiliser le plateau technique et de profiter de la multidisciplinarité existant dans les centres de santé.
Les centres de santé qui auraient pu être utilisés comme centres de vaccination auraient-ils dû, pour cela, être réorganisés ? Dans l'affirmative, auriez-vous été à même de procéder à cette réorganisation ?
Les centres de santé sont de différentes tailles. Il existe, par exemple, de très grosses structures installées sur 4 000 mètres carrés.
Quand la pandémie s'est annoncée, le centre d'Argenteuil a ainsi affecté un étage à la médecine spécialisée et un autre à la médecine générale, de manière à pouvoir répondre à la demande de la population sans gêner le suivi par les spécialistes.
Certains centres de santé avaient pour leur part prévu de dédier une partie de leurs locaux à la vaccination.
Souvent, les centres de santé sont déjà utilisés pour des vaccinations publiques et gratuites, en lien avec les services communaux d'hygiène et de santé ou les départements.
Les directeurs de centres de santé sont souvent des référents des services communaux d'hygiène et de santé et ils sont également souvent des directeurs de la santé. Un certain nombre d'entre eux ont d'ailleurs organisé des centres de vaccination dans des gymnases et autres lieux collectifs.
Par ailleurs, le travail en équipe, qui implique infirmières et médecins dans les centres de santé, rend possible l'accueil de populations assez importantes. Certains centres de santé sont ainsi habitués à recevoir quatre cents, six cents, voire six cents personnes par jour et disposent à cet effet d'un accueil et d'infirmeries adéquats.
En résumé, certains centres de santé auraient pu fonctionner comme centres de vaccination sans surcoût, que ce soit en termes d'organisation ou de personnel, tandis que pour d'autres, un tel fonctionnement aurait exigé un réaménagement et, éventuellement, du personnel supplémentaire…
Tout à fait.
Comment expliquez-vous le faible taux de vaccination de la population contre la grippe A(H1N1) ?
M. Pierre Brodard. La population a été mal informée par les médias. Par ailleurs, la pandémie était relativement faible. Même si, en tant que professionnels, nous savions que les services de réanimation pédiatrique commençaient à être débordés, la population n'estimait pas que la situation était grave. Nombreux étaient ceux dont l'entourage comprenait manifestement des personnes qui, bien qu'ayant contracté la grippe, n'avaient pas été très malades.
Les patients à risque sont venus se faire vacciner : il s'agissait de personnes atteintes du sida, de femmes enceintes ou ayant des enfants en bas âge. Mais ce flux s'est vite tari. L'éloignement des centres de vaccination a contribué à ce tarissement.
On peut penser que si la létalité de la maladie avait été plus grande, la tendance aurait été complètement inversée et il aurait été davantage recouru à la vaccination.
Trois phases ont pu être observées : au cours de la première, les séances de vaccination prévues étaient rares car on craignait de manquer de vaccins ; on a ensuite assisté à une généralisation « délirante » des vaccinations – jusqu'à dix dans une matinée – ; au cours de la troisième phase, lorsque la vaccination a été ouverte à la médecine ambulatoire, les centres de santé se sont inscrits pour vacciner, mais le nombre de vaccinations a été très faible.
Je pense que oui. Mais nous avons dû nous battre pour que les centres de santé puissent vacciner.
Non, mais je puis vous dire que le nombre de vaccinations a été très faible. Dans les centres de santé de Pantin, par exemple, où nous avions assuré une importante information, j'ai dû vacciner dix personnes en tout et pour tout.
Dans les jours qui ont suivi l'annonce de l'ouverture de la vaccination à la médecine ambulatoire, il n'y a plus eu une seule information concernant la grippe dans les médias. D'ailleurs, la fin de la campagne n'a pas été clairement annoncée : le soufflé était complètement retombé.
Les centres de santé ont dû faire appel au ministère de la santé pour pouvoir être considérés comme des centres de vaccination et être conviés aux réunions d'information sur le sujet.
Par ailleurs, par le biais de la revue Flash-info de la fédération, nous avons pu communiquer des informations à tous les centres de santé et relayer les courriels d'un inspecteur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de la Seine-Saint-Denis, qui a fait un travail extraordinaire.
Combien compte-t-on de professionnels de santé dans les centres de santé sur l'ensemble du territoire national ?
À peu près cinq mille.
Non. Leur taux de vaccination doit avoisiner les 10 ou 15 %. Le personnel des centres de santé se fait également relativement peu vacciner lors des campagnes de vaccination contre la grippe saisonnière. C'est d'ailleurs surprenant de la part de professionnels qui s'occupent de personnes âgées dans les centres communaux d'aide sociale et autres. Il est vrai que le débat sur la vaccination contre l'hépatite B avait jeté le doute sur les vaccinations en général.
Je voudrais, pour terminer, vous faire part de deux constats également surprenants.
Premièrement, au niveau des directions départementales des affaires sanitaires et sociales comme des préfectures et des conseils de l'ordre, on s'est aperçu que les répertoires recensant les professionnels de santé sont très mal connus et que les fichiers ne sont pas à jour. Nous n'avons pas réussi à diffuser les informations à l'ensemble des professionnels.
Deuxièmement, les réquisitions n'ont pas donné lieu à l'établissement de plannings en bonne et due forme. Un inspecteur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales me téléphonait pour me dire que, le lendemain, à telle heure, il aurait besoin de quelqu'un. Si je lui répondais que je n'étais pas libre pour ce créneau horaire mais que je pouvais venir à un autre moment, je n'étais pas rappelé.
Un certain nombre de médecins se sont par ailleurs déclarés volontaires pour faire des vaccinations mais n'ont jamais été rappelés.
En outre, les fichiers de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales comportant nos noms et les plages horaires de vaccination ne correspondaient pas aux horaires proposés dans les préfectures, si bien qu'à certaines séances de vaccination, trois ou quatre médecins ou internes étaient présents, tandis qu'à d'autres on pouvait se retrouver tout seul à vacciner, sans même l'aide d'une infirmière.
Faute d'une organisation adéquate, la mobilisation n'a pas été à la hauteur de ce qu'elle aurait pu être.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.