Examen du rapport de la mission d'information sur la géopolitique de l'eau
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Chers Collègues, je vous remercie d'être présents pour la présentation du rapport de la mission qui nous a été confiée et que certains d'entre nous avaient particulièrement souhaité, notamment son Rapporteur. La mission d'information sur la géopolitique de l'eau a commencé ses travaux il y a près d'un an déjà. La définition de la géopolitique de l'eau qui a été retenue est celle de l'étude des rivalités de pouvoirs s'exerçant sur des eaux ou sur un ou des territoires disposant de ressources en eau, qu'il s'agisse de conflits ou de coopérations entre États, entre pouvoirs locaux, entre forces économiques et sociales, entre usages ou entre fonctions de la ressource. Cette définition très large nous a conduit à faire vingt-sept auditions, permettant d'entendre des personnes venues d'horizons très divers : diplomates, analystes, géographes, membres d'ONG, représentants institutionnels, juristes, chefs d'entreprise. Je remercie les membres de la mission qui nous ont accompagnés pour ces auditions.
La Terre est la planète bleue. L'eau est pratiquement partout. C'est la maîtrise de l'eau qui est en débat : les contraintes démographiques, climatiques, environnementales, conduiront-elles à des conflits dramatiques ou au contraire à des solutions de partage de l'eau ?
La mission avait la possibilité d'effecteur deux déplacements. Le choix du bassin du Proche-Orient (Liban, Jordanie, Israël, Palestine) est apparu rapidement évident. La seconde destination a donné lieu à plus d'interrogations. Plusieurs zones méritaient une étude : les tensions entre l'Egypte et les pays situés en amont du Nil, question bien connue, les coopérations sur l'eau en Amérique latine et la gestion de l'eau par le Chili ou la Bolivie, le bassin du Mékong, la politique unilatérale de la Chine vis-à-vis de ses voisins. Nous souhaitions nous orienter vers la Chine et la situation au Tibet, château d'eau de l'Asie où dix fleuves prennent leur source. Il n'était malheureusement pas possible d'obtenir une réponse sur un déplacement au Tibet suffisamment à l'avance. Les autres zones ont été écartées car il est apparu finalement que l'Asie centrale, zone plus méconnue, présentait un grand intérêt. Un conflit assez important y oppose l'Ouzbékistan et le Tadjikistan et il a paru assez exemplaire des problèmes que pose la gestion des eaux des fleuves, dans une région où l'eau est abondante.
Je laisserai le rapporteur présenter l'analyse du rapport, tant sur le rôle de l'eau dans les conflits, que sur la gouvernance des eaux et l'hydrodiplomatie. Je présenterai un état des lieux de l'eau dans le monde.
L'eau est partout. 75 % de la surface de la terre est recouverte d'eau, mais l'eau douce ne représente que 2,5 % de l'eau et moins d'1 % est effectivement accessible, le reste étant pour l'essentiel prisonnier des glaces, même si celles-ci fondent. L'eau ne manque pas sur la terre contrairement à l'idée que véhicule notamment la presse. La quantité d'eau douce est stable car renouvelable, mais inégalement répartie sur la planète. Neuf pays concentrent 60 % des réserves d'eau douce mondiales (Brésil, Canada, Chine, Colombie, Etats-Unis, Inde, Indonésie, Pérou et Russie). Les inégalités sont déterminées par la géographie mais s'expriment dans le rapport à la population présente sur un territoire. L'Asie abrite 30 % des ressources mondiales disponibles mais 60 % de la population. Entre la bande de Gaza où l'on relève 59 mètres cubes par habitant et par an et l'Islande où on en relève près de 600 000, le rapport est de un à 10 000.
Des seuils de pénurie en eau ont été fixés : vulnérabilité sous 2500 m3 par habitant et par an, stress hydrique sous 1 700, pénurie chronique en dessous de 1 000 et critique en dessous de 500 m3. Environ un tiers de la population mondiale vivrait en dessous du seuil de stress hydrique et vingt pays en état de pénurie (Afrique du sud, Algérie, Burundi, Egypte, Ethiopie, Kenya, Libye, Malawi, Maroc, Rwanda, Somalie, Tunisie, Arabie Saoudite, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Yémen, Palestine). Le manque d'eau est structurel dans le triangle qui s'étend de la Tunisie au Soudan et au Pakistan.
Mais cette carte des pénuries masque la réalité du problème de l'eau qui est d'abord celui de la capacité à mobiliser la ressource. La pauvreté en eau est d'abord liée à la pauvreté tout court. Certaines régions d'Afrique disposent d'une eau abondante mais présentent un indice de pauvreté en eau catastrophique. Le Mozambique, qui dispose de ressources en eau trois fois supérieures à la France, présente une consommation en eau de dix litres par habitant et par jour, soit moins que ce que l'Organisation mondiale de la santé considère comme le minimum vital. A l'inverse, Singapour ou Israël parviennent à prodiguer des volumes d'eau conséquents à leur population. Cet après-midi, le groupe d'amitié France-Singapour recevait un représentant de Singapour, qui expliquait qu'en l'absence d'eau, les solutions mises en oeuvre par Singapour pour gérer l'eau étaient le recyclage, le dessalement et le traitement des eaux de Malaisie que ce pays rachetait ensuite.
L'eau sert d'abord à assurer l'alimentation des populations. Les usages de l'eau se répartissent à 70 % pour l'agriculture, 20 % pour la production industrielle et énergétique et 10 % pour la consommation domestique. Il faut 2 000 à 5 000 litres d'eau pour produire la nourriture quotidienne d'une personne, contre 2 à 5 litres pour boire et 25 à 100 litres pour les usages domestiques. Si l'on s'attache à la consommation d'eau, et non aux prélèvements, 93 % de l'eau douce serait consommée par l'agriculture.
Le lien entre sous-développement et manque d'eau se traduit aussi bien entendu dans l'accès à l'eau potable et à l'assainissement. Une des cibles de l'objectif n° 7 des Objectifs du Millénaire pour le développement, fixés en 2000, est de réduire de moitié le pourcentage de la population qui n'a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable ni à des services d'assainissement de base. Il faut rappeler que davantage de gens meurent d'eau contaminée et polluée que de toutes autres formes de violences selon le PNUE. Certains chiffres font état de 3,2 millions de morts par an, soit 6 % des décès, et un enfant toutes les trois secondes.
En 2011, 884 millions de personnes n'ont toujours pas un accès à une eau potable, c'est-à-dire 13 % de la population mondiale. Il y a malgré tout des progrès puisque le chiffre était encore de 1,1 milliard en 2000 et 86 % des populations des régions en développement y ont accès. Mais l'eau dite potable n'est pas toujours saine et les disparités sont énormes entre régions du monde d'abord (l'Afrique sub-saharienne ne devrait atteindre l'objectif qu'en 2040 avec un taux d'accès de seulement 58 % aujourd'hui), entre les villes et les campagnes ou entre les centres-villes et la périphérie urbaine. Ensuite, encore aujourd'hui, 2,6 milliards d'individus ne sont pas raccordés à un réseau d'assainissement, le pourcentage d'accès n'ayant augmenté que de 54 % à 62 % depuis 1990. La cible en matière d'assainissement ne sera pas atteinte.
C'est donc une véritable course contre la montre qui s'engage. Le monde devra faire face dans les années à venir, dans des proportions et des formes très variées, à une augmentation des besoins en eau, combinée à une dégradation de l'offre d'eau.
Les facteurs d'augmentation des besoins en eau sont bien connus. Il s'agit de la pression démographique, de l'urbanisation des sociétés, de l'accroissement des revenus et de l'évolution des modes de vie, particulièrement dans les pays émergents. Il faut 15 000 litres d'eau pour produire un kilo de boeuf et une voiture demande 400 000 litres d'eau pour sa fabrication.
L'augmentation des besoins en eau est en décalage avec la dégradation de l'offre d'eau. Les évolutions climatiques d'abord provoquent une augmentation du niveau des océans, la salinisation des aquifères côtiers, l'augmentation des précipitations et de leur violence, l'accentuation des sécheresses et la diminution des débits des fleuves. Le fleuve Sénégal n'atteint par exemple déjà plus qu'un quart de son niveau de 1950. Ensuite, les eaux disponibles sont de plus en plus polluées. La Chine présente une situation inquiétante avec un cinquième de ses cours d'eau au plus haut niveau de pollution, particulièrement le fleuve jaune (Huang He). Dans les pays moins développés, seule la moitié des eaux sales est collectée et 20 % traitée. Enfin, la mauvaise utilisation de l'eau et des terres accentue les problèmes, notamment les mauvaises méthodes d'irrigation et la surexploitation des réserves d'eau.
Au total, le nombre de personnes vivant dans des régions touchées par un fort stress hydrique devrait augmenter d'un milliard d'ici 2030.
Enjeu social, enjeu économique, l'accès à l'eau est aussi un enjeu de relations internationales, puisque les deux cinquième de la population mondiale dépendent d'eaux transfrontalières. On comptabilise aujourd'hui 276 bassins transfrontaliers, couvrant environ 45 % de la surface des continents et regroupant quelques 40 % de la population mondiale. 145 pays les partagent. 33 d'entre eux ont plus de 95 % de leur territoire dans les frontières hydrologiques d'un ou plusieurs bassins transnationaux. On recense également 273 aquifères transfrontaliers dans le monde, qui représentent un volume 100 fois supérieur à l'eau douce de surface.
Dans ces conditions, l'eau peut-elle devenir un facteur de conflits entre des États dans une compétition pour une ressource qui devient rare ou au contraire, par nécessité, devient-elle un facteur de coopération afin d'assurer une bonne maîtrise et un bon partage des eaux ? Ce sont les thèmes que le Rapporteur va développer.
Pour enchaîner avec ce que vient de dire le Président de la mission, je souhaite rappeler quelques données du problème de l'eau dans le monde.
Ce n'est pas un problème quantitatif. Il y a autant d'eau qu'on le veut dans le monde mais elle n'est pas douce et immédiatement consommable comme on le souhaiterait. Le réchauffement climatique, s'il fait fondre les banquises et les glaciers, provoque aussi le relèvement du niveau des mers, ce qui ne réduit pas la quantité d'eau.
Ce n'est pas non plus un problème technique : on sait traiter l'eau, la transporter, même si ça coûte cher, la dessaler, l'épurer et la rendre potable.
Les problèmes qui sont liés à l'eau dans le monde sont des problèmes de répartition, de partage – entre le gaspillage dans certains pays riches et le stress hydrique vécu par un certain nombre de pays en voie de développement, les inégalités sont criantes et parfois même choquantes – et des problèmes de gouvernance, c'est-à-dire des vrais problèmes d'organisation de la gestion de l'eau au plan national, régional ou local.
Pour ce qui est de la répartition, il faut retenir ces chiffres clés : plus de 3,2 millions de morts chaque année à cause de problèmes liés à l'eau, un enfant toutes les six secondes, dix fois plus que le sida ; 900 millions de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable et 2 milliards qui n'ont pas l'eau courante chez eux et se fournissent pour la plupart à un puits situé à une distance moyenne de trois kilomètres ; 276 bassins transnationaux qui représentent presque la moitié des continents et 60 % des eaux de surface, ce qui pose des problèmes d'hydrodiplomatie pour leur partage.
Concernant la gouvernance, le réseau ONU-eau, comprend 28 agences qui interviennent en matière d'eau. A cette « machinerie » s'ajoutent d'autres organisations, comme le Conseil consultatif du Secrétaire général des Nations Unies sur l'eau et l'assainissement, le Conseil mondial de l'eau qui organise le Forum mondial de l'eau dont la prochaine édition se tiendra à Marseille en mars 2012, il s'agit d'une initiative privée rassemblant notamment des sociétés privées, en particulier les trois multinationales françaises et le Réseau international des agences de bassin. On constate donc un émiettement de la gouvernance internationale de l'eau, qui apparaît complètement irrationnel et catastrophique en termes de bonne gestion.
S'agissant des deux cas d'école choisis : l'un, celui de l'Asie centrale, est un problème de gestion de l'abondance, l'autre, le Proche-Orient, un problème de gestion de la pénurie.
En Asie centrale, le système soviétique est étonnamment pérenne. Du temps de l'Union soviétique, la gestion des eaux était assurée par une planification au niveau central et des quotas étaient fixés pour un marché : ce n'était pas pétrole contre nourriture, mais eau contre énergie. Les pays de l'amont, dont le Tadjikistan, devaient fournir de grandes quantités d'eau aux pays d'aval, dont l'Ouzbékistan, qui irriguait massivement ses basses plaines pour produire du coton. Cette surexploitation a produit le désastre écologique de la mer d'Aral. En échange, l'Ouzbékistan avait l'obligation de fournir de l'énergie.
À la disparition de l'Union soviétique, les Etats nouvellement indépendants d'Asie centrale se retrouvent à faire vivre ce système dont ils ont hérité, mais à le faire vivre dans un contexte conflictuel. Il y a des tensions permanentes. Les liaisons terrestres, ferrées et aériennes ont été coupées. Et s'il n'y a pas de violences militaires, certains signes n'en demeurent pas moins inquiétants. Le Tadjikistan est régulièrement privé d'électricité et a décidé d'exhumer un projet monumental de centrale hydro-électrique conçu à l'époque soviétique. L'Ouzbékistan s'inquiète et proteste. La Banque mondiale est chargée d'une expertise technique sur le projet, ses conséquences environnementales, économiques, ses financements et sa viabilité. Son rapport est attendu.
Il s'agit donc d'un cas où deux Etats se déchirent pour la gestion de l'abondance, sur l'usage de l'eau pour l'irrigation et l'énergie. Mais, de façon assez étonnante, dans ce contexte dégradé, les quotas hérités de l'Union soviétique continuent à être appliqués.
Le Proche-Orient présente une situation inverse de gestion de la pénurie. Le Liban qui est naturellement le château d'eau potentiel est dans l'incapacité de produire et stocker l'eau pour alimenter l'ensemble de la région. En ce qui concerne la Jordanie, « frontière sûre » d'Israël, la coopération avec Israël se passe plutôt bien, mais la Jordanie est le pays qui souffre le plus du stress hydrique, au point qu'un projet pharaonique de transfèrement d'eau de la Mer Rouge vers la Mer Morte est à l'étude ; c'est aussi la Banque mondiale qui est chargée d'étudier les conditions de sa mise en oeuvre.
Mais ce qui me paraît le plus important et m'amène à dire des choses un peu brutales et peut-être provocatrices, c'est que l'eau est, dans le rapport entre les Israéliens et les Palestiniens, révélateur d'un nouvel apartheid. Ce terme comme vous le savez a désigné la ségrégation raciale en Afrique du sud, mais on retrouve bien en Palestine une ségrégation raciale, qu'on appelle religieuse, et une ségrégation géographique, avec ce mur de la honte et ce zonage en zones A, B et C, avec des discours très méprisants et hautains de certains responsables israéliens qui jugent que « ces gens là » ne sont pas capables de gérer l'eau enfin, au-delà du problème de l'eau, avec les humiliations aux check points et les violences, dans la répression de manifestations notamment.
La gestion de l'eau est tout à fait révélatrice de ce nouvel apartheid car toute la politique israélienne a consisté à acquérir une maîtrise de l'eau qu'elle n'avait pas et à prendre le contrôle des sources d'approvisionnement du bassin du Jourdain, avec des acquisitions territoriales qui sont liées à l'eau et particulièrement aux aquifères. La superposition de la carte des colonies et de celle des aquifères est d'ailleurs très troublante. Il faut reconnaître le formidable volontarisme des Israéliens dans cette conquête de l'eau, notamment au plan technologique. Ils ont construit d'énormes usines de dessalement, dont celle d'Ashkelon que nous avons visitée, dans le cadre d'un programme qui se poursuit. Alors que dans le reste du monde l'eau part des plateaux et descend vers la mer, là-bas l'eau remonte vers les plateaux depuis la mer. Les Israéliens se dotent du pouvoir de l'eau et pourront le monnayer dans la négociation des accords de paix.
Comme vous le savez, l'eau est un volet à part entière des accords d'Oslo qui prévoient à titre provisoire un partage de l'eau et des pouvoirs de gestion. Il existe une commission qui réunit les deux parties ; le ministre palestinien de l'eau était d'ailleurs en France la semaine dernière. On y discute, mais le fonctionnement de la commission et les autorisations nécessaires pour les équipements en zone sous contrôle israélien rendent très difficiles la réalisation de projets, notamment d'assainissement, avec des refus et des dossiers dont le traitement dure depuis des années.
Ce sujet des relations entre les Israéliens et les Palestiniens, les tensions sur l'eau, nous ont beaucoup interpellés. Tout est lié. Sans solution politique au conflit israélo-palestinien, il n'y aura pas de solution pour l'eau. Lorsqu'il y aura une solution politique, l'eau y trouvera sa place.
Je conclurai enfin en présentant les vingt propositions du rapport pour la gouvernance de l'eau et l'hydrodiplomatie, c'est-à-dire la diplomatie de l'eau, autour de trois grandes orientations.
La première orientation est de promouvoir une bonne gestion locale et transnationale de l'eau. Il faut d'abord améliorer la connaissance. Il y a par exemple encore une grande méconnaissance des aquifères, dont certains constituent des réserves d'eau inexploitées. Il faut ensuite agir pour une gestion intégrée des ressources en eau, avec comme échelle pertinente le bassin hydrographique. Le modèle français de la gestion par bassin versant, nos agences de bassin, fait le tour du monde. C'est la bonne échelle, même quand le bassin est transnational. Il faut aussi mettre en place un programme de rationalisation de l'usage de l'eau. On ne peut pas faire la course à la ressource supplémentaire en eau, sans en même temps lutter contre les gaspillages, qui sont choquant dans nos pays développés, mieux utiliser l'eau de pluie, les techniques économes en eau et développer la réutilisation des eaux usées, qui permettrait de disposer de ressources considérables. On peut très bien boire des eaux recyclées si on se donne les moyens pour l'épuration nécessaire.
La deuxième orientation est de conforter l'intervention des acteurs français. Nous faisons des propositions sur l'aide publique au développement, avec les mêmes constats que ceux qui ont déjà été faits dans cette commission, sur la baisse générale de l'aide publique au développement consacrée à l'eau et sur le remplacement dommageable des subventions par des prêts. Nous faisons aussi des propositions pour lier aux programmes, des projets d'assainissement et de formation des acteurs locaux.
La troisième orientation est de renforcer la gouvernance mondiale de l'eau. D'abord, certaines conventions doivent être plus largement ratifiées, notamment la convention de New York de 1997. La France doit poursuivre sa démarche, auprès de ses partenaires notamment, pour qu'ils ratifient ces instruments. Ensuite le rapport souhaite une unification des programmes onusiens dans une agence mondiale de l'eau. La France ayant demandé la création d'une organisation internationale de l'environnement, nous souhaitons que cette agence en soit partie intégrante, afin d'être cohérent avec la position française et de ne pas formuler une proposition qui en serait concurrente.
J'ai essayé d'être synthétique. Le débat nous permettra sans doute d'approfondir un certain nombre de points.
Je tiens à remercier le président et le rapporteur de la mission d'information pour le caractère exhaustif de leur rapport et de leurs propositions. Il est vrai qu'il y a un émiettement de tout ce qui concerne l'eau au niveau de l'Organisation des Nations Unies et nous n'y voyons pas clair. Je voudrais cependant savoir s'il existe un programme mondial de sensibilisation et de formation aux techniques d'irrigation ? Comment se situe la France dans cet enjeu ? Vous avez cité l'AFD qui a un réel savoir-faire. Mais comment se comportent nos grands groupes comme Veolia, Vivendi et Suez ? Est-il possible, par une diplomatie appropriée, de les aider, notamment pour conquérir des parts de marché ?
Je commencerai en rappelant que l'eau n'est pas une marchandise comme les autres. Or, il me semble que dans les accords de financement internationaux d'aide au développement, il est fait état d'une dimension privée de la gestion de l'eau voire, d'une remise en cause de la gestion publique en échange de versement d'une aide. Il me semble que ce n'est pas la meilleure façon d'aider. Nous même en France, on commence à se dire que la privatisation n'est pas la panacée et on se rend compte que la gestion publique a ses avantages.
Je voudrais revenir sur la dimension « mauvais traitements à peuple » évoquée par le Rapporteur à propos des Palestiniens. Le rapport évoque-t-il d'autres exemples ?
Je souhaiterais également avoir des précisions sur les aspects liés à la « protection » de la ressource en eau. Cette dernière ne sert pas qu'à boire ou irriguer. Elle est aussi utilisée, par exemple, pour refroidir les réacteurs nucléaires. A un moment où l'eau peut venir à manquer dans nos rivières et nos fleuves, cette question est importante. Parlez-vous, dans votre rapport, de cette autre dimension économique de l'eau ?
Je souhaite poser trois questions. Tout d'abord, que représente le marché de l'eau ? Quels sont les volumes financiers associés sur le plan mondial ? Quelle est notamment la part de marché des entreprises françaises sur le marché de l'eau et de l'assainissement ? Ensuite, les aquifères sont-ils exploités dans les régions comme le Sahara. A-t-on déjà comparé le coût d'extraction d'un mètre cube d'eau des aquifères par rapport à celle d'un mètre cube de pétrole ? Enfin, quel est le statut de l'eau ? Il y a bien un statut de la mer ! Il me semble que vous avez évoqué une convention internationale en cours d'élaboration. Que peut-on envisager en la matière ?
Avant toutes choses, je voudrais que, s'agissant de la description de la situation au Moyen-Orient, le rapport soit moins caricatural que la présentation que nous en a faite M. Glavany. Nous avons eu droit à tous les poncifs !
Pour en revenir au sujet, avez-vous envisagé l'impact de la pénurie d'eau sur les flux migratoires ?
En ce qui concerne l'émiettement des structures relatives à l'eau, nous avons auditionné de nombreuses personnes contentes d'elles-mêmes qui nous ont suggéré que rien ne change. De notre point de vue, il nous semble préférable de procéder à des regroupements et nous préconisons une logique consistant à s'inscrire dans le cadre d'une organisation mondiale de l'environnement. A côté de ces structures publiques, il y aussi des organismes privés mais, en tout état de cause, il faut en finir avec les doublons et rechercher l'efficacité.
Il existe bien des programmes de techniques d'irrigation dont les résultats sont variables en fonction des Etats concernés, notamment de leur implication. Mais, en tout état de cause, ce n'est qu'avec l'aide financière et technologique des pays développés qu'on peut obtenir des résultats concrets.
Le droit international de l'eau est très récent. Le droit à l'accès à l'eau par exemple n'a été reconnu qu'en 2010. Toutefois, à part peut-être certaines expériences chiliennes, l'eau est, partout dans le monde, un bien public. La reconnaissance d'un droit à ce bien public est une grande conquête. Si l'eau est un bien public, ce qui est parfois délégué, c'est sa gestion. Il faut cependant relativiser. D'une part, cette délégation est le fait des collectivités publiques. D'autre part, elle ne concerne que 9 % de la population mondiale. Je précise que la mission a voulu auditionner les dirigeants des grands groupes français intervenant dans le secteur. MM. Frérot (Veolia) et Brousse (Saur) ont accepté ; M. Mestrallet (Suez) n'a pas souhaité venir ni nous recevoir et nous avons vu M. Chaussade, directeur général de Suez environnement. Je souligne enfin qu'il existe un modèle français de l'eau, avec, d'une part, des agences de bassin et, d'autre part, la délégation de service public. Ce modèle s'exporte dans le monde entier.
S'agissant d'autres peuples maltraités, c'est-à-dire de peuples souffrant d'un mauvais partage de l'eau, le rapport donne des exemples de pays souffrant d'un partage inégal de l'eau, mais aucun cas n'est comparable à celui du Proche-Orient. Il peut y avoir, parfois, des tensions comme, par exemple, entre l'Egypte et l'Ethiopie à propos de la région du Haut Nil mais on ne trouve pas de cas de stress hydrique semblables à celui du Proche-Orient. Peut-être que notre collègue Rudy Salles a trouvé ma présentation caricaturale, mais j'ai fait un résumé rapide du rapport. Ce dernier contient une analyse précise de la situation. De surcroît, Israël assume sa volonté de maîtrise et d'hégémonie sur l'eau, lesquelles peuvent être un élément dans la balance d'un éventuel règlement global du conflit. Nous avons été témoins de plein de cas choquants : les puits construits à Gaza sont détruits, certes en représailles de tirs de roquettes, mais ce sont des violations du droit international.
Concernant la question sur le marché de l'eau, il n'y a pas de marché, puisque c'est un bien public. Les données chiffrées sur la gestion assurée par des opérateurs privés peuvent être compilées si vous m'en donnez le temps.
La vraie question qui se pose sur l'exploitation des aquifères concerne leur caractère renouvelable ou non. Or, nous avons constaté une grande méconnaissance des aquifères mondiaux. C'est la raison pour laquelle nous proposons d'améliorer le savoir mondial dans le domaine de l'eau.
Dans les pays développés, l'augmentation constante des ressources en eau et le gaspillage qui l'accompagne n'est plus acceptable sans mettre en place une politique de rationalisation des usages. Cette obligation morale va s'imposer à l'avenir. Il est évident que nous ne pourrons pas utiliser le goutte à goutte pour les grandes cultures des plaines de la Beauce ou du bassin de l'Adour mais beaucoup de progrès peuvent être faits. La France mène des actions de coopération dans des pays victimes de stress hydrique – c'est le cas notamment en Tunisie : les Français y enseignent l'usage du goutte à goutte alors que nous sommes loin d'être exemplaires dans ce domaine. Ce que nous enseignons aux autres, nous devons l'apprendre aussi…
Sur la question des migrations, M. Salles, les peuples ne quittent pas leur territoire lorsque celui-ci subit un stress hydrique. En revanche, l'absence d'eau provoque des migrations. La part spécifiquement liée à l'eau dans les migrations observées n'est pas quantifiable. En outre, les populations reviennent sur leurs terres dès que l'eau est de nouveau présente, sauf en cas de conflit ou dans les régions frontalières. Seule la pénurie d'eau donne lieu à des phénomènes d'exode, mais aussi à des conflits d'usage.
J'ai été interpellé par la déclinaison des objectifs qui sous-tendent vos propositions. Vous souhaitez promouvoir une bonne gestion de l'eau et lutter contre le gaspillage tout en disant que l'eau est abondante. Si la ressource ne pose pas problème, s'agit-il d'un problème politique ?
Qu'en est-il du dessalement de l'eau ? Disposons-nous aujourd'hui des techniques permettant d'utiliser l'eau salée ? Je m'étonne que les problèmes techniques soient régulièrement mis en avant dans le domaine de l'eau alors que l'exploitation des ressources énergétiques qui n'est pourtant pas simple semble soulever moins de difficultés.
En matière de gestion de l'eau, il faut souligner l'importance de l'agriculture raisonnée. La France doit exporter son savoir-faire dans ce domaine.
J'ai bu les paroles de notre Rapporteur. Je souhaiterais faire trois observations. Premièrement, contrairement à ce que l'on imagine, on ne fait pas la guerre pour l'eau, même au Moyen-Orient. L'eau n'est pas l'objet principal du conflit, elle est un sujet secondaire voire une victime. Les stratégies diplomatiques ne sont pas conduites en fonction des impératifs d'accès à l'eau. Deuxièmement, le caractère de bien public de l'eau explique le désintérêt qu'elle suscite de la part des gouvernants. L'accès à l'eau n'est pas considéré comme une question essentielle par les dirigeants. Ainsi à Djeddah, une part importante de la population n'a pas un accès constant à l'eau. Enfin, la France occupe, grâce à son modèle de gestion, à ses entreprises et à son savoir-faire, une place centrale dans le domaine de l'eau. Il s'agit d'un sujet majeur pour le développement de l'économie française, d'une part, et pour l'action en direction des pays pauvres, d'autre part. L'eau doit faire l'objet d'une politique volontariste, à la fois humanitaire et conforme à l'intérêt économique du pays.
Je suis très sensible à vos propos sur la bonne gestion. J'ai apprécié qu'il ne soit pas opposé pénuries et gaspillages mais qu'il soit question de bonne gestion. En la matière, on oublie trop souvent que si l'eau n'a pas de prix, si elle n'est pas une marchandise, elle a un coût. Nombre de gens n'ont pas encore intégré la nécessité de payer l'eau. La bonne gestion passe donc par une prise de conscience du coût de l'eau.
J'ai souvenir d'un congrès de maires à Gaza sur la gestion de l'eau où j'avais été impressionné par la culture politique des responsables locaux. Ces derniers étaient pleinement avertis de l'importance d'attribuer un prix à l'eau même si les financements viennent de la banque mondiale, notamment pour éduquer la population. L'hygiène qu'apporte l'eau est en effet le premier outil de lutte contre la mortalité infantile et la propagation des maladies. Autre illustration des difficultés de la gestion de l'eau : à Mexico, premier bidonville du monde, lorsque un système de distribution d'eau a été mis en place, une tarification a été introduite, mais l'eau était moins coûteuse que celle vendue par des porteurs d'eau. Il faut se débarrasser des idées reçues.
Sur la gestion globalisée de l'eau, je ne peux que partager les propos du Rapporteur. Je répète depuis longtemps que la coopération décentralisée doit être globalisée et coordonnée plutôt que donner lieu à une juxtaposition inefficace d'initiatives locales. En matière de gestion de l'eau, cela est particulièrement vrai : sauf à adhérer à la philosophie de Soeur Emmanuelle sur les bienfaits de la goutte d'eau dans l'océan, il ne sert à rien de financer un puits si celui-ci ne s'inscrit pas dans un plan global.
Nous ne savons pas exporter suffisamment la délégation de service public. Il faut en finir avec le cliché qui veut que la gestion publique de l'eau serait par nature économe tandis que la gestion privée coûterait chère. Tout dépend de la capacité des responsables politiques à s'investir sur cette question. Les délégataires peuvent s'acquitter correctement de leur tâche. Si certains contrats de délégation ont été dénoncés, c'est parce que le travail n'était pas fait et que le délégataire s'était assuré l'indulgence des élus.
Il faut réhabiliter la délégation de service public dont nous avons tort de ne pas exploiter le potentiel extraordinaire à l'étranger.
Pouvez-vous nous éclairer sur l'avenir des techniques de dessalement ? Les coûts resteront-ils élevés ou de nouvelles techniques permettront-elles de les abaisser et de répondre ainsi aux risques de pénurie qui nous menacent ?
Sur la question du dessalement, soulevée par Robert Lecou et Dominique Souchet, encore une fois, on sait tout faire, et très bien : il y a des petites unités de dessalement sur les bateaux de plaisance ; il y en a de plus importantes, utilisées pour les crises humanitaires, par exemple, ou encore à Gaza ; et d'autres, énormes, comme celle d'Ashkelon en Israël, qui fonctionne d'ailleurs en joint-venture avec Veolia.
Il n'y a donc aucun problème technique, mais c'est une technologie chère. Aujourd'hui, produire un mètre cube d'eau, hors prix du service, à partir d'une eau non polluée coûte 5 centimes d'euro ; à partir d'eau polluée, 25 centimes ; à partir d'eaux usées, 45 centimes et 75 centimes à partir d'une eau salée. Les coûts baissent régulièrement, mais d'autres se greffent, qu'il faut prendre en compte : les frais de transport par exemple ; c'est une technologie qui n'a pas d'avenir au centre de l'Afrique subsaharienne. Elle est adaptée surtout en zone littorale. Il y a aussi des aspects énergétiques et environnementaux. La centrale d'Ashkelon est à côté d'une centrale thermique car il faut beaucoup d'énergie pour dessaler. Au plan environnemental, c'est aussi une technique qui produit des saumures, qui aujourd'hui sont rejetées en mer et qui pose donc d'autres problèmes à terme.
Quant je dis qu'il n'y a pas de problème technique, c'est parce qu'on sait transporter l'eau, la conserver, la dessaler, la distribuer, mais elle est mal répartie et la gouvernance pose problème. Ce sont des problèmes politiques et je partage ce qu'a dit Jean-Paul Bacquet à ce sujet.
Pour répondre à Hervé de Charette, on a recensé les conflits et il y a en réalité bien plus de coopérations que de conflits. En fait, l'eau est un facteur aggravant de conflits, plus que déclencheur, sauf peut-être au niveau local, tribal. Au Moyen-Orient, en tout cas, on voit bien l'imbrication étroite entre l'eau et les questions politiques. Il faut voir en Cisjordanie la juxtaposition entre les colonies et les fermes irriguées israéliennes d'un côté, très verdoyantes, et la plaine du Jourdain, asséchée. C'est un contraste criant et choquant, et c'est une réalité objective.
Quant à la question de l'eau comme bien public, c'est toute la question de la citoyenneté qui est posée. Nous avons de l'eau en quantité, certes, mais pas tant que ça pour ce qui est de l'eau propre et consommable.
Le modèle français est exportable sur plusieurs aspects : que ce soit les modalités de la délégation de service public, la technologie des entreprises, ou encore la décentralisation et la gestion par des agences de bassin. Je partage le sentiment de Jean-Paul Bacquet sur la question de la gratuité : elle n'existe pas, il y a toujours quelqu'un qui paie. Quant à la coopération décentralisée : la loi Houdin est mise en oeuvre par certaines agences de bassin, mais il faudrait structurer ces initiatives dans un cadre global. Le ministère y réfléchit.
Je suis tout à fait d'accord avec Jean Glavany. Il y a effectivement un savoir-faire français dont nous n'avons pas à rougir et qu'il faut savoir exporter. Les entreprises y gagnent, mais le pays aussi. C'est un bénéfice pour tout le monde. Il ne faut pas oublier qu'il y a concurrence sur ces questions, avec les Etats-Unis et bientôt la Chine. Nous avons tout intérêt à soutenir nos entreprises, qui interviennent dans un esprit qui n'est pas uniquement mercantile. Nous avons rencontré de nombreux interlocuteurs dans cette logique. Vous trouverez dans le rapport des éléments plus exhaustifs et plus précis. Ce rapport pourrait aussi être vu comme une bonne synthèse du sujet avant la tenue du Forum mondial de l'eau à Marseille l'an prochain.
Puis la commission autorise la publication du rapport d'information.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.