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Intervention de Jean Glavany

Réunion du 13 décembre 2011 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany, rapporteur :

Pour enchaîner avec ce que vient de dire le Président de la mission, je souhaite rappeler quelques données du problème de l'eau dans le monde.

Ce n'est pas un problème quantitatif. Il y a autant d'eau qu'on le veut dans le monde mais elle n'est pas douce et immédiatement consommable comme on le souhaiterait. Le réchauffement climatique, s'il fait fondre les banquises et les glaciers, provoque aussi le relèvement du niveau des mers, ce qui ne réduit pas la quantité d'eau.

Ce n'est pas non plus un problème technique : on sait traiter l'eau, la transporter, même si ça coûte cher, la dessaler, l'épurer et la rendre potable.

Les problèmes qui sont liés à l'eau dans le monde sont des problèmes de répartition, de partage – entre le gaspillage dans certains pays riches et le stress hydrique vécu par un certain nombre de pays en voie de développement, les inégalités sont criantes et parfois même choquantes – et des problèmes de gouvernance, c'est-à-dire des vrais problèmes d'organisation de la gestion de l'eau au plan national, régional ou local.

Pour ce qui est de la répartition, il faut retenir ces chiffres clés : plus de 3,2 millions de morts chaque année à cause de problèmes liés à l'eau, un enfant toutes les six secondes, dix fois plus que le sida ; 900 millions de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable et 2 milliards qui n'ont pas l'eau courante chez eux et se fournissent pour la plupart à un puits situé à une distance moyenne de trois kilomètres ; 276 bassins transnationaux qui représentent presque la moitié des continents et 60 % des eaux de surface, ce qui pose des problèmes d'hydrodiplomatie pour leur partage.

Concernant la gouvernance, le réseau ONU-eau, comprend 28 agences qui interviennent en matière d'eau. A cette « machinerie » s'ajoutent d'autres organisations, comme le Conseil consultatif du Secrétaire général des Nations Unies sur l'eau et l'assainissement, le Conseil mondial de l'eau qui organise le Forum mondial de l'eau dont la prochaine édition se tiendra à Marseille en mars 2012, il s'agit d'une initiative privée rassemblant notamment des sociétés privées, en particulier les trois multinationales françaises et le Réseau international des agences de bassin. On constate donc un émiettement de la gouvernance internationale de l'eau, qui apparaît complètement irrationnel et catastrophique en termes de bonne gestion.

S'agissant des deux cas d'école choisis : l'un, celui de l'Asie centrale, est un problème de gestion de l'abondance, l'autre, le Proche-Orient, un problème de gestion de la pénurie.

En Asie centrale, le système soviétique est étonnamment pérenne. Du temps de l'Union soviétique, la gestion des eaux était assurée par une planification au niveau central et des quotas étaient fixés pour un marché : ce n'était pas pétrole contre nourriture, mais eau contre énergie. Les pays de l'amont, dont le Tadjikistan, devaient fournir de grandes quantités d'eau aux pays d'aval, dont l'Ouzbékistan, qui irriguait massivement ses basses plaines pour produire du coton. Cette surexploitation a produit le désastre écologique de la mer d'Aral. En échange, l'Ouzbékistan avait l'obligation de fournir de l'énergie.

À la disparition de l'Union soviétique, les Etats nouvellement indépendants d'Asie centrale se retrouvent à faire vivre ce système dont ils ont hérité, mais à le faire vivre dans un contexte conflictuel. Il y a des tensions permanentes. Les liaisons terrestres, ferrées et aériennes ont été coupées. Et s'il n'y a pas de violences militaires, certains signes n'en demeurent pas moins inquiétants. Le Tadjikistan est régulièrement privé d'électricité et a décidé d'exhumer un projet monumental de centrale hydro-électrique conçu à l'époque soviétique. L'Ouzbékistan s'inquiète et proteste. La Banque mondiale est chargée d'une expertise technique sur le projet, ses conséquences environnementales, économiques, ses financements et sa viabilité. Son rapport est attendu.

Il s'agit donc d'un cas où deux Etats se déchirent pour la gestion de l'abondance, sur l'usage de l'eau pour l'irrigation et l'énergie. Mais, de façon assez étonnante, dans ce contexte dégradé, les quotas hérités de l'Union soviétique continuent à être appliqués.

Le Proche-Orient présente une situation inverse de gestion de la pénurie. Le Liban qui est naturellement le château d'eau potentiel est dans l'incapacité de produire et stocker l'eau pour alimenter l'ensemble de la région. En ce qui concerne la Jordanie, « frontière sûre » d'Israël, la coopération avec Israël se passe plutôt bien, mais la Jordanie est le pays qui souffre le plus du stress hydrique, au point qu'un projet pharaonique de transfèrement d'eau de la Mer Rouge vers la Mer Morte est à l'étude ; c'est aussi la Banque mondiale qui est chargée d'étudier les conditions de sa mise en oeuvre.

Mais ce qui me paraît le plus important et m'amène à dire des choses un peu brutales et peut-être provocatrices, c'est que l'eau est, dans le rapport entre les Israéliens et les Palestiniens, révélateur d'un nouvel apartheid. Ce terme comme vous le savez a désigné la ségrégation raciale en Afrique du sud, mais on retrouve bien en Palestine une ségrégation raciale, qu'on appelle religieuse, et une ségrégation géographique, avec ce mur de la honte et ce zonage en zones A, B et C, avec des discours très méprisants et hautains de certains responsables israéliens qui jugent que « ces gens là » ne sont pas capables de gérer l'eau enfin, au-delà du problème de l'eau, avec les humiliations aux check points et les violences, dans la répression de manifestations notamment.

La gestion de l'eau est tout à fait révélatrice de ce nouvel apartheid car toute la politique israélienne a consisté à acquérir une maîtrise de l'eau qu'elle n'avait pas et à prendre le contrôle des sources d'approvisionnement du bassin du Jourdain, avec des acquisitions territoriales qui sont liées à l'eau et particulièrement aux aquifères. La superposition de la carte des colonies et de celle des aquifères est d'ailleurs très troublante. Il faut reconnaître le formidable volontarisme des Israéliens dans cette conquête de l'eau, notamment au plan technologique. Ils ont construit d'énormes usines de dessalement, dont celle d'Ashkelon que nous avons visitée, dans le cadre d'un programme qui se poursuit. Alors que dans le reste du monde l'eau part des plateaux et descend vers la mer, là-bas l'eau remonte vers les plateaux depuis la mer. Les Israéliens se dotent du pouvoir de l'eau et pourront le monnayer dans la négociation des accords de paix.

Comme vous le savez, l'eau est un volet à part entière des accords d'Oslo qui prévoient à titre provisoire un partage de l'eau et des pouvoirs de gestion. Il existe une commission qui réunit les deux parties ; le ministre palestinien de l'eau était d'ailleurs en France la semaine dernière. On y discute, mais le fonctionnement de la commission et les autorisations nécessaires pour les équipements en zone sous contrôle israélien rendent très difficiles la réalisation de projets, notamment d'assainissement, avec des refus et des dossiers dont le traitement dure depuis des années.

Ce sujet des relations entre les Israéliens et les Palestiniens, les tensions sur l'eau, nous ont beaucoup interpellés. Tout est lié. Sans solution politique au conflit israélo-palestinien, il n'y aura pas de solution pour l'eau. Lorsqu'il y aura une solution politique, l'eau y trouvera sa place.

Je conclurai enfin en présentant les vingt propositions du rapport pour la gouvernance de l'eau et l'hydrodiplomatie, c'est-à-dire la diplomatie de l'eau, autour de trois grandes orientations.

La première orientation est de promouvoir une bonne gestion locale et transnationale de l'eau. Il faut d'abord améliorer la connaissance. Il y a par exemple encore une grande méconnaissance des aquifères, dont certains constituent des réserves d'eau inexploitées. Il faut ensuite agir pour une gestion intégrée des ressources en eau, avec comme échelle pertinente le bassin hydrographique. Le modèle français de la gestion par bassin versant, nos agences de bassin, fait le tour du monde. C'est la bonne échelle, même quand le bassin est transnational. Il faut aussi mettre en place un programme de rationalisation de l'usage de l'eau. On ne peut pas faire la course à la ressource supplémentaire en eau, sans en même temps lutter contre les gaspillages, qui sont choquant dans nos pays développés, mieux utiliser l'eau de pluie, les techniques économes en eau et développer la réutilisation des eaux usées, qui permettrait de disposer de ressources considérables. On peut très bien boire des eaux recyclées si on se donne les moyens pour l'épuration nécessaire.

La deuxième orientation est de conforter l'intervention des acteurs français. Nous faisons des propositions sur l'aide publique au développement, avec les mêmes constats que ceux qui ont déjà été faits dans cette commission, sur la baisse générale de l'aide publique au développement consacrée à l'eau et sur le remplacement dommageable des subventions par des prêts. Nous faisons aussi des propositions pour lier aux programmes, des projets d'assainissement et de formation des acteurs locaux.

La troisième orientation est de renforcer la gouvernance mondiale de l'eau. D'abord, certaines conventions doivent être plus largement ratifiées, notamment la convention de New York de 1997. La France doit poursuivre sa démarche, auprès de ses partenaires notamment, pour qu'ils ratifient ces instruments. Ensuite le rapport souhaite une unification des programmes onusiens dans une agence mondiale de l'eau. La France ayant demandé la création d'une organisation internationale de l'environnement, nous souhaitons que cette agence en soit partie intégrante, afin d'être cohérent avec la position française et de ne pas formuler une proposition qui en serait concurrente.

J'ai essayé d'être synthétique. Le débat nous permettra sans doute d'approfondir un certain nombre de points.

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