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Intervention de Lionnel Luca

Réunion du 13 décembre 2011 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionnel Luca, président de la mission d'information :

Chers Collègues, je vous remercie d'être présents pour la présentation du rapport de la mission qui nous a été confiée et que certains d'entre nous avaient particulièrement souhaité, notamment son Rapporteur. La mission d'information sur la géopolitique de l'eau a commencé ses travaux il y a près d'un an déjà. La définition de la géopolitique de l'eau qui a été retenue est celle de l'étude des rivalités de pouvoirs s'exerçant sur des eaux ou sur un ou des territoires disposant de ressources en eau, qu'il s'agisse de conflits ou de coopérations entre États, entre pouvoirs locaux, entre forces économiques et sociales, entre usages ou entre fonctions de la ressource. Cette définition très large nous a conduit à faire vingt-sept auditions, permettant d'entendre des personnes venues d'horizons très divers : diplomates, analystes, géographes, membres d'ONG, représentants institutionnels, juristes, chefs d'entreprise. Je remercie les membres de la mission qui nous ont accompagnés pour ces auditions.

La Terre est la planète bleue. L'eau est pratiquement partout. C'est la maîtrise de l'eau qui est en débat : les contraintes démographiques, climatiques, environnementales, conduiront-elles à des conflits dramatiques ou au contraire à des solutions de partage de l'eau ?

La mission avait la possibilité d'effecteur deux déplacements. Le choix du bassin du Proche-Orient (Liban, Jordanie, Israël, Palestine) est apparu rapidement évident. La seconde destination a donné lieu à plus d'interrogations. Plusieurs zones méritaient une étude : les tensions entre l'Egypte et les pays situés en amont du Nil, question bien connue, les coopérations sur l'eau en Amérique latine et la gestion de l'eau par le Chili ou la Bolivie, le bassin du Mékong, la politique unilatérale de la Chine vis-à-vis de ses voisins. Nous souhaitions nous orienter vers la Chine et la situation au Tibet, château d'eau de l'Asie où dix fleuves prennent leur source. Il n'était malheureusement pas possible d'obtenir une réponse sur un déplacement au Tibet suffisamment à l'avance. Les autres zones ont été écartées car il est apparu finalement que l'Asie centrale, zone plus méconnue, présentait un grand intérêt. Un conflit assez important y oppose l'Ouzbékistan et le Tadjikistan et il a paru assez exemplaire des problèmes que pose la gestion des eaux des fleuves, dans une région où l'eau est abondante.

Je laisserai le rapporteur présenter l'analyse du rapport, tant sur le rôle de l'eau dans les conflits, que sur la gouvernance des eaux et l'hydrodiplomatie. Je présenterai un état des lieux de l'eau dans le monde.

L'eau est partout. 75 % de la surface de la terre est recouverte d'eau, mais l'eau douce ne représente que 2,5 % de l'eau et moins d'1 % est effectivement accessible, le reste étant pour l'essentiel prisonnier des glaces, même si celles-ci fondent. L'eau ne manque pas sur la terre contrairement à l'idée que véhicule notamment la presse. La quantité d'eau douce est stable car renouvelable, mais inégalement répartie sur la planète. Neuf pays concentrent 60 % des réserves d'eau douce mondiales (Brésil, Canada, Chine, Colombie, Etats-Unis, Inde, Indonésie, Pérou et Russie). Les inégalités sont déterminées par la géographie mais s'expriment dans le rapport à la population présente sur un territoire. L'Asie abrite 30 % des ressources mondiales disponibles mais 60 % de la population. Entre la bande de Gaza où l'on relève 59 mètres cubes par habitant et par an et l'Islande où on en relève près de 600 000, le rapport est de un à 10 000.

Des seuils de pénurie en eau ont été fixés : vulnérabilité sous 2500 m3 par habitant et par an, stress hydrique sous 1 700, pénurie chronique en dessous de 1 000 et critique en dessous de 500 m3. Environ un tiers de la population mondiale vivrait en dessous du seuil de stress hydrique et vingt pays en état de pénurie (Afrique du sud, Algérie, Burundi, Egypte, Ethiopie, Kenya, Libye, Malawi, Maroc, Rwanda, Somalie, Tunisie, Arabie Saoudite, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Yémen, Palestine). Le manque d'eau est structurel dans le triangle qui s'étend de la Tunisie au Soudan et au Pakistan.

Mais cette carte des pénuries masque la réalité du problème de l'eau qui est d'abord celui de la capacité à mobiliser la ressource. La pauvreté en eau est d'abord liée à la pauvreté tout court. Certaines régions d'Afrique disposent d'une eau abondante mais présentent un indice de pauvreté en eau catastrophique. Le Mozambique, qui dispose de ressources en eau trois fois supérieures à la France, présente une consommation en eau de dix litres par habitant et par jour, soit moins que ce que l'Organisation mondiale de la santé considère comme le minimum vital. A l'inverse, Singapour ou Israël parviennent à prodiguer des volumes d'eau conséquents à leur population. Cet après-midi, le groupe d'amitié France-Singapour recevait un représentant de Singapour, qui expliquait qu'en l'absence d'eau, les solutions mises en oeuvre par Singapour pour gérer l'eau étaient le recyclage, le dessalement et le traitement des eaux de Malaisie que ce pays rachetait ensuite.

L'eau sert d'abord à assurer l'alimentation des populations. Les usages de l'eau se répartissent à 70 % pour l'agriculture, 20 % pour la production industrielle et énergétique et 10 % pour la consommation domestique. Il faut 2 000 à 5 000 litres d'eau pour produire la nourriture quotidienne d'une personne, contre 2 à 5 litres pour boire et 25 à 100 litres pour les usages domestiques. Si l'on s'attache à la consommation d'eau, et non aux prélèvements, 93 % de l'eau douce serait consommée par l'agriculture.

Le lien entre sous-développement et manque d'eau se traduit aussi bien entendu dans l'accès à l'eau potable et à l'assainissement. Une des cibles de l'objectif n° 7 des Objectifs du Millénaire pour le développement, fixés en 2000, est de réduire de moitié le pourcentage de la population qui n'a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable ni à des services d'assainissement de base. Il faut rappeler que davantage de gens meurent d'eau contaminée et polluée que de toutes autres formes de violences selon le PNUE. Certains chiffres font état de 3,2 millions de morts par an, soit 6 % des décès, et un enfant toutes les trois secondes.

En 2011, 884 millions de personnes n'ont toujours pas un accès à une eau potable, c'est-à-dire 13 % de la population mondiale. Il y a malgré tout des progrès puisque le chiffre était encore de 1,1 milliard en 2000 et 86 % des populations des régions en développement y ont accès. Mais l'eau dite potable n'est pas toujours saine et les disparités sont énormes entre régions du monde d'abord (l'Afrique sub-saharienne ne devrait atteindre l'objectif qu'en 2040 avec un taux d'accès de seulement 58 % aujourd'hui), entre les villes et les campagnes ou entre les centres-villes et la périphérie urbaine. Ensuite, encore aujourd'hui, 2,6 milliards d'individus ne sont pas raccordés à un réseau d'assainissement, le pourcentage d'accès n'ayant augmenté que de 54 % à 62 % depuis 1990. La cible en matière d'assainissement ne sera pas atteinte.

C'est donc une véritable course contre la montre qui s'engage. Le monde devra faire face dans les années à venir, dans des proportions et des formes très variées, à une augmentation des besoins en eau, combinée à une dégradation de l'offre d'eau.

Les facteurs d'augmentation des besoins en eau sont bien connus. Il s'agit de la pression démographique, de l'urbanisation des sociétés, de l'accroissement des revenus et de l'évolution des modes de vie, particulièrement dans les pays émergents. Il faut 15 000 litres d'eau pour produire un kilo de boeuf et une voiture demande 400 000 litres d'eau pour sa fabrication.

L'augmentation des besoins en eau est en décalage avec la dégradation de l'offre d'eau. Les évolutions climatiques d'abord provoquent une augmentation du niveau des océans, la salinisation des aquifères côtiers, l'augmentation des précipitations et de leur violence, l'accentuation des sécheresses et la diminution des débits des fleuves. Le fleuve Sénégal n'atteint par exemple déjà plus qu'un quart de son niveau de 1950. Ensuite, les eaux disponibles sont de plus en plus polluées. La Chine présente une situation inquiétante avec un cinquième de ses cours d'eau au plus haut niveau de pollution, particulièrement le fleuve jaune (Huang He). Dans les pays moins développés, seule la moitié des eaux sales est collectée et 20 % traitée. Enfin, la mauvaise utilisation de l'eau et des terres accentue les problèmes, notamment les mauvaises méthodes d'irrigation et la surexploitation des réserves d'eau.

Au total, le nombre de personnes vivant dans des régions touchées par un fort stress hydrique devrait augmenter d'un milliard d'ici 2030.

Enjeu social, enjeu économique, l'accès à l'eau est aussi un enjeu de relations internationales, puisque les deux cinquième de la population mondiale dépendent d'eaux transfrontalières. On comptabilise aujourd'hui 276 bassins transfrontaliers, couvrant environ 45 % de la surface des continents et regroupant quelques 40 % de la population mondiale. 145 pays les partagent. 33 d'entre eux ont plus de 95 % de leur territoire dans les frontières hydrologiques d'un ou plusieurs bassins transnationaux. On recense également 273 aquifères transfrontaliers dans le monde, qui représentent un volume 100 fois supérieur à l'eau douce de surface.

Dans ces conditions, l'eau peut-elle devenir un facteur de conflits entre des États dans une compétition pour une ressource qui devient rare ou au contraire, par nécessité, devient-elle un facteur de coopération afin d'assurer une bonne maîtrise et un bon partage des eaux ? Ce sont les thèmes que le Rapporteur va développer.

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