La séance est ouverte à douze heures cinq.
La Commission examine pour avis, sur le rapport de M. Alain Marty, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles (n° 3373).
L'ordre du jour appelle l'examen pour avis de six articles du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée.
Nous nous saisissons en effet principalement de son chapitre IX, qui réforme le traitement du contentieux militaire pour les actes intervenus à l'étranger en supprimant le tribunal aux armées de Paris (TAAP).
Il s'agit d'une réforme attendue. Je me souviens que le général Jean-Louis Georgelin, alors chef d'état-major des armées, s'était déclaré tout à fait favorable à cette réforme lors de son audition devant la Commission le 9 février 2010.
Les dispositions du projet de loi s'appuient sur le travail mené par le sénateur Marcel-Pierre Cléach, auteur d'une proposition de loi relative à l'aménagement des compétences juridictionnelles en matière militaire et à la simplification de plusieurs dispositions du code de justice militaire, déposée au Sénat le 11 février 2011.
Satisfaits par ce projet de loi, les sénateurs l'ont adopté le 14 avril dernier tout en lui apportant de substantiels aménagements, tenant à la procédure ainsi qu'au droit entourant la désertion.
Nous avons désigné Alain Marty rapporteur sur ce texte.
J'ai quelque scrupule à aborder ce sujet devant Michèle Alliot-Marie, qui maîtrise parfaitement le dossier, ayant eu à en connaître en sa qualité de ministre de la défense puis de ministre de la justice.
Le présent projet de loi reprend les dispositions de la proposition de loi du sénateur Marcel-Pierre Cléach. Certains de ses articles concernent la justice militaire : ils tendent, pour l'essentiel, à supprimer le tribunal aux armées de Paris (TAAP).
Durant mes travaux préparatoires, j'ai essayé de voir si cette suppression pouvait présenter un inconvénient pour les militaires, sachant que la spécificité de l'engagement militaire doit être reconnue et continuer à être défendue dans une société où la judiciarisation se développe. Le rapprochement du droit militaire vis-à-vis du droit commun ne peut conduire à lui faire perdre sa particularité.
Ce texte est soutenu par l'état-major des armées. Il ressort par ailleurs des auditions de la direction des affaires juridiques du ministère et des membres du tribunal aux armées de Paris qu'il était important de défendre les garanties juridictionnelles actuellement en vigueur.
Je rappelle que le code de justice militaire a été créé en 1857 avec, à l'époque, les conseils de guerre qui se sont révélés être des institutions extrêmement sévères pendant la guerre de 14-18. En 1965, une nouvelle organisation a été retenue avec les huit tribunaux permanents des forces armées. Puis, la grande réforme de 1982 a conduit à rapprocher la justice militaire du droit commun au travers de juridictions de droit commun spécialisées : les tribunaux de grande instance (TGI) ont eu compétence pour traiter, dans le cadre d'une chambre spécialisée, du contentieux militaire pour les actes intervenus sur le territoire de la République.
La loi de 1982 avait maintenu la possibilité de créer des tribunaux aux armées pour connaître des infractions commises hors du territoire national. Le tribunal des forces armées de Paris traitait ainsi du contentieux intervenu dans les pays liés à la France par des accords de défense, tandis qu'un tribunal distinct avait été institué à Baden-Baden pour les forces stationnées en Allemagne.
La loi du 10 novembre 1999 a simplifié cette situation en chargeant le tribunal aux armées de Paris de l'ensemble du contentieux concernant les militaires à l'étranger.
Le TAAP est composé de trois magistrats – deux magistrats du Parquet, un Procureur de la République et un substitut, ainsi qu'un juge d'instruction –, assistés de sept greffiers militaires et de deux personnels civils. Il traite actuellement environ 1 600 dossiers par an, dont 14 à 17 % concernent le contentieux strictement militaire. La plupart des affaires ont trait à des violences aux personnes, à l'usage de stupéfiants ou à des accidents de la route. Il m'a été indiqué que seuls 10 % des dossiers environ donnent lieu à une condamnation.
L'article 23 du projet de loi, qui comporte deux parties, l'une modifiant le code de procédure pénale, l'autre le code de justice militaire, vise à rapprocher le mode de fonctionnement de la justice applicable aux militaires situés hors du territoire national de celui régissant ceux placés à l'intérieur de celui-ci. Il propose donc de supprimer le TAAP et de transférer ses compétences à une formation spécialisée du TGI de Paris.
Il prend en compte une spécificité du contentieux militaire à laquelle les armées sont attachées : lorsqu'un militaire est directement mis en cause, le Procureur de la République doit solliciter l'avis du ministre de la défense qui lui fournit un éclairage sur les circonstances de l'engagement de ce soldat. Cette disposition garantit un bon niveau de compréhension du contexte opérationnel et de commandement.
Si, sur le principe, le transfert de compétences au TGI de Paris est pertinent, il nous faut être attentifs aux conditions de sa mise en oeuvre. Quatre points doivent être pris en considération.
D'abord, les questions militaires ne doivent pas être diluées dans la masse des dossiers traités par le TGI de Paris. Il appartient au président du tribunal et au procureur d'organiser leurs services ; je ne peux que les inviter à veiller au traitement réservé à ces affaires.
Deuxièmement, il faut systématiser et conforter la formation des magistrats amenés à traiter de dossiers militaires. Il existe actuellement une session de formation d'une semaine organisée par le ministère de la défense pour les magistrats volontaires : il faudrait la renforcer. De même, il serait utile que la formation initiale des magistrats comprenne au moins une sensibilisation à la justice militaire.
Troisièmement, il est nécessaire de préserver l'existence et le statut des greffiers militaires. Ils sont des intermédiaires essentiels entre le monde judiciaire et le monde militaire et constituent en outre une ressource précieuse pour la mise en oeuvre de la justice militaire en temps de guerre. Si le ministère indique qu'il n'a pas l'intention de supprimer ce corps, constitué à la fois d'officiers et de sous-officiers ayant une parfaite connaissance du fonctionnement de la justice et des préoccupations liées à l'organisation militaire, il a arrêté les formations correspondantes.
Enfin, il faut que la formation spécialisée du TGI de Paris ait des moyens de communication adéquats. Le TAAP dispose aujourd'hui de l'ensemble des outils militaires de communication : pour enquêter sur un théâtre d'opération, il n'est pas toujours possible de passer par des moyens civils qui, quand ils existent, sont souvent en mauvais état et n'apportent aucune garantie de sécurité ni de confidentialité. Il faut s'assurer que ces moyens seront bien transférés au TGI.
Par ailleurs, le Sénat a souhaité compléter le dispositif en introduisant les articles 23 bis et 23 ter. Le premier clarifie les règles de compétence pour les infractions commises à bord des navires et aéronefs militaires : c'est le tribunal du ressort du port ou de l'aérodrome d'attache qui sera compétent. L'article 23 ter élargit les cas dans lesquels le Procureur de la République doit solliciter l'avis du ministre de la défense en cas de poursuites pénales à l'encontre d'un militaire à la suite d'une plainte contre personne non dénommée ou d'un réquisitoire supplétif. Aujourd'hui, le ministre n'est saisi qu'au début de l'instruction lorsqu'un militaire est mis en cause : désormais, il pourra l'être à n'importe quel moment, y compris en cours d'instruction.
L'article 24 du projet prévoit en outre de rapprocher le régime applicable aux militaires de celui prévalant pour les fonctionnaires civils. Désormais, la perte de grade pour le militaire faisant l'objet d'une condamnation pénale ne sera plus automatique.
L'article 24 bis, introduit par le Sénat, clarifie quant à lui la définition et les sanctions applicables à la désertion, laquelle est en forte croissance ; on a ainsi recensé 2 400 cas en 2006. Ce phénomène tient au fait que le contrat militaire tend à être considéré comme un contrat ordinaire que l'on peut rompre librement ; la poursuite de la désertion n'est d'ailleurs pas systématique dans tous les ressorts. L'article distingue clairement les cas de désertion à l'intérieur du territoire national de ceux intervenant à l'extérieur et unifie les modalités de décompte des délais d'absence. Il maintient également les peines applicables : nous ne souhaitons pas banaliser le phénomène et voulons que les poursuites engagées soient plus importantes.
Enfin, l'article 26 fixe les dates d'entrée en vigueur de ces dispositions : la suppression du TAAP et le transfert de compétences vers le TGI de Paris seront effectifs au 1er janvier 2012.
En conclusion, les six articles du projet de loi vont dans le bon sens. Je ne vous proposerai donc que trois amendements formels et vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption de ces articles.
Je félicite le rapporteur pour la clarté de son rapport.
Lorsque j'ai été saisie de ce projet en tant que ministre de la défense, ma première réaction a été négative en raison de la spécificité des engagements militaires, notamment dans les opérations extérieures (OPEX), même si la loi tend à s'appliquer de manière uniforme aux militaires et aux civils. Après en avoir ensuite beaucoup parlé, en tant que ministre de la justice, avec l'état-major des armées qui est très demandeur de ce projet, et m'être rendue au TAAP, je me suis non seulement ralliée à l'idée, mais j'ai engagé une partie des réflexions et des travaux préparatoires. Autant techniquement qu'en termes d'image, le fait de ne plus avoir un tribunal spécifique mais une section du TGI de Paris est une bonne chose : il permet de conserver une spécialisation, à l'instar de la section antiterroriste. Les affaires seront jugées par des magistrats de l'ordre judiciaire dotés d'une formation et d'une expérience leur permettant d'avoir une compétence particulière. Je ne peux donc que partager la position du rapporteur ; je suis favorable au texte.
La caserne de Reuilly qui abrite le TAAP doit être vendue : la suppression du TAAP n'est-elle pas une conséquence directe de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ?
Par ailleurs, les magistrats de la formation spécialisée du TGI de Paris seront-ils, comme par le passé, assistés de spécialistes militaires ?
Il est possible que la vente de la caserne de Reuilly ait contribué à accélérer le processus de réforme, mais il n'en a pas été le facteur déclencheur.
Je rappelle que le TAAP a fonctionné en toute indépendance et qu'il ne s'est pas montré favorable aux militaires, bien au contraire ! Il a d'ailleurs engagé davantage de poursuites à l'encontre des déserteurs que les autres juridictions. Le projet de loi cherche à montrer qu'il n'existe pas de justice spéciale pour les militaires en les soumettant en conséquence à un tribunal de droit commun, tout en maintenant certaines garanties juridictionnelles propres à leur engagement et nécessaires au maintien de la chaîne de commandement.
Cela dit, la RGPP n'est pas sans incidence. Au sein de la formation spécialisée du TGI de Paris, on retrouvera peut-être les mêmes magistrats, mais sans doute moins de greffiers militaires : à ce stade, il est prévu l'arrivée de deux d'entre eux, les autres étant déployés vers d'autres activités.
Les magistrats du TGI acquerront une connaissance du métier militaire, comme le font déjà ceux qui statuent dans les juridictions de droit commun spécialisées pour les crimes et délits accomplis par des militaires sur le territoire national.
Sur les 33 TGI concernés, trois ont un volume d'activité important. Les autres ne traitent que quelques dossiers par an : on peut d'ailleurs se demander si les magistrats qui y travaillent ont de ce fait une connaissance suffisante de la spécificité du métier de militaire.
La chambre spécialisée du TGI de Marseille, qui a le plus grand nombre de dossiers en raison de la base navale de Toulon et de la présence de plusieurs régiments dans son ressort, est un exemple utile, tout le monde s'accordant à reconnaître que cette formation fonctionne bien
J'étais déjà membre de la Commission lors de la réforme de 1982 : on cherchait alors à « civilianiser » la justice militaire, arguant du fait que « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique » !
Il est bon que le contentieux militaire fasse l'objet d'un traitement spécifique, de même est-il souhaitable d'attribuer une compétence en fonction des ports et aéroports de rattachement pour les infractions commises à bord des navires et aéronefs militaires : trop de centralisation nuit à la connaissance et à la poursuite des faits. La simplification proposée par le texte va également dans le bon sens.
La Commission en vient à l'examen des articles.
Chapitre IX
Aménagement des compétences juridictionnelles en matière militaire
Article 23 : Suppression du tribunal aux armées de Paris et reconnaissance d'une compétence au pôle spécialisé en matière militaire du tribunal de grande instance de Paris pour les infractions commises par ou à l'encontre des militaires en temps de paix et hors du territoire de la République
La Commission est saisie de l'amendement DF 1 du rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de coordination. L'ordonnance n° 2006-637 du 1er juin 2006 ayant procédé à la refonte du code de justice militaire, il convenait de modifier tous les renvois à ce code pour tenir compte de la nouvelle numérotation. L'article 698-5 du code de procédure pénale n'ayant cependant pas été modifié, le présent amendement procède à cet ajustement.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle donne un avis favorable à l'adoption de l'article ainsi modifié.
Article 23 bis (nouveau) : Clarification des règles de compétence pour les infractions commises à bord des navires et des aéronefs militaires
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article sans modification.
Article 23 ter (nouveau) : Avis du ministre de la défense en cas de poursuites pénales à l'encontre d'un militaire à la suite d'une plainte contre personne non dénommée ou d'un réquisitoire supplétif
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article sans modification.
Article 24 : Suppression du caractère automatique de la perte de grade pour le militaire faisant l'objet d'une condamnation pénale et suppression de la substitution de la peine d'emprisonnement à une peine d'amende
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article sans modification.
Article 24 bis (nouveau) : Clarification et harmonisation de la définition de la désertion sur le territoire national et à l'étranger
La Commission est saisie de l'amendement DF 2 du rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de précision tendant à insérer, à l'alinéa 6, après le mot « territoire », le mot « national ».
On trouve dans le texte les notions de « territoire national » et de « territoire de la République » : sont-elles différentes d'un point de vue juridique ?
La Commission adopte l'amendement DF 2 ainsi que l'amendement rédactionnel DF 3 du rapporteur.
Puis elle donne un avis favorable à l'adoption de l'article ainsi modifié.
Chapitre X
Dispositions diverses
Article 26 : Entrée en vigueur
La Commission donne un avis favorable à l'adoption de l'article sans modification.
Amendements examinés par la Commission
Amendement DF1 présenté par M. Alain Marty, rapporteur
Article 23
Après l'alinéa 11, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« c) bis L'article 698-5 est ainsi rédigé :
« Les articles L. 123-1 à L. 123-5, L. 211-12, L. 211-13, L. 211-22, L. 221-3, L. 261-6, L. 262-2, L. 264-3, L. 264-5, L. 265-1, L. 265-3, L. 266-2, L. 267-1, L. 267-2, L. 268-2 et le deuxième alinéa de l'article L.311-2 du code de justice militaire sont applicables. Conformément à l'article L. 211-21 de ce même code, la personne mise en examen, le prévenu ou le condamné militaire doit être détenu dans des locaux séparés. » ; ».
Amendement DF2 présenté par M. Alain Marty, rapporteur
Article 24 bis
À l'alinéa 6, après le mot « territoire », insérer le mot « national ».
Amendement DF3 présenté par M. Alain Marty, rapporteur
Article 24 bis
À l'alinéa 7, à la première occurrence, remplacer le mot « militaire » par le mot « militaires ».
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.