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Intervention de Alain Marty

Réunion du 15 juin 2011 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Marty, rapporteur :

J'ai quelque scrupule à aborder ce sujet devant Michèle Alliot-Marie, qui maîtrise parfaitement le dossier, ayant eu à en connaître en sa qualité de ministre de la défense puis de ministre de la justice.

Le présent projet de loi reprend les dispositions de la proposition de loi du sénateur Marcel-Pierre Cléach. Certains de ses articles concernent la justice militaire : ils tendent, pour l'essentiel, à supprimer le tribunal aux armées de Paris (TAAP).

Durant mes travaux préparatoires, j'ai essayé de voir si cette suppression pouvait présenter un inconvénient pour les militaires, sachant que la spécificité de l'engagement militaire doit être reconnue et continuer à être défendue dans une société où la judiciarisation se développe. Le rapprochement du droit militaire vis-à-vis du droit commun ne peut conduire à lui faire perdre sa particularité.

Ce texte est soutenu par l'état-major des armées. Il ressort par ailleurs des auditions de la direction des affaires juridiques du ministère et des membres du tribunal aux armées de Paris qu'il était important de défendre les garanties juridictionnelles actuellement en vigueur.

Je rappelle que le code de justice militaire a été créé en 1857 avec, à l'époque, les conseils de guerre qui se sont révélés être des institutions extrêmement sévères pendant la guerre de 14-18. En 1965, une nouvelle organisation a été retenue avec les huit tribunaux permanents des forces armées. Puis, la grande réforme de 1982 a conduit à rapprocher la justice militaire du droit commun au travers de juridictions de droit commun spécialisées : les tribunaux de grande instance (TGI) ont eu compétence pour traiter, dans le cadre d'une chambre spécialisée, du contentieux militaire pour les actes intervenus sur le territoire de la République.

La loi de 1982 avait maintenu la possibilité de créer des tribunaux aux armées pour connaître des infractions commises hors du territoire national. Le tribunal des forces armées de Paris traitait ainsi du contentieux intervenu dans les pays liés à la France par des accords de défense, tandis qu'un tribunal distinct avait été institué à Baden-Baden pour les forces stationnées en Allemagne.

La loi du 10 novembre 1999 a simplifié cette situation en chargeant le tribunal aux armées de Paris de l'ensemble du contentieux concernant les militaires à l'étranger.

Le TAAP est composé de trois magistrats – deux magistrats du Parquet, un Procureur de la République et un substitut, ainsi qu'un juge d'instruction –, assistés de sept greffiers militaires et de deux personnels civils. Il traite actuellement environ 1 600 dossiers par an, dont 14 à 17 % concernent le contentieux strictement militaire. La plupart des affaires ont trait à des violences aux personnes, à l'usage de stupéfiants ou à des accidents de la route. Il m'a été indiqué que seuls 10 % des dossiers environ donnent lieu à une condamnation.

L'article 23 du projet de loi, qui comporte deux parties, l'une modifiant le code de procédure pénale, l'autre le code de justice militaire, vise à rapprocher le mode de fonctionnement de la justice applicable aux militaires situés hors du territoire national de celui régissant ceux placés à l'intérieur de celui-ci. Il propose donc de supprimer le TAAP et de transférer ses compétences à une formation spécialisée du TGI de Paris.

Il prend en compte une spécificité du contentieux militaire à laquelle les armées sont attachées : lorsqu'un militaire est directement mis en cause, le Procureur de la République doit solliciter l'avis du ministre de la défense qui lui fournit un éclairage sur les circonstances de l'engagement de ce soldat. Cette disposition garantit un bon niveau de compréhension du contexte opérationnel et de commandement.

Si, sur le principe, le transfert de compétences au TGI de Paris est pertinent, il nous faut être attentifs aux conditions de sa mise en oeuvre. Quatre points doivent être pris en considération.

D'abord, les questions militaires ne doivent pas être diluées dans la masse des dossiers traités par le TGI de Paris. Il appartient au président du tribunal et au procureur d'organiser leurs services ; je ne peux que les inviter à veiller au traitement réservé à ces affaires.

Deuxièmement, il faut systématiser et conforter la formation des magistrats amenés à traiter de dossiers militaires. Il existe actuellement une session de formation d'une semaine organisée par le ministère de la défense pour les magistrats volontaires : il faudrait la renforcer. De même, il serait utile que la formation initiale des magistrats comprenne au moins une sensibilisation à la justice militaire.

Troisièmement, il est nécessaire de préserver l'existence et le statut des greffiers militaires. Ils sont des intermédiaires essentiels entre le monde judiciaire et le monde militaire et constituent en outre une ressource précieuse pour la mise en oeuvre de la justice militaire en temps de guerre. Si le ministère indique qu'il n'a pas l'intention de supprimer ce corps, constitué à la fois d'officiers et de sous-officiers ayant une parfaite connaissance du fonctionnement de la justice et des préoccupations liées à l'organisation militaire, il a arrêté les formations correspondantes.

Enfin, il faut que la formation spécialisée du TGI de Paris ait des moyens de communication adéquats. Le TAAP dispose aujourd'hui de l'ensemble des outils militaires de communication : pour enquêter sur un théâtre d'opération, il n'est pas toujours possible de passer par des moyens civils qui, quand ils existent, sont souvent en mauvais état et n'apportent aucune garantie de sécurité ni de confidentialité. Il faut s'assurer que ces moyens seront bien transférés au TGI.

Par ailleurs, le Sénat a souhaité compléter le dispositif en introduisant les articles 23 bis et 23 ter. Le premier clarifie les règles de compétence pour les infractions commises à bord des navires et aéronefs militaires : c'est le tribunal du ressort du port ou de l'aérodrome d'attache qui sera compétent. L'article 23 ter élargit les cas dans lesquels le Procureur de la République doit solliciter l'avis du ministre de la défense en cas de poursuites pénales à l'encontre d'un militaire à la suite d'une plainte contre personne non dénommée ou d'un réquisitoire supplétif. Aujourd'hui, le ministre n'est saisi qu'au début de l'instruction lorsqu'un militaire est mis en cause : désormais, il pourra l'être à n'importe quel moment, y compris en cours d'instruction.

L'article 24 du projet prévoit en outre de rapprocher le régime applicable aux militaires de celui prévalant pour les fonctionnaires civils. Désormais, la perte de grade pour le militaire faisant l'objet d'une condamnation pénale ne sera plus automatique.

L'article 24 bis, introduit par le Sénat, clarifie quant à lui la définition et les sanctions applicables à la désertion, laquelle est en forte croissance ; on a ainsi recensé 2 400 cas en 2006. Ce phénomène tient au fait que le contrat militaire tend à être considéré comme un contrat ordinaire que l'on peut rompre librement ; la poursuite de la désertion n'est d'ailleurs pas systématique dans tous les ressorts. L'article distingue clairement les cas de désertion à l'intérieur du territoire national de ceux intervenant à l'extérieur et unifie les modalités de décompte des délais d'absence. Il maintient également les peines applicables : nous ne souhaitons pas banaliser le phénomène et voulons que les poursuites engagées soient plus importantes.

Enfin, l'article 26 fixe les dates d'entrée en vigueur de ces dispositions : la suppression du TAAP et le transfert de compétences vers le TGI de Paris seront effectifs au 1er janvier 2012.

En conclusion, les six articles du projet de loi vont dans le bon sens. Je ne vous proposerai donc que trois amendements formels et vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption de ces articles.

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