Nous accueillons maintenant M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariats (MAPPP) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nos deux rapporteurs sont M. Louis Giscard d'Estaing et M. Bernard Cazeneuve, le premier, membre de la majorité, appartenant à la commission des Finances, le second, membre de l'opposition, appartenant lui à celle de la Défense.
Nous bénéficions, dans notre mission, du concours de la Cour des Comptes, dont je salue ici la représentante, Mme Françoise Saliou, conseiller maître.
Dans son édition de cet après-midi, le journal Le Monde consacre une pleine page au site de Balard. Au-delà de cet important chantier, monsieur le directeur, nous aimerions recueillir votre point de vue concernant des externalisations dans le secteur de la défense.
En la rebaptisant « mission d'appui aux partenariats public-privé », un prochain décret fera correspondre l'intitulé de notre mission à son acronyme et la transformera en service à compétence nationale rattaché à la direction générale du Trésor, alors que nous étions jusqu'à présent rattachés au ministre de l'Économie.
La MAPPP est un organisme expert chargé de rendre des avis sur les évaluations préalables qui lui sont soumises. Cet avis est obligatoire s'agissant des contrats de partenariat passés par l'État ou par les établissements publics nationaux, facultatif s'agissant des contrats des partenariats passés par les collectivités territoriales. Même s'il ne s'agit pas d'un avis conforme mais d'une étape nécessaire dans la procédure, l'expérience montre que l'on arrive toujours à une convergence : si les évaluations préalables ne nous conviennent pas, nous obtenons des modifications de la part des cabinets de conseil qui en ont la charge pour le compte du porteur public du projet.
Les externalisations ne sont pas de notre ressort à proprement parler puisque notre domaine de compétence concerne essentiellement les contrats de partenariat. Une externalisation prend la forme d'un marché public soumis au code du même nom. Généralement, elle ne présente pas le caractère global d'un contrat de partenariat, à savoir la réalisation d'un investissement dédié pour la fourniture de prestations de services et l'apport d'un financement associé par le partenaire privé.
Par ailleurs, la procédure de contrat de partenariat est très fortement encadrée par l'ordonnance de juin 2004 et différents décrets subséquents.
Même si le code des marchés publics prévoit des formes de contrat global, tel le marché de conception-réalisation, le caractère de globalité restait jusqu'à présent spécifique aux contrats de partenariat. Nous n'avons donc pas eu à traiter des marchés d'externalisation, notamment dans le domaine de la défense.
Il n'en reste pas moins, comme vous l'avez relevé, qu'il existe des recoupements entre les externalisations et les sujets relevant de la compétence de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat. Nous souhaiterions savoir sur quels partenariats vous travaillez dans le domaine de la défense. Quels critères prenez-vous en compte ? L'investissement en est un, mais les prestations annexes, qui, elles, sont directement liées à notre sujet, peuvent en être un autre.
Deux organismes experts ont coexisté jusqu'à la fin de 2008 : le premier, au sein du ministère de la Défense, rendait un avis sur des projets de contrats de partenariat étudiés la plupart du temps en interne – le ministère avait des ressources suffisantes pour le faire – ; le second, la MAPPP, traitait de tous les autres programmes partenariaux de l'État et des contrats de partenariat des collectivités locales. Ces dernières sous-traitent généralement l'évaluation préalable à des cabinets : bureaux d'études techniques, cabinets spécialisés dans les montages financiers et cabinets d'avocats.
Il faut le reconnaître : l'organisme expert du ministère de la défense, présidé par le contrôleur général des armées Marc Gatin, était saisi de peu de projets. C'est sans doute la raison qui a conduit le ministère de la Défense à considérer en 2008 qu'il était plus efficace de passer par la MAPPP : on ne peut en effet conserver la même expertise lorsque l'on étudie un ou deux projets par an que lorsque l'on en voit passer trente ou quarante.
C'est donc à partir du début de 2009 que la MAPPP a été amenée à donner un avis sur des contrats de partenariat relevant du ministère de la Défense : le contrat relatif aux BSAH – bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers –, dont l'évaluation préalable avait été menée par le ministère ; le projet Balard, piloté par une structure dédiée, la DRESD – délégation pour le regroupement des états-majors et des services centraux de la Défense –, placée directement auprès du ministre, et dont l'évaluation préalable a été menée par la société d'audit Pricewaterhouse Coopers et, pour les aspects juridiques, le cabinet Landwell. À ma connaissance, ce sont les deux seuls projets sur lesquels la MAPPP s'est prononcée dans le domaine de la défense. Je ne crois pas que nous ayons été saisis du projet de navires rouliers.
Nous ne sommes pas saisis en amont, mais seulement lorsqu'il existe une évaluation préalable en bonne et due forme. Au ministère de la Défense, la procédure est très formalisée. Après une pré-étude de faisabilité, différentes autorités se prononcent avant que ne soit lancée l'évaluation préalable. Tant que la décision de passer un contrat de partenariat n'est pas prise, rien n'oblige le ministère de la Défense à nous saisir.
Comme vous l'avez indiqué, c'est la DRESD, rattachée directement au cabinet du ministre, qui a piloté l'opération de Balard. La MAPPP a-t-elle eu à connaître du travail de la DRESD ? Le cas échéant, dans quelles conditions ? Quel regard portez-vous sur ce partenariat dont l'équation, selon le ministère de la Défense, est parfaitement maîtrisée et devrait constituer une bonne opération pour l'État ? Le dispositif comprend un investissement privé de 650 à 700 millions d'euros, pour un loyer de 100 à 150 millions d'euros payé par le ministère de la Défense pendant 27 ans pour la location des bâtiments et les services associés à leur fonctionnement, soit une charge totale comprise entre 2,7 et 4 milliards d'euros.
Étant entendu qu'il faut bien distinguer ce loyer d'un loyer budgétaire – lequel est à la charge du ministère mais pas à celle du budget de l'État –, jugez-vous également qu'il s'agit d'une bonne opération pour le ministère des finances et pour l'État ?
Nous avons eu connaissance du projet Balard très en amont puisqu'un de mes collègues a donné des conseils lors de l'élaboration du rapport d'évaluation préalable. Après la remise de ce rapport à la fin de 2008, la MAPPP a émis un avis favorable au début de 2009. Il est rare que nous soyons associés à la suite de la procédure, même si les textes en donnent la possibilité à la personne publique qui mène le dialogue. Mais, dans le cas de Balard, la question se posait de savoir si le projet était éligible à la garantie de l'État, garantie instituée par la loi de finances rectificative du 4 février 2009 dans le cadre du plan de relance, dont l'instruction avait été confiée à la MAPPP. Nous avons donc examiné le projet en détail avec les équipes compétentes du ministère de la Défense et nous avons conclu qu'il était éligible. Cependant, cette garantie avait un coût. In fine, les trois candidats retenus ont indiqué dans le courant de l'année 2010 qu'ils n'en auraient pas besoin, dans la mesure où le risque semblait faible et où l'on était en passe de surmonter la crise. S'agissant d'un contrat de partenariat donnant lieu, au moins sur une part des loyers, à des cessions « Dailly » acceptées par une entité notée « triple A », à savoir l'État, il y aurait peut-être eu double emploi.
Quoi qu'il en soit, la MAPPP a été associée à une des commissions du dialogue compétitif, la commission économique et financière, qui a contribué à l'attribution d'une note finale. Je précise que je n'ai été associé qu'au débat interne de la commission, sans être jamais en contact direct avec les candidats.
Dans ce cadre, nous avons formulé des remarques fondées sur notre expérience et sur la technique que nous commençons à avoir en matière de partenariat. Ces remarques ont été prises en compte. Je crois donc que l'association aura été fructueuse, mais elle reste quelque peu exceptionnelle : s'il n'y avait pas eu la question de la garantie, nous aurions probablement été associés de façon moins soutenue.
J'en viens à votre deuxième question. Au risque de vous décevoir, la MAPPP ne se prononce pas sur les aspects budgétaires : son mandat est d'examiner, au moment où l'évaluation préalable est faite, quelle est la meilleure formule de la commande publique. En l'espèce, il fallait choisir entre un contrat global de conception-réalisation-maintenance autorisé par la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure – LOPSI – et un contrat de partenariat au sens de l'ordonnance de juin 2004. Au terme de notre évaluation, qui intégrait dans un calcul économique tous les paramètres, notamment les risques, nous avons considéré que le contrat de partenariat était la meilleure formule.
C'est cette voie qui a été suivie et la MAPPP n'est plus intervenue ensuite institutionnellement, à ceci près qu'il existe un deuxième filtre avant que l'autorisation de la signature d'un contrat de partenariat d'État ne soit autorisée : tant le ministère de l'Économie que celui du Budget sont appelés à se prononcer, dans le cadre d'un dernier examen, sur l'intérêt de l'opération. Le ministère du Budget examine la soutenabilité budgétaire du projet, tandis que le ministère de l'Économie vérifie que l'intérêt du contrat de partenariat est confirmé par les résultats du dialogue compétitif et se retrouve dans l'offre du candidat déclaré vainqueur. Dans la note que nous avons consacrée à Balard, nous avons considéré que l'évaluation avait été convenablement menée, à l'exception des systèmes d'information et de communication, dont le coût a été assez largement sous-évalué par le cabinet Pricewaterhouse Coopers.
La question de la pertinence de la distinction entre loyer budgétaire et loyer « réel » n'est pas de notre ressort.
Par rapport aux autres formes de la commande publique, le contrat de Balard constitue un bon exemple de contrat de partenariat. Il a été mené à bien dans des délais très brefs. Entre le début de l'évaluation préalable en septembre 2008 et la signature qui vient d'intervenir, il se sera écoulé deux ans et neuf mois. Les équipes, très professionnelles, ont très bien maîtrisé l'opération.
Votre réponse est claire, en ce qui concerne tant le champ de compétence de la MAPPP et les points qu'elle a examinés que le regard plutôt positif que vous portez sur les conditions dans lesquelles l'opération a été menée.
La cession d'usufruit des satellites militaires constitue un partenariat très particulier, puisque les satellites continueront d'appartenir à l'État. Existe-t-il d'autres projets sur lesquels vous seriez amené à rendre un avis en matière de défense ?
Si, s'agissant des satellites, le ministère de la Défense décide de passer par un contrat de partenariat, la loi l'oblige à réaliser une évaluation préalable et nous serons forcément saisis. En revanche, il n'y a aucune raison pour que nous soyons saisis au stade d'une réflexion sur le choix d'un instrument juridique. Chaque ministère préfère fixer ses priorités en interne et arrêter lui-même la voie à suivre, sans interférence du ministère de l'Économie.
Au regard des compétences de la MAPPP telles que vous les avez exposées, vous ne devriez pas intervenir dans la procédure relative aux satellites, puisqu'il n'y a pas d'investissement en vue de la réalisation d'une opération.
Les opérations que nous étudions comportent en effet un investissement qui est le support des services rendus. Nous pourrions néanmoins être saisis : aux termes de l'article 3 du décret du 19 octobre 2004 portant création de la MAPPP, cette dernière « donne également un avis sur les projets de contrats complexes et ceux comportant un financement innovant dont le saisit le ministre chargé de l'économie et des finances ». Dans ce cas de figure, il faudrait au préalable que le ministre de la Défense saisisse son collègue de l'Économie. Mais je suis persuadé que le ministère de la Défense s'estime en mesure d'apprécier par ses propres moyens l'utilité et l'intérêt d'un tel projet.
La consultation a plus porté sur les aspects juridiques que sur l'évaluation économique. Le Conseil d'État a été très largement sollicité.
Même si la MAPPP n'évalue pas la validité budgétaire des projets dont elle a à connaître, estimez-vous qu'il existe beaucoup de partenariats public-privé qui permettent à l'État de faire des économies en minorant les profits réalisés par les entreprises privées ? La Cour des comptes s'est montrée souvent très critique à ce sujet.
Les partenaires privés ne sont pas des philanthropes et il n'y aurait pas de contrats de partenariat s'ils n'en tiraient pas un minimum de profit. Par ailleurs, nous comparons ce type de contrats à un schéma de référence – souvent un marché public. On constate que le caractère global du contrat de partenariat permet d'obtenir beaucoup plus rapidement l'investissement que l'on souhaite. C'est ainsi qu'une trentaine de contrats de ce type ont été signés par les collectivités territoriales en matière d'éclairage public. Si cette pratique est presque devenue le droit commun, c'est que l'on s'est aperçu qu'elle permet de réaliser un projet d'éclairage public en l'espace de deux ans ou deux ans et demi, en acquittant ensuite un loyer, alors qu'une succession de marchés publics prendrait beaucoup plus de temps.
Si l'on abandonne une optique purement budgétaire au profit d'une optique économique valorisant monétairement les risques et leur répartition entre le public et le privé, on observe en règle générale que, malgré le surcoût engendré par le financement privé, le contrat de partenariat l'emporte. La nouvelle méthodologie que nous appliquons intègre la rapidité avec laquelle un investissement nécessaire est réalisé : le simple fait de l'obtenir, par exemple, au bout de deux ans au lieu de dix ans doit être valorisé. L'intérêt du contrat de partenariat s'en trouve renforcé.
Le recours au calcul actuariel, un peu plus compliqué s'agissant de l'évaluation des risques, permet de dépasser une approche strictement budgétaire qui ferait apparaître un surcoût. Il faut intégrer ces éléments quantifiables, même si la puissance publique n'a pas l'habitude de le faire : traditionnellement, elle constate a posteriori que les risques se sont matérialisés et en supporte les conséquences financières. L'évaluation préalable est, à cet égard, un exercice sain.
Il apparaît toutefois que notre base de données est insuffisante en matière de coûts. S'agissant des délais, on ne constate pas de dérapage significatif par rapport aux prévisions entre le moment où l'État décide de recourir à un contrat de partenariat, la signature de ce contrat et la livraison de l'équipement. Le partenaire privé a une incitation à tenir les délais et cela aussi doit être pris en compte.
Avez-vous été saisi d'une demande d'étude et d'avis pour un éventuel partenariat public-privé concernant l'hôtel de la Marine ?
Non. J'en ai entendu parler par la presse. Personnellement, je regrette que la MAPPP n'ait pas été saisie : j'ai travaillé quatre ans dans ce superbe bâtiment.
J'insiste sur ce point, nous ne sommes pas saisis de tous les sujets. Notre rôle est bien défini par les textes : il a trait essentiellement aux aspects économiques du contrat de partenariat et non à ses conséquences budgétaires. Notre intervention est nécessaire pour que les procédures prévues par les textes soient respectées mais il n'est pas obligatoire de suivre notre avis. Pour le reste, il appartient aux personnes publiques de nous saisir si elles estiment que nous pouvons apporter un éclairage intéressant. C'est ce que font les collectivités locales. Les évaluations préalables ayant été rendues obligatoires dans le cadre de la méthodologie définie par la MAPPP et le choix du contrat de partenariat étant parfois contesté, l'avis d'un organisme expert impartial est une aide.
Les contrats sont complexes et portent sur des opérations de très longue durée. Beaucoup de risques peuvent naître au cours de leur exécution, si bien que des avenants seront probablement nécessaires et modifieront peut-être leur économie. Or, autant la démarche qui précède la signature s'organise de façon structurée, autant on peut craindre qu'il n'y ait plus d'organisme pour veiller à la bonne exécution du contrat et pour prévenir les dérapages. Ne conviendrait-il pas de réfléchir à l'extension des compétences de la MAPPP en ce sens ? Les départements ministériels ne devraient-ils pas se doter d'équipes de suivi un peu plus pérennes que celles qui existent ? Le National Audit Office britannique a formulé des remarques similaires, en observant que les dérapages ultérieurs privaient la puissance publique des gains attendus.
C'est une très bonne question. Aujourd'hui, seuls quelques contrats sont en phase d'exploitation. Nous manquons donc du recul suffisant. Lorsqu'il existe des clauses d'indexation, de benchmark¸ nous devrons veiller à ce que les tests de marché soient bien organisés – je pense, notamment pour le cas de Balard, à l'évolution des coûts de l'informatique, secteur où les évolutions sont rapides. Mais il faut savoir que les entreprises n'y seront pas favorables si jamais de telles clauses devaient in fine déboucher sur une remise en concurrence. Pour elles, l'intérêt d'un contrat de partenariat, c'est qu'il les assure d'être rémunérées pour l'exploitationmaintenance de l'équipement pendant quinze ou vingt ans. Si, une fois l'investissement réalisé, on remet l'exploitation en concurrence au bout de trois ans, on dénature l'économie du dispositif et le contrat de partenariat sera beaucoup moins attractif.
Un suivi dans la durée est bien entendu souhaitable, de préférence avec des équipes ayant déjà vécu la phase amont. Cela suppose une certaine pérennité et non les rotations auxquelles on assiste souvent dans l'administration. C'est un sujet réel : même si la personne publique n'est plus le maître d'ouvrage, elle ne doit pas se désintéresser du suivi du contrat.
Pour en revenir au ministère de la Défense, le processus de décision est parfois lent mais il est toujours bien encadré et généralement respecté. En outre, comme la Cour des comptes le relève, une grande attention est portée au personnel. Il existe une véritable gestion prévisionnelle des effectifs, fait suffisamment rare dans l'administration pour être souligné. C'est pourquoi je pense que ce ministère saura suivre les contrats de partenariat. S'agissant du marché d'externalisation de la flotte des véhicules commerciaux, par exemple, il a mis en place une interface solide, comme la Cour l'a noté.