Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, nous poursuivons nos travaux relatifs aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l'enseignement supérieur.
Mercredi dernier, nous avons entendu les directeurs concernés au ministère de la Recherche et de l'enseignement supérieur. Nous poursuivons en accueillant cet après-midi M. René Ricol, commissaire général à l'investissement, accompagné de M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint, et de M. Florent Massou, directeur stratégique et financier.
Monsieur le commissaire général, messieurs, vous connaissez le principe de la mission d'évaluation et de contrôle qui est de formuler des propositions consensuelles sur des politiques publiques. Son organisation est paritaire : je partage la présidence avec mon collègue David Habib, et nos rapporteurs – Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes – représentent à la fois la majorité et l'opposition, ainsi que les commissions des Finances et des Affaires économiques, particulièrement concernées par notre thème de ce jour.
Vous savez aussi que ce thème porte sur une partie seulement des investissements d'avenir dont vous avez la charge. Mais il s'agit de leur noyau central, qui justifie particulièrement le titre d'investissement d'avenir : recherche et enseignement supérieur.
Selon l'usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.
Monsieur le commissaire général, comme vous le savez, la commission des Finances partage avec la Cour des comptes la double préoccupation d'une allocation optimale des moyens issus du grand emprunt et d'un suivi exhaustif et détaillé des investissements d'avenir.
Je me permets de rappeler que loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », fut l'une des premières lois votées et reste l'un des moments forts de cette législature. Elle s'est accompagnée du déblocage de moyens conséquents. Sont ensuite arrivés les projets d'investissements d'avenir et leur enveloppe de 35 milliards d'euros, essentiellement destinés à la recherche. Nous sommes conscients qu'il est sans doute encore un peu tôt pour analyser l'efficacité des moyens ainsi dégagés, les premiers versements venant d'être effectués. Il est toutefois possible d'analyser les méthodes retenues, afin de s'assurer que les moyens consentis depuis 2007 ont bien été dirigés vers la recherche, l'enseignement supérieur et la formation, c'est-à-dire vers des éléments structurants pour la croissance de demain. Aussi, en guise d'introduction, je vous demanderai de nous rappeler comment ce fléchage des crédits a été effectué, comment vous opérez le suivi de chaque projet retenu, et comment vous vous assurez, d'ores et déjà, de l'efficacité de la dépense.
Je souhaiterais d'abord féliciter monsieur le commissaire général pour la clarté des documents transmis à la commission des Finances en mars dernier.
Vous gérez cinq programmes prioritaires, regroupant dix opérateurs et subdivisés en 35 actions. À la demande du bureau de la commission des Finances, nous avons limité notre étude aux domaines « Investissements d'avenir » et « Campus ».
Ma première question sera relative à la gouvernance : quels acteurs interviennent dans le processus de validation des projets ? J'en identifie quatre : vous-même, l'Agence nationale pour la recherche (ANR), le Premier ministre, et le ministère de la Recherche et de l'enseignement supérieur.
Cette gouvernance n'est-elle pas trop complexe, trop lourde ? Pourrait-elle, le cas échéant, être améliorée ?
Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour vos compliments quant à la qualité de nos documents de reporting, auxquels nous accordons une attention toute particulière et que nous nous efforçons toujours d'améliorer.
Je me permettrai de faire un commentaire en guise d'introduction. Nous ne sommes pas chargés de l'aménagement du territoire mais de la valorisation de l'excellence. Les demandes émanant des territoires n'ont pas systématiquement été satisfaites par les jurys. Toutefois, il est certain qu'à terme, la valorisation de l'excellence emportera la valorisation des territoires. Progressivement, se dessinera une carte fondée sur la réalité de l'excellence, une excellence susceptible d'être mondialement reconnue.
Tout à fait. Certains guichets existent au sein d'opérateurs, Oséo par exemple, mais dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce sont des jurys qui sont décideurs.
Puis-je vous rappeler les propos tenus par le Président de la Conférence des présidents d'université (CPU), M. Louis Vogel ? Celui-ci déclarait que les choix opérés par les jurys « sont inexplicables pour certains universitaires. Le seul critère sur lequel on a demandé au jury de se prononcer était le critère d'excellence scientifique. Ce que les jurys internationaux ont jugé, et, dans l'ensemble, bien jugé. Mais c'est un choix qui peut être discuté. Il a abouti à une « photographie » de l'état des forces scientifiques françaises actuelles, et non à une vision prospective de la recherche à vingt ans. » J'en déduis qu'en réalité, on n'anticipe pas sur l'émergence des pôles d'excellence de demain. Cette critique est-elle recevable selon vous ?
Je répondrai d'abord par un trait d'humour : le Président Vogel regrette-t-il d'avoir été présélectionné comme initiative d'excellence au titre du pôle de Paris 2-4-6 ?
Plus sérieusement, je suis en désaccord total avec cette vision, et je l'ai dit au Président, car elle est factuellement fausse. Concernant les laboratoires d'excellence, les jurys se sont naturellement dirigés vers des projets novateurs. Personne ne s'attendait à ce que Clermont-Ferrand voie trois laboratoires sélectionnés, ou que Montpellier en compte six.
La procédure est toujours la même : le jury me communique son choix, que je respecte systématiquement et dont je propose la validation au Premier ministre – hormis les cas où je bénéficie d'une délégation de la part de celui-ci.
Il n'y a donc jamais eu aucune discordance entre le choix du jury et le projet transmis in fine ?
En vérité, un choix n'a pas été validé, dans la sélection des infrastructures de biotechnologie. Malgré les précautions prises lors de la validation de la composition des jurys, il est arrivé, à une reprise dans cet appel à projet précisément, qu'un de leurs membres favorise indûment un projet au détriment des autres. Cette personne avait exercé des fonctions de conseil auprès de la société concernée.
Prolongeons les propos du Président de la CPU. Peut-être met-il le doigt sur une difficulté quant au processus de décision. Le Plan Campus a pris du retard. Or il a été créé pour faire émerger les pôles de recherche de demain. Vous avez vocation à favoriser les pôles d'excellence. N'y a-t-il pas un risque de contradiction entre ces deux logiques, qui serait préjudiciable in fine aux objectifs globaux que l'État s'est fixé ?
Je me permets de revenir rapidement sur les questions de méthode : le jury fait un premier choix que je valide quasiment toujours. Par ailleurs un comité de pilotage regroupant l'ensemble des acteurs concernés peut formuler des observations et des propositions complémentaires au jury. Si d'un côté nous réclamons des jurys internationaux et que de l'autre nous ne tenons pas compte de leurs choix, le signal envoyé est terrible ! Le processus permet donc la discussion.
Notre analyse est diamétralement opposée à celle du Président de la CPU : dans le cas des laboratoires, le jury a mis l'accent sur l'innovation, puis le comité de pilotage a soumis aux jurys des projets qui, selon lui, avaient été oubliés à tort. Ainsi le comité de pilotage a-t-il proposé 25 laboratoires complémentaires au jury, lequel en a retenu 17. En somme, grâce au comité, le jury a fait émerger des laboratoires que l'on n'attendait pas… et il a bien fait ! Je précise que le comité ne peut « sauver » que des projets classés A ou B. Le processus est totalement transparent.
Sur la gouvernance, je rappelle que nous agissons dans un cadre interministériel. Dans ce cadre, le Premier ministre est le pilote et nous sommes son bras armé, sachant que au-delà d'un certain montant c'est le Premier ministre qui valide directement le projet.
L'ANR est un opérateur qui fonctionne formidablement bien en tant que tel, mais son rôle n'est pas d'arbitrer entre les différents ministères ni de les mettre d'accord. L'un de nos objectifs est de rapprocher le monde de l'entreprise et celui de la recherche publique comme de l'université. L'ANR fait très bien fonctionner ses jurys. Toutefois, eu égard aux enjeux, il est normal qu'elle se rapproche du Commissariat général pour valider les jurys des Investissements d'avenir, afin de s'assurer, avec les services spécialisés de l'État, que leurs membres extranationaux ne viennent pas « faire leur marché », c'est-à-dire chercher de l'information et débaucher nos chercheurs. Certaines candidatures ont ainsi pu être refusées.
Dans ce dispositif qui fait intervenir des jurys internationaux, l'AERES, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, a-t-elle un rôle ?
Pas directement, si ce n'est que les évaluations qu'elle réalise font partie du dossier d'instruction de chaque projet.
Prenons l'exemple des instituts de recherche technologique, les IRT. La direction générale de la Compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) ainsi que celle de la recherche et de l'innovation (DGRI) avaient naturellement des idées sur ce qui relevait des priorités en la matière. Elles ont tenté de mettre en avant les projets concernés. Nous avons été les gardiens des règles méthodologiques qui avaient été définies : le jury se prononce souverainement, avec l'appui du comité de pilotage.
Il est normal que les promoteurs d'un projet cherchent à le « vendre ». Mais si nous n'avions pas été là, on aurait eu au sein du comité de pilotage une montée en charge très forte pour des secteurs d'activités jugés « vitaux » pour la France.
L'exemple des IRT est assez parlant. Il est parfois malaisé d'expliquer à des présidents de région qui se sont beaucoup battus que leur projet n'est pas retenu. Mais nous résistons et in fine nous bâtissons l'avenir des territoires sur de vrais lieux d'excellence.
Dès le départ, il a été retenu comme option de ne pas utiliser les crédits du programme des Investissements d'avenir gérés par le Commissariat général à l'investissement pour réaliser un rattrapage budgétaire mais pour accélérer la mise en oeuvre de projets d'avenir.
Pour cette raison nous avons sélectionné six projets d'instituts de recherche technologique ; la loi prévoyait d'en sélectionner quatre à six. Nous avons constaté que certains projets d'IRT classés en septième et huitième positions étaient très remarquables et méritaient un réexamen. Ce type de situation justifie la présence du Commissariat général à l'investissement. En effet, ces deux derniers projets concernent la recherche en matière de numérique, qui constitue un enjeu fort. Le Commissariat va donc adresser un courrier aux présidents des commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat afin de préconiser la sélection de huit IRT au lieu de six pour couvrir les besoins existant en matière de recherche numérique.
Une difficulté du même ordre concerne les instituts hospitalo-universitaires, les IHU, car les projets sélectionnés ne concernent ni la recherche sur le cancer ni la dépendance. En effet, le jury a donné une prime aux projets en rupture de la recherche. Le devoir du CGI est donc de préserver le bon fonctionnement du jury, ce qui nous a conduit à ne pas retenir l'INU cancer dans la liste des lauréats. Mais le CGI se demande, ensuite, s'il faut donner une chance à un projet supplémentaire par la suite dans des secteurs jugés essentiels comme le cancer et la dépendance.
Justement, n'y a-t-il pas là un exemple du danger d'une méconnaissance de la vision stratégique de l'État et de ses priorités, lorsque celui-ci souhaite un appui à certains pôles d'excellence ?
En effet, la recherche sur le cancer et la dépendance constitue une préoccupation incontournable. La sélection éventuelle d'un IHU pour la recherche sur le cancer pourrait constituer un complément peu onéreux et valorisant aux moyens attribués dans le cadre du plan cancer, et surtout un apport très important pour la visibilité de cette recherche au plan international.
Le rôle du CGI est exactement de permettre une harmonieuse communication de tous les intervenants.
Je reviens sur la question de la gouvernance. La préparation des conventions passées entre l'État et les dix opérateurs a-t-elle mis en évidence des faiblesses, voire des manques ?
Nous avons, Jean-Luc Tavernier et moi, appliqué tacitement une règle simple. En cas de présomption de conflit d'intérêt, même virtuel, nous concernant, l'un ou l'autre, nous avons décidé de nous déporter systématiquement, c'est-à-dire de ne pas participer au processus de choix.
Notre sentiment est que les conventions signées avec les opérateurs sont de bonne qualité, et que ces opérateurs sont efficients. Certes, l'Agence nationale de la recherche a comme activité traditionnelle d'attribuer des crédits, alors que le programme des Investissements d'avenir a pour but de mettre en oeuvre des financements stratégiques. L'ANR a été confortée dans sa tâche et non affaiblie par le CGI. Un dialogue fructueux a permis de résoudre les rares problèmes qui ont pu se poser.
On constate que les opérateurs, comme l'ADEME ou l'ANR, gèrent des crédits budgétaires mais ont l'habitude également de mobiliser des ressources extrabudgétaires. A-t-on mesuré la part des ressources extrabudgétaires appelée en cofinancement des moyens du CGI ? Y a-t-il eu un passage de crédits budgétaires vers des crédits extrabudgétaires ? Cela a été le cas pour les démonstrateurs de l'ADEME.
Oui, il y a eu un passage partiel. On ne dispose pas de chiffrage complet sur ce mouvement, mais il ne représente qu'une fraction très minime des 35 milliards d'euros, peut être de l'ordre d'un milliard. Il s'inscrit dans le contexte de la réduction attendue des dotations budgétaires, compte tenu des économies présentes et à venir sur les dépenses de l'État. Le phénomène est patent pour la direction générale de l'Aviation civile (DGAC), dont les crédits ont oscillé avec le temps, et ont été rognés de 60 millions d'euros environ, alors que les dotations étaient élevées à l'origine. Y a t-il eu du transfert ? Je n'en suis pas sûr. La baisse peut être analysée sous l'angle de la restriction de dépense.
Les projets se traduisent par des plans pluriannuels d'investissement qui comportent des crédits budgétaires classiques ainsi que des moyens complémentaires. A-t-on établi ou non une hypothèse de diminution des crédits budgétaires pour évaluer les compléments de financements à rechercher pour mener à bien les projets ? Quelle est la partie incertaine des financements qui nécessiteront une couverture extrabudgétaire ?
Un rapport de la Cour des comptes sur la gestion budgétaire, actuellement soumis à la contradiction, présente des éléments d'information extrêmement précis et fidèles sur cette question. Nous n'avons d'ailleurs pas fait mystère de l'existence de ce phénomène, tant dans l'aéronautique que dans les fonds démonstrateurs.
Les financements extrabudgétaires ont concerné une faible part des projets en matière d'enseignement supérieur et de recherche, mais par contre affectent significativement la DGAC.
J'ai constaté pourtant ce problème dans le secteur de la recherche et du développement durable. Je suis à la recherche du milliard d'euros supplémentaires annoncé par la ministre au profit de ce domaine, qui n'a pas pour le moment été dégagé sur les crédits budgétaires…
Certains organismes, comme l'ADEME, sont habitués à assortir les attributions de subventions à des cofinancements, notamment de collectivités territoriales. La recherche de cofinancements est saine et procède de différentes considérations. D'abord, des restrictions budgétaires sont prévisibles, ensuite la politique de modernisation devra se poursuivre après l'achèvement du programme des Investissements d'avenir (PIA) de 35 milliards. En conséquence, le PIA repose sur la recherche de co-investissements plutôt que de simples subventionnements. Il faudra avoir des retours pour l'État afin de pouvoir continuer à financer la modernisation. C'est ainsi qu'après des échanges de vue animés avec le ministère de l'Industrie et avec l'Aviation civile sur le programme d'hélicoptères X4, on a abouti au financement de ce projet, d'une part, par avances remboursables et, d'autre part, avec un système permettant un retour sur investissement pour l'État, ce qui permettra de financer par la suite d'autres projets dans le même secteur.
Il y a un changement de culture très important. Ainsi, dans le domaine de la Culture, avec l'appui du ministre, le projet de numérisation de la Bibliothèque nationale de France (BNF) pourrait bénéficier pour se financer d'une participation modique des usagers, qui économisent, via la disposition d'ouvrages dématérialisés, au moins un ticket de métro.
Quel est l'horizon moyen de programmation des 35 milliards d'euros ? Quant aux décaissements, un peu plus de 800 millions d'euros avaient été versés à la fin 2010 ; quels montants auront été débloqués fin 2011 ?
Les décisions d'engagements de crédits devraient atteindre environ 15 à 20 milliards d'euros à la fin de 2011, et même, selon moi, jusqu'à 21 milliards d'euros. Les versements effectifs aux opérateurs devraient être sensiblement plus faibles.
Les décaissements de crédits ne sont peut-être pas le paramètre le plus significatif. C'est ainsi que pour les instituts de recherche technologique, le financement des projets se déroule en trois étapes : premièrement, la sélection du lauréat, deuxièmement, la fixation de la dotation, et enfin des décaissements qui vont commencer dans quelques mois et peuvent s'étaler sur dix ans ou plus pour les cohortes. À la fin de 2011, on peut prévoir qu'une décision aura été prise sur plus de la moitié de l'enveloppe de 35 milliards et davantage dans le secteur de l'Enseignement supérieur et de la recherche que sur les projets industriels qui sont plus longs à mettre en place.
Douze à treize milliards pourraient être engagés d'ici à la fin de l'année dans le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche. Toutefois, les décisions de jury d'initiatives d'excellence (IDEX) sont toujours attendues et il existe une incertitude sur les enveloppes de crédits qui seront allouées aux IDEX. En effet, les montants engagés y sont importants, de l'ordre de 850 millions d'euros pour chaque initiative, aussi est-il difficile d'établir un chiffrage pour le moment.
Vous dites que l'AERES n'intervient pas au moment du choix des investissements d'avenir, mais quand fera-t-elle l'évaluation pour constater l'efficacité de l'utilisation des crédits ? Comment le relais sera-t-il pris par la recherche privée ?
Dans quatre ans. Cependant, elle sera un évaluateur important mais peut-être pas le seul. Nous avons des crédits mis de côté qui seront dédiés à l'évaluation a posteriori.
En effet, en France, nous avons une recherche privée pas assez développée et une recherche publique importante contrairement à des pays comme l'Allemagne. Notre but est d'assurer le lien entre ces deux mondes, ce que nous faisons jusqu'à présent moins bien que d'autres pays, et aussi de permettre aux industriels d'y entrer et de participer au financement de la recherche.
Le crédit d'impôt recherche est une nécessité absolue ; mais je ne crois pas que cela fasse doublon avec les investissements d'avenir.
On a besoin de jurys internationaux pour avoir une réputation mondiale mais l'enjeu étant l'excellence mondiale et la création de richesses, il est impératif de créer une solidarité entre grands groupes, PME, TPE, start-up etc.
Il faut pour cela obtenir des fusions de PME pour leur permettre de grandir : cela suppose de lever un certain nombre de difficultés, comme celles liées à la présence de sociétés civiles immobilières – les SCI – dont j'estime qu'on devrait les faire disparaître des pratiques des entreprises parce qu'elles conduisent à investir dans l'immobilier au profit de sa famille au détriment de l'investissement dans l'entreprise. Pour réaliser par exemple le saut formidable en matière photovoltaïque qu'on attend, il faut faire travailler des entreprises ensemble et qu'elles se regroupent. La SCI est un blocage absolu pour le rapprochement d'entreprises. Tout « l'écosystème » qu'on construit pièce par pièce depuis plusieurs années vise à renforcer les filières et les entreprises, et il nous faut des moyens de pression comme le CIR.
Même si ce n'est pas une question directement de votre compétence, diriez-vous que la façon de travailler de l'ANR est un bon outil de développement de l'investissement d'excellence ?
L'ANR est un outil excellent pour sélectionner de manière impartiale les bons projets mais, à l'avenir, il faudra impérativement une instance dépendant du Premier ministre pour s'assurer que tous les ministères travaillent ensemble et pour valoriser les bons projets.
Pourquoi l'ANR ne peut-elle pas jouer ce rôle de bras séculier de l'État ? C'était pourtant son rôle, et sa gouvernance a été modifiée pour le lui permettre.
L'ANR est une agence, elle n'a pas de compétences interministérielles. Je vous donne un exemple : une entreprise porteur de projet nous a récemment dit que notre cahier des charges l'empêchait d'être candidate. Vérification faite, c'était malheureusement vrai. Ayant délégation de l'autorité du Premier ministre, je suis détenteur d'une délégation de compétences et d'un pouvoir interministériel ; j'ai donc pu convoquer les directeurs d'administration centrale et régler la question avec eux, ce qui a pu être fait rapidement, dans la journée. L'ANR ne le peut pas, car une agence indépendante n'a pas ce pouvoir ni cette autorité.
L'ANR gère très bien le lancement des appels à projets et le processus de sélection. Mais son rôle s'arrête là. Prenons l'exemple des IRT, la pente naturelle aurait pu être de lancer un second appel à projet. Seul l'État pouvait décider de rentrer dans un processus de discussion et maturation des deux projets d'IRT dans le secteur stratégique du numérique.
On ne peut pas demander à l'ANR, garant du bon fonctionnement du choix des projets, d'avoir le pragmatisme nécessaire pour organiser le rapprochement des points de vue entre les acteurs.
Comment les organismes de recherche sont-ils associés dans le processus ? Quelles sont leurs relations avec le CGI ?
Nous recevons tout le monde en amont et en aval de la décision du jury mais une fois que le jury a statué, nous nous en tenons à sa décision. Je vous assure que nous-mêmes avons souvent des surprises quant aux décisions du jury. La Conférence des présidents des universités a absolument voulu des jurys internationaux et c'est pour nous un gage de sérieux. Nous avons confirmé ce choix, mais en précisant qu'il faudra tout de même accepter certaines contingences.
On devra à un moment s'interroger sur nos outils de financement de la recherche : ANR, crédit d'impôt recherche, Plan de relance, financements extrabudgétaires, dotations budgétaires… Il faudra voir l'articulation et l'évaluation de tout cela. Il y a un besoin de visibilité.
Surtout que, selon la rumeur, la diminution programmée des crédits sera compensée à l'euro près par les intérêts provenant des crédits extrabudgétaires. Le grand emprunt n'a pas cette finalité, il faut le répéter.
Premièrement, nous suivons de près ce risque-là et il y a, on l'a dit, environ 1 milliard sur les 35 milliards sur lesquels on peut se poser la question. Cela me paraît légitime. Deuxièmement, il n'y a aucun élément permettant de penser qu'il y a quelqu'un au sein de l'État, politique ou haut fonctionnaire, qui favorise une telle substitution. Peut-être y a-t-il eu une tentation sur l'A 400 M ; j'ai clairement affirmé que c'était un projet du passé et non de l'avenir et tout est rentré dans l'ordre.
Dans le même temps, nous sommes très vigilants sur l'effet de levier des projets, qui doit être systématique. Actuellement, lorsqu'un chercheur dépose un brevet, il reçoit des fonds de soutien si le projet a un potentiel ; ces fonds peuvent venir de fonds régionaux mais aussi de fonds d'innovation spéculatifs. Ces organismes finissent souvent par vendre un brevet et un concept prometteurs à l'étranger sans que la collectivité publique en bénéficie. Pour changer cela, nous mettons en place des sociétés régionales de valorisation (les SATT) (900 millions d'euros) pour faire la preuve du concept, dans une douzaine de sociétés réparties sur le territoire, dirigées par les centres de recherche des universités, ce qui permettra de ne solliciter les fonds privés qu'une fois le brevet déposé. Nous avons par ailleurs 400 millions d'euros dédiés à l'amorçage pour lesquels nous changeons les règles de rémunération au profit de ceux qui ont soutenu le projet dès l'origine.
Je reviens au Plan campus. Eu égard au retard pris, ne regrettez-vous pas qu'il n'y ait pas eu une articulation plus forte entre ce Plan et les initiatives d'excellence eu égard aux objectifs poursuivis ?
Je ne regrette rien, je me demande seulement pourquoi les moyens n'ont pas encore été engagés et dépensés.
Mon idée est que nous sommes pressés de dépenser cet argent– 1,3 milliard d'euros – le plus vite possible, à Saclay par exemple. Mais nous constatons que le sujet est d'une complexité inouïe : beaucoup d'interlocuteurs doivent, pour le projet de Saclay, se mettre d'accord. Comment appréhender les questions de révision des plans locaux d'urbanisme (PLU) qui sont du ressort des maires dont certains sont d'accord et d'autres non ? Comment traiter les infiltrations d'eau dans le sous-sol du plateau de Saclay ? Les exemples de difficultés à surmonter sont nombreux. Il aurait fallu une procédure d'intérêt général pour avoir le pouvoir d'accélérer les choses.
Les causes sont multiples et tiennent notamment à la question des PLU et aux discussions longues entre les universités et les écoles. Quoi qu'il en soit, le fait que Saclay n'ait pas été retenu parmi la première vague de projets d'initiative d'excellence est la preuve que les jurys sont indépendants !
Saclay est un cas d'école. Ce projet a été considéré par nos plus hautes autorités, dont le Président de la République, comme une priorité d'avenir. Or, le projet n'est pas retenu ! Comment gère-t-on une telle contradiction ?
Le choix a été fait, par le Président de la République notamment, de recourir à des jurys internationaux. À partir du moment où les règles ont été définies, il convient de les respecter.
Il faut donc selon vous, aux côtés de l'ANR, une structure qui affiche et défende les priorités de l'État, une structure qui dépende du politique.
Tous sont d'accord sur le point que le projet de Saclay doit réussir, c'est dans l'intérêt général. Toutefois, le fait que ce projet n'ait pas été présélectionné est un rappel à l'ordre capital vis-à-vis de tous les acteurs, qu'il s'agisse des universités, des grandes écoles ou des élus. On ne peut pas dégager de telles sommes sur un projet sans garantie d'excellence reconnue internationalement.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. À mon sens, il n'est absolument pas choquant qu'un gouvernement, quel qu'il soit, définisse ses priorités en matière de recherche. Un jury peut également tenir compte des priorités qu'un pays se fixe ! Par exemple, il est pour le moins étrange que, en dépit du lancement par l'État d'un ambitieux Plan cancer, aucun investissement d'avenir n'ait encore été retenu dans ce domaine ! Nos équipes sont-elles mauvaises ou ne savons-nous pas présenter un projet ?
Selon moi, la reconnaissance d'un pôle d'excellence n'est pas seulement le constat à un instant t de la qualité du travail d'une équipe, c'est aussi le fait d'adopter une vision prospective qui puisse faciliter l'émergence les pôles de demain.
Un pôle doit regrouper trois critères cumulatifs : un projet, un caractère d'excellence, une gouvernance propre à assurer que l'argent alloué sera correctement dépensé. Le jury y ajoute parfois un critère complémentaire : les moyens supplémentaires qui seraient injectés si le projet était retenu feraient-ils une différence ou celui-ci est-il déjà suffisamment doté ? C'est peut-être le cas pour le Plan cancer où on a pu considérer qu'il n'y a pas de rupture ou qu'il y a assez de financement par ailleurs. Sur Saclay, je rappellerai qu'il n'est pas étonnant qu'un tel agrégat ait besoin de quelques mois pour rattraper son retard, notamment en matière de gouvernance, compte tenu du progrès que certaines universités ont fait pour se regrouper et s'organiser au cours des derniers mois, voire des dernières années.
Je pense que le système de gestion du Plan cancer est bon. Je ne suis pas ennuyé par le fait que le jury n'ait pas retenu de projet relatif au Plan cancer ou à la dépendance. Ma recommandation au Gouvernement et au Parlement est la suivante : peut-être faut-il envisager d'ouvrir un appel restreint d'IHU sur ces sujets. Notre règle d'or est qu'on ne bâtit l'avenir que sur l'excellence.
Sur Saclay, le jury a pris position au cours de la première vague. Il serait terrible pour notre pays qu'un projet moyen, voire médiocre concernant la gouvernance, mais soutenu par le Gouvernement soit malgré tout retenu ! La Chancelière allemande Angela Merkel a lancé des initiatives d'excellence, elle s'est ensuite pliée aux choix des jurys.
Le site de Saclay n'a pas été sélectionné au cours de la première vague, il participera donc à la deuxième vague au cours de laquelle il sera peut-être sélectionné. Mais comme c'est une priorité nationale, s'il ne l'est pas, on va vraiment se poser la question de savoir comment on sort ce projet. Toutefois, le plus mauvais service qu'on pourrait rendre à Saclay, comme aux instituts de recherche pour le cancer, ce serait de leur accorder des passe-droits.
Je vous arrête tout de suite, vous répondez à coté de ma question. Je ne vous dis pas qu'il faut des passe-droits dès lors que l'État a fixé un certain nombre de priorités. Je vous dis simplement que c'est de la responsabilité d'un État de fixer des priorités thématiques de recherche. Et que ça devient gênant si ces thématiques n'apparaissent pas dans les projets retenus au titre des Investissements d'avenir.
Donc nous ne sommes pas en contradiction.
Je voudrais intervenir car je pense bien connaître le sujet. Je crois qu'on fait une confusion : le projet du Président de la République ne se résume pas au projet d'excellence du plan Campus. Ce plan Campus n'en est qu'un sous-ensemble. L'échec de Saclay à la première vague de sélection tient à une gouvernance un peu confuse parce que l'État n'a pas été assez clair dans ses priorités, entre responsables scientifiques – École Polytechnique en particulier – et universités : il faut donc qu'il se prononce maintenant clairement sur ce qu'il veut faire en termes scientifiques et le projet pourra aboutir.
Encore une fois, le projet du Président de la République va au-delà du plan Campus. Les élus locaux doivent apporter une réponse à la question de la protection des 2 300 hectares du site, à sa desserte en moyens de transport (créer un métro que l'on annonce régulièrement mais pour lequel rien n'est encore décidé). Je fais confiance aux scientifiques de ce plateau pour se redresser et présenter un projet cohérent en matière de gouvernance pour la deuxième vague de sélection. Mais ce n'est pas parce qu'on aura franchi cette étape que le projet du plateau de Saclay et le projet du Président de la République seront nécessairement une réussite.
Il n'y a pas de divergence de point de vue entre nous, mais je préfèrerais qu'on parle bien d' « Initiatives d'excellence », que nous finançons, et pas de « Plan campus », qui recouvre de l'immobilier. Étant précisé que le site de Saclay constitue une exception puisque nous finançons à hauteur d'1,3 milliard de l'immobilier.
Nous sommes ici au coeur du sujet. Sur les deux exemples que vous avez pris, je suis convaincu qu'on sortira quelque chose sur le cancer.
Le cancer, c'est une priorité nationale. Mais il y a là un rappel à l'ordre qui me paraît salutaire, lorsque des équipes pourtant formidables ne parviennent pas à convaincre un jury international reconnu par la communauté scientifique et dont la composition n'a pas été discutée. C'est en effet intéressant, pour ces équipes, alors que l'État investit massivement sur cette thématique, en dehors des investissements d'avenir, de se demander si elles présentent la rupture technologique suffisante et qu'elles regardent ce qui se passe ailleurs. Et il est important que nous, nous leur redonnions une chance d'être reconnu par un jury international comme étant un lieu d'excellence. Il me semble que c'est très positif, c'est un défi de qualité.
À propos de Saclay, je constate que depuis qu'il n'y a pas eu de présélection par le jury, beaucoup de choses bougent. Je n'ai pas de divergence de point de vue avec le co-rapporteur, dans le sens où effectivement, pour réussir ce projet, il faut que tout fonctionne : l'aménagement du site, le réseau de transports, l'accès aux logements, que les sols soient viabilisés, etc. … Au final, les effets de cette non sélection sont plutôt positifs. J'avais rencontré les équipes de Saclay et pu constater qu'elles ont réalisé un travail très important pour rapprocher les écoles et les universités. J'ai d'ailleurs beaucoup d'admiration pour le président de l'université de Paris XI qui a su convaincre son conseil d'administration. Mais comparé à d'autres projets, il est apparu qu'il y avait du retard en termes de gouvernance. Je voudrais aussi souligner que ce projet a bénéficié de moins de soutien qu'attendu de la part des collectivités environnantes. Je vois aujourd'hui que ce projet a beaucoup bougé puisque je lis tous les jours des annonces plutôt positives. Lorsque le bureau de la Conférence des présidents des universités m'a dit de façon unanime qu'il souhaitait que soient installés des jurys internationaux, j'ai donné mon accord mais dès lors, il faut respecter la règle du jeu.
Nous sommes tous d'accord sur le rôle de ces jurys internationaux, mais il y a une autre dimension, comme nous le disions tout à l'heure.
Entièrement d'accord avec vous et c'est bien là que nous intervenons. Nous avons en particulier voulu que les appels à projets se déroulent par vague, car nous pensons qu'il est dans l'intérêt général que les étapes se déroulent progressivement. Sur les instituts de recherche technologiques, la qualité des projets était inouïe, le travail réalisé spectaculaire et le jury a peu discuté. Les deux projets non sélectionnés sur le numérique étaient très proches des critères de sélection, ils pourront être rattrapés et ainsi nous serons dans la ligne des enjeux décidés pour notre pays.
Compte tenu du caractère extrabudgétaire du programme des Investissements d'avenir, j'aimerais poser une dernière question portant sur notre outil de travail pour le prochain débat budgétaire. La loi prévoit une annexe budgétaire « Jaune ». Avez-vous déjà préparé la maquette des rubriques qui figureront dans ce document et qui permettront aux commissions des Finances et au Parlement d'être totalement éclairés ?
Nous avons effectivement présenté cette annexe dès l'an dernier car la loi le prévoyait pour suppléer au manque d'informations dans les projets et les rapports annuels de performances puisque la totalité des crédits aura été versée en 2010 et qu'ils n'apparaîtront plus dans les documents budgétaires à compter de 2011. Ce n'était pas indispensable de le faire l'an dernier car le programme démarrait et le document ne respectait donc pas entièrement le plan détaillé prévu en six points par l'alinéa VI de l'article 8 de la loi de finances rectificative. Cette année, vous aurez un document plus complet encore.