La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Dominique Méda, sociologue au Centre d'études de l'emploi.
La séance est ouverte à quatorze heures.
Nous sommes heureuses d'accueillir aujourd'hui Mme Dominique Méda, chercheure détachée au Centre d'études de l'emploi où elle est directrice de l'unité de recherches « Trajectoires, institutions et politiques d'emploi ». Ses travaux sur l'articulation des temps des femmes et le temps de travail sont d'autant plus d'actualité que certaines propositions actuelles plaident pour un abaissement de ce dernier.
Malgré six lois sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, l'égalité professionnelle et salariale est loin d'être une réalité : les femmes vivent de très nombreuses discriminations dans l'accession aux postes à responsabilités et leur rémunération est globalement inférieure de 27 % à celles des hommes.
Le bilan du rapport de situation comparée réalisé par la Délégation à la suite des auditions est décevant : seules 3 % à 6 % d'entreprises le produisent. Nous attendons toujours que soit pris le décret relatif aux sanctions financières pour celles qui ignoreraient la loi sur ce point : le ministre du travail Xavier Bertrand, a dit devant les femmes du MEDEF qu'il devrait l'être prochainement. Mais nous sommes inquiètes à l'idée que le plan d'action pourrait exclure le rapport de situation comparée.
Madame Méda, nous allons vous écouter sur l'emploi, les responsabilités et les salaires des femmes. Pour ma part, j'ai le sentiment que la situation des femmes s'aggrave dans la mesure où, face à la crise, certains souhaiteraient voir les femmes se retirer un peu plus du monde du travail !
Je termine en disant que nous gagnerions à ce que l'excellent film We want sex equality, relatant le combat des ouvrières anglaises chez Ford dans les années 1970 pour l'égalité professionnelle et salariale, soit projeté à l'Assemblée !
Je n'ai jamais travaillé directement sur le rapport de situation comparée. À la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail j'ai lancé, entre 1993 et 2006, de nombreux programmes de recherche sur l'égalité professionnelle et la conciliation vie familiale - vie professionnelle ; ainsi que de grandes enquêtes (par exemple, sur les raisons pour lesquelles certaines femmes s'arrêtaient de travailler, sur les carrières des femmes) et le début de la grande enquête de l'Institut national d'études démographiques (INED) sur l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale.
Nous avons aujourd'hui beaucoup de connaissances sur l'égalité entre les hommes et les femmes : nous connaissons les chiffres et savons très bien ce qui se passe. Ce qui manque, ce sont des dispositifs.
Je vous ferai d'abord un bref résumé de mes positions. Ensuite, je vous parlerai des entretiens que j'ai menés il y a deux ans sur les pères, puis du Laboratoire de l'égalité dont je suis un des membres fondateurs.
Les femmes gagnent en moyenne 27 % de moins que les hommes. Trois raisons expliquent cet écart : premièrement, les différences de temps de travail, puisque les femmes occupent davantage d'emplois à temps partiel ; deuxièmement, les types d'emplois, car les femmes n'occupent pas les mêmes emplois et ne travaillent pas dans les mêmes secteurs que les hommes ; troisièmement, les discriminations à l'encontre des femmes. Il faut travailler sur toutes ces causes pour améliorer la situation.
Face à la montée de l'activité féminine, la société ne s'est pas adaptée en termes de modes d'accueil des jeunes enfants, d'organisation du temps de travail dans les entreprises ou encore d'investissement des pères. Ainsi, comme l'a montré la presse récemment, notamment Le Monde daté du 8 mars, les femmes sont obligées de cumuler tous les rôles, notamment professionnel et familial.
Alors que notre pays affiche un taux de fécondité dont on est très fier, il est tout de même dommage que les femmes supportent toutes seules le poids de cette « performance ». Leur investissement professionnel en termes de temps est en effet limité le matin et le soir par la prise en charge des enfants, ce qui a évidemment des répercussions sur leur carrière.
Les ouvrages que j'ai consacrés au sujet – Le temps des femmes : pour un nouveau partage des rôles, paru en 2001, et Le deuxième âge de l'émancipation, écrit avec Hélène Périvier et paru en 2007 – proposaient d'agir au travers des politiques de prise en charge de la petite enfance, des politiques de temps de travail dans l'entreprise, et évoquaient la question centrale des pères.
Je m'arrête sur cette dernière. La prise en charge déséquilibrée des tâches domestiques et parentales sert de support symbolique aux responsables des entreprises pour mener leur politique : pour eux, ce sont les femmes qui prennent en charge ces tâches et elles sont moins disponibles que les hommes. Cette inégalité de partage des tâches est pour moi, sinon la clé, du moins l'une des clés de l'inégalité professionnelle. Il faut donc beaucoup travailler sur cette question, malheureusement jugée non noble et réservée au domaine privé. Il est frappant qu'une partie importante de la population considère encore que les politiques publiques n'ont pas à s'intéresser à la sphère privée, alors même que c'est en partie le nerf de la guerre.
Ce matin, des chefs d'entreprise ont été interrogés à la radio sur le rôle du père. Selon eux, il ne faut pas obliger les pères à prendre un « congé paternel » s'ils n'en ont pas envie, ce n'est pas leur problème et les femmes sont faites pour s'occuper les enfants ! Les mentalités n'ont pas évolué !
On se heurte à des stéréotypes très forts ! Cela étant dit, les questions sont, en général, mal posées…
Comment expliquez-vous que la situation soit différente en Suède et en Norvège ? Et n'êtes-vous pas sidérée par les résultats d'une étude qui montrent qu'il faut renvoyer les femmes à la maison ?
Il s'agit de l'enquête ERFI (Étude des relations familiales et intergénérationnelles) – version française de l'enquête « Generations and gender survey », (GGS) –, qui a été menée dans plusieurs pays européens. À la question de savoir si le jeune enfant souffre quand sa mère travaille, une proportion importante de la population, aussi bien masculine que féminine, pense encore aujourd'hui que c'est le cas.
Les réponses traduisent une opinion ! Des enquêtes très intéressantes ont montré que les très jeunes enfants gardés à l'extérieur de la maison dans des modes de garde de qualité ne souffrent pas. De toute façon, l'expression « souffrir » est très gênante ! En anglais, le terme utilisé est « to suffer » qui signifie aussi « pâtir ». Et les questions elles-mêmes reproduisent les stéréotypes : aucune ne demande si l'enfant souffre quand c'est son père qui travaille !
Néanmoins, l'enquête ERFI demande également si l'enfant souffre quand son père est trop occupé par son travail. Les deux tiers des personnes interrogées répondent par l'affirmative. Cette question sur les pères traduit tout de même un énorme progrès.
Une autre question montre l'ancrage profond des stéréotypes : elle demande qui doit avoir l'emploi en cas de crise de l'emploi. Un quart des personnes répondent « l'homme », mais les plus de soixante-quinze ans sont plus de la moitié à le penser, contre 10 % chez les moins de trente ans.
Selon la dernière enquête de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), 15 % des couples en France sont égalitaires pour la répartition des tâches – les hommes y prennent en charge toutes les tâches, notamment celles liées aux enfants. Dans ces couples, les hommes appartiennent plutôt à la catégorie cadre et professions intermédiaires, sont un peu plus âgés que la moyenne et – surtout – leur conjointe gagne autant qu'eux. On le voit : les hommes les plus impliqués sont ceux dont les conjointes sont très prises par leur travail.
D'après mes enquêtes, les conjointes des hommes les plus impliqués dans la vie familiale gagnent au moins autant qu'eux, mais ont également des contraintes temporelles professionnelles plus fortes. La conclusion est claire : les hommes très impliqués le sont, la plupart du temps, parce qu'ils y sont contraints par leur conjointe. Il faut donc lutter sur deux fronts : l'implication des hommes dans les tâches parentales, mais aussi l'accession des femmes à des postes intéressants et bien payés – d'où l'intérêt des quotas.
Certaines de mes enquêtes ont porté sur de petits échantillons. Une de mes étudiantes a interrogé une trentaine de femmes énarques, essentiellement administratrices civiles, ayant un conjoint énarque. Ces couples sont très impliqués dans leur vie professionnelle, ont délégué énormément de tâches, excepté celles liées à l'intimité et à l'éducation de leurs enfants, auxquelles ils attachent une très grande importance. Le résultat de cette enquête est que les hommes les plus impliqués ont tous une femme qui gagne plus qu'eux.
J'ai moi-même mené des entretiens auprès d'une trentaine d'hommes dans quatre grandes entreprises où les DRH m'avaient fourni des listes d'hommes particulièrement investis dans leur vie familiale. Ces hommes, managers, très diplômés et occupant des postes très prenants, étaient investis dans leur vie familiale et avaient – comme les femmes – une capacité à cumuler tous les rôles. En revanche, à la différence des femmes, ils ne mettaient jamais leur carrière en danger. C'est un autre constat : les femmes savent mettre leur carrière en danger ou en veilleuse, les hommes ne vont jamais jusque-là. Quelques-uns cependant avaient pris un congé parental, notamment un dont le désir de créer une famille était très fort en raison du décès de sa mère lorsqu'il était jeune. Il vivait avec une femme très diplômée et très impliquée dans la vie professionnelle, et sa décision de prendre un congé lui a valu d'être traité par ses collègues de « déviant », c'est-à-dire de quelqu'un qui attaque la norme ! Son entourage professionnel lui a même dit qu'il « foutait sa carrière en l'air » ! On le voit : les stéréotypes sur ce que les hommes et les femmes ont le droit de faire ou pas sont puissants ! Une femme, même très diplômée, a le droit de prendre un temps partiel, mais un homme qui le fait détruit son image d'homme et adopte un comportement déviant. Il faut lutter contre cela.
J'ai également constaté que des hommes relativement jeunes, entre trente-cinq et quarante ans, désirant s'investir dans la vie familiale et s'occuper de leurs enfants avaient des difficultés à être compris de leur encadrement supérieur, en général des hommes de cinquante-cinq ans dont les conjointes ne travaillent pas car ils gagnent très bien leur vie. Ces cadres supérieurs sont incapables de comprendre le souhait de ces hommes plus jeunes.
Existe-t-il des enquêtes sur la mobilité des couples cadres supérieurs ? L'homme est-il prêt à suivre sa femme si celle-ci est mutée et à chercher un autre travail, sachant que c'est généralement l'inverse qui se produit ?
Beaucoup d'entreprises se sont interrogées sur le sujet il y a une dizaine d'années, notamment Gaz de France, mais aussi les banques qui, après avoir obligé leurs cadres à changer de poste tous les trois ans, ont fait marche arrière au vu des divorces et des tensions engendrées dans le couple, la femme ne retrouvant généralement pas un travail équivalent en cas de mutation de son mari.
Les études sur le sujet sont peu nombreuses. Total et Schlumberger, quand cette dernière avait une DRH femme, ont essayé de développer les doubles carrières, c'est-à-dire de trouver, en cas de mutation d'un de leur salarié, un poste à la conjointe – mais l'inverse était beaucoup plus rare.
Au cours de ces enquêtes dans les grandes entreprises, j'ai essayé de mettre au jour les différentes conditions pour produire des couples égalitaires, dans lesquels les rôles sont égaux et où les femmes peuvent dérouler une carrière professionnelle comme celle des hommes. Elles sont nombreuses. Premièrement, il faut que la femme ait le même niveau d'étude que l'homme, donc un point de départ équivalent. Deuxièmement, quand arrive l'enfant, la femme ne doit absolument pas s'arrêter de travailler, ni prendre un temps partiel après son congé de maternité. Troisièmement, il faut soit un attachement particulier de l'homme à la vie familiale, comme pour l'homme dont je vous ai parlé plus haut, soit un divorce ou une garde alternée qui constitue un choc obligeant l'homme à s'investir autant que la femme dans la vie familiale. J'ai le souvenir d'un couple où l'homme avait fini par s'investir en voyant sa femme submergée après la naissance de leurs jumeaux.
Encore une fois, les hommes investis sont des hommes contraints, en particulier par l'attachement de leur conjointe à sa vie professionnelle. Un couple égalitaire vers trente-cinq ans exige que la femme n'ait jamais rien lâché, n'ait pas cédé à l'envie de s'arrêter un peu pour s'occuper de ses enfants. C'est très dur pour les femmes ! Autrement dit, c'est le modèle masculin qui gagne, avec la vie familiale qui passe après la vie professionnelle.
Dans un article important écrit en 1994, la philosophe américaine Nancy Fraser présentait plusieurs modèles : l'homme travaille et la femme est à la maison ; l'homme et la femme sont lancés à corps perdu dans le travail et délèguent tout le reste ; les deux sont investis à la fois dans la vie professionnelle et dans la vie familiale, ce dernier modèle ayant sa préférence et étant selon elle le seul capable de garantir l'égalité de genre. Il me semble très compliqué d'arriver à ce modèle car il nécessite d'inciter, d'un côté, les femmes à travailler plus pour qu'un différentiel ne s'organise pas, de l'autre, les hommes à s'investir davantage dans la vie familiale. Je pense également qu'il faut un contexte global favorable à l'idée que la vie familiale est intéressante.
À ce sujet, le moment le plus opportun pour inciter à ce partage égal des responsabilités professionnelles et familiales a été l'instauration de la réduction du temps de travail. À l'époque, le discours de la société autorisait les gens à penser que d'autres choses importantes existaient à côté du travail. J'ai donc beaucoup regretté que le débat sur les 35 heures occulte l'idée selon laquelle la RTT devait principalement permettre aux gens de dégager du temps pour leur famille, et non pour des loisirs. Dans toutes les enquêtes sur le sujet, les gens expriment d'énormes besoins d'avoir plus de temps pour la vie familiale.
Au cours des dernières années, j'ai réalisé un grand nombre d'enquêtes sur le rapport des personnes au travail, notamment en exploitant avec des collègues toutes les enquêtes européennes sur le sujet. Les Français sont les plus attachés à la valeur travail, mais aussi les plus nombreux à souhaiter que leur travail prenne moins de place dans leur vie. Il y a à cela deux types d'explications, me semble-t-il. Premièrement, les conditions de travail en France se sont fortement dégradées ces dernières années – certaines personnes ne supportent plus leur travail. Deuxièmement, le travail prend trop de place dans la vie des gens qui considèrent alors ne plus avoir suffisamment de temps pour s'occuper de leur couple et de leur famille. Si ce sujet est aussi sensible en France, c'est à mon avis parce beaucoup de femmes avec de jeunes enfants sont actives et qu'une grande partie de la population interrogée dit avoir du mal à tout assumer.
D'où ma conviction que cette question du temps de travail est centrale. Faut-il le réduire sur la semaine, sur la vie, à l'aide de comptes individuels, de droits spécifiques accordés aux hommes et aux femmes ? Dans notre livre, Hélène Périvier et moi-même proposions un congé parental sous la forme d'un compte de temps ouvert pour le père et pour la mère, avec la même quantité de temps pour l'un et l'autre et des « droits de tirage » : ce dispositif serait une manière d'obliger les pères à prendre leur part une fois le quota des mères épuisé.
En tout cas, toutes les mesures susceptibles d'obliger ou d'inciter les pères à prendre du temps pour leurs enfants, surtout lorsqu'ils sont jeunes, sont bonnes à prendre.
L'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) a organisé, le 4 mars au MEDEF, un colloque consacré à l'implication des pères dans la vie familiale et parentale. Il y avait dans la salle – pour une fois sur ces questions – autant d'hommes que de femmes. Le débat a été nourri. Le directeur de Publicis et un responsable de la CFDT étaient d'accord pour dire qu'un des moyens d'avancer est en effet de passer par les congés pour les pères : un congé de paternité allongé ou un congé parental coupé en deux, en tout cas des droits accordés aux pères et perdus au cas où ils ne seraient pas consommés. La même semaine, dans une interview accordée au magazine Elle, Laurence Parisot expliquait qu'il fallait avancer sur cette question.
C'est à la suite de la prise de position de Laurence Parisot qu'une radio a interrogé des chefs d'entreprise.
Je suis intervenue récemment sur ce sujet devant le Centre des jeunes dirigeants (CJD) et certains chefs d'entreprise m'ont dit que nous allions « mettre la révolution dans l'entreprise » !
J'ai moi-même rencontré de jeunes chefs d'entreprise : au départ, ils ne voyaient pas l'intérêt du congé de paternité – qu'allaient-ils faire pendant quinze jours à la maison ? –, puis ils se sont rendu compte que c'était une bonne idée. Il faut dire aussi qu'ils se sentent démunis. De plus, les femmes ne doivent pas décourager les hommes en freinant leur prise de responsabilité dans le milieu familial : n'ont-elles pas tendance à critiquer ce qu'ils font, voire à tout refaire derrière eux… ?
J'ai une amie suédoise qui ne touche jamais à son aspirateur. « C'est mon mari qui le passe, me dit-elle, et je ne le range pas, même lorsqu'il reste sous la table à apéritifs devant mes invités ! ». Cette méthode est d'une efficacité redoutable mais il est très difficile pour la femme de « tenir » !
Les lois votées pour la parité en politique ou encore pour l'embauche des handicapés ne sont pas efficaces, malgré les sanctions prévues. Dans la mesure où le législatif ne suffit pas, sur quels leviers peut-on jouer afin de faire évoluer les mentalités : l'incitation, l'exemple, l'éducation ?
Il est important de jouer sur tous les leviers à la fois. Premièrement, sur le législatif par des mesures centrées sur les pères, en particulier le congé parental.
Est-il possible de légiférer sur le temps au travail, sachant qu'il y a des abus : des gens doivent parfois rester au travail jusqu'à vingt heures... Ne faudrait-il pas fermer les usines à clé à dix-sept heures trente ?
Cela s'est produit après le vote de la loi sur la réduction du temps de travail : les inspecteurs du travail sont venus éteindre les lumières chez Thomson !
La deuxième loi Aubry comportait une disposition sur l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle, qui devait être négociée par les syndicats. Mais les partenaires sociaux ne s'en sont jamais emparés !
C'est pourquoi la parité dans toutes les instances, y compris syndicales, est très importante.
Deuxième levier : je pense qu'il faut des discours généraux, en particulier un discours articulant travail et famille. Aujourd'hui, la valeur travail est sans cesse mise en avant, et le souhait d'avoir un peu de temps pour sa famille mal vu. Il faudrait construire un discours valorisant qui mette l'accent sur l'importance du travail – y compris pour les femmes qui doivent pouvoir accéder à des postes de même qualité que ceux des hommes –, mais aussi sur la place que le travail doit laisser aux activités familiales. Les enquêtes européennes relatives au débordement du travail sur le reste de la vie sont significatives. Malheureusement, d'après le discours ambiant, tout va bien, les gens arrivent à s'en sortir puisque le taux de fécondité en France est relativement élevé, avec deux enfants en moyenne.
Quelle est la situation en Allemagne et en Italie, où le taux de natalité est très bas, et quelles réflexions en tirez-vous ?
En Allemagne, la chute du taux de fécondité a entraîné certaines mesures dont je ne suis pas sûre qu'elles soient les bonnes. Le choix auquel étaient confrontées les Allemandes – avoir des enfants ou travailler – persiste, en particulier pour les femmes très diplômées pour lesquelles la conciliation vie familiale vie professionnelle reste mal vue. Là encore, c'est une affaire de mentalité.
Globalement, nous n'avons pas pris la mesure des stéréotypes, observés à tous les niveaux : à l'école, avec les jouets, les livres ; lors de l'orientation ; en matière de politiques d'emploi. Un colloque auquel j'ai assisté a montré que les gens qui promeuvent des mesures en matière de politique d'emploi sont totalement ligotés par leurs stéréotypes, notamment ceux ayant trait aux métiers féminins et masculins.
Le poids des stéréotypes est très lourd : les maîtresses, les mères, les femmes qui s'occupent des politiques d'emploi les transmettent. Alors comment changer les mentalités ?
Il faudrait, et cela pourrait être un troisième levier, des formations « décontaminantes » ! La société tout entière devrait être décontaminée !
Quand Yvette Roudy était ministre des droits de la femme, des formations étaient organisées pour les enseignants. Dans l'enseignement, les stéréotypes étaient très forts : les institutrices avaient souvent choisi ce métier pour pouvoir s'occuper de leurs enfants.
L'ancienne inspectrice d'académie Claudine Roger m'avait fait prendre conscience que cette problématique de l'égalité commence à la maternelle.
Des campagnes contre ce type de stéréotypes n'auraient pas un coût très élevé.
J'en viens au Laboratoire de l'égalité, une association dont je suis un des membres fondateurs.
C'est vrai, car il comprend des chercheurs, des chefs d'entreprise, l'ORSE et bien d'autres.
Le Laboratoire pour l'égalité a décidé de lancer un projet de Pacte pour l'égalité, destiné à interpeller les candidats à l'élection présidentielle de 2012 sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, sachant que le discours sur ce sujet doit être porté au plus haut niveau en France. Parmi les mesures que nous soumettons, figurent notamment la suspension du financement des partis politiques qui ne présenteraient pas 50 % de femmes, la pénalisation du temps partiel subi, etc.
Le sondage sur les femmes et la présidentielle réalisé par Médiaprism révèle que, sur la question de l'égalité hommes femmes, les gens sont très intéressés et souhaitent voir les choses évoluer, mais aussi que les stéréotypes demeurent très forts : les gens pensent qu'une qualité féminine et une qualité masculine sont déterminées biologiquement – les femmes seraient plus littéraires et les hommes plus matheux –, pour un quart d'entre eux, les cerveaux des hommes seraient différents de ceux des femmes. Or cette idée est totalement idiote, comme a pu le démontrer Catherine Vidal, neurobiologiste et grande spécialiste du cerveau, qui fait partie du Laboratoire de l'égalité : lors de la conférence de presse présentant le Pacte pour l'égalité, elle a longuement expliqué qu'il y a plus de différences au sein de chaque genre entre les individus qu'entre les hommes et les femmes.
Ainsi, les progrès de la connaissance peuvent contribuer à faire changer les choses.
La séance est levée à quinze heures.