COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Jeudi 17 mars 2011
La séance est ouverte à neuf heures quinze.
(Présidence de M. Dominique Tian, rapporteur de la mission)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition de M M. Pierre Leportier, président honoraire de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), de M. Claude Japhet, président de l'Union nationale des pharmacies de France (UNPF), et M. Frédéric Laurent, vice-président, et de Mme Marie-Josée Augé-Caumon, conseillère de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO).
La pharmacie est certainement, parmi les professions de santé, celle qui est la plus encadrée : le médicament est codé, la carte Vitale permet de connaître parfaitement l'identité des patients et notre dispositif de liste d'oppositions des cartes Vitale, régulièrement mise à jour en officine, permet de détecter les cartes volées.
Les fraudes les plus courantes sont les fausses ordonnances ou les ordonnances falsifiées.
Je ne m'étendrai pas sur les fraudes réalisées par des pharmaciens d'officine, l'Ordre des pharmaciens disposant, comme les caisses d'assurance maladie, de moyens de contrôle et sanctionnant assez rapidement et fortement les contrevenants. Nous sommes attentifs à ce que les anomalies soient détectées dans les meilleurs délais, afin d'éviter qu'elles ne soient assimilées à des fraudes ou à une escroquerie.
Les fraudes peuvent porter sur des médicaments sensibles qu'on ne peut obtenir facilement. Certains patients sont enclins à falsifier des ordonnances par des moyens aussi faciles que la photocopie ou le scanner. Une intervention rapide des services de l'assurance maladie et des officines devrait permettre de limiter ce phénomène.
Nous avons ainsi été récemment confrontés à une affaire d'ordonnances apocryphes appartenant à un même assuré des Hauts-de-Seine et copiées à de nombreuses reprises, qui ont permis de délivrer des médicaments et appareils pour le diabète dans toute la France. Lorsque les services de l'assurance maladie s'en sont rendu compte, ils ont arrêté de payer les pharmaciens, ce qui a déclenché un tollé de leur part, dans la mesure où ils n'avaient aucun moyen de savoir que ces ordonnances étaient falsifiées. Si, dans ce type de cas, la caisse n'intervient pas rapidement, on peut penser qu'il s'agit d'une escroquerie des pharmaciens ou des patients. Il faut donc que les systèmes d'alerte soient très réactifs.
S'agissant de l'affaire du Subutex à Toulouse, on a du mal à obtenir des caisses d'assurance maladie qu'elles indiquent à l'ensemble des pharmaciens quels sont les publics susceptibles de participer à ce genre de trafic, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ayant interdit que l'on dispose de listes de personnes appartenant à une certaine catégorie de population, en l'occurrence les toxicomanes.
Les systèmes d'alerte doivent également être fiables. On peut envisager une authentification de l'ordonnance avec un code prescripteur facilement lisible et non falsifiable, sachant que l'ordonnance électronique n'est pas le système le plus sûr.
Je connais un pharmacien dans ma circonscription qui a falsifié des ordonnances et entraîné un préjudice de l'ordre d'un million d'euros pour la sécurité sociale. Comment expliquez-vous ce type de dérapages : sont-ils liés aux difficultés de la profession ou à un contrôle insuffisant des pharmaciens, qui sont pourtant des notables responsables, gagnant plutôt bien leur vie et soumis à un numerus clausus ?
Ces dérapages s'expliquent par des difficultés économiques, mais ils ne sont pas plus nombreux que dans d'autres professions. Si les services de l'assurance maladie – qui disposent de tous les moyens de contrôle – alertent un pharmacien en cas d'erreur, celui-ci réagira très vite et l'on évitera qu'il soit condamné pour escroquerie, avec en général de lourdes sanctions.
Cela nécessite, encore une fois, un dispositif d'alerte rapide au sein de l'assurance maladie, voire de la profession.
Le dispositif actuel des caisses n'est donc pas assez réactif pour éviter ce type de dérives.
Pourtant, nous disposons de tous les moyens conventionnels : nous avons des commissions paritaires locales et nationales au sein desquelles ces problèmes pourraient être résorbés.
Les fraudes chez les pharmaciens ne sont en effet pas plus répandues que dans d'autres professions. Mais la pression économique s'exerçant sur eux peut expliquer l'augmentation du nombre de ceux qui ne respectent pas les règles. C'est le cas notamment dans la région parisienne, où la densité des pharmacies est importante et où les chiffres d'affaires sont faibles et la concurrence forte.
Les fraudes touchant les pharmacies sont bien connues. Il peut s'agir de fraudes individuelles telles que les « bourrages » d'ordonnances – consistant à donner la totalité des médicaments prescrits même si les patients ne les prennent pas – ou les renouvellements intempestifs de prescriptions. Elles ont évolué avec la mise en place du système du forfait à la boîte, qui dans ces cas induit un surcoût pour le patient qui sera plus vigilent.
Le deuxième type principal de fraude est celui organisé entre le patient et le prescripteur. Il consiste à ne pas faire délivrer la totalité des produits remboursés prescrits pour permettre d'échanger des médicaments remboursés par d'autres qui ne le sont pas. Ce type d'acte est condamnable, mais il est parfois le fait de personnes financièrement démunies.
Un troisième type de fraude a trait aux trafics réalisés par les toxicomanes, qui font du « nomadisme », consistant à demander autant de fois que possible, avec la même ordonnance, la délivrance des mêmes produits.
Enfin, il ne faut pas négliger les fraudes fiscales. À cet égard, il faut se garder du fantasme véhiculé par la presse selon lequel un logiciel aurait permis à 4 000 pharmaciens de frauder grâce un code administrateur. Dans toutes les entreprises utilisant un logiciel en réseau, il existe un administrateur par système afin que tout le personnel ne puisse accéder au logiciel.
Il est difficile au pharmacien de frauder le fisc, dans la mesure où il n'est pas en mesure d'acheter quelque chose qui ne soit pas facturé et où il a essentiellement une fonction de revendeur : le fisc sait parfaitement ce qu'il a acheté, ses charges et ses marges. D'autant que 85 % du chiffre d'affaires des officines correspond au tiers payant, remboursé par l'assurance maladie, et que sur les 15 % restant, la moitié est payée par carte bancaire et le quart par chèque. Les règlements en espèces ne représentent donc que 3 à 4 % de l'ensemble.
Plusieurs types de contrôles ont été mis en place. D'abord, celui exercé par les chambres disciplinaires. Ensuite, le contrôle judiciaire, souvent utilisé par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Nous avons, en tant que syndicats, signé avec elle une convention, à laquelle est lié un système de sanctions, avec des dispositions concernant la défense du pharmacien.
Nous ne sommes pas informés des actions menées par les caisses. Quand celles-ci veulent sanctionner un ou plusieurs pharmaciens agissant en bande organisée, c'est-à-dire avec le prescripteur ou avec le patient – comme on l'a vu dans des affaires récentes de toxicomanie ou de trafic de médicaments –, elles ne choisissent pas forcément la voie conventionnelle, mais la voie juridictionnelle.
L'Ordre des médecins que nous avons auditionné s'est plaint du manque de communication avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés notamment, laquelle ne l'informe pas des sanctions prises, ce qui lui pose des problèmes pour décider de ses propres sanctions. De même, il formule des demandes de sanction auprès de la caisse nationale d'assurance maladie qui ne sont pas prises en compte.
De fait, nous ne connaissons que ce qui est constaté dans le cadre conventionnel – qui ne concerne généralement pas des fraudes mais des pharmaciens qui ne prescrivent pas assez de génériques ou n'appliquent pas certaines dispositions de la convention. Dès que la caisse nationale d'assurance maladie a décidé de recourir à une solution juridictionnelle ou ordinale, nous ne sommes pas informés.
Quant aux logiciels informatiques – et, plus largement, à l'informatisation de la profession –, ils offrent une protection supplémentaire puisqu'ils permettent potentiellement un suivi et un contrôle des pharmacies.
L'essentiel des fraudes concerne l'assuré et a plusieurs origines. Il peut reposer sur un système organisé entre l'assuré, le médecin et le pharmacien, qui peut ou non constater la fraude. Deux types de produits peuvent alors être en cause : les traitements de substitution aux opiacés et les produits non utilisés bénéficiant à d'autres personnes non assurées, résidant ou non sur le territoire national.
Les non-résidents viennent – en raison de difficulté d'accès aux soins de certaines populations locales – de trois zones principales : l'Asie – avec parfois le racket de personnes envoyées sur notre sol –, l'Inde et l'Afrique. La fraude résulte d'une prescription légale : si des anomalies sont constatées par le pharmacien, notamment en cas d'interactions, la plupart du temps le médecin maintient sa prescription.
Les ordonnances peuvent également être délivrées par les hôpitaux. Elles sont alors souvent détournées de leur objet et non contrôlables par le pharmacien, celui-ci n'étant pas en mesure, la plupart du temps, de retrouver le prescripteur. Elles peuvent aussi être informatisées et donner lieu à une duplication illégale de la part des assurés, à l'instar des ordonnances apocryphes évoquées précédemment. Dans ce dernier cas, le pharmacien ne peut déceler la moindre anomalie : elles portent sur des produits de consommation courante et adressées le même jour à cinq, dix, vingt ou trente pharmacies. Seule l'assurance maladie est en mesure de détecter ce type de fraude, dans la mesure où elle reçoit au même instant la totalité de l'information, que ce soit grâce à la carte Vitale ou aux attestations.
Autre cas de fraude, qui tend à se développer : celle de l'assuré vis-à-vis du droit. Elle repose sur des attestations sous forme papier, sans limitation de durée, fournies par l'assurance maladie lorsque l'assuré a perdu sa carte. Elles peuvent être reproduites à de nombreuses reprises et présentées aux pharmaciens, qui délivrent leurs produits au regard d'une ordonnance elle-même dupliquée. L'assurance maladie sanctionne alors, la plupart du temps, l'ensemble des pharmaciens ayant indirectement participé à la fraude. Chaque fois que nous lui avons demandé de bloquer les droits, elle s'y est refusée catégoriquement, arguant de l'impossibilité de supprimer des droits en raison d'une fraude.
L'assurance maladie nous envoie une liste d'oppositions nous informant de la validité des cartes Vitale, mais nous n'avons pas de dispositif d'opposition à l'égard des assurés pour des prestations identifiées. Un tel procédé tend cependant à se développer sur le plan national – il a été mis en place dans les Hauts-de-Seine puis étendu à la région d'Île-de-France –, mais selon une procédure assez surprenante : nous recevons quotidiennement sous une forme papier des informations tendant au refus de tel produit à tel assuré – même s'il ne réside pas dans le département ou les environs – sur lesquelles nous n'avons aucun moyen informatique d'exercer un contrôle. Se pose le problème de la transmission de cette information, de manière à permettre à chacun de savoir ce qu'il en est.
Un autre phénomène est lié à la dichotomie entre médecins et pharmaciens et à la fraude de ces derniers. Quand les pharmaciens sont informés que des assurés fraudent sans être sanctionnés – alors qu'eux-mêmes le sont pour des montants pouvant aller de un ou deux euros à des sommes importantes – et qu'ils ne peuvent récupérer l'indu auprès de l'assurance maladie – dans la mesure où ils ont vendu des produits, sur la délivrance desquels ils ne disposaient pourtant d'aucun moyen de contrôle –, certains peuvent être tentés de frauder.
Cela dit, les fraudes pharmaceutiques sont relativement limitées, car nous sommes dans un système de télétransmission : les officines sont totalement informatisées et entièrement sous le contrôle de l'assurance maladie. Il est vrai que ce système se faisait jusqu'à présent en deux temps : la pharmacie télétransmettait la facture et envoyait par courrier l'ordonnance à l'assurance maladie ; dans un premier temps, celle-ci vérifiait si la facture était correcte et s'il n'y avait pas d'anomalies au regard du droit de l'assuré, puis réglait cette facture ; dans un second temps, elle effectuait un contrôle après avoir reçu les ordonnances – lequel était particulièrement lourd au vu du nombre de celles-ci.
Depuis un an, une expérimentation a été lancée avec l'assurance maladie, tendant à scanner et à transmettre à celle-ci les ordonnances, de manière à lui permettre d'avoir en même temps la facture et l'ordonnance. À partir de juin prochain, est prévue une transmission simultanée de ces deux documents, qui permettra à l'assurance maladie de vérifier immédiatement la conformité de l'un à l'autre. Des processus conventionnels permettront également d'accélérer la transmission d'informations.
Elle est réalisée dans sept départements et concerne une centaine de pharmaciens, à qui est envoyé un cédérom. Sa généralisation à l'ensemble du territoire national – en cours de négociation, afin de permettre à toutes les caisses de préparer leurs logiciels et leurs services – devrait être effective d'ici la fin 2011 ou la mi-2012.
Ce choix a été motivé par deux motifs : il simplifie la tâche des pharmaciens – qui n'auront plus à envoyer de documents sous forme papier aux caisses – et permet à celles-ci d'effectuer les paiements dans les meilleures conditions.
Autre cas de figure : entre le moment où la caisse fait éventuellement le constat d'une anomalie et la transmission de l'information au pharmacien concerné, il peut s'écouler entre un et six mois. Elle ne transmet jamais d'alerte après la première anomalie : elle attend généralement les suivantes et que le montant cumulé soit suffisamment élevé pour déclencher un contrôle général du confrère.
L'anomalie peut résider, soit dans la récurrence d'une même ordonnance, soit dans l'envoi le même jour de dix ordonnances pour un même patient. Dans ce cas, la caisse nous envoie un indu, c'est-à-dire un refus de payer la facture. Ce qui a le don d'exaspérer nos confrères, c'est qu'elle ne motive pas ce refus, sinon en parlant d'« ordonnance apocryphe ». Or ces ordonnances présentent toutes les apparences de la régularité, et ce n'est que de la réception de plusieurs factures pour la même ordonnance que la caisse a pu déduire la fraude.
On sait très bien que la technologie actuelle rend le système des feuilles de soin papier totalement obsolète, tant il est aisé de falsifier les ordonnances. Pis, de vraies ordonnances délivrées par des médecins ont l'air falsifiées ! C'est en amont, au niveau du médecin, tant hospitalier que de ville, qu'il faut sécuriser le processus, en permettant son authentification et l'identification du prescripteur, faute de quoi on laissera aux assurés tous les moyens technologiques de frauder.
C'est possible, puisque les officines sont informatisées à 100 %.
Elle est fatalement marginale, puisque les fraudeurs ne vont pas revenir voir un pharmacien qui leur demandera nécessairement de régler ce qui n'a pas été payé.
En outre, on ne connaît par définition que la fraude qui a été détectée.
Moins d'un pour mille pour chaque officine. Ce montant est à distinguer de celui de la fraude, plus de 60 % de ces indus étant attribuables à des problèmes d'ouverture de droits, notamment au niveau de l'assurance complémentaire : il s'agit souvent de personnes qui ont changé de mutuelle. Ce n'est donc pas une question de fraude. Les 40 % restant constituent une perte sèche pour le pharmacien, qu'il s'agisse de nomades pharmaceutiques ou de spécialistes de la fraude. Le problème, c'est qu'on continue à ouvrir des droits au bénéfice de fraudeurs notoires.
Il faudrait obtenir de l'assurance maladie qu'elle réduise les délais de renouvellement des cartes Vitale, qui sont anormalement longs : il peut arriver qu'on soit privé de carte Vitale pendant des mois. Un assuré de mon département a même porté plainte contre sa caisse parce qu'il attendait sa carte depuis deux ans ! Or la possibilité de frauder s'accroît proportionnellement à ces délais puisque les attestations papier sont aisément falsifiables.
La présence d'une photographie de l'assuré sur la nouvelle génération de cartes Vitale vous est-elle utile ?
Cela ne sert à rien. Il arrive souvent que la photographie ne permette pas d'identifier l'assuré. En outre, la carte ne comporte pas la photographie de tous les ayants droit – à moins qu'on impose une photographie de groupe ! Même dans ce cas, comment va-t-on reconnaître un enfant qui a été photographié bébé ? En outre, le législateur ne s'est pas rendu compte que l'apposition de cette photographie était une incitation à la fraude. En effet, plutôt que d'affronter le véritable parcours du combattant qui conditionne l'obtention de cette nouvelle carte, l'assuré préférera utiliser l'attestation papier, qui lui ouvre les mêmes droits. J'ai vu des assurés attendre leur carte trois ans ! Certes, la proportion des feuilles de soins sans carte Vitale n'excède pas 10 %, mais ce phénomène est en augmentation, notamment du fait des gens du voyage ou de ceux bénéficiant de l'aide médicale. Il est vrai que ces derniers sont dorénavant dotés, du moins en principe, d'une carte d'admission à l'aide médicale permettant leur identification. La question est de savoir s'il faut arrêter de délivrer des médicaments sur simple présentation d'une feuille d'attestation papier, et qui doit prendre cette décision. Dans le système actuel, les assurés ne se sentent pas concernés par cette question, puisque les droits sont ouverts en tout état de cause, et l'assurance maladie ne nous donne pas les informations nécessaires et distribue des attestations sans contrôles et sans fixer de date limite. Dans un tel système, les pharmaciens ne savent plus que faire.
Je voudrais profiter de cette occasion pour mettre fin une fois pour toutes aux accusations de manque de fiabilité qui pèsent sur les logiciels de facturation dont disposent les pharmaciens, soupçons sans fondement, mais desquels la presse s'est fait l'écho, à la suite de l'audition de Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens. Pilotant depuis 1995 le système SESAM-Vitale pour le compte des pharmaciens, je ne peux pas laisser dire que les éditeurs de ces logiciels peuvent se dispenser de certification. Au contraire de ce que prétend la présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, il me semble que la certification par le Centre national de dépôt l'assurance maladie (CNDA) des logiciels d'élaboration et de transmission des feuilles de soins électroniques utilisés dans les officines est tout à fait efficace. En tout état de cause, il aurait fallu vérifier cette efficacité avant de faire peser sur les pharmaciens le soupçon de frauder en déverrouillant les logiciels qu'ils utilisent. Un certain M. Jérôme Crétaux avait, à une certaine époque, lancé le même type d'accusations. Or, tant l'assurance maladie que les éditeurs de logiciels m'ont assuré que c'était impossible : la sécurisation des feuilles de soins électroniques ne dépend pas du logiciel utilisé par le pharmacien, mais du lecteur de carte vitale et la certification de codes connus du seul GIE-SESAM-Vitale. C'est d'ailleurs ce qui lui permet de détecter les cartes Vitale frauduleuses.
C'est non seulement impossible, mais en plus inutile, le pharmacien qui souhaiterait frauder l'assurance maladie ayant à sa disposition des moyens bien plus simples et faciles, ne serait-ce que la transmission des feuilles de soins sans la carte Vitale du patient.
En réalité, l'assurance maladie et l'ensemble du système conventionnel ont tout mis en oeuvre pour sécuriser le système de la carte Vitale, en réponse notamment aux critiques de M. Jérôme Crétaux.
Voilà un autre fantasme !
C'est impossible. L'assurance maladie ferait immédiatement opposition, en envoyant aux logiciels de toutes les officines l'ordre de bloquer la carte en cause dans les dix jours au maximum.
À la suite de l'« affaire Crétaux », la sécurisation du dispositif SESAM-Vitale a été encore renforcée. Depuis, la liste d'opposition des cartes Vitale est remise à jour quotidiennement, et non plus chaque mois seulement. Ce dispositif a une réactivité semblable à celle du système d'opposition à la carte bleue. L'inconvénient de ce nouveau logiciel est sa lourdeur, qui fait que toutes les officines n'en sont pas encore équipées.
Le problème, c'est que le contrôle de l'assurance maladie s'effectue a posteriori sur les ordonnances papier, en les confrontant aux feuilles de soins électroniques.
Disant cela, vous reconnaissez que le système n'est pas suffisamment sécurisé et qu'on peut se faire délivrer des médicaments dans différentes pharmacies à partir de la même ordonnance.
D'où l'intérêt du dossier pharmaceutique.
Ne pourrait-on pas s'inspirer de dispositifs qui ont cours dans d'autres pays ? L'authentification par empreinte digitale, par exemple, ne vous semble-t-elle pas plus rapide et rationnelle, pour un coût similaire ?
Un tel système ne peut fonctionner que pour le titulaire de la carte, et non pour ses ayants droit. En outre, il ne peut s'appliquer que lorsque la dispensation de médicaments est faite directement à l'assuré. Or ils sont souvent vendus à des tiers, dans le cas notamment de patients âgés. Que fait-on pour les quinze mille à vingt mille centenaires que compte aujourd'hui la France ? C'est pourquoi la profession demande de pouvoir assurer certains services au domicile du patient.
Il faudrait alors entrer dans un système d'envoi recommandé avec accusé de réception, dont je ne suis pas sûr qu'il serait plus pertinent, plus sécurisé et moins coûteux.
Elle est par définition très importante, car si les malades sont obligés de rencontrer leur médecin, ils peuvent se dispenser d'aller à la pharmacie !
C'est notamment le cas des personnes à mobilité réduite, comme les personnes âgées.
Je dirais qu'au moins un tiers de nos clients achètent des médicaments pour autrui, les mères de famille venant souvent pour toute la famille, même pour leurs maris.
En réalité, ce n'est pas une mesure unique qui va suffire à assurer la sécurisation du dispositif. Même la prescription électronique n'est pas la panacée : on sera toujours obligé de délivrer une ordonnance papier au patient. Il est vrai que les prescriptions électroniques seront envoyées vers un serveur unique auquel tous les professionnels de santé – kinésithérapeutes, infirmières, etc. – auront accès. Mais la généralisation des services en ligne poserait de gros problèmes organisationnels : les pharmaciens devraient se connecter à une bonne dizaine de serveurs pour vérifier la validité des droits du patient au régime obligatoire, à une couverture complémentaire, pour récupérer la prescription électronique et vérifier sa régularité, accéder au dossier pharmaceutique, voire au dossier médical personnel, valider les demandes de prises en charge en cas d'affection de longue durée, etc.
La prescription électronique est surtout utile pour permettre au pharmacien qui a un doute sur la prescription que le patient lui a transmise d'effectuer des vérifications.
De même, l'expérience des ordonnances en papier filigrané a donné de bons résultats : étant plus difficiles à dupliquer, elles limitent le nombre d'ordonnances apocryphes. Mais les médecins ayant refusé leur généralisation, leur usage est réservé à la délivrance de médicaments inscrits sur la liste des stupéfiants.
L'utilisation de codes de type Datamatrix, qui permettent d'intégrer un grand nombre d'informations, serait également un élément de sécurisation, même s'ils peuvent être falsifiés.
Ne pourrait-on pas généraliser l'initiative de la caisse primaire d'assurance maladie de Toulouse, au moins dans les zones qui souffrent de problèmes de trafics de Subutex ?
La caisse primaire d'assurance maladie de Montpellier a mis en place un système similaire à celui mis en oeuvre par celle de Toulouse : lorsqu'elle constate qu'un même patient se fait prescrire du Subutex par plusieurs médecins et pharmaciens, elle lance immédiatement l'alerte, et n'autorise la délivrance ou la prescription de ce produit au patient qu'au médecin et au pharmacien qu'il aura désignés dans le cadre d'un protocole d'accord. Cette procédure est assez efficace, le plus difficile étant de convaincre le patient de participer à un tel protocole. L'obligation d'indiquer le nom du pharmacien constitue aussi une garantie contre la fraude. Un tel système a fait ses preuves et pourrait être généralisé. Le seul problème est que la Commission nationale de l'informatique et des libertés interdit à l'assurance maladie de prévenir les professionnels de santé autres que les parties au protocole que ce patient a fraudé.
Il est vrai qu'à Toulouse, toutes les officines et tous les médecins sont informés de l'identité et du numéro de sécurité sociale des fraudeurs, pour parer au risque de nomadisme pharmaceutique. Ce n'est pas pour autant qu'il y a violation du secret médical, au contraire de ce que prétend M. Frédéric Van Roekeghem, les professionnels de santé étant simplement prévenus que tel ou tel patient a déjà un médecin et un pharmacien.
Je cite les propos de M. Frédéric Van Roekeghem lors de son audition par la MECSS : « le Subutex est un traitement substitutif aux opiacés afin d'aider les patients à s'en sortir dans le cadre d'une politique de santé. A-t-on le droit aujourd'hui en France de limiter la délivrance du Subutex à un pharmacien ? Non cela n'est pas autorisé par les textes. ». Cette vision est très différente de la vôtre, et contraire à l'opinion de la Cour des comptes, qui jugeait intéressante l'initiative de la caisse primaire d'assurance maladie de Toulouse.
En Alsace, comme à Toulouse, les cas de nomadisme pharmaceutique font l'objet d'un signalement. Les officines qui auraient été victimes de la fraude sont défrayées des frais engagés et sont prévenues qu'elles ne pourront plus délivrer ce produit au fraudeur.
En revanche, il ne semble pas y avoir eu d'expérience similaire en région parisienne, alors que c'est surtout là que sévit ce type de trafic.
Le problème est celui de l'absence d'alertes a priori. Tant qu'il n'y aura pas d'obligation de déclaration initiale et d'autorisation par la caisse primaire d'assurance maladie en amont du parcours de soins de ces patients, la lutte contre la fraude sera insuffisamment réactive.
Je ne peux pas laisser dire cela. Les toxicomanes sont des patients comme les autres, surtout dans la perspective d'une politique de réduction des risques. Durcir leur parcours de soins causera plus de dégâts encore, et risque de favoriser les actes de violence contre les pharmaciens. Je ne suis pas pour autant partisane du laxisme, mais je préfère des dispositifs comme celui qui a été mis en place à Toulouse et dans d'autres régions, qui mettent à contribution les réseaux de pharmaciens et de médecins. Je pense notamment aux microstructures mises en place en Alsace, et qui se sont révélées très efficaces.
Il est vrai que les pharmaciens toulousains habilités à délivrer du Subutex interviennent souvent avant même d'être alertés par la caisse primaire d'assurance maladie, en s'informant auprès des médecins ou de la caisse.
S'agissant des indus, ils sont inévitables, le code de déontologie des pharmaciens leur faisant obligation de délivrer le produit au patient, même s'il n'est pas à jour de ses droits.
De ce point de vue, les pertes subies par les officines peuvent avoir trois origines : les indus, les avances de soins quand l'ordonnance n'est pas renouvelé immédiatement – ce qui n'est pas rare étant donné les problèmes de démographie médicale – car les refuser reviendrait à interrompre un traitement, et les crédits. Pour nous, la perte est plus sensible que pour les médecins, qui après tout ne perdent que quelques minutes de leur temps : un produit non remboursé par la sécurité sociale représente une perte équivalant à quatre fois notre marge.
Pouvez-vous nous proposer des mesures simples de lutte contre la fraude, telles que la signature électronique des ordonnances ?
Tout devrait être mis en oeuvre pour permettre l'identification du prescripteur. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, notamment en cas de prescription hospitalière, alors que cette identification est déjà obligatoire en théorie. Le nom du médecin prescripteur et le service auquel il appartient devraient être mentionnés de façon lisible. Cela permettrait déjà de réduire notablement le nombre des ordonnances apocryphes.
Je défends par ailleurs un système de déclaration obligatoire du pharmacien ou du médecin prescripteur – cette obligation existe déjà dans certains cas – géré par l'organisme payeur.
L'obligation de la présence d'une photographie ne fait que rendre plus difficile l'accès à la carte Vitale, sans aucun bénéfice pour la sécurité du dispositif.
Elle serait utile si elle supposait un face-à-face entre les agents de la sécurité sociale et l'assuré, comme c'est le cas pour le passeport ou la carte d'identité.
Ce qu'il faut surtout, c'est faciliter l'obtention de la carte Vitale par l'assurance maladie : plus on simplifiera la procédure de délivrance de la carte Vitale, plus on sécurisera l'ensemble du système, d'autant que cette carte permet également de simplifier la prise en charge du patient par les professionnels de santé et d'accélérer les paiements. Le grand avantage de la carte Vitale sur l'attestation papier, c'est qu'elle n'est pas falsifiable.
Il faut intensifier et accélérer les procédures d'alerte. Les caisses doivent nous prévenir dès qu'elles constatent une anomalie.
Avant de parler de sécurisation, je voudrais m'assurer que le débat n'est pas biaisé par une confusion entre indu et fraude, qui obéit à une logique différente. L'indu naît d'une divergence d'interprétation entre l'assurance maladie et le pharmacien.
La sécurisation du système doit opérer à tous les niveaux. Cela signifie qu'elle doit porter, non seulement sur l'identité du patient, mais également sur celle du prescripteur et du produit prescrit. Je ne pense pas que rendre le dossier pharmaceutique et le dossier médical obligatoires suffirait à régler le problème de la fraude, même si le dossier pharmaceutique comme le dossier médical personnel peuvent être mis à contribution pour sécuriser le dispositif.
Il serait également utile de permettre aux pharmaciens d'avoir, comme les médecins, accès à l'historique des remboursements du patient.
Mais c'est nous qui délivrons les médicaments !
Il serait logique que le dossier médical puisse servir d'élément de contrôle en cas d'abus manifeste.
Il permettrait au pharmacien de donner l'alerte en cas de nomadisme pharmaceutique d'un patient. C'est un moyen de détecter une dispensation anormale ou un nombre excessif de prescriptions.
Je ne confonds pas indu et fraude, monsieur Pierre Leportier. Je dis simplement que l'accumulation des indus, des avances et des impayés risque de pousser certains pharmaciens à la fraude.
Par ailleurs, je m'inquiète de la possibilité de détenir simultanément deux cartes Vitale en cas de changement de régime, voire de caisse : ne devrait-on pas instaurer l'obligation de rendre sa carte Vitale lorsqu'on en reçoit une autre ?
Je vous rappelle qu'il ne devait y avoir à l'origine qu'un fichier des cartes Vitale, valable pour tous les régimes. Quinze ans après l'instauration de la carte Vitale, ce fichier inter-régimes n'est toujours pas mis en place.
Il est vrai qu'à l'origine la carte Vitale, le dossier pharmaceutique ou le dossier médical personnel avaient pour finalité d'améliorer la qualité des soins, et non de lutter contre la fraude. Ces outils pourraient changer de finalité, mais il faut le dire ouvertement et en débattre.
Bien sûr !
Le problème est que chaque organisme répugne à laisser la collectivité accéder aux informations qu'il détient. Je me souviens d'un temps, pas si loin, où il n'y avait pas de fichier national et où chaque caisse primaire d'assurance maladie avait son propre fichier !
La séance est levée à onze heures cinq.