Merci à vous tous, représentants de l'industrie électronique et de la technologie médicale, d'être venus. Il s'agit de secteurs très importants pour notre économie. Nous avons déjà entendu un certain nombre de personnes sur le crédit d'impôt recherche, de tous horizons. Nous aimerions connaître votre avis sur ce crédit d'impôt, ses avantages et inconvénients. En quoi la réforme de 2008 a-t-elle fait évoluer votre comportement ? Comment peut-on distinguer effet d'aubaine et effet structurant ? Comment voyez-vous l'évolution du dispositif, étant donné qu'il s'agit d'une dépense fiscale extrêmement importante, puisqu'elle représente 4 milliards d'euros aujourd'hui ?
Mais au préalable, chacun pourrait-il se présenter ?
Je suis le délégué général du Syndicat de l'instrumentation de mesure, du test et de la conversion d'énergie dans le domaine de l'électronique (SIMTEC), syndicat d'entreprises affilié à la Fédération des entreprises électriques, électroniques et de communications.
Je suis président d'Agilent Technologies, société qui travaille dans le test et la mesure électroniques, et qui résulte du détachement au sein d'une filiale (spin-off) des activités de Hewlett-Packard dans ce domaine. Je suis également président du SIMTEC.
Je suis président-directeur général de Sorin Group, entreprise franco-italienne spécialisée dans les technologies médicales, en particulier les pacemakers, ou défibrillateurs implantables.
Le groupe Sorin est très performant en matière de technologies médicales cardiovasculaires. Nous avons une nouvelle implantation à Clamart, de 500 employés, dont 30 % travaillent sur de la recherche et du développement. La recherche est un facteur déterminant de croissance pour notre entreprise. En 2009, 18 % du chiffre d'affaires du groupe a été investi dans la recherche. Cette même année, notre effort de recherche et développement a crû de 18 %.
Le crédit d'impôt recherche est une incitation à faire plus de recherche, et à localiser la recherche en France. Il permet aussi de développer des partenariats public-privé entre ingénieurs et médecins, avec des organismes comme l'INSERM ou des CHU.
Sorin Group est numéro 1 dans le secteur des pacemakers en France et numéro 2 au Japon. En revanche, notre groupe est peu présent aux États-Unis.
Le SIMTEC regroupe 54 entreprises qui totalisent entre 350 et 400 millions d'euros de chiffre d'affaires. Il s'agit de PME et d'entreprises de taille intermédiaire dans le domaine du test et de la mesure électronique. Nous sommes membre de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), qui tient en ce moment même un salon où sont exposées les nouveautés. Dans ce secteur, il est indispensable d'innover. Ce n'est pas un effet de mode, cela fait partie des gènes de l'industrie électronique. C'est indispensable à la survie d'une entreprise sur un horizon de 5 ans.
La distinction entre recherche et innovation est-elle difficile ? Est-ce que l'éligibilité des dépenses au crédit d'impôt recherche pose problème ?
Nos entreprises trouvent que le crédit d'impôt recherche est un bon dispositif mais ont du mal à distinguer entre ce qui est éligible et ce qui ne l'est pas. Quand elles présentent des dépenses de recherche et développement, on leur en refuse certaines sans qu'elles comprennent pourquoi.
Je ne sais pas, je crois qu'elles le font peu car elles redoutent que cela suscite des contrôles fiscaux.
Nous avons reçu des vérificateurs des impôts, et ils nous ont dit le contraire. Il faut utiliser le rescrit !
Agilent technologies a une filiale française qui bénéficie du crédit d'impôt recherche. La maison-mère américaine a décidé de laisser le centre de recherche implanté à Montpellier. Le crédit d'impôt recherche est en effet un atout majeur pour l'attractivité de la France.
Les entreprises devraient davantage utiliser la recherche académique. Par ignorance, elles ne le font pas suffisamment. Nous collaborons déjà avec la recherche publique, mais sans profiter du crédit d'impôt recherche.
Est-ce que les développements de programmes décidés à l'échelle mondiale sont rapatriés en France ?
Non. Les décisions se prennent souvent en fonction des salaires et des charges sociales.
La filiale française de Sorin dirige les activités pacemakers au niveau mondial, avec 1 000 employés dans le monde. Le crédit d'impôt recherche n'est pas le premier critère : ce qui justifie notre implantation en France, c'est avant tout les possibilités de collaboration avec par exemple le laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (LETI), centre de recherche appliquée en microélectronique et en technologies de l'information, dépendant du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). En 2009, nous avons investi 45 millions d'euros dans la recherche de Sorin SAS, alors que le montant du crédit d'impôt recherche (3,6 millions d'euros) a diminué. Il n'y a pas d'effet d'aubaine.
L'autre facteur d'attractivité de la France est la performance de sa médecine en cardiologie. Notre recherche et développement s'effectue toujours sur la base d'une collaboration entre les médecins et nos ingénieurs.
Le crédit d'impôt recherche nous a permis d'embaucher cette année deux docteurs. Il nous permet aussi de faire de la recherche « amont ».
Tout va bien alors. Il ne faut rien changer…C'est également le cas en matière d'innovation ?
OSÉO fonctionne bien mais il demeure difficile pour les entreprises de communiquer avec ses services, de s'y retrouver dans son organisation aussi.
La vraie difficulté pour les PME, en particulier les plus petites d'entre elles, comme cela a été rappelé lors des États-généraux de l'industrie, réside dans la rencontre des financements, qui existent, et des projets, qui ne manquent pas non plus. Elle peut s'expliquer par des divergences d'horizons temporels bien compréhensibles entre le banquier et le porteur de projet.
Les projets sont parfois aussi jugés trop risqués par les financeurs ; dans ce domaine, le crédit d'impôt recherche permet souvent de boucler des dossiers de prêts qui seraient rejetés sans lui.
Cette distinction entre innovation et recherche n'est pas une terminologie que nous employons dans les entreprises.
Le crédit d'impôt recherche est un outil bien adapté. De son côté, OSÉO est un bon partenaire mais son métier se réduit à consentir des avances remboursables alors que les PME innovantes ont souvent besoin de fonds propres. Le Fonds stratégique d'investissement va peut-être permettre d'y remédier.
Comment appréhendez-vous le seuil des dépenses de fonctionnement fixé à 75 % des dépenses de personnel ?
Au sein de l'entreprise, nous veillons à détailler semaine par semaine les heures passées par les ingénieurs sur des projets éligibles au crédit d'impôt recherche. Cela impose de consentir un véritable effort en matière de contrôle de gestion.
Je vous ai posé cette question car nous recevions hier des représentants de la direction du budget.
L'année dernière, le seuil de 75 % nous a permis de couvrir 62 % des dépenses réelles.
En réalité, nous sous-estimons l'effort de recherche éligible au crédit d'impôt recherche car les petits projets ne sont pas déclarés, compte tenu de la lourdeur de la procédure.
Pour illustrer cette situation, au niveau de la filiale, le montant des dépenses de recherche était de 680 000 euros et 17 % ont pu répondre aux critères d'éligibilité.
Ce n'est pas comme cela qu'un groupe optimise sa fiscalité ! En 2009, les dépenses de recherche ont augmenté pour atteindre 45 millions d'euros alors que, dans le même temps, les remboursements de crédit d'impôt ont baissé d'un million d'euros.
Nous conduisons des projets de recherche longs – d'une durée de six ou sept ans, en moyenne – mais lorsque ceux-ci entrent en phase d'industrialisation, les remboursements de crédit d'impôt recherche diminuent.
Oui. À titre personnel, je nourris quelques craintes quant à la pérennité du dispositif. Pour notre groupe et pour l'ensemble des entreprises qui en bénéficie, cette pérennité est capitale car ce sont des emplois qui sont en jeu.
Je peux vous le confirmer. L'horizon de nos projets est également de 5 à 10 ans.
Parmi nos 64 membres, seule une douzaine utilise le crédit d'impôt recherche.
Cela dépend des entreprises. Toutes ne pourraient pas bénéficier de ce crédit d'impôt. Cependant, certaines pourraient y prétendre et n'en profitent pas, par méconnaissance, bien souvent.
Pas suffisamment à ce jour. Il faudrait valoriser davantage cette participation.
La principale amélioration résiderait dans une simplification des formalités, en particulier pour les PME. Celles-ci rencontrent des difficultés dans leurs démarches administratives, par exemple dans le domaine du logiciel. Je citerai l'exemple du formulaire administratif 4A41-12.
Il faut reconnaître que le recours au crédit d'impôt recherche représente pour les entreprises une charge administrative assez lourde. Les relevés d'activité hebdomadaires renseignés par nos ingénieurs indiquent que deux à trois heures sont consacrées chaque semaine à des tâches liées au crédit d'impôt recherche. Nos auditeurs, notamment ceux du cabinet Price Waterhouse Coopers, nous ont aidé à mettre en place un système de traitement, qui est géré en interne, sans recours à des cabinets. C'est un système lourd. En la matière, les simplifications sont par principe bienvenues.
S'agissant de la participation des ETI au dispositif du crédit d'impôt recherche, nous nous en tenons aux règles du manuel de Frascati. Nous évitons donc de prendre des risques sur des petits projets. Nous tenons compte aussi de l'importance du travail administratif lié au crédit d'impôt recherche.
Pour les petits projets, le rescrit se caractérise également par une lourdeur certaine. De fait, nous avons une pratique assez conservatrice, consistant à ne pas inclure ces projets dans l'assiette des mesures pour lesquelles le crédit d'impôt recherche est sollicité. S'il y avait une procédure simplifiée, cela pourrait être une amélioration pour nous.
Les PME, qui souvent, ignorent ce qu'est un rescrit, n'osent pas écrire à l'administration fiscale. Pour elles, le rescrit nécessite donc le recours aux services d'un avocat, ce qui est coûteux.
Analysez-vous le crédit d'impôt recherche comme un outil de relocalisation en France d'activités de recherche et développement ?
Notre groupe conduit des activités de R&D dans des États qui ont adopté des mesures proches du crédit d'impôt recherche, tels l'Italie et le Canada. Mais ces mesures sont plus modestes. En Italie, le volume financier du dispositif est environ deux fois moins important que celui du crédit d'impôt recherche. De plus, l'enveloppe budgétaire est prédéterminée : les premiers arrivés sont donc les premiers servis.
Les dispositifs d'incitation sont d'autant plus efficaces qu'ils sont pérennes. De ce point de vue, le crédit d'impôt recherche permet le rapatriement en France d'activités de recherche et développement jusqu'alors effectuées à l'étranger, le développement de R&D nouvelle en France, ainsi que le développement de partenariats public-privé. Ce dernier point est particulièrement important, car le savoir se situe en amont, dans les universités ; un outil qui incite les entreprises à travailler avec les universités est donc un bon outil.
Quelle appréciation portez-vous sur le plafonnement de l'assiette du crédit d'impôt recherche à 100 millions d'euros ?
Notre appréciation ne saurait être fondée, car notre assiette n'excède pas 15 millions d'euros.