Commission des Finances, de l'économie générale et du Plan
Le Président Didier Migaud : Nous accueillons MM. Philippe Auberger, qui présidait la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) au moment des faits, M. Pierre Hériaud, ancien président de cette même commission de surveillance et qui présidait le comité d'examen des comptes et des risques (CECR) au moment des faits, M. Augustin de Romanet, directeur général de la CDC, et M. Dominique Marcel, directeur financier de la CDC.
La Commission est réunie pour revenir sur les conditions dans lesquelles ont été réalisées, en 2006, des opérations sur les titres de la société EADS. Certains mouvements, suivis d'une baisse très importante des cours de l'action, avaient suscité des interrogations. Notre Commission, conjointement avec la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, a d'ailleurs entendu à ce sujet, le 28 juin 2006, M. Noël Forgeard, alors co-président exécutif d'EADS, et l'Autorité des marchés financiers (AMF) a alors déclenché une enquête dont les premiers résultats sont connus depuis peu. Nous souhaitons que l'enquête de l'AMF aille à son terme et que la justice, qui est saisie, accomplisse son travail.
Pour sa part, la Commission souhaite obtenir tous les éclaircissements souhaitables sur les conditions dans lesquelles la répartition du capital d'EADS a été modifiée, lorsque le groupe Lagardère a décidé de céder la moitié de sa participation, soit 7,5 % du capital. Dans quelles conditions la CDC a-t-elle décidé d'accroître son engagement dans le capital d'EADS en acquérant une partie de la participation du groupe Lagardère, par l'intermédiaire d'un autre acteur, dont nous serons peut-être également amenés à rencontrer les dirigeants, IXIS CIB ? Quelles ont été les relations entre la CDC et les différents services de l'État ? Entre la CDC et SOGEADE, la holding commune à Lagardère et à l'État ? Comment la CDC a-t-elle pris cette décision d'acquisition ? Pourquoi la cession a-t-elle été réalisée au moyen d'un dispositif d'obligations remboursables en actions d'EADS ?
Cette audition venant après beaucoup d'informations parues dans la presse et après une audition, vendredi dernier, devant le Sénat, nos questions doivent tenir compte des éléments d'appréciation déjà connus. Je pense notamment au procès-verbal de la réunion du 12 juillet 2006, selon lequel, dans le cadre des dispositions prévues par le pacte d'actionnaires, l'État autorisait la CDC à procéder à cette acquisition. Toutefois l'ancien ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie a déclaré en audition publique qu'il s'agissait d'une erreur d'interprétation juridique et la CDC, dans un communiqué, affirme qu'aucune instruction n'a été demandée à l'État et que celui-ci n'a donné aucune autorisation. C'est à se demander si les participants aux réunions relisent les procès-verbaux !
Je demande à tous de rendre cette audition la plus vivante possible, avec des questions directes et des réponses étrangères à la langue de bois.
J'ai siégé vingt et un ans dans cette Commission et mes anciens collègues savent que je n'ai jamais été un adepte de la langue de bois !
Je n'ai pas pris de notes précises mais, d'après mes souvenirs, j'ai entendu parler pour la première fois de l'intention de la CDC de prendre une participation dans EADS le matin du 4 avril 2006, lors de notre petit-déjeuner bimensuel, auquel participaient ce jour-là M. Jean Sebeyran, directeur général par intérim et secrétaire général de la CDC – qui remplaçait M. Francis Mayer, hospitalisé –, M. Dominique Marcel, directeur financier, et ma directrice de cabinet. Si mes souvenirs sont exacts, il n'était pas encore question du taux de 2,25 % ; il me semble que M. Marcel a alors évoqué une fourchette de 1,5 à 2,5 % et que M. Mayer y réfléchissait. On m'a dit que le montage de l'opération était assez complexe et qu'il était présenté par IXIS CIB, banque de financement et d'investissement appartenant au groupe de la Caisse nationale des caisses d'épargne.
Je crois me souvenir que j'ai demandé si le ministre de l'Économie et de finances ou son cabinet avait été informé de cette intention, non pas d'ailleurs pour des considérations de prix ou de quantum qui relèvent en effet de la compétence du directeur général, sous réserve des objections de la commission de surveillance ; la gouvernance de la CDC n'impose pas au directeur général de soumettre ses prises de participation au ministère.
Le Président Didier Migaud : Et quelle réponse vous a été apportée ?
Je précise les raisons pour lesquelles j'ai formulé cette question. À l'époque, je crois me souvenir que j'ignorais l'existence de la SOGEADE et la vocation de l'Agence des participations de l'État (APE) à suivre les comptes d'EADS. Cette société procédant d'un accord franco-allemand, j'étais cependant conscient de la nécessité de respecter un certain équilibre, d'autant qu'elle oeuvre dans les domaines sensibles de l'aéronautique, du spatial et du militaire.
Je crois me souvenir que l'on m'a répondu que l'information auprès du ministère était en cours. Si le directeur général m'avait demandé mon opinion, je lui aurais recommandé d'avertir le ministre, mais il n'est malheureusement plus là pour témoigner.
La commission de surveillance s'est réunie le 5 avril et je me suis étonné que le compte rendu n'évoque pas cette affaire. Dans les questions diverses, j'ai pourtant demandé s'il était opportun d'aborder le dossier EADS et il m'a été répondu que c'était prématuré ; la cassette de l'enregistrement de la réunion en atteste. Je précise que, d'après la gouvernance, c'est le directeur général qui rapporte sur tous les sujets, la commission de surveillance n'émettant qu'un avis sur ses propositions.
Il semble que l'opération n'était effectivement pas encore faite. Il existerait une lettre d'intention signée le 28 mars. Le 5 avril, Lagardère rend public un communiqué annonçant le déclenchement de l'opération, ce qui signifie qu'il a obtenu le feu vert de la SOGEADE et que l'État a décidé de ne pas lever son droit de préemption. La prise ferme d'IXIS CIB, d'après mes informations, intervient le 6 avril, mais, à cette date, l'identité des acquéreurs n'est sans doute pas encore déterminée dans le détail. D'après mes informations, la CDC aurait conclu avec IXIS CIB le 12 avril.
Le Président Didier Migaud : D'où tenez-vous ces informations ?
D'un rapport, rédigé à ma demande par Pierre Hériaud et dont je dirai un mot tout à l'heure.
L'affaire est évoquée devant la commission de surveillance le 26 avril 2006, en présence de M. Mayer. Elle est présentée comme une opération de portefeuille normale, comparable à celle évoquée le même jour concernant Eiffage.
Ensuite, les cours d'EADS subissent une chute très importante et M. Forgeard est auditionné par la commission des Finances et la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Voyant l'agitation qui commence à se manifester et les risques potentiels de délit d'initié évoqués dans la presse, je demande à Pierre Hériaud d'examiner l'opération dans le détail afin de déterminer si son évaluation ou son déroulement avaient donné lieu à des problèmes. Cette demande est confirmée le 21 juin 2006 en réunion de la commission de surveillance.
Dans son rapport, qui recueille l'aval de la commission de surveillance le 12 juillet 2006, Pierre Hériaud garantit que l'opération a été menée dans des conditions tout à fait régulières. Il souligne notamment que l'évaluation des titres a résulté de deux notes d'analyse financière élaborées respectivement par les banques Morgan Stanley et JP Morgan, et que l'opération a été conduite aux conditions du marché de l'époque.
Il convient d'éviter d'émettre une interprétation trop ramassée du compte rendu du 12 juillet 2006. Autant que je me souvienne, c'est lors du conseil d'administration de la SOGEADE du 3 avril 2006 que l'État aurait dit à Lagardère qu'il n'entendait pas utiliser son droit de préemption, en conséquence de quoi Lagardère pouvait vendre, par l'intermédiaire d'IXIS CIB, à qui il l'entendait parmi les opérateurs français. En tout cas, le 4 avril au matin, la CDC ne savait pas quelle proportion de la capitalisation d'EADS elle achèterait. Et je répète que l'État n'avait pas à donner d'autorisation à la CDC mais qu'il était logique de le tenir informé, compte tenu du caractère stratégique du secteur.
Philippe Auberger m'a en effet demandé, en qualité de président du CECR, d'examiner la situation d'un peu plus près, car, après le 4 avril, nous avions observé l'évolution des cours et des process industriels. J'ai donc rédigé une note dont les conclusions ont été suivies par la commission de surveillance.
Je vous signale d'emblée que ses trois réunions successives se sont tenues en présence du directeur général du trésor et de la politique économique ou de son représentant mais que ceux-ci sont restés totalement muets. L'objet de la note était de déterminer les conditions de réorganisation d'une opération d'acquisition de capital d'EADS et ses conséquences en termes de risque financier sur le patrimoine de la CDC.
Cette note rappelle qu'il s'agit d'une opération de marché résultant d'un contrat passé avec la banque d'investissement IXIS CIB, signé le 28 mars 2006. L'opération s'est déroulée le 6 avril 2006 – c'est-à-dire postérieurement au 4 avril – sur un prix réfèrent de 32,60 euros l'action. Lagardère était détenteur de 15 % du capital d'EADS, l'État de 15 % et les Allemands de 30 %.
Le montage, complexe, visait à faire bénéficier le vendeur d'un intéressement éventuel en cas de hausse du titre EADS, avec une émission d'obligations remboursables en actions à parité ajustable (ORAPA). IXIS CIB a souscrit à cette opération en gardant 2,5 % des parts et en mettant les 5 % restants sur le marché, dont 2,25 % ont été pris par la CDC. Les actions étant valorisées à 32,60 euros pièce, les 18 399 000 actions reprises par la CDC représentaient un peu moins de 600 millions d'euros. Il s'agissait d'un achat à terme faisant passer le nombre de parts détenues par la CDC de 0,58 à 2,83 %, mais après trois ans, au terme de trois échéances, pour un tiers du total chacune, en 2007, 2008 et 2009.
IXIS CIB a confirmé à la CDC la vente et l'achat à terme d'actions EADS le 12 avril 2006 après une lettre d'engagement du 28 mars 2006. En voici les modalités prévues : les dates de conclusion et de commencement sont fixées aux 12 et 11 avril 2006 ; le nombre total d'actions cédées, ajusté le cas échéant, est de 18 399 000, pour une valeur de 599 807 400 euros ; pour chaque tranche, le nombre d'actions cédées sera égal au tiers du nombre total d'actions ; la devise est l'euro ; l'organisme de compensation est Euroclear France ; à l'échéance, le prix de vente d'une action est déterminé en fonction d'un calcul de taux d'intérêt ; les dividendes ne sont connus qu'à la fin de chaque exercice ; au terme de l'opération, le prix peut différer légèrement par rapport au montant de 32,60 euros.
Quel est l'environnement économique de l'opération ?
Fin mars, début avril, le prix de l'action s'établit à 33 euros. Les cabinets d'audit Stanley Morgan et JP Morgan tablent à terme sur 27, 33 ou 45 euros selon les scénarios. La valeur de 32,60 euros est donc conforme au cours du marché. Il faut resituer le mouvement de baisse de l'action EADS dans le contexte boursier de l'époque : depuis le 1er janvier 2006, le CAC 40 a connu des évolutions contrastées, avec une chute de 5 200 à 4 700 points, suivie, fin juin et début juillet – c'est-à-dire au moment où je rédige la note –, d'une remontée à 4 900 points. Ainsi, le 30 juin 2006, l'indice est en progression, à onze heures, de 1 % à 4 929 points et même, à dix-sept heures quarante-cinq, de 1,75 % à 4 965 points. Dans ce mouvement de grande amplitude, le titre EADS a plongé de 30 à 16,75 euros à la mi-juin pour remonter à 22 euros. Avec 30 % de perte sur 600 millions d'achat, il faut passer 180 millions de provision – dans les faits, 191 millions. Si la cotation remonte, une partie des provisions peut être annulée.
Tout le problème, c'est l'exposition de la CDC au risque de placement. Comme je l'indiquais en conclusion de la note, c'est sur ce point que nous avons cherché à y voir clair, avec les services de la maison, à la lumière d'éléments techniques relatifs à l'environnement économique et financier du moment, à l'entreprise EADS et à sa valorisation compte tenu des analyses effectuées par les cabinets d'audit, à la nature et au montage de l'opération de marché, au contrat passé le 28 mars entre IXIS CIB et la CDC, à la valorisation de l'action à 32,60 euros, à l'évolution du cours de l'action dans une période de crise de gouvernance d'EADS, au montant des provisions à passer en comptabilité et aux reprises éventuelles. La note, qui s'efforce de répondre à ces questions, a été présentée à la commission de surveillance et à son président.
Je vous remercie de votre invitation, qui donne l'occasion de revenir en détail sur cette opération d'acquisition de 2,25 % de titres EADS. J'en profiterai pour vous annoncer une initiative relative à la gouvernance de la CDC. Vous me pardonnerez de lire un document de temps à autre car je vous dois la précision.
La CDC a été contactée, dès janvier 2006, pour participer à l'acquisition d'une partie des titres EADS. Francis Mayer, après instruction par ses services, a pris la décision, le 28 mars, de s'engager à acquérir 2,25 % des titres mis en vente. Ces titres n'ont pas été acquis directement auprès de Lagardère mais auprès d'IXIS CIB, qui a structuré l'opération. La vente a été rendue définitive le 12 avril 2006. L'investissement a pris la forme d'un achat à terme au prix de 32,60 euros par action, dont les échéances de livraisons étaient prévues en juin 2007, en juin 2008 et en juin 2009.
Le Président Didier Migaud : Par qui la CDC a-t-elle été contactée en janvier 2006 ?
Par des banques conseils.
Sur quoi se fondait la décision d'acquisition ?
Ne perdons pas de vue le contexte dans lequel est née cette opération de marché, conduite en s'appuyant sur toute l'information financière disponible à l'époque. Le potentiel de hausse du titre faisait consensus : la moyenne du cours cible pour les analystes externes s'établissait à 36 euros ; le flottant allait augmenter sensiblement, ce qui constituait un autre facteur haussier ; le souhait de vendre exprimé par M. Lagardère, connu du marché, constituait un overhang, une épée de Damoclès ; personne ne comprenait qu'EADS, en duopole avec Boeing, dégage une valorisation inférieure de 20 %. Cette bonne appréciation a été confirmée par la facilité avec laquelle Daimler a cédé ces propres titres, en trois heures de temps. Enfin, l'investissement apparaissait cohérent avec la politique d'investisseur de long terme de la CDC, le secteur aéronautique présentant les caractéristiques d'un cycle long.
Trois éléments particuliers ont donné lieu à commentaires.
Premièrement, ne nous trompons pas de débat. Dans cette opération, la CDC est une double victime présumée : en tant qu'actionnaire préexistant, victime présumée d'un délit d'initié ; dans le cadre de l'achat du bloc d'actions, victime présumée d'un délit de fausse information financière. C'est en raison de mon devoir de défense des intérêts de la CDC que j'ai déclaré, le 24 mai dernier, que nous nous joindrions aux procédures qui en découleraient si les enquêtes en cours démontraient des présomptions de délits.
Deuxièmement, à propos de la gouvernance, nous devons nous méfier de tout anachronisme.
Mon prédécesseur a respecté les mécanismes de gouvernance. Les services de la CDC ont été contactés par des conseils. Francis Mayer a décidé, le 28 mars 2006, d'acquérir 2,25 %. Le président de la commission de surveillance en a été prévenu le 4 avril. Ce dernier l'a évoqué très rapidement à la fin de la commission de surveillance du 5 avril, comme l'atteste l'enregistrement des débats. La commission de surveillance a été informée dans le détail le 26 avril, lors de sa séance suivant immédiatement la formalisation juridique de l'achat des titres, en date du 12 avril. Aucun membre de la commission de surveillance n'a émis d'observation ou posé de question lors des séances du 5 avril et du 26 avril ; n'oublions pas qu'à l'époque cette opération ne suscitait aucun débat, d'autant que l'État lui-même avait marqué son attachement à EADS en ne vendant pas ses propres titres.
La commission de surveillance, le 21 juin, a demandé à « examiner la manière dont s'est déroulé le processus d'acquisition, et à vérifier que les intérêts de la Caisse des dépôts ont été correctement pris en compte » ; cette mission a été confiée à M. Pierre Hériaud, qui vient de vous en rendre compte. Le 12 juillet, M. Hériaud a présenté sa note aux membres de la commission de surveillance – elle leur avait été diffusée avant la séance – et le procès-verbal public des débats atteste que deux membres de la commission ont formulé des observations sans remettre en cause l'opération.
La CDC a agi dans le cadre de ses procédures normales, de manière autonome, et je vous confirme qu'elle n'a reçu ni demandé aucune instruction des pouvoirs publics. D'ailleurs, alors en fonction à la Présidence de la République, je précise que mes collaborateurs et moi-même avons appris cette acquisition une fois qu'elle a été rendue publique, comme il se doit pour une opération de marché.
Ce point étant acquis, une question théorique se pose : le ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie aurait-il pu ou dû dissuader la CDC d'effectuer cet achat ? Soit il disposait d'informations particulières, et, en tout état de cause, il n'avait alors pas à les répercuter à la CDC plutôt qu'aux autres investisseurs acquéreurs des 15 % mis sur le marché. Soit il ne savait rien de particulier, et il n'avait alors pas de motif de mettre en garde la CDC face à un investissement justifié au vu de conditions du marché.
Pour tirer les enseignements de cet événement et dissiper tout doute sur les conditions d'intervention de la CDC, j'ai décidé de proposer la mise en place d'un comité des investissements.
Depuis quelques jours, refait surface un marronnier : le débat sur la gouvernance de la CDC. À cet égard je rappelle tout d'abord que l'originalité de la gouvernance de la CDC est le reflet de l'originalité de l'établissement lui-même et de ses missions : par son statut, il est placé par la loi « de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». Cette gouvernance a fait ses preuves cent quatre-vingt-onze ans durant, par-delà les changements de régimes politiques et les crises. Cette stabilité a été un facteur favorable au mouvement. En tout cas, la CDC ne manque pas de contrôles. Comme l'a déclaré M. Pierre Simon, président de la chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP), membre de la commission de surveillance, il n'existe pas d'autres exemples, dans les secteurs public et privé, de contrôles aussi assidus et approfondis.
La commission de surveillance est composée de personnalités indépendantes : quatre parlementaires, le président de la CCIP, de hauts fonctionnaires, de hauts magistrats, le gouverneur de la Banque de France. Elle se réunit deux fois par mois, soit vingt-deux séances en 2006. Elle s'est dotée de comités spécialisés, qui se sont réunis seize fois en 2006.
La CDC est aussi soumise au contrôle de la Cour des comptes. Chaque fois qu'elle reçoit un mandat de l'État, une instance de gouvernance et de contrôle spécifique est mise en place. Enfin, nous sommes régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.
Cela signifie-t-il que rien ne doit changer ? Non. Comptable de la transparence et de l'efficacité des interventions de la CDC, je suis favorable à toute évolution renforçant la clarté de son action. Les interrogations sur le rôle et sur le mode de décision de la CDC montrent que des progrès peuvent être faits.
S'agissant du rôle de la CDC, nous devons toujours mieux expliquer son action. C'est tout le sens du travail sur la lisibilité de son intervention que j'ai entrepris depuis mon arrivée.
En acquérant ces titres EADS, la CDC intervenait comme investisseur de long terme, attentif à accompagner des entreprises, grandes ou petites, sur la durée. Compte tenu du cycle aéronautique, c'était une décision stratégique qui l'engageait à moyen terme car elle ne devrait pas revendre ses titres avant de très longues années. Il faut donc lire et commenter l'acquisition à l'aune de ce critère et non à celle d'une opération financière de court terme. Comme le dit l'adage boursier un peu théorique mais vrai : « Tant qu'on n'a pas vendu, on n'a pas perdu. »
Cette fonction d'investisseur n'est peut-être pas assez lisible, j'avais eu l'occasion de le constater dès mon arrivée et de vous l'indiquer lors de mon audition du 25 septembre dernier. C'est l'une des raisons qui m'ont conduit à lancer le programme d'orientation stratégique Élan 2020, qui s'achèvera en décembre.
S'agissant des modes de décision, je suis également soucieux, depuis mon arrivée, d'en renforcer encore la clarté, sachant, je le répète, qu'aucune faute de gestion ne peut être imputée à la CDC dans cette affaire. Il me paraît néanmoins important de mieux encadrer les échanges d'information entre le directeur général et la commission de surveillance.
À cet effet, je propose, en accord avec M. Michel Bouvard, une amélioration de la gouvernance de la CDC. Il s'agit de créer, au sein de la commission de surveillance, un comité des investissements auquel seront soumises les opérations de marché les plus confidentielles. Ce comité sera notamment compétent pour examiner a priori les investissements les plus importants, comme celui qui est l'objet de notre discussion. Il n'y aura plus d'ambiguïté sur la systématisation de la réflexion collégiale.
Sur les autres aspects de la gouvernance, les pouvoirs publics m'ont invité à leur livrer des propositions, que je leur réserve. Il faut en tout état de cause bien mesurer ce qu'un nouveau système pourrait apporter. Je m'inscris pleinement dans le cadre tracé par M. Bouvard le 25 septembre : pas de banalisation de la gouvernance et maintien du périmètre du groupe.
Je rappelle, ayant vécu cette affaire que, si la Caisse des dépôts a fait une mauvaise affaire, c'est parce qu'elle a été placée dans une situation de mauvaise information du marché, car si nous avons eu des informations, elles étaient tronquées.
Le Président Didier Migaud : Pourtant cette fameuse note de l'APE, qui ne semble pas partager le consensus de marché, date du mois de janvier…
Pourquoi l'APE peut-elle conclure que le marché n'est pas favorable et qu'il faut vendre, alors que dans le même temps vos analystes vous expliquent qu'il vaut mieux acheter ?
Dans la déontologie de la profession réglementée d'analyste financier, on a le devoir de rendre publiques toutes les informations que l'on peut connaître. Dès lors que le consensus des analystes considère le 30 mars que le cours cible est à 36 €, on doit considérer que tout ce qui a été accessible aux spécialistes est connu du public ; c'est cela l'information du marché.
Je souhaite également expliquer pourquoi nous avons choisi d'investir dans EADS.
Le directeur général estimait que nous étions sous pondérés dans cette entreprise stratégique dont nous disposions de 0,56 % du capital. Il était donc logique que depuis quelques mois nous nous intéressions à cette valeur, dont on pouvait penser, sans avoir aucune information précise à ce propos, que l'actionnariat allait évoluer.
Aurait-on d'ailleurs préféré que des fonds chinois ou des Hedge Funds prennent la participation cédée, plutôt que la Caisse des dépôts ? Et cette dernière n'est-elle pas dans son rôle d'investisseur de long terme quand elle réalise ce type d'opération ? En effet c'est bien sur le long terme qu'il faut insister : pour l'instant, la Caisse porte une perte latente. Bien évidemment, il aurait mieux valu acheter quand on a su les mauvaises nouvelles, mais il est bien facile aujourd'hui de prévoir le passé…
Il est vrai que le sujet est un peu plus sensible dans la mesure où nous avons été en déficit d'information sur la réalité et où nous sommes donc en position de victimes. Mais si d'aucuns considèrent que la Caisse n'a pas à prendre ce type de participation, dans ce cas à quoi sert-elle ?
Tout a été dit sur les conditions de l'opération qui a été menée par mon équipe et pilotée par Francis Mayer. Celui-ci était malade, mais il avait la pleine possession de ses moyens intellectuels. La situation n'était pas simple ; toutefois il a suivi cette affaire et, maintenant qu'il est mort, il est indécent de broder sur ce qu'aurait pu faire et ce qu'aurait pu dire le directeur général de la Caisse des dépôts. Qui plus est ce qui est dit ne correspond pas à la réalité.
S'agissant de la mauvaise affaire qu'aurait réalisée la Caisse, je rappelle que nous avons pris toutes les précautions et que nous avons intégralement provisionné cette opération. Nous n'en avions pas l'obligation et cela représente à ce stade un coût net d'environ 120 millions d'euros, qui figure intégralement dans nos résultats 2006.
En dépit de ce coût, ces résultats ont été tout à fait corrects, avec un rendement de notre portefeuille équivalent et même légèrement supérieur à celui du CAC 40. Malgré certaines contraintes qui pèsent sur ce portefeuille, depuis 15 ans, son rendement est nettement supérieur à celui du CAC 40. Cela montre que notre gestion est avisée, même si ne nous ne pouvons bien évidemment pas tout prévoir. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls ; n'oublions pas que l'opération s'est réalisée rapidement sur le marché en Allemagne et que le reste des titres a trouvé preneur en France. Il est vrai que l'on remarque davantage ce que fait la Caisse. Cela étant, ce sont aussi la taille de son bilan, la structure et la stabilité de ses ressources qui lui permettent de mutualiser les risques, de s'engager sur des montants aussi importants plus facilement que d'autres investisseurs, ce qui est quand même fort utile à l'économie du pays.
Pour répondre à Philippe Auberger, j'ai effectivement informé, au cours du petit-déjeuner du 4 avril, le président de la commission de surveillance de cette opération. Celle-ci avait été juridiquement conclue le 28 mars, puisque j'avais signé un engagement ferme de la Caisse d'acquérir ces titres, à la condition que l'opération se déroule également en Allemagne, le prix de marché dépendant directement du prix allemand. En effet, lorsque nous avons décidé de participer à cette opération, nous avons mis comme condition que nous ne soyons pas seuls – on imagine ce que l'on dirait aujourd'hui si tel avait été le cas… – et que cela se fasse au prix du marché. Une fois ces conditions remplies, nous avons donc signé logiquement l'acquisition définitive des titres.
De mémoire, j'ai dit au président de la commission de surveillance que l'opération n'étais pas définitivement bouclée, tout simplement parce que c'était ce que nous disait la banque IXIS, à partir d'éléments dont nous n'avions pas connaissance. En revanche, je ne crois pas lui avoir dit que nous n'étions pas sûrs du niveau de participation.
S'agissant du procès-verbal, je rappelle qu'il s'agit d'un résumé et que tous les propos tenus n'y sont donc pas cités. Et quand ce procès-verbal rapporte que l'on a dit que l'on pouvait y aller, cela signifie simplement que l'on considérait que toutes les formalités et toutes les conditions du pacte d'actionnaires de la SOGEADE avaient été remplies. Si j'ai dit au président Auberger que les « autorisations » étaient en cours, c'est parce qu'il existait un pacte d'actionnaires avec la SOGEADE et que, dès lors, le cabinet et le ministère étaient forcément au courant, non pas de la participation de la Caisse des dépôts, mais de l'existence d'une opération de ce type au sein d'EADS.
Pour ce qui concerne la Caisse, ni le directeur général, que je voyais durant cette période deux fois par jour à l'hôpital pour lui rendre compte de tout ce qui se passait, ni moi-même n'avons reçu d'un quelconque organe des pouvoirs publics la moindre instruction ni la moindre orientation.
Je parle d'instructions et d'orientations.
Par ailleurs, pour les raisons qu'a indiquées le directeur général, nous n'avons pas souhaité informer l'État de cette opération. Tout simplement parce que nous étions avec d'autres investisseurs dans une opération de marché sur une société cotée. Dans quelle situation serions-nous aujourd'hui, l'État comme nous, si nous l'avions informé ? Il eut été très dangereux que l'État donnât un conseil à la Caisse des dépôts et pas aux autres investisseurs. En effet, même si la Caisse est une institution publique, elle est aussi un investisseur institutionnel, qui agit en conformité avec les règles boursières dont on sait qu'elles sont très exigeantes - j'espère que les conclusions des enquêtes en cours le confirmeront...
L'exigence de confidentialité était totale. Au sein de la Caisse, j'ai pris avec mes équipes le maximum de précautions, c'est pour cela que nous n'étions pas très nombreux à être informés et que nous n'en avons parlé qu'au dernier moment au président de la commission de surveillance.
Je réaffirme donc avec force que nous n'avons pas reçu d'instruction et que nous n'avons jamais informé l'État. Je crois que c'était bien comme cela.
Le Rapporteur général : Ces exposés très clairs montrent la cohérence de l'investissement de la Caisse dans EADS par rapport à sa politique générale d'investissement stratégiques.
Il apparaît par ailleurs que, compte tenu de ses dates de réunion et des informations dont elle disposait aux différentes étapes, la commission de surveillance a parfaitement rempli sa mission. La note très claire de M. Heriaud en témoigne : la commission a été informée pour la première fois lors de sa réunion du 5 avril et elle a réagi extrêmement rapidement par rapport à la dégradation du cours de bourse. Le seul point sur lequel on peut donc faire des observations est l'articulation entre le fonctionnement et les responsabilités de la commission de surveillance et ceux de la direction générale. La suggestion de créer un comité d'investissement pour que la commission de surveillance se prononce préalablement sur ces décisions d'investissement paraît donc bonne.
En effet, lorsque la commission est informée pour la première fois le 5 avril, le montage est totalement bouclé depuis la lettre d'engagement du 28 mars et la décision est en fait prise. Cet engagement achève un processus engagé par la direction générale dès le mois de janvier et qui conduit à un accord d'une très grande complexité. Je souhaiterais savoir à ce propos quelle a été exactement l'articulation entre IXIS, qui était encore il y a peu une filiale de la Caisse, et son client CDC.
Le contrat passé avec Lagardère est très intéressant pour ce dernier, qu'il garantit contre d'éventuelles baisses du marché, le paiement se faisant par échange d'obligations sur trois ans avec une garantie du prix de référence à chacune des échéances annuelles et avec révision à la hausse si jamais le prix devait passer au-delà de 32,70 euros, dans une limite de 115 %. Cela permet également de toucher les dividendes tant que les actions n'ont pas été échangées. L'aspect fiscal était aussi intéressant puisque 2007 est la première année d'exonération totale, après l'exonération progressive des plus-values sur les titres de participation que nous avons adoptée il y a quatre ans.
Cette cession a donc fait l'objet d'un processus très approfondi. L'audition qui s'est tenue au Sénat vendredi dernier a montré qu'une réunion officielle a eu lieu à la direction du Trésor le 20 mars pour examiner les conditions d'une cession par EADS et Lagardère à d'éventuels preneurs. Or c'est huit jours plus tard qu'a été signée la lettre d'engagement…
Il est évident que l'État, en tant que membre de la commission de surveillance, a bénéficié des mêmes informations a posteriori que celles qu'a évoquées Philippe Auberger. En revanche, dans le processus en amont, comment imaginer que l'État n'ait pas été tenu au courant ?
On connaît le montant et le calendrier de l'opération elle-même et l'on sait, comme vient de le rappeler Gilles Carrez, que la hausse peut se répercuter sur le prix final, mais pas la baisse. Il serait intéressant de savoir qui a décidé de modalités aussi asymétriques, dans lesquelles le risque n'est porté que par l'acheteur, tandis que les avantages ne profitent qu'au vendeur.
On vient de nous expliquer de façon assez appuyée que la Caisse était à l'époque persuadée de faire une bonne affaire. Pourtant, dans les deux estimations citées dans la note de M. Heriaud, celle de J.P. Morgan n'exclut pas une baisse de 20 % du cours. Qui plus est, dès le mois de décembre précédent, l'APE avait recommandé à l'État de céder sa participation. Or, le directeur général l'a rappelé, la profession d'analyste est réglementée et tout ce que disent les analystes est supposé être connu de tous. Cependant, dans ce cas, comment se fait-il que les responsables de la Caisse, en particulier son directeur financier, n'aient pas eu connaissance de ce que tout le monde savait ?
Si la Caisse a par ailleurs une autre conception de son rôle d'investisseur de long terme, existe-t-il d'autres exemples d'un investissement de cette ampleur dans des entreprises stratégiques ? Si tel est le cas, dans quelles conditions la CDC a-t-elle pu entrer dans leur capital ? N'a-t-elle jamais informé l'État de sa prise de participation dans des entreprises stratégiques ?
Enfin, quelles ont été les banques françaises qui ont contacté la Caisse, voire qui l'ont encouragée à procéder à cette acquisition ? HSBC est-elle du nombre ?
Le problème n'est pas l'augmentation de la participation de la Caisse de 0,58 à 2,83 %, mais la date et le prix auxquels cela a été fait.
Les informations qui ont entraîné l'effondrement du cours de l'action EADS, c'est-à-dire le dérapage du planning de la construction de l'A380, étaient connues. En tant que rapporteur spécial du budget des transports aériens, je puis témoigner que Noël Forgeard, qui était alors le patron d'EADS, m'a dit que cela se savait depuis des mois et que le sujet avait même été abordé en conseil d'administration. L'APE, qui représente l'État au sein du groupe, était donc parfaitement au courant de ce dérapage, qui était à l'époque de six mois et qui a atteint un an par la suite. Le problème, c'est que cela n'avait pas encore entraîné la chute de l'action, qui s'est en fait produite au cours de la période dont nous parlons. Néanmoins Noël Forgeard a aussi déclaré que tous les directeurs d'usine avaient affirmé pouvoir rattraper le temps perdu.
Ces événements posent la question de l'information des équipes de la Caisse. Pourrait-on nous dire concrètement quelles ont été les banques d'affaires qui ont apporté cette opération et à qui au sein de la Caisse ?
Par ailleurs, certains de vos collaborateurs vous ont-ils fait remonter l'information quant aux problèmes de planning de l'A380 dont la presse se faisait l'écho et dont on sait bien ce qu'ils coûtent à une entreprise ?
Enfin, le directeur du Trésor est membre de la commission de surveillance et il était pour sa part parfaitement au courant puisqu'il participe aussi au conseil d'administration de la SOGEADE, qui a évoqué ces problèmes à plusieurs reprises. A-t-il dit quelque chose à ce propos lors des réunions de la commission de surveillance ?
M. de Romanet a rappelé à juste titre que la Caisse des dépôts est placée sous la protection du Parlement. En fait, il suffirait, pour que cette protection soit complète, que le Parlement nomme son directeur général, j'espère que tel sera prochainement le cas.
Que M. Marcel ne se méprenne pas : la commission des Finances ne souhaite culpabiliser personne, elle veut simplement comprendre. Aussi, aimerais-je savoir quelles ont été les différentes étapes entre le moment où la Caisse des dépôts a été contactée, au mois de janvier, et celui où elle a signé la lettre d'engagement, fin mars.
Pouvez-vous également me dire s'il y a eu des contacts directs entre Arnaud Lagardère et Francis Mayer ?
Enfin, pourquoi le taux du coupon de l'ORAPA est-il de 7,9 %, ce qui est relativement élevé. Cela est-il lié au mécanisme d'intéressement à la hausse du cours de l'action EADS ?
Je veux, moi aussi, insister sur les conditions très avantageuses de la cession pour le groupe Lagardère.
Par ailleurs, si le ministre a été informé dès le 5 octobre par Lagardère et Daimler de leur intention de vendre, il est assez surprenant qu'il ne se soit intéressé qu'à partir du mois d'avril à cette opération qui touchait pourtant un secteur stratégique et sensible.
Dans la mesure où la Caisse jouit d'une indépendance complète et où elle n'est soumise à la surveillance et à la garantie que de l'autorité législative, il serait intéressant de savoir si des représentants du gouvernement siégeront au sein du futur comité des investissements. Je pose cette question tout simplement parce que j'ai lu hier dans la Gazette du Midi, à propos d'une prise de participation possible de la Caisse, une déclaration de son directeur régional selon lequel cela se fera à l'échelon central et « en liaison étroite avec Bercy et l'Élysée »…
D'après ce qui vient de nous être dit, les principes de gouvernance ont été respectés tout au long de la procédure.
Je souhaite néanmoins que vous nous disiez, M. Marcel, si les banques d'affaires qui ont sollicité la Caisse l'ont fait sous mandat d'IXIS.
Par ailleurs, vous êtes-vous retournés vers JP Morgan et Morgan Stanley pour comprendre pourquoi ces deux analystes s'étaient trompés aussi lourdement. Que vous ont-ils répondu, en particulier à la lumière de la note de l'APE ? À l'occasion de la récente audition de la commission des Finances sur les subprimes et la crise immobilière aux États-Unis, nous avons vu que le cloisonnement entre les analystes et les banques d'affaires n'était pas toujours aussi rigoureux qu'on le pensait. À votre connaissance, ces deux analystes, qui sont également des banques d'affaires, ont-ils des liens avec certains actionnaires d'EADS ? Enfin, si vous n'avez pas obtenu de réponse satisfaisante à ces questions, avez-vous changé d'analystes ?
Je rejoins la proposition de M. Chartier : le directeur général de la Caisse devrait être nommé par le Parlement, à la majorité qualifiée. Il est en effet un peu archaïque et bancal qu'il soit désigné en conseil des ministres alors que la Caisse est placée sous l'autorité du pouvoir législatif.
Je suis par ailleurs surpris d'une transaction dans laquelle tous les risques sont pour l'acheteur, qui se prive par avance de toute possibilité de gain, et aucun pour le vendeur. Une telle opération a-t-elle un nom en termes boursiers ?
Compte tenu du fait que l'APE a émis une note le 2 décembre 2005, compte tenu de ce que la SOGEAD est une société holding dont l'État détient la moitié du capital, compte tenu de la nature du ministère des finances et de la surface de la place de Paris, vous paraît-il pensable, s'agissant d'une opération en cours depuis janvier 2006, que ni la direction du Trésor ni le cabinet du ministre n'aient eu connaissance de votre intention d'acheter ?
Je m'interroge sur le calendrier.
Le 4 avril, le président de la commission de surveillance pose la question et on lui répond qu'il y a une « intention », alors que la lettre d'engagement est signée depuis le 28 mars. D'après le président de la commission de surveillance, lors de la réunion du 5 avril, il lui a été dit qu'aborder cette question paraissait prématuré. Le lendemain, 6 avril, la transaction a lieu, au cours de 32,60 euros l'action.
Par ailleurs, il a été dit que les représentants de la direction du Trésor avaient été muets. S'agit-il d'un comportement habituel de leur part ?
S'agissant enfin de l'opération de marché, est-il normal dans une cession d'une telle importance, de ne prévoir qu'une clause d'intéressement à la hausse ?
Il apparaît que le Gouvernement ne pouvait pas ignorer l'intention de certains actionnaires de vendre une partie de leur participation. Il ne pouvait pas non plus ignorer les difficultés dans lesquelles se trouvait EADS et les conséquences que cela pouvait avoir sur le cours des titres. Nous savons également que la Caisse des dépôts n'a pas informé le gouvernement de son intention d'acheter.
On continue toutefois à se demander pourquoi l'État ne s'est pas préoccupé pendant six mois de la façon dont la vente des actions pourrait intervenir, donc de l'évolution de l'actionnariat de l'entreprise. Il serait intéressant de savoir quels autres investisseurs institutionnels se sont porté acquéreurs du reste des actions. Combien ont-ils été et combien d'acheteurs potentiels existait-il sur la place ? La réponse permettrait de savoir si l'État ne pouvait vraiment pas être informé, d'une manière ou d'une autre, que la Caisse des dépôts ne pourrait pas faire autrement que de se porter acquéreur.
On a en effet l'impression qu'en raison de l'étanchéité liée au statut de la Caisse, cette dernière n'a pas eu à donner d'information sur l'opération. Cependant on peut aussi se demander si une rétention d'information n'a pas gêné la prise de décision : certains connaissent mais n'agissent pas, d'autres ne connaissent pas mais agissent. Je me demandais donc tout simplement si vous auriez agi de la même façon si vous aviez eu connaissance des informations.
Le rapporteur général s'est demandé pourquoi l'État n'était pas au courant le 28 mars. Dans les dispositions de gouvernance de la Caisse, les opérations de marché ne font pas l'objet d'un comité d'engagement spécifique et il n'y a pas de formalisation des contacts entre le directeur général et la commission de surveillance. Ainsi, lorsqu'un bloc de Véolia a été acheté il y a quelques années, cela s'est fait sans communication. C'est à cette insuffisance de communication que la proposition de créer un comité des investissements vise à remédier. Il faut que le directeur général et le président de la commission de surveillance soient incités à une coopération sans faille.
Je réponds d'ailleurs à M. Bapt qu'afin d'éviter que l'État ne soit juge et partie, il conviendrait sans doute qu'il ne soit pas représenté au sein de ce comité des investissements, dont j'imagine qu'il pourrait être présidé par le président de la commission de surveillance et composé du président du comité des risques et d'un autre membre compétent pour ses qualités économiques et financières, et dont le directeur général pourrait être le rapporteur.
En raison de son statut spécifique, la Caisse des dépôts de relève en aucun cas de l'APE. Nous n'avions donc pas eu connaissance des notes de cette dernière. Les deux institutions sont totalement étanches, Francis Mayer y tenait.
Le directeur du Trésor ou son représentant est systématiquement présent à toutes les réunions de la commission de surveillance, mais il a le même statut que les autres membres, au regard des informations données comme de tout le reste.
Je confirme qu'au cours des différentes réunions où il a été question de cette prise de participation, la direction du Trésor n'a pas souhaité prendre la parole.
Le Trésor est à la commission de surveillance et il est très proche de l'APE. Sauf à ce que son représentant soit sourd, l'État est donc informé chaque fois que la Caisse des dépôts va procéder à un achat.
Le Président Didier Migaud : Vous pourrez dès cet après-midi poser directement la question au directeur général du Trésor.
Cette opération nous laisse plutôt un mauvais souvenir, même si nous sommes plutôt confiants quant aux perspectives à long terme de cette belle entreprise stratégique pour la France comme pour l'Europe. Il ne faut pas oublier qu'au moment de cette affaire, nous étions engagés dans une bataille avec la CNCE, dans laquelle nous avons d'ailleurs bénéficié de l'appui de votre commission des finances.
Dans cette opération, IXIS n'est pas une banque conseil, mais une banque intermédiaire. Nous avons eu des liens avec cette banque qui s'est développée au sein de la Caisse, mais qui ne se situe plus aujourd'hui dans le groupe. C'est donc IXIS qui est intervenue à partir du 15 janvier, avec Lazard. Plus rien ne s'est ensuite passé avant le 15 mars. Nous n'avons eu de contacts ni avec l'équipe opérationnelle de Lagardère ni avec l'équipe d'EADS.
Nous n'avons mandaté ni PJ Morgan, ni Morgan Stanley spécialement ; les notes des deux établissements mentionnés nous ont été fournies, parmi d'autres. Nos équipes de gestion ont étudié cette valeur, regardant l'ensemble de la littérature des analystes, le consensus, la moyenne, la dispersion, la structure et les perspectives financières de l'entreprise, et tous les commentaires sur EADS. C'est sur cette base que nous avons pensé pouvoir réaliser l'opération, pour des raisons stratégiques mais aussi financières, car nous nous préoccupons bien évidemment de notre intérêt patrimonial, notamment de long terme. Les analystes concluaient plutôt positivement. L'information sur les six mois de retard de l'A380 était parue dans la presse et connue des marchés, mais les problèmes de conception et de livraison de l'A350 et les nouveaux retards sur l'A380 n'ont été révélés que quelques semaines plus tard.
S'agissant des mécanismes assez particuliers et complexes mis en oeuvre, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'abord d'une opération entre Lagardère et IXIS. Lagardère émet des ORAPA (obligations remboursables en actions), qui sont souscrites par la banque, il touche le cash, il paie le coupon et il rembourse en trois tranches annuelles en actions. Il s'est agi en l'occurrence d'une opération de produits structurés, dans laquelle Lagardère a été intéressé à une hausse éventuelle des titres. Néanmoins, ce mécanisme n'est pas gratuit : la banque fait payer à l'émetteur le risque qu'elle prend en l'intéressant. Tout cela ne concerne ni la CDC ni les autres investisseurs.
Ce qui nous concerne, en revanche, c'est que, dans la mesure où il y a des obligations remboursables en trois tranches annuelles, nous sommes saisis d'une vente à terme : la banque, pour couvrir une partie de son risque, doit céder une grande partie des actions qu'elle reçoit le jour de l'opération. Pour notre part, nous avons simplement pris le risque que l'on prend dès lors que l'on achète une action, quelle qu'elle soit. Dès lors, qu'on achète au comptant ou à terme, ce risque est le même. Acheter à terme ne pose pas de problème particulier à la Caisse, qui a un horizon de détention long et qui a, en outre, bien négocié les conditions avec la banque. Dans l'achat à terme, on achète une action au comptant, sur la base du prix du marché, on paie un coût de portage puisqu'on n'a pas à déboucler la trésorerie, on enlève les dividendes et on retire aussi une commission que l'on a très bien négociée. Aujourd'hui, au regard de l'évolution des taux d'intérêt et le taux de cette commission, ces conditions nous ont permis d'obtenir un produit financier non négligeable.
Le Rapporteur général : Est-ce Lagardère qui a choisi IXIS ?
J'ai toutes les raisons de le penser.
Nous n'avons pas couvert l'opération parce que cela serait très onéreux et que cela n'aurait aucun sens : cela voudrait dire que nous ne prenons plus un risque action, ce que nous recherchons en l'occurrence.
Non, c'est IXIS.
Je ne suis pas le mieux qualifié pour donner les noms des autres investisseurs. On nous a proposé des titres, la condition était que nous ne soyons pas seuls dans le tour de table et qu'une opération similaire soit conduite en Allemagne, mais on ne nous a pas dit quels seraient les autres souscripteurs. On a cité les noms, qui circulent d'ailleurs dans la presse, de grands institutionnels.
Francis Mayer n'a jamais fait allusion devant moi à des conversations qu'il aurait eues avec Arnaud Lagardère. Je sais simplement qu'il l'avait rencontré à l'automne, au même titre que d'autres grands patrons d'entreprise, ce qui est normal pour un directeur général de la Caisse. Il l'a en outre appelé après que l'opération a été conclue.
Pour revenir sur la chronologie, je précise que le 4 avril nous sommes déjà engagés juridiquement, même si cette procédure pouvait encore ne pas avoir lieu si les conditions n'étaient pas remplies.
Il ne m'est par ailleurs pas possible de répondre à la question de M. Emmanuelli sur la position de la direction du Trésor et du cabinet. Pour ma part, je me suis concentré sur l'opération menée par la Caisse des dépôts, dans un contexte dont j'ai dit combien il était difficile, avec une opération violente sur la CNCE et avec un directeur général souffrant.
Il ne m'appartient pas plus de répondre sur une éventuelle rétention d'informations. Si nous avions disposé d'éléments plus précis sur la situation d'EADS, nous aurions sans doute regardé le dossier d'un oeil différent.
À plusieurs occasions dans le passé nous avons réalisé des opérations pour des montants élevés. Ainsi, nous avons pris une participation très importante dans Véolia, et nous en sommes très satisfaits. Globalement, nos opérations sont de très très loin plus positives que négatives et nous permettent d'enregistrer des plus-values élevées ; c'est heureux car c'est de l'argent du contribuable et de l'État qu'il s'agit. Nous pouvant également nous réjouir de l'importante participation que nous avons prise dans Eiffage, ainsi que de celle au sein du groupe Accor. Toutes ces opérations ont été conduites de la même manière, mais elles ne se présentaient pas tout à fait dans la même configuration. S'agissant d'une participation dans une entreprise stratégique comme EADS, je rappelle que nous sommes présents dans le capital de Thalès.
Il existe aussi un fonds de placement pour les PME travaillant dans le secteur de la défense.
Je vous avais également interrogé sur l'attitude du représentant de la direction du Trésor lors des réunions de la commission de surveillance.
Le Président Didier Migaud : Vous pourrez poser directement cette question au directeur du Trésor.
Je suis le seul élu de l'opposition à siéger à la commission de surveillance, après en avoir été le président. À ce titre je puis témoigner que les représentants de la direction du Trésor participent toujours très activement aux réunions, qu'ils parlent beaucoup, qu'ils prennent énormément de notes et qu'ils pèsent parfois de tout leur poids pour qu'une décision soit prise. On peut donc considérer que lorsque le représentant du Trésor ne parle pas, cela a une signification.
Comme le Président Balligand, je crois que le Trésor fait son métier. Tous ceux qui participent à des Conseils d'administration savent qu'ils ne peuvent pas tirer des conclusions définitives du fait que le procès-verbal ne mentionne pas une prise de parole.
M. Auberger a déclaré qu'il lui avait été indiqué fin mars – début avril qu'un caractère urgent était attaché à cette opération. Pouvez-vous le confirmer ?
Nous avons commencé à travailler à cette opération d'envergure entre le 15 et le 20 mars et l'engagement a été conclu le 28. Il s'agissait d'une très importante opération de marché sur une entreprise très sensible. Voilà où se situait l'urgence : dès lors qu'une opération de ce type commence à être vraiment instruite, elle ne saurait rester très longtemps en suspens.
Pourtant, lorsque le 5 avril le président de la commission de surveillance demande à traiter la question de l'achat éventuel des titres EADS, on lui répond que c'est prématuré. Or l'opération se fait le lendemain…
On n'a pas dit qu'elle était prématurée, mais que toutes les conditions n'étaient pas encore réunies, que l'opération pouvait encore ne pas se réaliser et qu'elle n'était pas encore publique. Elle l'a été le lendemain, mais pas pour la Caisse des dépôts : Lagardère a communiqué sur son opération ORAPA. Au vu de cela, la Caisse a communiqué le 10 avril, afin que le marché soit informé.
Quelles conséquences ont-elles été tirées de la très mauvaise appréciation de deux analystes ? Vous deviez prendre une décision rapidement, mais je suppose que vous avez également fait travailler vos propres analystes, ce que la note de M. Heriaud ne montre pas.
Début janvier, avant même toute conversation à propos de cette opération, nous avions une analyse plutôt positive de la part de nos gérants, qui rejoignait d'ailleurs celles qui nous ont été fournies par la suite.
Les analystes ont bien évidemment fait état des informations dont ils disposaient : si tout le monde a avait eu connaissance des problèmes, on ne débattrait pas aujourd'hui de la mauvaise information du marché…
Je suis persuadé que la Caisse des dépôts a subi une situation. Les problèmes ne viennent donc pas d'elle et il ne faudrait pas que les projecteurs se détournent de ceux sur lesquels ils devraient être braqués. Par conséquent la commission de surveillance est unanime dans la volonté d'engager toutes les démarches judiciaires nécessaires si le délit d'initié est avéré.
Cette affaire ne remet pas en cause les orientations générales des modifications qui doivent être apportées à la gouvernance de la Caisse. Augustin de Romanet a eu raison de souligner que ce débat ne porte ni sur le périmètre de la Caisse ni sur la nature de l'établissement. Des enseignements devront toutefois être tirés et le directeur général a fait des propositions en ce sens.
Bien évidemment, dès lors que la Caisse est sous l'autorité du Parlement et même si tout ne relève pas du domaine législatif, l'ensemble de ces propositions devra être discuté avec les commissions des Finances des deux assemblées, j'en prends l'engagement au nom des parlementaires qui siègent à la commission de surveillance.
Le Président Didier Migaud : Cette audition était la première sur ce thème. Nous entendrons cet après-midi le directeur général du Trésor, le directeur de l'APE et le président de SOGEADE. Ce que nous venons d'entendre pourrait nous donner aussi l'envie de poser des questions aux dirigeants d'IXIS, à M. Arnaud Lagardère, voire à M. Thierry Breton, même s'il a déjà été entendu par la commission des Finances du Sénat.
Merci à tous ceux qui ont participé à cette audition.