La lutte contre la pédopornographie, qui relève de la protection de l'enfance, ne doit pas être un prétexte au filtrage généralisé d'internet. Tel est bien l'enjeu de notre débat, monsieur le ministre. À la fin de la séance de l'après-midi, nous avons tous réaffirmé notre volonté de lutter contre la pédopornographie, de tarir la source de la création et de l'édition d'images et de films pédopornographiques. Se pose à présent le problème, beaucoup plus complexe, de la diffusion. Or, de notre point de vue, il y a ici rupture du régime de responsabilité établi et non contesté depuis 2004 et la loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui dispose que, dans ces affaires, le premier responsable, c'est l'éditeur, puis l'hébergeur, et enfin le fournisseur d'accès. Il est essentiel de préserver cette chaîne de responsabilité si nous voulons garantir la neutralité du réseau : il serait irresponsable de créer une situation d'insécurisation juridique des intermédiaires techniques, car cela les conduirait à se protéger préventivement et à censurer l'accès à un certain nombre de sites et de contenus.
Qui plus est, nous considérons que cet article 4 est contre-productif au regard des objectifs qu'il se fixe. S'ils sont poussés à recourir au cryptage et à l'anonymisation, les sites pédopornographiques seront beaucoup moins détectables ; il sera encore plus difficile de les chasser de la toile. Comme beaucoup d'autres parlementaires, j'ai rendu visite, à Nanterre, aux policiers et aux gendarmes qui traquent les sites pédopornographiques : ils ne nous ont jamais demandé de voter cette disposition législative, qui va plutôt leur compliquer que leur faciliter la tâche du point de vue technique.
Enfin, si nous présentons tous ces amendements qui, chacun à sa manière, vise à introduire dans la loi une référence explicite à l'autorité judiciaire, c'est parce que, dans une décision historique du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition essentielle de HADOPI 1, ce qui nous a contraints à discuter ensuite d'une loi pénale baptisée HADOPI 2. Le Conseil constitutionnel a considéré qu'une autorité administrative – en l'occurrence l'HADOPI – ne pouvait restreindre ou interrompre l'accès à internet au nom de la liberté d'expression et de communication garantie par la Constitution. C'est exactement le même problème qui se pose ici, et les dispositifs de filtrage constituent des atteintes comparables à cette même liberté. Nous le verrons dans la suite de l'article 4, où le seul fait de faire référence aux adresses électroniques amènera inéluctablement à filtrer de domaines entiers – autrement dit à un filtrage de masse, aveugle, qui empêchera l'accès non seulement à des sites illégaux, ce dont on se réjouit, mais aussi à des sites parfaitement légaux.
Lorsque nous le saisirons, le Conseil constitutionnel ne pourra que confirmer sa décision de juin 2009. Avec cet amendement, monsieur le ministre, nous tentons d'une certaine manière de vous éviter cette censure, en rétablissant l'intervention de l'autorité judiciaire que, dans sa sagesse, notre assemblée avait voté en première lecture : par un mouvement qui avait gagné tous les bancs, nous avions en effet décidé que seule l'autorité judiciaire pouvait donner les autorisations en question.