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La séance

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La Commission procède, sur le rapport de M. Jean-Claude Sandrier, à l'examen de la proposition de loi en faveur d'une fiscalité juste et efficace (n° 2914).

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

La dette publique au sens de Maastricht atteindra cette année 82,9 % du produit intérieur brut, et le déficit public 7,7 %. Dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qu'il a présenté devant cette Commission le 23 juin dernier, le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, a précisé qu'un tiers seulement du déficit était imputable à la crise. Il resterait à définir les causes de la crise et les responsabilités dans son déclenchement, mais il est certain qu'il ne suffira pas d'attendre de la reprise un assainissement automatique de la situation. La Cour des comptes a, en effet, constaté des pertes de recettes massives, qui résultent notamment d'une « baisse des prélèvements obligatoires entre 2007 et 2009 », c'est-à-dire des cadeaux fiscaux. Pour cette seule période, la perte est estimée à 0,6 % du PIB, soit 6 milliards d'euros.

En l'absence de mesures fiscales rapides, on peut redouter un emballement de la dette qui rendrait bientôt impossible, comme c'est déjà le cas dans d'autres États membres de l'Union européenne, un redressement des comptes sans assistance étrangère – plus encore, sans soumission à la volonté des marchés financiers. Afin d'enrayer la spirale de la dette, il faut s'attaquer de front aux causes de la crise et à l'affaissement des recettes publiques, lié aux exemptions fiscales accordées à répétition au cours des dernières années.

Avec les membres du groupe Gauche démocrate et républicaine, et plus particulièrement les députés communistes, républicains et du parti de gauche, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter un plan de mesures d'urgence qui permettra d'accroître significativement les recettes de l'État, qui ont été entamées par les niches fiscales et sociales au profit des classes les plus aisées, pour un montant estimé par la Cour des comptes à 172 milliards d'euros.

La nécessité d'une hausse des recettes fiscales est désormais communément admise. Tout indispensable qu'il soit, cet effort ne doit pas être réalisé au détriment de l'efficacité économique et de la justice sociale. Nous n'ignorons pas les critiques auxquelles un plan d'une telle ambition s'expose : on ne manquera pas d'objecter qu'une augmentation des impôts mettrait en péril la croissance de l'économie, que la perception de nouvelles taxes aggraverait la condition de tous nos concitoyens, y compris les plus modestes d'entre eux, que la compétitivité de la France, économie ouverte, en serait durablement entamée, et que notre système fiscal risquerait de perdre en cohérence, et partant en efficacité. À toutes ces objections, la proposition de loi apporte des réponses claires.

Tout d'abord, est-il exact d'affirmer qu'une hausse des impôts tuerait la croissance ? Il appert que les déséquilibres économiques actuels résultent de mouvements spéculatifs qui ont paralysé la circulation des biens et des services, déstabilisant ainsi l'économie réelle et ouvrant une ère d'incertitude dans laquelle les décideurs économiques ne peuvent plus former de projets à moyen terme et à long terme. On ne peut pas prétendre que c'est l'impôt qui a tué la croissance. En inondant de liquidités les marchés boursiers depuis 2008, la Banque centrale européenne a sans doute préservé l'essentiel, du moins dans l'immédiat, mais elle a nourri une nouvelle vague de spéculations sur les matières premières, sur les biens immobiliers et sur l'or. Bien qu'il soit de moins en moins utilisé, le métal jaune a franchi pour la première fois, en novembre 2010, la barre des 1 400 dollars l'once. Alors que les unités de production peinent à se développer et à embaucher dans toute l'Europe, les capitaux affluent et se concentrent sur un minerai stérile.

Dans le même temps, de nombreux ménages rencontrent de graves difficultés pour se loger, et pourtant la spéculation immobilière est repartie. Le prix des appartements aurait crû, dans notre pays, de plus de 10 % en un an. Les établissements bancaires ont, par ailleurs, engrangé des bénéfices considérables : la Société générale annonce 3 milliards d'euros de résultat net part du groupe pour les neuf premiers mois de l'année, et BNP Paribas 6,3 milliards d'euros. On pourrait également revenir sur l'augmentation des profits du CAC 40, et sur le bilan de cette évolution en matière d'emploi.

Le 24 juin 2010, l'Assemblée nationale a adopté une résolution créant une commission d'enquête sur les mécanismes de la spéculation affectant le fonctionnement des économies. De leur côté, le Gouvernement et le Président de la République se sont engagés, à plusieurs reprises, en faveur d'une taxation des transactions financières. Notre proposition de loi va plus loin en abrogeant le bouclier fiscal, qui avantage principalement les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune, et empêche cet impôt de décourager efficacement la détention stérile de capital. Outre ces considérations, la suppression du bouclier fiscal, inscrite à l'article premier, est une mesure de justice.

Deuxième objection : la charge fiscale finirait toujours par être répercutée sur le plus grand nombre. Ce serait oublier que les augmentations d'impôt prévues par le texte sont ciblées sur les contribuables aux capacités contributives les plus élevées : les grandes entreprises (articles 3 et 5), les banques (article 4), les riches donataires (article 7) et les agents de salles de marchés (article 9). Nous nous concentrons sur des mesures de fort rendement fiscal afin d'alimenter efficacement les caisses de l'État, sans mettre à mal la justice sociale. Celle-ci sortirait, au contraire, renforcée. Le produit de la TVA, qui frappe uniformément tous nos concitoyens et constitue donc un impôt inéquitable, représente encore la moitié des recettes fiscales nettes en 2010. La réorientation de la fiscalité que nous proposons toucherait, en revanche, les revenus les plus élevés (article 2). Nous visons ainsi à rétablir une véritable progressivité de l'impôt. Il va de soi que cette réforme devrait s'accompagner d'une révision des taux du barème dans un sens plus favorable aux revenus faibles et moyens, mais l'article 40 nous empêche d'adopter une telle mesure dans le cadre de cette proposition de loi.

Troisième objection : la France ne pourrait pas faire cavalier seul dans une économie mondialisée. Or, les capitaux physiques investis dans des unités de production sur le territoire national ne sont pas aussi mobiles que les capitaux financiers. L'article 10 appelle l'attention sur la mobilité des autres capitaux et demande au Gouvernement de remettre un rapport sur les réformes législatives souhaitables. L'article 12 aborde ensuite la question de la concurrence fiscale à l'intérieur de l'Union européenne. Seule une action coordonnée des États membres paraît susceptible de remédier à la situation actuelle. Alors que le déficit budgétaire de l'Irlande s'envole à 32 % de son PIB, et met en péril l'avenir de la monnaie commune, ce pays persiste à maintenir son impôt sur les sociétés au taux ridiculement bas de 12,5 % – la crise actuelle en dit long sur l'efficacité économique d'impôts peu élevés en l'absence de droit de regard sur l'utilisation du produit rapporté par les cadeaux fiscaux. La France doit faire en sorte, en agissant sur ses leviers diplomatiques, que toute intervention du Fonds européen de stabilisation en faveur de l'Irlande prenne en compte cet aspect du problème.

Quatrième objection : l'instauration de mesures trop éparses ferait perdre sa cohérence à notre système fiscal. Les douze articles de la proposition de loi puisent effectivement à des sources différentes : les uns reprennent la proposition de loi tendant à promouvoir une autre répartition des richesses, examinée par notre assemblée le 28 mai 2009, un autre, l'article 4, est proche d'un amendement adopté à l'automne 2009 par notre commission lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2010, tandis que d'autres articles proviennent d'une proposition de loi, déposée le 24 juin 2010, tendant à garantir le financement du droit à la retraite à 60 ans. Les mesures proposées forment toutefois un plan d'ensemble, fondé sur la reconnaissance du travail comme base de l'activité économique et sociale.

L'entreprise doit, en effet, privilégier le travail au lieu de favoriser une rémunération excessive du capital. Dans cette perspective, nous proposons que l'échelle des rémunérations soit encadrée de telle sorte que l'écart maximal entre le salaire le plus bas et le salaire le plus élevé soit compris entre 1 et 20, comme c'est déjà le cas dans l'immense majorité des PME (article 8). Il conviendrait également d'étudier les possibilités de financer de manière préférentielle, au sein d'un pôle bancaire national, les entreprises tournées vers l'investissement productif et l'emploi, en leur permettant d'accéder à un crédit à taux bonifié (article l1). L'instauration d'un système de bonus et de malus permettrait, par ailleurs, de moduler l'impôt sur les sociétés selon qu'elles privilégient l'emploi, la formation et les salaires, ou bien au contraire la distribution de dividendes.

Nous rendrons ainsi l'économie à ses acteurs quotidiens en réorientant l'investissement vers le développement réel et la production de biens et de services, et nous dépasserons l'opposition fictive entre le capital et le travail en reconnaissant à ce dernier sa place essentielle dans la création de valeurs.

La Commission procède à l'examen des articles.

Article premier : Abrogation du bouclier fiscal

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Par cet article, nous vous proposons de supprimer le bouclier fiscal.

La Commission adopte l'article premier.

Article 2 : Modification du barème de l'impôt sur le revenu

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Il s'agit de modifier le barème de l'impôt sur le revenu dans le sens d'une plus grande justice et d'une plus grande efficacité économique, notamment grâce à l'augmentation du taux marginal d'imposition, aujourd'hui extrêmement bas – c'est d'ailleurs l'un des plus faibles de l'Union européenne.

La Commission rejette l'article 2.

Article 3 : Majoration de l'impôt sur les sociétés

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous proposons de rétablir le taux facial de l'impôt sur les sociétés à 33,33 % et d'introduire un mécanisme de modulation de l'imposition en faveur des entreprises privilégiant l'emploi, la formation et l'investissement, au détriment de celles qui privilégient la distribution de dividendes à leurs actionnaires. L'article tend, en outre, à supprimer l'exonération sur les plus-values de cession des titres de participation, qui représente une perte de recettes de 6 milliards d'euros pour l'État.

La Commission rejette l'article 3.

Article 4 : Institution d'une taxe additionnelle sur les établissements de crédit

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Je vous invite à vous reporter au texte, qui parle de lui-même.

La Commission rejette l'article 4.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

À égalité de voix. L'article est donc rejeté.

Article 5 : Institution d'une contribution sur les revenus financiers

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Cet article a pour objet d'assujettir les revenus financiers des entreprises et des sociétés non financières à la même contribution d'assurance vieillesse que celle portant sur les salaires. La mesure rapporterait 30 milliards d'euros.

La Commission rejette l'article 5.

Article 6 : Abrogation de l'exonération de cotisations patronales sur les bas salaires et au titre des heures supplémentaires

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous demandons la suppression de la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires et les heures supplémentaires. Il en résulterait entre 20 et 25 milliards d'euros de recettes supplémentaires pour l'État.

La Commission rejette l'article 6.

Article 7 : Abaissement de l'abattement sur les droits de mutation

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous souhaitons réduire l'abattement sur les droits de mutation en ligne directe, qui a déjà coûté au moins un milliard d'euros à l'État.

La Commission rejette l'article 7.

Article 8 : Encadrement de l'échelle des rémunérations dans les entreprises

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

L'article tend à limiter l'échelle des rémunérations au sein des entreprises de telle sorte que la rémunération maximale ne dépasse pas vingt fois la rémunération minimale – et non vingt fois le SMIC.

La Commission rejette l'article 8.

Article 9 : Taxation à 95 % des stocks-options

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous demandons la suppression de l'instrument financier que constituent les stock-options et, à défaut d'un accord spécifique dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, d'instaurer une taxation au taux de 95 %.

La Commission rejette l'article 9.

Article 10 : Remise d'un rapport au Parlement sur l'évasion fiscale des entreprises

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous demandons au Gouvernement de remettre un rapport sur les techniques d'optimisation fiscale des grands groupes, lesquelles coûteraient entre 20 et 30 milliards d'euros au budget de l'État – en raison de l'article 40, il est impossible d'aller plus loin dans le cadre de cette proposition de loi.

La Commission rejette l'article 10.

Article 11 : Remise d'un rapport au Parlement sur les conditions de mise en oeuvre d'un Pôle bancaire public national

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous proposons au Gouvernement d'envisager la constitution d'un Pôle bancaire public national, favorisant l'allocation du crédit à l'économie réelle, et non à la spéculation.

La Commission rejette l'article 11.

Article 12 : Remise d'un rapport au Parlement sur la concurrence fiscale à l'intérieur de l'Union européenne

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Là encore, nous demandons au Gouvernement un rapport. Il porterait sur le dumping fiscal, qui nous coûte fort cher.

La Commission rejette l'article 12.

Puis, elle rejette l'ensemble de la proposition de loi.

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