COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES
Mercredi 21 janvier 2009
La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Co-présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission, et de M. Patrick Ollier, président de Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire)
La Commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances.
Je suis heureux d'accueillir M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, et je suis heureux de pouvoir lui annoncer que le bureau de la Commission des affaires, culturelles, familiales et sociales a créé hier une mission d'information sur les écoles de la deuxième chance et l'accès à l'emploi. Cette mission, composée de deux membres de la majorité et de deux membres de l'opposition, remettra ses travaux rapidement. Le Parlement contribuera ainsi à la réflexion de M. Sabeg. La majorité a désigné M. Jacques Grosperrin, passionné par les écoles de la seconde chance, et M. Gérard Cherpion, qui s'est intéressé de près au contrat de transition professionnelle ; les groupes de l'opposition désigneront deux membres dans les tout prochains jours.
Monsieur Sabeg, la mission que vous a confiée le Président de la République a donné un espoir à tous ceux qui sortent du système éducatif sans formation, mais d'autres barrières existent. Certains jeunes considèrent être l'objet de discriminations et ne pas avoir les mêmes chances que leurs compatriotes car de multiples obstacles entravent leur accès à l'emploi. À cet égard, la mise au point d'un outil statistique permettant de cerner la réalité des discriminations serait, à mon sens, un élément de progrès.
Je remercie le président Pierre Méhaignerie d'avoir accepté la tenue de cette audition conjointe. La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire souhaite en effet contribuer elle aussi aux travaux confiés à M. Sabeg par le Président de la République. Je connais, Monsieur Sabeg, votre humanité, votre sens de la justice et de l'équité, votre goût du consensus et votre ardeur au travail, et je sais que vous veillerez à ce que l'on aboutisse vite.
Je tiens l'accès au logement comme le premier vecteur d'intégration sociale. Or une discrimination de fait empêche souvent la constitution d'une réelle mixité générationnelle et sociale. Vous qui présidez le comité d'évaluation et de suivi de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine – l'ANRU – depuis 2004, quelles solutions souhaiteriez-vous voir mises en oeuvre pour remédier à cette situation ? Comment votre action s'articulera-t-elle avec celles de la ministre du logement et de la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville ?
On sait que l'accès à un premier emploi pose souvent problème aux jeunes gens issus de la diversité ; quelle est votre opinion sur le curriculum vitae anonyme, dont le Président de la République voudrait qu'il devienne un « réflexe » pour les employeurs ? Par quels moyens le remarquable chef d'entreprise que vous êtes imagine-t-il favoriser la création d'entreprises par ces jeunes ? Comment, enfin, comptez-vous collaborer avec la HALDE, à laquelle le Président de la République souhaite confier de nouvelles responsabilités ?
La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire qui vous souhaite un plein succès, souhaite nouer avec vous un partenariat étroit.
Je suis très heureux d'être entendu par vos deux commissions réunies. Le Président de la République a pris devant les Français des engagements forts en matière de promotion de l'égalité des chances et de la diversité ; il les a rappelés le 17 décembre dernier à l'École polytechnique et m'a nommé commissaire à la diversité et à l'égalité des chances. C'est une noble cause, conforme à l'idéal républicain. L'égalité des chances doit cesser d'être théorique ; nous devons préparer la France de demain, celle qui émergera de la crise actuelle, et saisir cette occasion pour accélérer les changements de notre société en tirant avantage de sa diversité.
Il me revient d'établir d'ici à la fin mars un programme d'action très détaillé. Je veux être un prescripteur de la rénovation de l'action publique en matière d'égalité des chances et de diversité. Je souhaite aussi que des résultats rapides et visibles traduisent la dynamique à l'oeuvre. C'est pourquoi j'ai demandé à pouvoir conduire, chaque fois que nécessaire, des expérimentations ponctuelles pour tirer profit des nombreux succès constatés au plan local. Ces expérimentations démontreront, j'en suis sûr, que notre société peut affermir ses principes fondateurs, au bénéfice de tous. Des moyens de droit commun mais aussi des moyens spécifiques pourront être mobilisés au service des objectifs du programme, sans que les seconds ne se substituent aux premiers.
Mon programme portera sur tous les domaines dans lesquels, faute d'égalité des chances, nous nous sommes privés de la richesse que nous devrions tirer de notre diversité. Dans le contexte très particulier que nous connaissons, mes priorités porteront sur l'éducation, l'emploi et la formation professionnelle, le logement et enfin la promotion de la diversité et le suivi des progrès enregistrés.
La crise frappe durement notre pays, comme d'autres. Il n'est pas interdit d'espérer en sortir rapidement, sans doute à partir de 2010. A ce moment, notre pays sera confronté à un « papy-crack » qui précipitera 2,3 millions de personnes vers la retraite en moins de cinq ans. Prenons le cas des ingénieurs, ces soldats de la guerre économique. Chaque année, il en sort 42 000 de nos écoles, et ce nombre ne couvre pas les besoins. Or plus de 65 000 partiront bientôt chaque année à la retraite ; autant dire que nos besoins en formation ne sont même pas couverts à moitié. À l'autre extrémité du spectre, 25 à 30 % des jeunes sont exclus du système, dévalorisés, déqualifiés, victimes d'un chômage qui touche particulièrement ceux qui vivent dans les quartiers les moins favorisés.
Il nous faut prendre, d'urgence, des mesures correctrices mais il faut aussi le temps de les mettre en oeuvre. En raison des départs massifs à la retraite, nous serons donc affectés par notre relatif manque d'anticipation, car il ne me semble pas acceptable de recourir, comme certains le suggèrent, à une main d'oeuvre étrangère de 1,5 million de personnes alors que nous n'avons pas su donner les chances nécessaires aux enfants de ceux qui sont arrivés sur notre sol il y a quarante ou cinquante ans.
Notre système de formation initiale convient-il encore aux défis qui se posent à notre pays, aux besoins de nos entreprises ? En tant que citoyen, industriel et parent d'élève, j'exprime quelques doutes. Notre système éducatif est tout entier fondé sur un processus de sélection qui permet d'amener les meilleurs ou plutôt les plus forts en thème à l'École normale supérieure. Il est teinté d'encyclopédisme, ne fait la part belle ni au développement personnel des jeunes ni à celui de leurs qualités les plus marquées. Pourtant, le monde du travail a adopté des modèles fondés sur la spécialisation des individus.
Notre croissance économique ne pourra réaliser tout son potentiel que si nos entreprises trouvent demain les compétences et les idées qui leur sont nécessaires chez les jeunes en formation aujourd'hui à l'école, au collège, au lycée, à l'université. Il faut donc garantir la compensation des inégalités sociales ou culturelles en permettant aux enfants de développer leur potentiel au-delà de leurs seuls résultats scolaires, et ce le plus tôt possible au cours de la scolarité car, chacun le sait, tout se fige entre la dixième et la douzième année.
Je proposerai des solutions pour ouvrir les systèmes de formation de nos élites aux élèves issus des quartiers aujourd'hui en difficulté, par le soutien individualisé des lycéens, la simplification des filières du lycée, la modification des modes de sélection et de recrutement dans les grandes écoles, le doublement des promotions tant le besoin est criant, cela en partenariat avec la conférence des grandes écoles ou des universités.
S'agissant de l'emploi, de nombreuses propositions peuvent être faites pour améliorer la formation professionnelle. Ainsi faut-il travailler avec les partenaires sociaux, le service public de l'emploi et les régions sur les conditions et moyens d'activer massivement les contrats de professionnalisation, l'objectif devant être de passer de 170 000 contrats conclus en 2007 à 600 000 en 2012. Les entreprises doivent des contreparties à la collectivité - pourquoi ne pas les définir dans le cadre d'un pacte pour l'emploi des jeunes, grands perdants parmi les générations ?
Il faudra aussi profiter de la dynamique créée, favorable à tous les jeunes, pour réorienter fortement le dispositif vers les plus de 26 ans et les moins qualifiés, et jouer de tous les atouts de la personnalisation des formations. Il conviendra encore d'articuler la formation professionnelle et l'emploi en liant systématiquement l'amont – évaluations et actions pré-formatives – et l'aval – connaissance des emplois futurs, gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC), suivi dans l'emploi ou encore tutorat. L'articulation devra aussi se faire avec l'ensemble des dispositifs existants, tels le programme « zones urbaines sensibles » (ZUS). Dans le même temps, conformément à la volonté du Président de la République, il faudra travailler, avec les mêmes partenaires, à faire monter en puissance des dispositifs de transition professionnelle, car les deux chantiers sont intriqués.
Je suis persuadé qu'un progrès considérable est possible si l'on rapproche le système de formation générale et celui de la formation professionnelle, aujourd'hui complètement déconnectés. Je pense notamment aux école de la deuxième chance et à la possibilité pour les professeurs d'exercer leurs talents dans les deux systèmes.
En matière de logement et de rénovation urbaine, vraiment beaucoup reste à faire, mais quelle cohérence voit-on à l'action publique ? L'approche actuelle, fondée sur six types de zonage différents, rend impossible toute vision synthétique et toute gestion des priorités. L'approche géographique est fondée mais elle doit être simplifiée, rationalisée et articulée avec la dotation de solidarité urbaine (DSU), en liaison avec les élus.
Je souhaite une meilleure synergie entre les moyens alloués à la rénovation urbaine et ceux consacrés à l'accompagnement des populations des quartiers défavorisés. Il ne suffit pas de rénover le bâti et l'environnement urbain, il faut aussi renforcer le lien social et soutenir l'égalité des chances. L'ouverture de crédits supplémentaires à l'ANRU est l'occasion de mieux faire prendre en compte l'impératif de diversité sociale pour reconstruire, hors zone, les immeubles démolis.
En liaison avec la ministre du logement, les collectivités locales concernées pourront mettre en oeuvre rapidement les dispositions relatives à la mixité sociale et à la diversité des habitats de la loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion. Le texte offre de nombreuses possibilités. Ainsi pourrait-on reconstruire les logements sociaux détruits à raison de deux tiers hors quartiers ; ce n'est ni le cas en Seine-Saint-Denis, où la proportion n'est que de 20 %, ni en Seine-et-Marne, où elle est de 18 % à peine.
A cette fin, diverses mesures réglementaires devront être appliquées : traiter toutes les nouvelles conventions ANRU au niveau intercommunal ; prévoir dans les programmes locaux de l'habitat (PLH) les secteurs de reconstitution à 1 pour 1 ; lancer des procédures de vente en état futur d'achèvement (VEFA) auprès des promoteurs pour aller vers la mixité sociale dans les programmes privés de construction ; mettre en oeuvre les nouveaux schémas de cohérence territoriale prévus par la loi Grenelle II pour améliorer l'homogénéité sociale des quartiers et agir sur le désenclavement des ZUS.
En Île-de-France, où sont concentrées près du tiers des ZUS, il faudra prendre en compte les 155 ZUS dans le cadre du schéma directeur de l'Île-de-France, en particulier en y installant certaines gares du projet de rocade « Métrophérique ». Je suis revenu sur ce point hier, lors du comité interministériel sur la ville.
Enfin, l'affirmation de la diversité comme conséquence de l'égalité des chances exige de la promouvoir en tant que telle mais aussi d'en mesurer l'évolution. Je me propose donc de faire s'engager des entreprises pour la diversité, sur la base de l'accord conclu en 2007 entre les partenaires sociaux, mais aussi autour de propositions plus ambitieuses, telles que la mesure de la promotion active de la diversité et sa prise en compte au titre de la responsabilité sociale des entreprises. Je développerai le label « diversité », afin de donner un contenu plus incitatif, et au besoin normatif, à la charte sur la diversité dont je suis l'instigateur.
Le curriculum vitae anonyme est une bonne chose, mais ce n'est sans doute pas suffisant. La question de la diversité se pose avec acuité dans les médias, compte tenu de leur impact immédiat, et je ne pense pas que la loi de 2005 ait produit tous les effets escomptés. L'élaboration du futur statut de France-Télévisions devrait être l'occasion de durcir les exigences.
J'en viens, pour conclure, à l'observation des progrès par le recours à la statistique. L'organe administratif existe pour développer des activités en la matière : sans doute l'observatoire de la parité, dont les missions seraient élargies. Pour la statistique, il n'y a pas de problème de fond pourvu que nous puissions garantir la confidentialité des déclarations individuelles. Les conditions me semblent donc réunies pour passer à l'acte - car comment oeuvrer pour la diversité et l'égalité des chances s'il est impossible d'évaluer les résultats de cette politique publique ?
Votre champ d'action est très vaste. S'il n'y avait dans votre rapport qu'un élément clé, quel serait-il ?
Dans un article paru dans Le Figaro ce matin, vous faites part de votre volonté d'accroître la représentation politique des minorités visibles. Il est vrai que notre Assemblée, qui devrait être exemplaire en cette matière, ne l'est pas. Il semble que nous trouvions difficile de nous appliquer à nous-mêmes les lois que nous votons… Comment comptez-vous faire évoluer l'entreprise et le monde politique ? Le président Patrick Ollier a évoqué le curriculum vitae anonyme. En ma qualité de rapporteure du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale présenté par M. Jean-Louis Borloo en 2004, j'ai porté cette idée, ce qui a conduit à un débat de fond. Certains, très réticents aux mesures de discrimination positive, rangeaient l'idée du CV anonyme dans cette catégorie. Pourtant, il s'agit aux États-Unis d'une disposition légale, et d'autres pays, y compris des pays européens, ont adopté cette mesure. Qu'en pensez-vous ?
Lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a quelques semaines, à l'occasion de la réunion du comité de suivi de l'ANRU, vous nous avez dit qu'il manquait 1,5 milliard à l'agence pour lui permettre de mener à bien sa mission. Ce n'est pas, semble-t-il, l'avis de la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, selon laquelle les ressources disponibles sont suffisantes pour mettre en oeuvre la rénovation des quartiers. Comment s'explique cette différence d'opinion ? Votre avis semble le plus proche de la réalité, puisque des maires reçoivent des courriers leur expliquant qu'on ne peut financer les projets qu'ils proposent, car il n'y a plus de moyens pour ce faire…
Comme vous, je pense qu'il faut reconstruire les logements sociaux hors des quartiers où il y en a déjà beaucoup. Mais de telles opérations ne peuvent se concevoir à l'échelon d'une commune. Que proposerez-vous pour garantir que chaque commune respecte l'article 55 de la loi « SRU » au lieu que certaines croient pouvoir s'exonérer de leurs obligations ? Comme l'a dit Mme de Panafieu, il y a des lois qui ne sont manifestement pas respectées. Dans le cas qui nous occupe, l'État doit se substituer aux maires récalcitrants, et les préfets imposer aux communes qui ne le font pas de respecter la loi.
S'agissant de l'école, j'aimerais connaître votre avis sur la suppression de la carte scolaire. Alors qu'elle nous avait été présentée comme un grand progrès, j'ai lu qu'elle conduisait à une ghettoïsation croissante, les enfants des familles les plus en difficulté demeurant dans leur quartier d'origine, les autres changeant d'établissement. Il ne me semble pas que cette évolution favorise l'égalité des chances à l'école. Or, vous l'avez dit, tout commence à l'école.
Vous avez fait référence au contrat de professionnalisation comme possibilité d'intégration professionnelle. Soit, mais si l'entreprise décide de ne pas garder le jeune concerné, il se trouve sans emploi. En revanche, vous n'avez rien dit des contrats d'apprentissage, une voie difficile d'accès mais mieux adaptée à l'objectif recherché. D'autre part, on sait combien il est difficile d'accroître l'appétence de ces jeunes pour la formation ; vouloir les faire entrer dans un dispositif classique est donc voué à l'échec. Quant aux contrats d'autonomie, ils proposent certes un accompagnement, mais cet accompagnement, parce qu'il a été confié à des entreprises au lieu de l'être aux missions locales qui en ont pourtant la compétence, est inadapté. En bref, une série d'erreurs stratégiques a été commise, ce qui fait que l'on n'avance pas. Je ne dis pas que le problème trouvera une solution facile, mais les choix proposés me paraissent beaucoup trop classiques.
La dernière fois que je vous ai entendu, c'était quelques heures avant que vous ne soyez nommé commissaire à la diversité et à l'égalité des chances. Qu'en sera-t-il aujourd'hui ? (Sourires). Votre exposé, impliquant comme il l'a fait l'ensemble des pouvoirs publics, embrassait en effet un champ d'action si vaste qu'il pourrait être celui d'un Premier ministre … Pourriez-vous préciser le cadre de votre travail ? En votre qualité de « commissaire », êtes-vous solidaire des décisions du Gouvernement ? Il faut, en effet, s'attaquer aux barrières qui continuent d'entraver la progression sociale et professionnelle de tant de jeunes de notre pays, remettre en marche « l'ascenseur social » et briser « le plafond de verre ». Mais avez-vous tranché le débat sur ce que signifie exactement la discrimination positive ?
Notre collègue Michel Ménard a rappelé l'article 55 de la loi SRU. Chacun a conscience que le problème du logement ne se réglera que lorsque toutes les communes respecteront la loi – or, nous ne savons pas quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ni comment elles se traduiront dans la future loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion. Il serait pourtant nécessaire d'inciter les maires à ne pas se contenter des 20 % de logements sociaux prévus dans la loi, mais à porter cette proportion à 30 %. Le groupe socialiste, qui a déposé une proposition de loi sur l'égalité des chances, est prêt à s'en entretenir avec vous.
Je confirme ce qu'a dit notre collègue Monique Iborra à propos de la carte scolaire : on assiste bel et bien à une ghettoïsation croissante, les meilleurs élèves quittant les établissements situés dans les quartiers en difficulté.
Comme le président Patrick Ollier, je m'interroge sur l'articulation de vos travaux avec ceux de Mme Fadela Amara. A vous entendre, il semble que vous allez vider de sa substance, s'il en a une, le secrétariat d'État chargé de la politique de la ville. De plus, les attributions de M. Martin Hirsch ont été élargies, puisqu'il est désormais aussi commissaire à la jeunesse, un public qui vous intéresse au premier chef. Comment tout cela va-t-il fonctionner ?
S'agissant du logement, je rappelle que le parc est, en grande majorité, privé. En ma qualité d'administratrice d'un office HLM, je puis dire qu'il n'y a pas de discrimination à l'accès dans les logements sociaux, sinon à la marge ; il en va autrement pour le parc privé. Il faut donc s'en préoccuper, car il y a là un gisement de logements inexploité. Or, sauf discrimination évidente, on laisse les propriétaires privés agir à leur guise. La mixité sociale passe aussi par le logement privé.
Enfin, j'ai cru comprendre que vous vous apprêtez à proposer la transformation de l'observatoire de la parité en observatoire de la parité et de la diversité. Mais ces deux notions n'ont rien à voir l'une avec l'autre !
Je tiens à vous dire ma satisfaction personnelle de vous voir remplir une si éminente fonction, car je sais votre engagement au sein de l'ANRU. Les programmes de l'agence commencent à sortir de terre mais la situation sociale des habitants des quartiers concernés ne s'est pas miraculeusement améliorée pour autant. Un immense travail reste à faire, et on doit s'interroger sur les moyens d'avancer.
En matière de formation, des dispositifs ont été mis en oeuvre bien avant les contrats de transition professionnelle : ainsi des équipes de réussite éducative, mais aussi des internats, une mesure qui n'a pas fonctionné, ce qui est regrettable car il y a une forte demande des parents à ce sujet. Pourrez-vous vérifier la mise en oeuvre de ces dispositifs et leur effet ?
S'agissant des liens avec les entreprises, où en est-on de l'accompagnement dans l'accès à l'emploi ? Chacun le sait, la difficulté est immense quand on ne parvient pas à trouver des stages. Votre expérience vous permet-elle d'envisager des hypothèses nouvelles ?
Un débat s'est engagé sur les relations entre parité et diversité ; les deux notions sont certes très différentes, mais elles sont aussi complémentaires. On ne peut se voiler la face : quand on est une femme habitant un quartier défavorisé et que l'on vient d'ailleurs, on se heurte à des difficultés parfois inextricables. Quelles solutions entrevoyez-vous ?
Je suis ravie de vous rencontrer dans vos nouvelles fonctions. Je suis membre du Haut comité à l'intégration, et le Premier ministre m'a aussi confié une mission parlementaire sur la mobilité professionnelle et géographique. Vous pouvez compter sur mon entier soutien et je souhaite vous faire part de mes expériences.
J'aimerais savoir ce que vous envisagez de mesurer : les personnes victimes de discrimination ou les actes de discrimination ? À mon sens, ce sont les actes discriminatoires qui doivent être mesurés, mais comment s'y prendre ? Envisagez-vous de faire évoluer la charte de la diversité, d'identifier les freins à l'intégration, de mesurer ce qui est fait pour fluidifier l'accès des exclus à certains postes, d'évaluer la politique des zones d'éducation prioritaire (ZEP), désormais vieille de vingt ans ? Envisagez-vous d'apprécier l'action menée par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et la politique de la ville ?
Vous vous ferez, nous avez-vous dit, « prescripteur d'actions publiques » : aurez-vous alors l'audace de faire des propositions de calendrier et de moyens ?
Monsieur le commissaire, la mission qui vous a été confiée est très belle, difficile, et essentielle pour l'avenir de notre pays. Le point de départ, c'est la jeunesse. Tout se joue au cours de la première enfance et lors de la première scolarisation. Envisagez-vous un système éducatif qui ne serait plus fondé sur la sélection mais sur l'orientation dès l'école primaire ? Quand vient le moment d'articuler enseignement et emploi, ne pourrait-on faire davantage que ce qu'apportent les contrats de professionnalisation et d'apprentissage, en généralisant l'école de la deuxième chance ?
En matière de logement, j'appelle à la prudence. J'habite une petite ville qui compte des logements sociaux de qualité et je pense qu'il faut prendre garde, si l'on ne veut pas mettre en péril la mixité sociale actuelle, à ne pas exclure des logements sociaux certaines catégories de leurs habitants.
On constate, dans les quartiers défavorisés, soit une grande résignation, soit de la révolte, soit du fatalisme et parfois l'abandon de tout sens des responsabilités. Si l'on voulait provoquer un déclic, quelles mesures symboliques faudrait-il prendre ?
Je répondrai d'abord à M. Daniel Goldberg, qui m'a interrogé sur le cadre de mon action par rapport à l'action gouvernementale, puis j'évoquerai la synthèse, par le Président de la République, du débat public sur la manière de réaliser l'égalité en France : est-ce un processus spontané ou faut-il le forcer par la discrimination positive ?
Je n'ai pas souhaité entrer au Gouvernement. Cela m'a été proposé, mais je ne veux pas quitter mon entreprise. J'ai donc accepté une mission temporaire non rémunérée, à durée limitée. Je n'ai pas pour projet une carrière politique ; si c'était le cas, je l'aurais entreprise depuis longtemps. Je n'ai pas ce désir dans l'immédiat. M. Sarkozy veut aller très loin en matière de diversité et d'équité, il me l'a dit. Il a considéré que je pourrais porter un regard neuf sur ces questions, celui du chef d'entreprise. J'en accepte l'augure. Je ne suis plus que président du conseil d'administration de ma société, ce qui me permet de dégager le temps nécessaire pour cette mission. Elle correspond à un engagement très ancien de ma part puisque, Raymond Barre étant Premier ministre, je m'intéressais déjà au code de la nationalité. Il faut mettre fin à de faux débats. Beaucoup reste à faire pour renforcer l'équité et aussi pour faire comprendre à tous que la France a changé. Dans notre pays, 25 à 30 % des 18-25 ans sont désormais d'origine étrangère. C'est un phénomène nouveau que la France ne sait pas gérer. Le sujet m'intéresse depuis longtemps, et c'est pourquoi j'ai accepté la mission que le Président de la République a bien voulu me confier.
Le Gouvernement prend de multiples décisions relatives au logement, à l'éducation et à l'emploi. J'ai toujours eu une grande liberté de langage, j'ai l'esprit critique et je resterai critique. Je considère que ne pas s'être occupé des jeunes pendant des décennies est une erreur grave que nous paierons, comme celles de ne pas nous être attaqués aux discriminations et de ne pas avoir vérifié que les deniers publics étaient utilisés à bon escient, laissant notre système éducatif devenir inadapté aux besoins de l'économie.
Comme Mme Fadela Amara, je pense qu'il faut passer de l'espoir à l'action. Des ressources existent qui ne sont pas utilisées comme elles devraient l'être car l'État est extraordinairement désorganisé ; c'est parfois un « foutoir ». Je le dirai à la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville. Le système éducatif a pour particularité d'exclure une partie de notre jeunesse de l'emploi et, dans le même temps, de ne fournir ni en nombre ni en qualité les compétences dont nos entreprises ont besoin. Le moins que l'on en puisse dire est qu'il y a là un vrai problème. Quant à la politique de la ville, c'est le seul outil dont nous disposons, mais comment peut-on obtenir des résultats tangibles alors que 2 300 quartiers sont concernés, qui sont classés en six types de zonage ? Cela ne peut pas fonctionner ! Il ne peut être question de rivalités entre individus ; il faut ouvrir les yeux et traiter ces sujets. À cet égard, je suis heureux d'apprendre que le parti socialiste a enfin une vision dans le domaine de l'égalité et de la parité.
Il y a une France conservatrice et une France du progrès. J'ai de nombreux amis socialistes mais je pense que le conservatisme est malheureusement aussi pesant à droite qu'à gauche. Je vous le dis en ma qualité de membre d'une minorité, cette question doit être dépolitisée.
D'une certaine manière, c'est exact car si nous ne menons pas une action de fond, la situation s'aggravera encore ; c'est donc notre dernière chance. Il faut « désidéologiser » la question de la diversité et de l'égalité des chances, comme l'a dit le Président de la République lors de son discours à l'École Polytechnique. Il a très clairement affirmé vouloir conduire une politique sociale mais il veut pouvoir en mesurer les effets. Mon rôle est celui du démineur. Je suis chargé de définir comment on peut parvenir à cet objectif, dont je suis certain qu'il est le vôtre malgré tout.
Mme Françoise de Panafieu a évoqué la représentation politique des minorités visibles. Je pense que la lutte contre les discriminations demande une approche normative et qu'il faut donc pouvoir mesurer l'impact des politiques décidées. La question doit être débattue par les parlementaires puisque, actuellement, nous ne disposons d'aucun instrument permettant de quantifier la diversité. Cette question est fondamentale.
Le curriculum vitae anonyme n'est pas le seul instrument possible, mais c'est une des manières, pour les entreprises, de procéder à des recrutements non discriminatoires. Ce procédé est généralisé aux États-Unis – où il s'agit d'une obligation légale – au Canada et en Scandinavie et il a été mis en oeuvre au Royaume-Uni. Qui recrute doit le faire en fonction des compétences et non du faciès ou du sexe. Il est donc très important de faire entrer dans les moeurs le CV anonyme selon des modalités simples qui ne représentent pas une contrainte pour les entreprises. C'est possible : des entreprises l'ont expérimenté. Ainsi, AXA, qui recrute notamment aux États-Unis, considère que l'obligation de recrutement à partir de CV anonymes a eu pour effet d'accroître le recrutement de femmes. Je suis convaincu que l'idée doit être creusée et je suis attaché à ce que l'on aille au terme des expérimentations menées pour pouvoir en proposer la généralisation à toutes les entreprises.
Mme Catherine Vautrin pense que parité et diversité sont étroitement imbriquées. L'observatoire de la parité a acquis une expérience notable ; utiliser cette expérience en faveur de la diversité serait une évolution de bon aloi. Cela éviterait aussi de créer une nouvelle structure. Je sais que des courants féministes cherchent à maintenir la singularité de l'observatoire de la parité mais je ne pense pas qu'étendre ainsi son champ d'action poserait problème.
On a évoqué l'ANRU. La question est complexe. L'agence fonctionne parfaitement et commence à avoir des résultats. Seulement, les programmes décidés ne seront complètement réalisés que dans quinze ans et les conséquences sociales ne seront perceptibles que dans vingt ans. Étant donné la longueur de processus, et l'action menée par l'agence étant fondamentale, le premier objectif doit être qu'elle puisse agir à l'abri des vicissitudes politiques et budgétaires.
Il est évident que l'ANRU ne dispose pas de ressources suffisantes pour traiter tous les cas. Elle a traité 60 à 70 % des urgences, mais beaucoup reste à faire. Il est certain qu'un deuxième programme national de rénovation urbaine sera nécessaire. Le Gouvernement a pris la sage décision d'octroyer 350 millions d'euros de capacité d'engagement supplémentaire à l'ANRU, ce qui aura un effet de levier appréciable, mais ce ne sera pas suffisant. Pour faire face aux besoins, les subventions publiques supplémentaires devront être comprises entre 1,5 et 2 milliards d'euros.
S'agissant des modalités d'intervention et notamment des reconstructions « hors sites », une réunion pourrait être consacrée à ce seul sujet tant les problèmes sont nombreux. Dans tous les cas, l'État doit renforcer très sensiblement la coercition en conditionnant les concours de l'ANRU à l'application de la loi, et veiller à son application de plus près qu'il ne le fait actuellement. L'agence a pris conscience des risques de reconstitution des quartiers difficiles et elle oppose une résistance réelle aux élus pour ne pas recréer un ghetto sur l'ancien ghetto. Mais elle ne parviendra pas à ses fins sans les élus ni sans une certaine vision de l'intercommunalité. La décentralisation oblige à changer les règles et l'intercommunalité, notamment en Île-de-France, est l'un des enjeux de la rénovation urbaine. Par ailleurs, en Île-de-France particulièrement, la question du foncier est fondamentale ; puisque certains élus se comportent très mal, l'État doit avoir une politique de préemption beaucoup plus dynamique.
Le groupe socialiste déposera d'excellents amendements à ce sujet lors de l'examen de la loi à venir.
Sur l'école, il y a beaucoup à dire. La création des ZEP a été une idée généreuse, mais elle a échoué. Il aurait fallu doter les ZEP de moyens considérablement plus élevés et en faire des zones d'excellence prioritaire. Je suis contre la double peine. Autrement dit, je pense que l'on ne peut contraindre des parents qui habitent les quartiers défavorisés à envoyer leurs enfants dans une école qui ne fonctionne pas bien. Sait-on assez qu'il n'y a que 12 lycées pour 560 ZEP ?
Je suis d'accord avec vous, il faut modifier l'offre scolaire : si elle est de qualité, tous les enfants resteront.
Pour moi, le problème n'est pas que les meilleurs s'en aillent mais que la mauvaise qualité de l'offre les pousse à partir.
En réalité, le problème de fond est celui du logement. À force de constituer des ghettos en multipliant les logements sociaux dans certains quartiers, on a créé les problèmes que l'on sait. Quand un quartier compte de 74 à 80 % de logements sociaux, on ne peut s'étonner que des difficultés surgissent. Voilà qui nous ramène au projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion qui, en baissant le plafond de ressources autorisant l'accès aux logements sociaux, aura pour effet de désagréger davantage encore la mixité sociale.
Il faut, en effet, veiller au maintien de la mixité sociale et des mesures doit être prises au plus vite à cette fin. Comme l'a dit Mme Catherine Vautrin, la politique d'accompagnement doit être amplifiée car elle fonctionne bien. Au collège, le « busing » ne suffirait pas. Au lycée, il ne faut pas multiplier les filières mais les faire converger pour ne pas distinguer les jeunes qui suivent l'enseignement général et ceux qui vont en apprentissage. L'offre scolaire dans les quartiers défavorisés doit être transformée. Une réflexion doit être menée à ce sujet, à laquelle il faudra associer le corps enseignant, qui a sa part de responsabilité, et les parents. Je rappelle que la politique de réussite éducative engagée dans les quartiers défavorisés il y a vingt-cinq ans aux États-Unis – en mettant l'accent sur l'apprentissage de l'anglais, comme nous devrions le faire pour le français – a coûté cher mais qu'elle a donné de si bons résultats que des blancs parfois sont venus d'autres quartiers suivre cet enseignement de qualité. Ce fut le cas, notamment, à Austin, au Texas.
On peut agir, sans que cela demande beaucoup d'argent, pour offrir des conditions égales d'accès à l'éducation et à la formation.
S'agissant des contrats de professionnalisation, des politiques de droit commun doivent être mises en oeuvre de manière impérative. Si l'on ne veut pas voir augmenter le chômage des jeunes dans des proportions considérables, il faut favoriser l'accès des jeunes à l'entreprise tout en leur permettant de se former. Plusieurs secteurs industriels vont demander des concours financiers à l'État ; en contrepartie, on devrait exiger qu'ils recrutent des jeunes. On pourrait leur demander de s'engager à ce que 5 % de leur effectif soient des stagiaires de la formation en alternance – les 3 % prévus par la loi de 2005 ne sont pas suffisants.
Je maintiens qu'il faut mesurer la discrimination. Quant à la HALDE, elle se disperse au lieu de se concentrer sur sa mission, qui est de réprimer les cas de discrimination avérés. À mon avis, la HALDE devrait travailler en collaboration plus étroite avec les magistrats. Ses procédures sont très lourdes ; pour ne pas décourager les victimes, mieux vaudrait donc traiter les problèmes au civil qu'au pénal. Un recentrage est nécessaire.
Le président Pierre Méhaignerie m'a en effet interrogé sur ce que pourraient être les actions symboliques envisageables. Il en est plusieurs, dont certaines doivent être engagées très vite : que l'État s'ouvre à la diversité, que ses grands corps élargissent leur recrutement, que l'on mesure la diversité et les progrès de la lutte contre la discrimination – ce sont là autant de mesures sans conséquences budgétaires, qui ne risquent pas d'aggraver le déficit.
Je salue la passion et la conviction qui se sont exprimées par votre voix. Cette passion et cette conviction, le Parlement souhaite les accompagner. Ce sera, je vous l'ai dit, le rôle confié à quatre de nos collègues car notre Assemblée souhaite s'engager ; c'est une exigence de la jeunesse et un devoir pour nous. Monsieur Sabeg, je vous remercie.
La séance est levée à onze heures.