– Présentation du rapport sur « les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne », par Mme Catherine Procaccia, sénatrice, et M. Bruno Sido, sénateur» –
- A la suite de la saisine de la commission de l'économie et de notre désignation comme rapporteurs le 25 janvier dernier, Catherine Procaccia et moi-même avons procédé à plusieurs auditions, afin d'examiner l'intérêt d'une éventuelle étude sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne.
Catherine Procaccia, actuellement en déplacement à l'étranger, ne peut malheureusement être présente aujourd'hui et vous prie de l'en excuser, mais nous avons estimé souhaitable, d'un commun accord, de présenter néanmoins cette étude de faisabilité à l'Office avant la longue période de suspension des travaux parlementaires.
Ce rapport sur la politique spatiale, si vous en approuvez le principe, pourrait être l'occasion de réinvestir l'un des domaines de prédilection de notre ancien président Henri Revol, auteur avec d'un rapport de l'Office sur l'Espace en 2001, puis d'un second rapport, avec Christian Cabal, en 2007.
Au terme des travaux préliminaires que nous avons menés, il nous semble qu'un nouveau rapport sur l'Espace serait pleinement justifié. Depuis 2007 en effet, le contexte international s'est modifié. Les États-Unis ont révisé les objectifs de leur politique spatiale ; la Russie et la Chine ont de grandes ambitions ; quant à l'Europe, les décisions qu'elle a prises depuis 25 ans ont abouti à de réels succès, mais elle doit maintenant songer à dessiner son avenir.
Si l'Europe peut aujourd'hui prétendre à la deuxième ou troisième place, selon les critères considérés, dans la hiérarchie des puissances spatiales, c'est grâce à un effort continu d'investissement depuis les années 1960, pour une grande part sous l'impulsion de la France, depuis la création du Centre National d'Études spatiales, le CNES, il y a 50 ans.
L'Europe a délaissé le vol habité, depuis l'abandon d'Hermès, mais pour mieux consolider d'autres atouts stratégiques : elle a choisi d'investir dans des domaines d'excellence scientifique et technologique, devenant un partenaire indispensable de la coopération internationale. Elle a assuré son autonomie d'accès à l'Espace et progresse, bien qu'avec retard, dans des secteurs clefs comme la navigation-localisation.
Les succès d'aujourd'hui sont les conséquences des décisions prises en Europe il y a 25 ans. Mais qu'en sera-t-il dans 25 ans ?
Les auditions réalisées ont montré que l'Europe spatiale était à la veille de choix cruciaux. Les ministres chargés de ce secteur dans les pays de l'Agence spatiale européenne (ESA) doivent se réunir en novembre prochain pour décider des orientations à prendre dans plusieurs domaines : notamment l'avenir du lanceur Ariane, la poursuite de la coopération sur la Station spatiale internationale, les prochaines étapes de l'exploration…
La question de la durabilité des activités spatiales se pose par ailleurs, en raison de l'accumulation de débris, particulièrement en orbite basse : sur ce point, tous les acteurs s'accordent sur le diagnostic, mais aucun cadre commun n'existe au niveau international pour apporter des solutions.
Plusieurs travaux d'experts ont été rendus récemment, notamment un rapport du Centre d'analyse stratégique intitulé : « Une ambition spatiale pour l'Europe ». Le Ministère de la Recherche et de l'enseignement supérieur doit prochainement présenter un document de politique spatiale, et des groupes de travail franco-allemands ont été mis en place pour préparer la prochaine réunion ministérielle de l'ESA. Nous tiendrons bien évidemment compte de l'ensemble de ces travaux, qui ne sauraient empêcher l'Office de se faire sa propre opinion sur un sujet scientifique et technologique emblématique.
Quels sont les principaux enjeux d'avenir pour l'Europe spatiale ?
Il s'agit pour l'Europe de conserver le rang auquel elle est parvenue grâce à ses efforts passés. En effet, autonome dans l'accès à l'Espace, l'Europe est présente dans tous les autres domaines spatiaux, à l'exception du vol habité.
L'une de ses réalisations majeures est le programme Ariane. Rappelons qu'au début des années 1960, la France et l'Allemagne avaient mis en place un programme de satellites de télécommunications, appelé Symphonie. Ces satellites devaient être lancés par Europa, premier programme de lanceur européen, qui s'est soldé par un échec. Les Américains ont accepté de lancer Symphonie, mais en exigeant de l'Europe que ces satellites n'aient aucune utilité opérationnelle, car ils faisaient concurrence aux leurs. Les satellites Symphonie n'ont par conséquent servi qu'à des démonstrations et essais scientifiques. La nécessité d'un accès autonome à l'Espace était démontrée. Le programme Ariane a permis d'y parvenir.
Grâce au Centre spatial guyanais, l'Europe dispose d'un site de lancement idéalement situé : une très large ouverture sur l'océan Atlantique favorise toutes les missions spatiales, des lancements aussi bien vers l'Est (pour l'orbite géostationnaire) que vers le Nord (pour l'orbite polaire) avec un minimum de risque pour la population et les biens alentour. La proximité de l'équateur permet de bénéficier au maximum de l'effet de fronde, c'est-à-dire de l'énergie fournie par la vitesse de rotation de la Terre autour de l'axe des pôles.
Ariane 5 est aujourd'hui le lanceur lourd le plus fiable au monde, avec 46 succès d'affilée. Ce lanceur connaît deux versions : l'une pour l'envoi de satellites en orbite géostationnaire, l'autre pour l'envoi de charges utiles en orbite basse, par exemple le véhicule ATV de ravitaillement de la Station spatiale internationale, dont un lancement est très prochainement prévu (initialement programmé le 9 mars, mais retardé).
La gamme des lanceurs opérés de Guyane par Arianespace s'est récemment élargie, ce qui correspond à une préconisation formulée par l'Office dès 2001. Avec Soyouz (depuis 2011) et Vega (depuis le 13 février 2012), l'Europe dispose d'une gamme complète de trois lanceurs respectivement lourd, moyen et léger. 31 lanceurs Ariane 5 et 5 Vega sont actuellement en cours de fabrication par l'industrie spatiale européenne.
En dehors de sa gamme de lanceurs, l'Europe est présente dans tous les autres domaines des activités spatiales. Elle dispose d'opérateurs dans les domaines de la météorologie, des télécommunications, et développe deux programmes dans le cadre de l'Union européenne : Galileo pour la navigation-localisation, et GMES pour la surveillance de l'environnement et la sécurité.
L'ESA a participé à de nombreuses réalisations scientifiques, parmi lesquelles on peut citer les sondes Mars Express, Venus Express, Rosetta, le module Huygens qui a atterri sur Titan, les observatoires spatiaux Herschel et Planck.
Enfin, bien que l'Europe n'ait pas la capacité de procéder à des lancements habités, elle entraîne néanmoins 14 astronautes destinés à séjourner dans la Station spatiale internationale, en contrepartie de la contribution européenne à ce programme.
L'investissement de l'Europe dans le secteur spatial lui a permis de développer un secteur industriel fort. Elle détient aujourd'hui 40 % des marchés commerciaux de satellites et lanceurs. 50 % du chiffre d'affaires de l'industrie spatiale européenne est réalisé par la France, où elle représente 12.000 emplois.
Ce secteur est une niche à l'échelle macroéconomique, mais il a un fort effet de levier, si l'on ajoute aux infrastructures produites la fabrication des équipements de contrôle et les services de communication électronique. Le retour sur investissement du secteur spatial, c'est-à-dire la valeur totale produite, rapportée à la seule valeur des infrastructures, serait de 20.
Néanmoins, si l'Europe veut maintenir son rang de grande puissance spatiale, elle doit tenir compte de ses fragilités sous-jacentes.
La compétitivité de l'Europe s'est en effet construite moyennant des contreparties.
En premier lieu, l'industrie européenne est fortement exposée au secteur commercial. Elle bénéficie de budgets institutionnels bien moindres que ceux dont bénéficient les industriels des puissances spatiales concurrentes. La dépense publique américaine dans le secteur spatial est six fois supérieure à ce qu'elle est en Europe. La dépense publique européenne ne représente que 12 % de la dépense publique spatiale mondiale.
Ainsi, tandis que dans les autres grandes puissances spatiales, l'industrie bénéficie d'un marché institutionnel captif, l'industrie européenne est pour sa part très dépendante des marchés concurrentiels. Cette situation se vérifie particulièrement dans le domaine des lanceurs, les clients institutionnels européens n'étant pas réellement tenus de faire appel aux lanceurs développés en Europe, tandis que des systèmes de préférence nationale sont mis en oeuvre dans toutes les autres grandes puissances spatiales.
Or c'est dans ce contexte que l'industrie spatiale européenne pourrait être confrontée à la consolidation d'une offre à bas coûts. Aux États-Unis, la tendance est de faire appel au secteur privé pour réaliser des lanceurs à bas coûts, fondés sur une organisation industrielle optimisée. C'est le modèle de la société Space X. Les lanceurs russes et peut-être bientôt chinois sont aussi des concurrents dangereux. L'ESA a par exemple choisi Rockot, lanceur issu de la conversion d'armes stratégiques russes, pour le lancement de deux satellites du programme de surveillance de l'environnement et de la sécurité (GMES).
L'Europe est aussi fragilisée par le retard qu'elle a pris dans certains secteurs clefs, notamment l'électronique durcie. 70 % des composants électroniques spatiaux proviennent des États-Unis. Les règles d'exportation ITAR (International Traffic in Arms Regulation) permettent aux Américains de contrôler les exportations de matériels sensibles. Ces règles sont, semble-t-il, aussi un moyen de limiter l'accès aux composants de dernière génération. Elles peuvent être parfois interprétées comme traduisant une volonté de mainmise, comme en témoignent les difficultés subies récemment par Thales Alenia Space au sujet d'un satellite vendu aux Chinois, qui fait l'objet d'une enquête américaine.
Enfin l'Europe subit un retard dans le domaine de l'Espace militaire, non pour des raisons technologiques, mais en raison de la faiblesse des investissements qu'elle consacre à ce secteur. L'Europe n'a à ce jour ni alerte avancée, ni système de navigation (même si Galileo devrait y remédier à partir de la fin de 2014), ni système opérationnel d'écoutes (même si deux démonstrateurs ont été récemment lancés) ; L'Europe ne dispose pas de système de surveillance de l'Espace pour les objets de taille inférieure à un mètre.
Dans ce contexte, les auditions réalisées ont montré que l'Europe devait relever deux défis : l'un est relatif à la gouvernance de sa politique spatiale ; l'autre concerne les orientations scientifiques et technologiques à privilégier pour l'avenir.
La multiplicité des acteurs institutionnels rend nécessaire la recherche d'un équilibre définissant clairement les rôles de chacun.
Avec la création de l'ESA en 1975, l'Europe spatiale s'est constituée à l'extérieur de l'Europe politique, avant d'être rattrapée progressivement par celle-ci. Depuis le 1er décembre 2009, date d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l'Espace est une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres.
Cette compétence a permis de faire avancer les deux programmes « phares » que sont Galileo dans le domaine de la navigation-localisation, et GMES, dans le domaine de l'observation.
Le programme Galileo a connu un retard important, à la suite de problèmes de gouvernance. D'après l'un de nos interlocuteurs, Galileo aurait démontré que les processus européens ne sont pas taillés pour résoudre les problèmes d'une politique industrielle, point que le rapport devra examiner.
Quant au programme GMES, il vise à positionner l'Europe dans le domaine de la surveillance de l'environnement. Il doit permettre de mieux évaluer et comprendre le changement climatique, et de mieux prévenir et traiter les catastrophes humanitaires. Ce programme est aujourd'hui fragile : la Commission européenne ne l'a pas inclus, à ce stade, dans les prochaines perspectives financières de l'Union (pour 2014-2020). Le lancement de 3 satellites de ce programme est pourtant payé et programmé à partir de 2013. Si cette situation perdurait, on se retrouverait dans la situation aberrante où des satellites seraient mis en orbite, mais ne pourraient être exploités faute de budget et de personne responsable.
Outre les questions budgétaires, l'intelligibilité du triangle ESA-Union européenne-États membres n'est pas évidente et a abouti à un meccano financier. L'Union européenne est le premier contributeur de l'ESA (20 % du budget de l'Agence), juste devant la France (19 %) et l'Allemagne (18 %). On remarquera d'ailleurs qu'après avoir progressivement augmenté son budget spatial, l'Allemagne fait aujourd'hui presque jeu égal avec la France à l'ESA.
L'hypothèse parfois évoquée d'une intégration de l'ESA à l'Union européenne paraît difficilement envisageable : leurs États membres ne sont pas les mêmes et les règles appliquées par les deux institutions sont différentes.
La place des États membres et de leurs agences spatiales dans ce jeu institutionnel n'est pas clairement définie. Le CNES déplore par exemple de ne pas pouvoir dialoguer directement avec la Commission européenne, qui craint l'immixtion d'un partenaire et préfère procéder par appel d'offres auprès de consultants, plutôt que de tirer parti de l'expérience et du savoir faire historique des agences nationales.
Enfin, certaines « règles » applicables au secteur spatial méritent examen :
- La préférence européenne existe en principe mais n'est pas une priorité absolue. Elle est mise en balance avec le critère de coût. Bien que dénoncée par de multiples travaux et par les précédents rapports de l'Office sur l'Espace, cette situation perdure, alors même que les États membres ont massivement subventionné le développement – et continue de combler les pertes d'exploitation – de leur lanceur Ariane, et qu'ils reconnaissent l'absolue nécessité de garantir à l'Europe un accès autonome à l'Espace ;
- Quant à la règle dite de « retour géographique », selon laquelle chaque État membre bénéficie d'investissements sur son territoire à due proportion de sa contribution à l'Agence européenne, elle conduit à un certain éclatement de l'industrie, susceptible de s'aggraver dans le contexte de l'élargissement de l'ESA aux pays d'Europe centrale et orientale.
Je terminerai en évoquant les défis scientifiques et technologiques majeurs auxquels l'Europe spatiale est aujourd'hui confrontée.
Les auditions réalisées ont montré que la question la plus discutée est celle de l'avenir du lanceur lourd Ariane 5, qui fait l'objet de deux projets concurrents.
Les industriels sont favorables à une évolution du lanceur actuel. C'est le projet Ariane 5ME (Midlife Evolution), à l'étude depuis 2008, qui permettrait, à coût égal, d'augmenter de 20 % la masse de charge utile. Ce lanceur reposerait sur la même organisation de production que le lanceur actuel. D'après les industriels, il permettrait de renforcer rapidement la position concurrentielle d'Ariane et de supprimer la nécessité d'un soutien à l'exploitation.
Le CNES nous a toutefois livré une toute autre analyse de cette question, estimant que la capacité d'Ariane 5ME à annuler le soutien public à l'exploitation du lanceur était incertaine. Or les États européens semblent de plus en plus mal disposés à combler les pertes d'Ariane en fonctionnement, ce qui pourrait rapidement conduire à une impasse. A contrario, un lanceur de nouvelle génération, que l'on pourrait appeler « Ariane 6 », serait configuré en prenant en compte la décroissance prévisible du nombre et de la taille des satellites à lancer. Il serait mieux armé pour affronter la concurrence à bas coûts, en étant plus modulable, et plus rationnel du point de vue de son organisation industrielle. Étant un lanceur simple et non double, il bénéficierait de cadences de production plus grandes.
Le choix qui sera effectué aura des conséquences importantes sur les sites industriels. Il sera déterminant pour la compétitivité de l'industrie spatiale européenne.
Une autre question à l'ordre du jour du prochain sommet des ministres à l'ESA est la poursuite d'exploitation de la Station spatiale internationale. L'Europe est le quatrième contributeur à l'ISS, après les États-Unis, la Russie et le Japon ; la France est le deuxième contributeur européen à l'ISS, derrière l'Allemagne. La participation européenne est assurée jusqu'en 2015 grâce à la fabrication et au lancement de cinq modules de ravitaillement automatique ATV, opérés par le CNES.
Le coût de l'ISS est aujourd'hui évalué à 100 milliards d'euros. Son apport à la recherche est jugé relativement faible, eu égard à ce coût. Mais la Station aura au moins permis de recycler les compétences des scientifiques ex-soviétiques, et d'empêcher qu'ils ne se dispersent dans le monde. Elle a également permis de maintenir et d'approfondir les compétences acquises dans le domaine des vols habités, et de la vie dans l'Espace.
Les États-Unis ont exprimé leur souhait de poursuivre l'exploitation de la Station jusqu'en 2020. Si l'Europe suit les Américains, la question sera de savoir comment le faire tout en progressant technologiquement et en faisant participer l'industrie européenne.
Au-delà de 2020, malgré les hésitations des débuts de la présidence Obama, les Américains semblent décidés à repartir au-delà de l'orbite basse, où évolue l'ISS soit à environ 400 km, alors que la Lune est à un peu moins de 400.000 km. Pour y parvenir, ils développent un lanceur lourd et une capsule habitée, issus de la reconversion du programme « Constellation », initié par le précédent président George Bush, qui visait le retour à la Lune en 2020.
L'Europe privilégie plutôt l'exploration automatique du système solaire, avec le programme ExoMars, dont les Américains se sont récemment retirés en raison de leurs contraintes budgétaires. La question se pose de savoir si l'Europe peut faire ExoMars avec d'autres partenaires.
Il faut aussi se demander dans quelle mesure l'Europe devrait participer à un programme d'exploration lointaine, dont l'intérêt scientifique et la faisabilité technique demeurent controversés, et dont les coûts seraient exorbitants. Mais le vol habité n'est pas qu'une question scientifique. Le passé a montré qu'il était avant tout une question politique et sociétale, avec un fort impact sur l'opinion publique.
Les auditions réalisées ont enfin montré la nécessité d'une véritable réflexion, au niveau mondial, sur la question des débris spatiaux, qui menacent aujourd'hui la durabilité de l'activité spatiale.
La NASA a recensé 19.000 objets de plus de 10 cm dans l'Espace, avec une concentration particulièrement forte dans la zone des 800 à 850 km. Le risque s'est matérialisé en 2009 lors de la collision d'un satellite Iridium avec un ancien satellite Cosmos russe. Le risque de retombée au sol n'est par ailleurs pas nul.
Si la France et l'Allemagne possèdent des radars, l'Europe demeure toutefois très dépendante des Américains, dont le système est lui-même imparfait. L'ESA a lancé en 2008 un programme de surveillance de l'Espace, dont l'objet est plus large que la seule question des débris spatiaux, mais qui semble peiner à se concrétiser.
En France, la loi du 3 juin 2008 prévoit des mesures de nature à limiter les débris spatiaux. Mais c'est, beaucoup plus largement, une véritable éthique internationale de l'utilisation de l'Espace qu'il faudrait mettre en place, si possible avant qu'une crise grave ne vienne illustrer l'urgence de traiter cette problématique.
S'agissant des débris existants, qui continueront à se multiplier quoiqu'il arrive, par le jeu des collisions, aucun programme de recherche n'a été à ce jour véritablement lancé. L'outil développé pourrait avoir d'autres fonctions que celle de retirer des débris de leur orbite, avec des applications possibles dans les domaines de la défense ou de l'exploration.
Pour conclure, l'Europe spatiale doit choisir ses orientations pour l'avenir, sur des sujets qui ne font pas l'unanimité, comme nos auditions l'ont montré, puisque nous avons entendu des analyses successivement contradictoires sur des sujets pourtant importants. Il ne sera peut-être pas toujours possible de trancher entre ces analyses, mais au moins sera-t-il utile d'éclairer les enjeux associés. Ces enjeux sont de différents ordres : politiques, économiques, scientifiques et, à plusieurs égards, éthiques.
Il est donc proposé de poursuivre l'étude ainsi engagée sous l'intitulé proposé par la Commission de l'économie : « Enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne ».
Matériellement, outre des déplacements en France métropolitaine, en Guyane et à Bruxelles, la réalisation de ce travail implique de se rendre aux États-Unis, première puissance spatiale incontestée depuis la fin de la guerre froide, maîtrisant l'ensemble des technologies du secteur, moteur des coopérations internationales et leader, enfin, dans le domaine de la surveillance de l'Espace.
Les situations de la Russie et de la Chine mériteraient un examen approfondi. Dans un contexte de relatif désengagement des États-Unis, La Chine aspire à devenir la deuxième, voire la première puissance spatiale. S'agissant des déplacements envisagés, il me semble que vous devriez vous rendre aussi en Russie, à Baïkonour. Je suis heureux de constater que la France joue un rôle majeur, tandis que l'Europe spatiale comprend beaucoup de partenaires « dormants ». Quel sera le calendrier de cette étude ?
Notre calendrier est quelque peu contraint par la réunion ministérielle de l'ESA, qui aura lieu en novembre, et qui devrait trancher des questions aussi essentielles que celle de l'avenir du lanceur européen. Notre rapport devra être rendu dans les semaines qui précèderont cette réunion.
– Le rapport ne doit pas ignorer la Chine ou l'Inde qui essaient de se lancer sur le marché des satellites et des lanceurs. Il faut aussi voir ce qui se passe à Kiruna (Suède) où plusieurs entreprises recueillent des données de surveillance de l'Espace. Étant donné la contrainte de calendrier, ne pourriez-vous pas envisager un rapport d'étape, se focalisant sur les problématiques de la réunion ministérielle de l'ESA, avant un rapport définitif, qui serait plus complet ?
Notre collègue Pierre Lasbordes nous a rappelé que plusieurs rapports sont récemment parus sur l'Espace. Il conviendra de les prendre en compte.
La question de l'éthique de l'Espace est essentielle, de même que l'opportunité d'une recherche duale en Europe. Aux États-Unis, la recherche militaire donne une impulsion forte à la recherche spatiale.
Vous avez mentionné le recours de l'Union européenne à des consultants. Ce procédé n'est pas à la mesure des politiques européennes.
Compte tenu de la loi de « retour géographique », comment faire émerger une industrie européenne de l'Espace, plutôt que d'avoir des entités éparses et parfois concurrentes ?
– Étant donné le temps imparti, un rapport d'étape avant la réunion ministérielle de l'ESA s'impose, avant un rapport plus complet. La Chine est peu transparente, mais la Russie et le Japon mériteraient l'examen.
Nous tiendrons bien évidemment compte des rapports existants sur le sujet, mais la situation évolue rapidement. Elle mérite en tout état de cause un nouvel examen, car elle a beaucoup évolué depuis les deux derniers rapports de l'Office sur la politique spatiale.
La question de l'éthique de l'Espace est fondamentale. Le risque existe qu'on ne se saisisse de la question au niveau mondial que lorsqu'un accident grave surviendra. Les Américains ont déjà des fusées dont les derniers étages sont ré-allumables ce qui leur permet de les faire retomber dans l'atmosphère après usage. Le prochain lanceur européen devrait aussi permettre cette rentrée atmosphérique. Par ailleurs, les Européens sont incapables de détecter des objets de moins d'un mètre dans l'Espace. Les Américains le peuvent mais n'ont pas été capables de prévoir le choc entre les satellites Iridium et Cosmos.
Je pense aussi que la recherche duale doit être développée. Les Américains sont autosuffisants grâce à leur marché domestique, tandis que l'Europe dépend d'un marché des télécommunications en déclin. La recherche militaire européenne connaît un retard important par rapport aux États-Unis. Les règles ITAR manifestent une véritable dépendance. Lorsque les Américains nous vendent leurs composants, nous devons leur dire exactement ce que nous en faisons. A titre personnel, je pense qu'il serait opportun de financer les investissements nécessaires pour mettre fin à cette dépendance.
La dispersion de l'industrie spatiale européenne est réelle. De petits pays développent néanmoins des compétences de pointe. La situation n'est pas meilleure aux États-Unis, comme on le voit par exemple avec le Dreamliner de Boeing. C'est bien entendu une question que le rapport devra aborder.
Les conclusions du rapporteur tendant à la poursuite de l'étude sous l'intitulé proposé par la commission de l'économie ont été approuvées à l'unanimité.
– Présentation des conclusions de l'audition publique sur « investissements d'avenir », par M. Claude Birraux, député –
- Cette audition, qui s'est tenue le 17 janvier dernier, était particulièrement bienvenue pour compléter le premier bilan de cette action qui nous avait été présenté le 14 juin 2011 par M. Thierry Coulhon, directeur du programme « centre d'excellence ».
Il n'est pas utile de souligner que ces programmes se poursuivront dans la durée et que l'Office devra faire un point périodique sur leurs résultats.
M. Claude Birraux, député, premier vice-président de l'OPECST. - L'audition publique du 17 janvier dernier consacrée aux investissements d'avenir a permis de constater la mobilisation remarquable des différents acteurs investis dans ce dispositif inédit et d'une ampleur inégalée. L'excellence a été le critère déterminant pour la sélection des projets et la pertinence des choix a été garantie par le recours à des jurys internationaux. En outre, la stratégie consistant à lancer deux vagues d'appels à projets a permis finalement de retenir des projets à fort potentiel mais qui avaient besoin d'être davantage structurés. A cet égard, l'Agence Nationale de la Recherche a contribué de manière significative à la réussite de ces projets qui ont ainsi bénéficié d'une seconde chance, grâce aux rapports détaillés établis par l'ANR à l'attention des candidats malchanceux de la première vague et cela a élevé le niveau global et fait émerger de nouvelles équipes. Par ailleurs, l'OPECST se félicite de la place non négligeable qui a été faite aux sciences humaines dont la dimension interdisciplinaire permet une mise en perspective salutaire des avancées scientifiques par rapport à la société.
Il apparaît nécessaire que les investissements d'avenir s'inscrivent dans la durée afin d'apporter de manière pérenne à la recherche et à l'innovation française l'impulsion et le soutien indispensables à leur développement. Or, les projets initiés sont à échéance de dix ans. Il convient donc de prévoir leur poursuite au-delà de cette échéance car le temps scientifique est un temps long.
Cela implique un suivi régulier et soutenu de l'ensemble de ces projets, afin de mesurer leur état d'avancement et la pertinence des dépenses engagées. L'évaluation permanente de ces derniers fait d'ores et déjà partie de la feuille de route aussi bien du Commissariat général à l'investissement que de l'Agence nationale de la Recherche. Le Parlement et tout particulièrement l'OPECST ont également un rôle important à jouer, dans le cadre de leur mission de contrôle, afin de servir d'aiguillon et d'assurer la continuité dans l'effort en faveur de la recherche. Un bilan d'étape, notamment en terme sectoriel, permettrait de vérifier a posteriori la pertinence d'ensemble et le cas échéant de réorienter les projets.
Pour faire face à la complexité du dispositif, son évaluation par des jurys internationaux, il importe que les partenaires se dotent de structures qui gèrent les interfaces et la mise en réseau des différents acteurs, préalablement à une fusion. La démarche est bien de bas en haut.
Pour garantir l'efficacité et la pérennité du dispositif, il est également vital de consolider le volet financier. A cet égard, il convient de rappeler que le financement accordé aux différents projets dans le cadre des investissements d'avenir aura des effets inopérants s'il s'accompagne par ailleurs d'une diminution régulière des subventions publiques. Pour ne prendre qu'un exemple, un des laboratoires d'excellence sélectionné, le LabEx LANEF, à Grenoble, a reçu une dotation de 850.000 euros au titre des investissements d'avenir mais dans le même temps sa dotation récurrente tend à diminuer (de 10% par an depuis deux ans, c'est-à-dire d'un million d'euros), ce qui ne fait que maintenir le niveau de financement et non l'améliorer. Or, les investissements d'avenir ont pour objectif de renforcer les moyens mis à la disposition de la recherche et de l'innovation et non de pallier la diminution des dotations récurrentes. Une attention vraiment très particulière doit être portée aux coûts complets, intégrant les frais de gestion qui ne doivent pas être sous-évalués.
Le passage de la recherche à l'innovation doit constituer une priorité majeure et il est important de veiller à la coordination entre les structures de valorisation, notamment entre les Sociétés d'accélération du Transfert de Technologies qui ont pour objet de contribuer à la maturation économique des projets et les organismes comme France Brevets qui ont pour rôle d'assurer le lien avec les entreprises. On pourrait utilement s'inspirer du mode de fonctionnement de clusters étrangers, sur le modèle belge de Leuwen et de Louvain la Neuve, pour aller de manière active et systématique à la rencontre des chercheurs et favoriser l'émergence des start-ups.
Enfin, le dispositif des investissements d'avenir s'inscrit dans la continuité de la stratégie nationale de recherche et d'innovation et a vocation à permettre l'intégration dans des projets de niveau européen, voire international, afin que les différents pays européens ne se trouvent pas distancés dans la course au progrès scientifique et technologique par les Etats-Unis ou les grands pays émergents qui soutiennent eux activement leur recherche nationale. Or, à quelques exceptions près, la grande majorité des projets retenus ne semble pas intégrer cette dimension européenne pourtant fondamentale pour l'avenir de la croissance et de l'emploi au sein des grandes nations européennes. Un certain nombre des projets retenus dans le cadre des investissements d'avenir sont néanmoins susceptibles de devenir l'instrument de projets communs de recherche, construits sur le modèle « Eureka » des coopérations étatiques, afin de favoriser l'émergence de pôles associant entreprises, centres de recherche et universités autour de projets innovants. Tel doit être l'objectif à moyen terme d'un nombre conséquent de projets labellisés investissements d'avenir et l'Europe, sans changer fondamentalement son budget, doit à la fois définir un cadre européen de l'innovation (directive) et faire émerger des clusters européens qui soient des leaders mondiaux.
L'Office a adopté à l'unanimité les conclusions de l'audition publique sur les investissements d'avenir.
Suspension des travaux de l'Office
- Après le renouvellement des sénateurs cet automne, c'est maintenant le tour des députés de passer par l'épreuve du suffrage universel.
Cette réunion était notre dernière avant ces échéances. Je souhaite vous remercier tous pour votre contribution aux travaux de l'Office, et saluer tout particulièrement nos collègues qui ne se représenteront pas, notamment Claude Birraux bien sûr, à qui nous rendrons très prochainement hommage.