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Commission des affaires européennes

Séance du 16 novembre 2011 à 16h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • climatique
  • co2
  • conférence
  • durban
  • kyoto
  • protocole

La séance

Source

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 16 novembre 2011

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

Réunion ouverte à la presse

La séance est ouverte à 16 h 45

PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Les négociations internationales relatives au changement climatique font l'objet d'un suivi de notre part depuis quatre ans : la discussion portait au départ sur la proposition de directive européenne de 2008, tandis qu'en 2009 s'ouvrait le sommet mondial de Copenhague, suivi en 2010 de la Conférence de Cancún. La 17e Conférence des Parties de la Convention Climat se tiendra à Durban du 28 novembre au 9 décembre prochain.

Le rapport s'articule en quatre axes : il s'agit de rappeler les décisions prises à Cancún qui doivent maintenant être mises en oeuvre, d'indiquer les espoirs pour Durban et également ce qu'il est concrètement possible d'en attendre, et enfin d'envisager l'après Durban.

Tout d'abord, il faudra traduire dans les faits les décisions prises à Cancún, qui fut de ce point de vue une conférence positive, avec un gros travail fait notamment par le Mexique. Le processus de lutte contre le réchauffement climatique s'inscrit dans le cadre onusien, avec la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) signée il y a vingt ans, à Rio, en 1992.

A Cancún, une cible a été actée, consistant à atteindre un réchauffement d'au plus 2 °C d'ici la fin du siècle par rapport à l'ère préindustrielle et susceptible d'être révisée. A Copenhague, aucun accord juridiquement contraignant visant à limiter les émissions des pays membres de la CCNUCC n'avait été obtenu. Dès lors ne restait plus que la solution d'un accord autorisant chaque pays à définir ses propres engagements, c'est-à-dire passant d'une logique dite « top down » à une logique dite « bottom up ».

Le système d'enregistrement des objectifs et des actions des pays développés et en développement, assorti d'un suivi et d'un contrôle destinés à en assurer la transparence, a également été renforcé à Cancún : c'est le système dit MRV, apparu avec la COP de Bali en 2007.

Cancún a par ailleurs permis la création d'un Fonds vert pour le climat, destiné à soutenir les projets, les programmes et les politiques des pays en développement. Il s'agit de mobiliser l'énergie et les moyens existants, avec un objectif d'abondement de cent milliards de dollars par an, et en poursuivant le triple objectif de réduire les émissions de GES, de mettre en place des mesures d'adaptation, et de financer la préservation des puits de carbone forestiers (mécanisme REDD+). Le principe du « fast start » est destiné à permettre un démarrage rapide en 2011 et 2012.

Le transfert de technologies, avecla mise en place d'un mécanisme technologique destiné à développer et diffuser les nouvelles technologies vertes dans les pays en voie de développement, constitue un autre objectif.

Lancé à Cancún, le mécanisme de lutte contre la déforestation, dit « REDD+ » (Réductions des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation), destiné à lutter contre la déforestation qui est responsable de 20 à 22 % des émissions de CO2 au niveau mondial, doit maintenant trouver une vraie concrétisation.

Les mécanismes de marché mis en place par le Protocole de Kyoto, soit le mécanisme pour un développement propre (MDP) et la mise en oeuvre conjointe (MOC), ont quant à eux été renforcés.

Toutes ces avancées doivent désormais être concrétisées à Durban, dont la feuille de route est ainsi tracée.

Durban sera une Conférence d'autant plus importante que le réchauffement climatique a atteint un nouveau pic en 2010. Les scientifiques rencontrés confirment que l'objectif des 2 °C sera difficile à tenir : de ce point de vue, il faut reconnaître un échec, et maintenir l'objectif d'une limitation du réchauffement à 2 °C en 2050.

Le système de suivi et de contrôle des engagements des pays développés et des pays en développement (MRV) doit par ailleurs être amélioré. La charge de la preuve a été renversée, puisque ce sont désormais les pays qui définissent leurs objectifs. A l'instar de la Chine, beaucoup de pays refusent en effet toute atteinte à leur souveraineté nationale. Le MRV prend cependant progressivement ses marques et la Chine fait elle aussi des avancées à cet égard.

Le Fonds vert pour le climat au bénéfice des pays en développement devra quant à lui être abondé, cette problématique étant bien plus complexe que celle de sa gouvernance qui devrait être réglée à Durban. La combinaison de sources diverses de financement, à la fois publiques et privées, sera nécessaire. En outre, les financements innovants (taxe sur les transactions financières, soutes aériennes et maritimes, revenus des enchères, etc.) auront un rôle clé à jouer. La taxe sur les transactions financières, pour laquelle les experts annoncent 30 à 50 milliards d'euros ou de dollars, pourrait permettre de financer le Fonds vert, mais il existe des divergences entre ceux qui y sont favorables (France, Allemagne) et ceux qui ne le sont pas (Royaume-Uni).

Le financement de REDD + devra également être concrètement assuré à Durban.

Durban devra enfin traiter de la question majeure de l'avenir du protocole de Kyoto, ratifié en 1997 et prenant fin en décembre 2012. L'absence de décision serait à l'origine d'un vide juridique. D'un point de vue juridique, trois issues sont possibles : l'entrée en vigueur provisoire (procédure de validation requérant un moindre niveau de garantie des pays) ; la tacite reconduction (plus rapide, mais risquée car elle prévoit une option permettant à un Etat de se délier de ses obligations s'il en fait la demande explicite) ; l'amendement au Protocole en 2012 (qui doit être ratifié par les pays). Certains pays (Japon, Russie) refusent de signer un nouveau protocole, tandis que d'autres (Chine, Etats-Unis) ne veulent pas y entrer, considérant que le Protocole de Kyoto est injuste et inefficace car ne couvrant que 27 % des émissions mondiales. Il est souhaitable qu'un accord juridique contraignant soit mis en place d'ici trois à cinq ans, englobant la totalité des pays et non les seuls signataires du protocole de Kyoto.

Les attentes pour Durban sont ainsi listées et permettent d'être raisonnablement optimistes.

Le Président Pierre Lequiller. S'agissant du facteur de blocage américain, ne convient-il pas de distinguer le président Obama de l'administration précédente ?

PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Le président Obama a fait preuve de sa capacité d'avancer dans ce domaine, mais, du fait même des députés démocrates, le Congrès a rejeté ses propositions. La Chine a pour sa part mis en oeuvre un véritable plan climat ; elle a investi sur les énergies renouvelables et les nouveaux processus technologiques suite à la crise, en 2008 et 2009. Elle ne semble cependant pas prête à intégrer un protocole de Kyoto bis.

PermalienPhoto de Jérôme Lambert

Lors de la Conférence de Poznań en 2008, l'optimisme était de rigueur. A Copenhague, un accord était espéré. Quatre ans après Poznań, force est de constater que c'est désormais le pessimisme qui l'emporte. La crise économique et financière a pris le pas sur le péril climatique. Les émissions de CO2 ont atteint leur plus haut niveau historique en 2010, dépassant de 5 % leur précédent record enregistré en 2008. Un récent rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) souligne cette aggravation : depuis 1990, l'augmentation mondiale s'élève à plus de 45 %. L'Union européenne s'est fixé un objectif de 20 % et le tiendra.

PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Avec 8 950 millions de tonnes de CO2émises en 2010, la Chine est en effet désormais le principal émetteur en volume. Les Etats-Unis ont pour leur part émis 5 250 millions de tonnes de CO2, l'Union européenne 4050 millions de tonnes de CO2, l'Inde 1840 millions de tonnes de CO2, la Russie 1 750 millions de tonnes de CO2 et le Japon 1 160 millions de tonnes de CO2. Les Etats-Unis émettent 16,9 millions de tonnes de CO2 par habitant, contre 5,9 pour la France et 6,8 pour la Chine.

PermalienPhoto de Jérôme Lambert

L'argument des chinois consiste à dire que l'Union européenne a délocalisé ses émissions de gaz à effet de serre chez eux !

PermalienPhoto de Jérôme Lambert

Force est de constater que la situation s'est dégradée au fil du temps.

L'argument de la crise économique et financière, conduisant les gouvernements à donner la priorité aux questions économiques immédiates, est avancé afin d'expliquer ce relâchement.

Le climatoscepticisme est quant à lui toujours présent. Aux Etats-Unis, il concerne particulièrement les membres du Parti Républicain.

L'évolution des équilibres mondiaux est par ailleurs déterminante. Les pays en développement demandent que les Etats du Nord reconduisent Kyoto avant de s'engager, tandis qu'une partie des pays membres de Kyoto (Japon, Canada, Russie) et les Etats-Unis exigent, au contraire, que les pays émergents souscrivent au préalable à un accord global de réduction des émissions. Les pays du G77 font pour leur part un front commun, facteur de blocage.

Si le tableau dressé peut sembler pessimiste, des avancées concrètes sont tout de même attendues à Durban. Il est vraisemblable que la Conférence de Durban permettra l'effectivité de la mise en oeuvre des accords de Cancún s'agissant de la gouvernance du Fonds vert, mais la question de son abondement reste entière. Le plan d'action pour le transfert de technologies devrait également être adopté à Durban.

Les méthodes d'évaluation et de suivi des politiques nationales de lutte contre le réchauffement climatique devraient aussi progresser à Durban. La Chine semble à cet égard être en bonne voie.

Enfin, la définition des modalités d'un futur accord global est attendue, tout en définissant des mesures transitoires qui permettraient de maintenir en vie le Protocole de Kyoto. Au vu de l'aggravation de la situation en matière de réchauffement climatique, les pays devraient accepter de poursuivre leurs engagements pris à l'occasion de Kyoto.

La position de l'Union européenne sera importante, la difficulté à trouver un compromis entre les Vingt-sept étant clairement apparue ces dernières années. Ainsi, pour Durban, les négociations entre les Vingt-sept n'ont pas été aisées et le compromis trouvé a mis en évidence des divisions entre les pays membres. L'Union européenne se déclare « ouverte à une deuxième période d'engagements du Protocole de Kyoto » à condition de préserver l'intégrité environnementale de cet instrument et que soient lancées à Durban des négociations pour la conclusion d'un accord contraignant par tous les grands émetteurs de CO2, assortie d'une feuille de route. Les divergences au sein de l'Union européenne tiennent au fait qu'un groupe de pays (notamment la France, l'Espagne, la Belgique et le Danemark) souhaite que l'Union s'engage sur une deuxième période du protocole de Kyoto sans condition aucune, une éventualité à laquelle d'autres délégations (l'Allemagne et le Royaume-Uni notamment) sont opposés, compte tenu du fait que l'Union européenne ne contribue à ce jour qu'à 11 % des émissions mondiales de CO2.

L'après Durban donne toutefois quelques raisons d'espérer. L'élaboration d'un nouveau régime climat ambitieux à moyen terme est souhaitable et possible. Il faudra pour cela peut-être sortir du strict cadre de la CCNUCC, qui nécessite l'unanimité des pays pour pouvoir avancer. D'autres outils sont susceptibles d'être mobilisés.

« Rio + 20 », la Conférence mondiale des Nations unies sur le développement durable, qui se tiendra à Rio au Brésil du 4 au 6 juin 2012, suscite beaucoup d'attentes. Selon les Nations unies, « l'objectif de la Conférence sera de susciter un engagement politique en faveur du développement durable, d'évaluer les progrès réalisés et les lacunes restant à combler au niveau de la mise en oeuvre des textes issus des grands sommets relatifs au développement durable et de relever les défis qui se font jour ». Brice Lalonde, coordonnateur exécutif de la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable, considère pour sa part que Durban risque de soulever davantage de questions qu'elle n'en résoudra : la problématique échouera dès lors à « Rio + 20 », dont la vocation est cependant plus large que la seule lutte contre le réchauffement climatique.

PermalienPhoto de Philippe Tourtelier

Il serait un peu difficile de sortir de l'ONU et je ne suis pas certain que celle-ci soit moins efficace que le G20.

Si l'objectif de 2 degrés n'est pas tenu, c'est toujours au regard de la dette climatique historique, mais je trouve que la Chine, contrairement aux Etats-Unis, suit une bonne trajectoire.

L'analyse ne peut être menée sans prendre en considération la problématique de la pauvreté dans le monde et des Objectifs du millénaire pour le développement, d'autant que, en France comme ailleurs, les sommes consacrées au changement climatique sont indûment incluses dans les budgets de développement.

Les choses ont effectivement commencé un peu à avancer avec REDD+. L'action regagnera peut-être en efficacité avec la réintroduction de l'agriculture dans le mécanisme.

Très peu de brevets sont transférés, en raison des contraintes liées au droit de la propriété intellectuelle. En outre, les transferts de brevets n'interviennent qu'entre pays du Nord, pas entre le Nord et le Sud, car il faut déjà disposer d'infrastructures et de personnel qualifié.

Le Fonds vert souffre d'un déficit de crédibilité depuis le départ : combien d'argent est réellement mis sur la table ? Or, tous les pays ne sont pas partisans de la taxe sur les transactions financières. Nous verrons si l'Union européenne montre l'exemple mais rien n'empêche la France de voter une mesure, à un taux marginal, pour envoyer un message. Les 420 millions d'euros dégagés annuellement pour le fast start en France, par exemple, ont été intégrés à l'aide publique au développement ; il ne s'agit donc pas de crédits additionnels mais d'un gonflement artificiel de l'aide publique au développement. De même, en 2011, l'effondrement de la vente des quotas de CO2 n'a pas permis d'alimenter les 150 millions d'euros du compte d'affectation spéciale destiné à financer REDD+.

En outre, l'aide au développement est constituée de 45 % de dons et de 55 % de prêts, cette seconde catégorie étant une fausse aide, dont les pays destinataires ne peuvent en réalité pas profiter. Il faut augmenter les dons, surtout en matière d'aide climatique.

Enfin, 35 % des aides sont allouées à l'adaptation, 45 % à l'atténuation et 15 % à REDD+. Or, l'atténuation et REDD+ correspondent à la dette climatique historique. Tout cela n'est donc pas crédible.

Qui parlera au nom de l'Union européenne et quelles seront les marges de manoeuvre ? L'Union européenne est-elle déterminée à rester leader ? Défend-elle toujours le passage de 20 à 30 % de l'objectif de réduction des émissions ? La Chine, elle, croit au fait que l'économie verte est le marché de demain et en tire déjà les dividendes, notamment avec le développement des panneaux solaires ; si l'Union européenne l'avait aussi compris, elle passerait à 30 %. Cette dernière se situe certes sur la trajectoire du protocole de Kyoto – moins 8 % en 2012 – mais une étude danoise a montré que, avec les importations, elles est à plus 7 %. Il convient donc d'enclencher des politiques fortes.

La question essentielle, pour le monde comme pour l'Europe et la France, est celle de l'avenir du Protocole de Kyoto. Je suis conscient qu'il existe un lien entre la négociation globale et la prolongation du Protocole de Kyoto mais, si l'adoption d'un accord global contraignant tarde, que se passera-t-il ? Faut-il abandonner les instruments actuels, qui fonctionnent, comme le MDP ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle le cadre onusien serait inapproprié. Pour qu'avancent ceux qui le souhaitent, créer du droit positif et lancer la machine, il suffit d'ouvrir un texte à la signature, sans prévoir de date de conclusion.

Par ailleurs, sur le plan scientifique, est-il exact qu'un phénomène de ionisation, cassant les molécules et interrompant la circulation du CO2, intervient lorsque les gaz s'élèvent dans l'atmosphère ?

PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Nous soutenons l'analyse faite par Philippe Tourtelier.

S'agissant de ce qu'a souligné M. Jacques Myard, je dirais que oui, le processus onusien doit se poursuivre, mais qu'un certain flottement s'est produit au lendemain de la conférence de Copenhague. Plus de cent chefs d'Etat s'y étaient déplacés, pour accoucher d'une souris, une déclaration rédigée dans la nuit, tirée par les cheveux. Songez que le gouvernement danois, en pleine réunion, avait dû remplacer la présidente de la conférence ! Immédiatement après, tout le monde a en effet douté du processus onusien.

Ensuite, à Cancún, la conférence avait été très bien préparée en amont par les Mexicains et des avancées ont été enregistrées, sous le pilotage de la ministre des affaires étrangères. Le processus onusien est alors revenu en force.

D'où vient l'effet de serre ? Une fois le CO2 dégagé des usines ou d'ailleurs, les molécules s'élèvent et se retrouvent piégées dans la haute atmosphère, à vingt ou vingt-cinq kilomètres d'altitude, empêchant de s'échapper une partie du rayonnement solaire reparti de la terre. La problématique est donc parfaitement identifiée, hormis par quelques « climatosceptiques », de moins en moins nombreux.

PermalienPhoto de Jacques Desallangre

Lorsque le processus REDD deviendra efficace, il sera trop tard. Les Coréens et les Chinois achètent des millions d'hectares de forêt. Nous supportons l'importation de produit dont la fabrication, en Chine, induit la production de gaz à effet de serre. Il convient donc de réactiver une proposition de loi que j'avais déposée il y a dix ou douze ans : la taxe sociale d'importation, qui prendrait en compte toutes les contraintes dont les pays producteurs s'affranchissent.

La crise a bon dos : en 1997, le monde n'était pas en crise, ce qui n'a pas empêché les Américains de refuser de signer le Protocole de Kyoto. Les « climatosceptiques », aux Etats-Unis comme ailleurs, ont comme préoccupation majeure de préserver leurs intérêts économiques.

Pour les prochaines négociations, l'Union européenne ne doit pas reproduire l'erreur commise par la France à Kyoto : nous n'avons pas à faire le même effort que nos partenaires car nous en avons déjà fait an amont ; les conséquences de nouveaux efforts, pour notre industrie, seraient donc beaucoup plus lourdes.

PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

La position de l'Union européenne est claire : nous sommes toujours leaders mais nous n'irons pas plus loin si l'Europe est isolée. La raison a repris le dessus.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Monsieur le Président, mes chers collègues, toutes les questions relatives à la collecte des données des dossiers passagers, dites données PNR, reviennent régulièrement devant notre commission et nous connaissons bien la nécessité de ces données dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave avec, d'un autre côté, des questions tout aussi importantes tenant au respect des droits fondamentaux des citoyens appelés à voyager. L'origine de tout cela est bien connue puisqu'il s'agit des attentats du 11 septembre 2001, à la suite desquels les autorités américaines ont imposé leur volonté de disposer en amont des informations sur les personnes entrant sur leur territoire. Le caractère absolument dramatique des évènements vécus par nos amis américains doit être rappelé ; il convient également de noter que les attentats ont été commis à partir de vols intérieurs aux Etats-Unis, ce qui ne devrait pas, à mon sens, être sans conséquence sur l'instrument que l'Union devrait adopter. Nous avons déjà parlé de l'accord qui nous a été imposé en 2007 par les Américains et dénoncé son caractère peu équilibré. Je vous ai également présenté le projet de nouvel accord le 13 juillet dernier.

Il est ici question d'un système de collecte et de traitement des données PNR pour la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave à l'échelle européenne. Si les stratégies américaines, canadiennes et australiennes ont changé après le 11 septembre 2001, des Etats membres ont également pris leurs dispositions, parmi lesquels la Grande-Bretagne, qui dispose du régime le plus avancé et a une position pilote sur le projet, aux côtés de la France.

L'expérience tirée par le Royaume-Uni de cet outil en démontre l'efficacité. D'autres Etats membres, comme la France, la Belgique ou la Suède, utilisent les données PNR à des fins douanières ou de lutte contre le terrorisme. Un certain nombre de résultats doivent être soulignés. Ainsi, en Suède ou en Belgique, de 65 à 95 % des saisies de drogue résultent exclusivement ou essentiellement du traitement des données PNR. La douane française atteint des statistiques comparables, par exemple à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. La Commission européenne a également fourni des exemples de cas avérés dans lesquels les données PNR ont permis de démanteler des réseaux de trafic d'êtres humains. Ces exemples sont retranscrits dans le rapport.

Nous avons déjà eu à nous positionner sur une proposition de décision-cadre datant de 2007 et nous avions fait part de l'équilibre à atteindre. La résolution adoptée par notre commission avait été confirmée par la commission des lois et la résolution était ensuite devenue définitive le 18 octobre 2009. Les éléments que nous avions avancés avaient permis de faire évoluer les choses, conjointement avec les efforts menés par les autorités françaises.

Les finalités de la directive seraient la détection et prévention des infractions terroristes et des infractions graves ainsi que les enquêtes et les poursuites en la matière. Les vols visés seraient les vols internationaux à destination ou en provenance des Etats membres. La question des vols intra-européens est problématique. En effet, pour des motifs de proportionnalité, ces derniers avaient été exclus du dispositif. Cependant, tous les services opérationnels auditionnés ont tous remis en cause cette exclusion pour des raisons facilement compréhensibles, car elle ferait perdre une grande partie de son utilité au projet. Bien qu'un parallélisme absolu ne puisse bien entendu pas être réalisé avec les attentats du 11 septembre 2001, la nécessité de disposer des données sur les vols intra-européens doit rester présente à notre esprit. Une nouvelle rédaction est donc à l'étude, qui permettrait aux Etats membres de sélectionner les vols pour lesquels ils souhaitent disposer des données des dossiers passagers. Je vous proposerai d'être plus affirmatifs que ne l'est actuellement le projet, en proposant d'inclure tous les vols intra-européens.

Par ailleurs, si les Etats membres le souhaitent, ils pourraient conserver, dans le cadre de leurs législations nationales respectives, la possibilité d'exploiter les données PNR à d'autres fins, telles que la lutte contre l'immigration illégale ou la lutte contre la fraude. Cet aspect est important pour les autorités françaises.

La durée de conservation des données serait nettement plus raisonnable que celle proposée en 2007, 13 années au total. Autant il faut donner les moyens nécessaires à la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave, autant la durée de conservation choisie doit être précisément justifiée. Les données ne seraient conservées que trente jours puis, pendant une durée de cinq ans, une fois que les éléments nominatifs auront été masqués. Cette durée de conservation de trente jours seulement ne manquera pas de poser des difficultés. Dans la recherche du juste équilibre entre la lutte contre le terrorisme et la protection des droits fondamentaux, il conviendra de veiller à ce que l'outil conserve toute sa pertinence opérationnelle. Des doutes très sérieux ont été émis, s'agissant de la possibilité d'utiliser concrètement un système dans lequel les données complètes ne seraient conservées que trente jours. Les autorités françaises notamment souhaitent que le premier délai de conservation soit porté à un an et cette durée apparaît tout à fait justifiée. Dans le cadre d'une certaine criminalité, on observe fréquemment qu'un vol est effectué puis un second quelques mois plus tard et une durée de conservation d'un mois risquerait de vider de sa substance le projet.

Dans chaque Etat membre, une unité de renseignements passagers serait créée pour recevoir les données transférées par les compagnies aériennes, les exploiter puis fournir les résultats de ces analyses aux autorités nationales compétentes.

Autre élément majeur, l'utilisation des données dites sensibles serait exclue. Il s'agit des données révélant notamment une appartenance politique, syndicale ou religieuse. La toute dernière rédaction du texte excluant également la possibilité d'utiliser le sexe, l'âge et la nationalité mériterait toutefois d'être réétudiée, car ces données peuvent être utiles.

Enfin, les transferts de données vers les Etats tiers, question extrêmement importante, seraient bien mieux encadrés qu'ils ne l'étaient dans la proposition de décision-cadre de 2007 avec, notamment, l'obligation de recueillir l'accord de l'Etat membre d'origine des données avant le transfert.

Malgré les progrès réalisés, le contrôleur européen de la protection des données, le G29, qui regroupe les autorités de protection des données européennes, ainsi que l'agence européenne pour les droits fondamentaux ont émis des avis négatifs sur le texte. Ils estiment notamment que la proportionnalité et la nécessité de la mesure ne sont pas suffisamment justifiées. L'équilibre ne serait pas atteint entre les risques d'un côté et les moyens mis en oeuvre de l'autre.

Il convient également, pour être vigilants sur l'équilibre qu'il faut essayer de parfaire, de souligner que plusieurs cours constitutionnelles nationales ont, ces dernières années, émis des arrêts qui font peser des risques sur la possibilité d'établir des régimes de collecte de données de grande ampleur et systématiques ; les cours constitutionnelles allemande, bulgare et roumaine ont émis des réserves sérieuses.

En conclusion, incontestablement, le projet de directive est bien plus satisfaisant que la proposition de décision-cadre de 2007 et le travail de nos autorités pour faire évoluer l'équilibre initial n'a pas été inutile. Nous ne pouvons que souhaiter que cet instrument aboutisse, ce pour deux raisons :

- il existe un réel risque de voir coexister différents systèmes au sein de l'Union et il serait pire que tout d'avoir un ensemble désarticulé de plusieurs dispositifs PNR à l'échelle européenne ;

- par rapport au dialogue un peu difficile que nous avons avec nos partenaires américains et australiens, disposer de points d'accord établis constituera un argument de poids pour des échanges constructifs, notamment sur la durée de conservation et les échanges avec les Etats tiers. L'Union doit avoir une vision homogène de la question et pouvoir la faire valoir.

Je vous propose donc d'adopter une résolution exposant nos positions sur la question.

PermalienPhoto de Philippe Tourtelier

Je remercie le rapporteur de son excellent travail et d'avoir bien posé la question. Il s'agit en effet d'une avancée mais on pourrait certainement faire plus. Conformément aux avis du contrôleur européen de la protection des données et du G29, je souhaite que le texte de la résolution prenne mieux en compte la proportionnalité.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Il est en effet possible d'insister sur la proportionnalité, cela ne nuisant pas à la cohésion du texte. Je souhaite toutefois souligner, de façon tout à fait respectueuse des avis de ces autorités mais avec une certaine conviction, que si l'on suivait les avis négatifs du contrôleur européen de la protection des données et du G29, qui concluent notamment à la diminution du délai maximum de conservation des données et à l'exclusion des vols intra-européens, on dépouillerait le dispositif de son utilité. Il vaudrait alors mieux en rester là où on est aujourd'hui car, sinon, nous serions fragilisés dans le dialogue avec nos partenaires, américains, notamment. Rappelons que demain, peut-être, d'autres partenaires, tels que la chine, souhaiteront avoir accès aux données PNR.

PermalienPhoto de Philippe Tourtelier

Il faut donc réintégrer les critères de la nécessité et de la proportionnalité.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Cela peut en effet devenir un atout. La proportionnalité signifie également qu'il serait peu utile de ne garder les données qu'un mois et qu'il y a la nécessité de prendre en compte les vols intra-européens.

PermalienPhoto de Jérôme Lambert

Je suis d'accord avec M. Tourtelier. Au point 4 de la proposition de résolution, le mot « importantes » me gêne.

PermalienPhoto de Jérôme Lambert

Je suis d'accord. Au point 5, il faudrait, selon moi, ajouter, à la fin, « ce qui n'est pas le cas actuellement » car il faut renforcer ainsi la demande dans la mesure où ce qui est proposé ne convient pas encore.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Je suis d'accord. Il s'agit là de souligner que le cadre de la protection des données doit être précisé dans la directive même.

PermalienPhoto de Jérôme Lambert

Au point 6, Je ne m'oppose pas à la formulation proposée concernant la durée de conservation des données mais il est difficile de trouver un juste milieu entre les 30 jours proposés et plusieurs années. Ne serait-il pas préférable d'inscrire une durée dans la résolution ?

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Il ne faut pas que la durée de conservation des données soit trop réduite, une durée effective d'un an permettant d'atteindre les objectifs visés. En partant d'une proposition de cinq ans sur une base active dans la décision-cadre de 2007, aboutir à un an me parait raisonnable. Il semble cependant préférable de s'en tenir à la formulation proposée.

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière (COM [2011] 32 finalnoE 6014),

Vu la résolution de l'Assemblée nationale no 352 du 18 octobre 2009 sur la proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (Passenger Name Record, PNR) à des fins répressives,

1. Souligne les critères de nécessité et de proportionnalité qui s'appliquent au traitement des données à caractère personnel ;

2. Rappelle sa position selon laquelle les données PNR constituent un outil nécessaire à la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité ainsi qu'aux enquêtes et poursuites en la matière ;

3. Estime que la mise en oeuvre d'un régime de transfert et de collecte harmonisé au niveau européen renforcerait l'efficacité des mesures prises au plan national par les Etats membres en matière de lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité ;

4. Juge qu'un tel régime permettrait à l'Union de mieux imposer les standards européens s'agissant du droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel dans les accords internationaux entre l'Union européenne et les Etats tiers ;

5. Se félicite que des améliorations incontestables aient été apportées dans la proposition de directive, conformément notamment aux demandes exprimées par l'Assemblée nationale dans sa résolution no 352 du 18 octobre 2009 précitée ;

6. Demande que le cadre établi par la directive soit parfaitement clair et cohérent à chaque étape de la collecte, du traitement et de la conservation des données et assure le plein respect des droits fondamentaux, notamment du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit au respect de la vie privée, ce qui n'est pas le cas actuellement ;

7. Estime que la durée de conservation des données ne doit pas être excessivement réduite car l'intérêt même du dispositif pourrait s'en trouver significativement affecté et que les vols intra-européens ne devraient pas être exclus du champ d'application de la directive. »

La séance est levée à 18 h 15