COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 5 octobre 2011
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 15
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour cette première audition depuis votre entrée au Gouvernement.
Nous sommes à un moment important de l'histoire de l'Europe ; les décisions que prendra le Conseil européen des 17 et 18 octobre seront capitales. En matière économique et financière, l'Union est à la croisée des chemins. Des pas en avant ont été faits, grâce notamment à l'impulsion du Président de la République, mais on peut estimer qu'une intégration économique, budgétaire et fiscale plus poussée serait nécessaire.
Quelles sont les perspectives de renforcement du « gouvernement » ou du « pilotage » économique, sachant que le président de la Commission européenne a exprimé son désaccord avec le projet franco-allemand d'en confier la direction au président du Conseil européen ? Envisage-t-on un renforcement du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ? Un calendrier a-t-il été retenu pour l'examen de la proposition de taxe sur les transactions financières et celui de la proposition de directive européenne visant à harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés ?
Par ailleurs, notre commission a émis, au titre de la subsidiarité, un avis défavorable à la proposition de règlement relative à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures – la Commission européenne voulant s'arroger le droit de juger elle-même de la nécessité de ce contrôle. Je viens de transmettre notre décision à notre collègue Gunther Krichbaum, le président de la Commission des affaires européennes du Bundestag. Où en est ce débat au sein de l'Union ?
Nous invitons systématiquement les députés européens à participer à nos réunions ; je salue aujourd'hui la présence de Mme Françoise Grossetête.
C'est avec plaisir que je retrouve mes anciens collègues de l'Assemblée. Soyez assurés que je répondrai avec le maximum de sincérité à vos questions.
Vous l'avez dit, monsieur le président : l'Union est à la croisée des chemins. Il nous est impossible de maintenir le statu quo et il serait déraisonnable de revenir en arrière ; nous avons l'obligation d'avancer – mais le choix est difficile. Pour des raisons de timing, d'abord : le temps des politiques n'est évidemment pas le même que celui des marchés financiers. Ensuite, il faut savoir vers quoi nous voulons aller. Il est clair que pour avancer, il faut plus d'intégration ; mais dans quel objectif, et pour quel idéal ?
Le premier défi est économique. La crise actuelle n'est pas propre à la zone euro, elle est mondiale et liée aux dettes souveraines. L'euro est une monnaie forte et stable, aux capacités supérieures à celles du dollar. Soyons donc attentifs aux mots que l'on utilise : c'est la crise de la dette souveraine de certains pays de la zone euro qui met en danger la monnaie unique et la construction européenne.
Le deuxième défi est énergétique et environnemental. L'Europe, qui est une démocratie évoluée, est consommatrice d'énergie ; il faudra, dans l'avenir, veiller au respect de l'environnement, tout en préservant l'indépendance énergétique de la zone.
La catastrophe de Fukushima nous rappelle en outre que, si nous devons garantir une sûreté maximale dans l'ensemble des installations nucléaires de notre pays, la question se pose à l'échelle européenne ; le fait que certains pays, comme l'Allemagne, n'aient pas fait les mêmes choix que nous ne doit pas nous empêcher d'engager une réflexion commune sur la sécurité nucléaire, en matière d'approvisionnement comme en matière de protection des populations.
Enfin, l'Europe est à un tournant politique. On observe avec inquiétude la montée des populismes et de l'euroscepticisme. En France, le phénomène n'est pas nouveau : rappelons que le référendum de 2005 a été perdu en grande partie parce que nos concitoyens ont rejeté une Europe qui leur apparaissait trop lointaine. Dans un contexte de crise économique, la tendance est souvent au repli sur soi, au retour sur le passé et au développement d'idéaux nationalistes ; les prises de décision deviennent particulièrement difficiles dans les pays aux majorités gouvernementales fragiles, qui se trouvent sous la pression d'un euroscepticisme populaire grandissant.
On peut noter que cet euroscepticisme s'est particulièrement développé en Allemagne, pays pourtant fortement impliqué dans la construction européenne. Si l'on dit traditionnellement que l'Europe se construit en surmontant les crises, vu la crise actuelle, l'étape s'annonce décisive ! Ayons toutefois conscience qu'elle ne pourra être franchie sans un assentiment populaire ; il convient donc de partir à la reconquête d'une fraction de la population qui considère que l'Europe est technocratique et lointaine.
Ma conviction est que l'Europe est notre meilleur atout pour relever les défis du XXIe siècle ; elle est porteuse de valeurs, d'une culture et d'une civilisation qui, sans être imposées aux autres peuples, doivent s'affirmer à l'intérieur de ses propres frontières.
Dans cette perspective, je vous propose de réfléchir à l'intégration européenne que nous appelons de nos voeux. Celle-ci passe d'abord par le renforcement de la gouvernance économique. Si la réforme du Fonds européen de stabilité financière n'est pas encore totalement acquise, il ne reste plus à obtenir que leur ratification par deux pays pour que les décisions du sommet du 21 juillet puissent être appliquées. Dans des systèmes démocratiques, il paraît normal que des décisions politiques aussi importantes soient prises, non en fonction de la fébrilité des marchés et de l'évolution des notes, mais en suivant la voie parlementaire ! La France a ratifié l'accord au début du mois de septembre, l'Allemagne, à la fin du mois : les délais sont raisonnables.
Certes, j'ai conscience que les échéances semblent parfois lointaines et que, les discours ne se concrétisant pas toujours immédiatement, on peut penser que les politiques restent inactifs. Je rappelle cependant qu'avec la réforme du Fonds européen de stabilité financière – capacité d'intervenir sur les marchés secondaires et de recapitaliser les banques, dotation de 440 milliards d'euros, avec la possibilité d'obtenir un financement supplémentaire du FMI –, nous disposerons d'une réactivité de quelque 500 milliards d'euros. Cela sera-t-il suffisant ? Rappelons que nous n'avons jusqu'à présent utilisé que 10 % des crédits disponibles. Si l'on doublait le montant de ce fonds monétaire européen, on se retrouverait au niveau du FMI ! Faut-il autant d'argent pour l'Europe que pour le monde ? Cela ne reviendrait-il pas à envoyer un message négatif aux marchés, en laissant penser que nous nous préparons à une catastrophe ? Chaque jour, on nous annonce que la Grèce va faire défaut, que sa faillite est programmée, qu'elle va sortir de la zone euro, que l'euro est une monnaie ancienne qui va disparaître, que les banques européennes vont s'effondrer. Peut-être faudrait-il faire preuve d'un peu plus de sang-froid, et privilégier la réactivité plutôt que la fébrilité.
L'important est de mettre en oeuvre les décisions du 21 juillet. Le « six-pack », élément de contrôle et de sécurité qui avait été proposé par la Commission, vient d'être adopté par le Parlement européen. Quant à la solution consistant à confier à Herman van Rompuy la responsabilité de piloter, de manière pérenne, l'ensemble du système, elle me paraît s'imposer. En période de crise, c'est aux chefs d'État et de gouvernement de donner l'impulsion ; ils ont davantage de légitimité démocratique à le faire que le président de la Commission européenne. Le couple franco-allemand a une histoire, et c'est une réalité économique : ces deux pays pèsent à eux seuls plus de 50 % du PIB de la zone euro. Quand ils font une proposition, cela peut avoir un effet d'entraînement ! Je n'imagine pas M. Barroso, malgré tout son talent, être capable de proposer ce qui a été adopté le 21 juillet. Et que dirait-on si l'on devait consulter la totalité des 27 États membres avant de faire la moindre proposition ?
L'intégration européenne, ce n'est pas l'intégration naïve. Naïve, l'Europe l'a été longtemps, en laissant entrer dans la zone euro des pays qui n'en avait peut-être pas la capacité. Rappelons toutefois que la Grèce, l'Espagne et le Portugal ne sont sortis du fascisme que récemment ; peut-être aurions-nous dû attendre l'extension de l'Union vers l'est, mais les pays concernés étaient eux-mêmes en train de se libérer du totalitarisme. Dans ce contexte, on ne s'est pas inquiété de savoir si les nouveaux arrivants avaient le niveau économique nécessaire – d'autant moins que l'on était dans une période de croissance. Mais en période de crise, les disparités sont criantes.
La deuxième erreur fut de créer une monnaie unique sans prévoir un pilotage économique, fiscal et financier. Il faut désormais franchir cette étape. Aujourd'hui, il y a de facto une Europe à deux vitesses : d'un côté, les pays de la zone euro, qui doivent passer à une intégration renforcée ; de l'autre, les autres États membres. Il n'y a aucune raison de mettre, par principe, des obstacles à une entrée dans la zone euro ; en revanche, on passe d'une Europe naïve, en période de croissance, à une Europe réaliste, en période de crise, qui doit être à la fois plus intégrée et plus solide. C'est pourquoi il convient d'appliquer à la Grèce tant la solidarité communautaire que la discipline budgétaire ; et c'est pourquoi la troïka contrôle et qu'un groupe d'experts accompagne la mise en oeuvre des décisions courageuses prises par les dirigeants grecs.
Je reviens de Pologne, où l'on a discuté du Partenariat oriental. Des pays comme la Biélorussie, l'Ukraine ou la Moldavie sont très éloignés de l'intégration européenne. Le fait de développer un partenariat avec eux ne peut pas signifier qu'il s'agit d'une étape préliminaire à leur intégration. La France a d'ailleurs exprimé avec force, par la voix du Premier ministre, qu'il ne pourra y avoir d'accord de libre-échange avec la Biélorussie et, dans une moindre mesure, avec l'Ukraine, tant que ces pays ne seront pas des États de droit. La France restera très vigilante sur ce point.
Quant aux Balkans, on sait les tensions que ces pays ont connues et les crimes contre l'humanité qui y ont été commis. L'Europe doit leur laisser entrevoir un avenir européen, tout en étant exigeante sur la nécessité d'une paix entre les États et entre les peuples.
Je rappelle enfin que la France apporte son soutien au Partenariat sud.
Les négociations sur les prochaines perspectives financières débutent. Tout ce que je peux dire, c'est que la France n'acceptera pas qu'elles ne prévoient pas la stabilité du budget de la politique agricole commune (PAC) et qu'elle demandera une expertise sur les autres budgets. La France considère que les propositions de la Commission sont trop chères ; on ne peut pas à la fois exiger des États membres des sacrifices budgétaires et prévoir des augmentations de l'ordre de 9 % sur certains dispositifs européens. Il ne s'agit pas de dépenser davantage, mais de dépenser mieux.
Par ailleurs, il convient de remanier les fonds structurels. Ayons le courage de tirer la leçon de la crise grecque : le versement accéléré des fonds structurels n'a pas empêché la Grèce de se trouver dans une situation économique extrêmement fragile. Il faut se donner les moyens d'imposer aux États bénéficiaires tout à la fois une discipline budgétaire et une orientation des crédits vers la croissance et vers l'emploi.
Le Programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) est une de nos préoccupations, à Bruno Le Maire et à moi-même : le Président de la République et le Premier ministre nous ont donné la mission de faire aboutir ce dossier, d'une façon ou d'une autre.
Quant à la politique de sécurité et de défense commune, c'est aussi un de nos objectifs. Même si nous nous heurtons actuellement à une opposition britannique, nous n'y renoncerons pas.
La crise actuelle est le passage entre un monde qui s'achève et un monde qui se construit. L'Europe doit désormais se construire différemment. Elle doit respecter ses frontières, être attachée à l'espace Schengen tout en affirmant le droit des peuples à faire respecter l'ordre public. Elle doit parler ouvertement aux pays qui sont encore loin de la démocratie, tout en étant extrêmement exigeante en matière de droits de l'homme. Elle doit défendre une certaine idée de la culture et de la civilisation, tout en se protégeant et en protégeant les peuples. Dans les échanges commerciaux, la réciprocité doit s'imposer ; nous ne pouvons plus tolérer que certains ne respectent pas les règles sociales et environnementales en vigueur sur le marché européen, et que la réciprocité ne s'applique pas. L'Europe a des frontières, elle parle au monde au travers de ces frontières, et elle demande à ceux qui veulent entrer de respecter ses règles intérieures. Je vous incite à relire ce que Claude Levi-Strauss a écrit sur l'altérité et l'identité, ainsi que l'éloge des frontières par Régis Debray. Il faut franchir cette étape politique indispensable.
Notre commission a émis, le mardi 27 septembre, un avis négatif sur la proposition de règlement relative à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. Quelle est sur ce sujet la position de nos partenaires de l'espace Schengen ?
La Finlande et les Pays-Bas viennent d'opposer leur veto à l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen. Que va-t-il se passer maintenant ? Comment se déroulent les négociations ?
Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué les dangers que sont la montée du populisme et le développement de l'euroscepticisme. S'il est une question à laquelle sont sensibles les opinions publiques, c'est bien l'aide alimentaire aux plus démunis. Il est scandaleux que l'on ne puisse pas trouver d'accord sur le sujet ! Six États membres s'opposent toujours à la prolongation du PEAD. Quelle action la France entend-elle mener pour les convaincre ?
S'agissant des partenariats orientaux, il est un pays dont on ne parle plus beaucoup, en dépit de sa position géostratégique essentielle, de sa bonne santé économique –avec une croissance de 7 à 8 % – et de sa stabilité politique – puisque son Premier ministre a été reconduit : il s'agit de la Turquie. Comment voyez-vous évoluer nos relations avec elle ?
Hier, devant cette même commission, j'ai présenté avec quatre de mes collègues un rapport sur le G 20, qui mettait l'accent sur l'importance de l'agriculture, et je voudrais évoquer plus précisément la viticulture. Une directive européenne tend à supprimer les droits de plantation, pourtant indispensables si l'on veut conserver la viticulture telle qu'on la connaît. Une dérégulation mettrait en danger les exploitations familiales, qui contribuent à la diversité, à la richesse, à la spécificité et à la qualité de la viticulture française.
Par ailleurs, les viticulteurs de la région Languedoc-Roussillon, qui ont réussi une révolution qualitative extraordinaire, se trouvent confrontés à un grave problème : celui du stress hydrique ; le manque d'eau menace d'altérer les composantes du rendement, de bloquer la maturation et de réduire les récoltes à cause de la déshydratation des baies. En d'autres termes, on risque de perdre en qualité et en compétitivité. Pour l'éviter, il faudrait organiser une irrigation respectueuse, développer une agriculture raisonnée et aménager notre environnement, grâce notamment à des systèmes d'irrigation goutte-à-goutte et des retenues collinaires.
Ces deux dossiers dépendent de l'Europe. Pour les droits de plantation, il s'agit d'une question de réglementation ; nous attendons que d'autres pays rejoignent les douze qui ont déjà décidé d'apporter leur soutien à une demande de maintien de la réglementation en vigueur. Pour ce qui est de l'irrigation, nous souhaitons un cofinancement, ce qui suppose une évolution réglementaire du programme de développement rural hexagonal (PDRH) pour pouvoir bénéficier des crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).
Entendez-vous mener une action afin de favoriser notre économie viticole et nos territoires ?
Je suis d'accord avec mon collègue : ça ne coûterait rien, mais ça pourrait rapporter gros ! Si l'on maintient la réglementation prévue par l'organisation commune des marchés en 2008, la superficie du vignoble français va doubler, nos grandes appellations vont perdre en notoriété, et ce seront surtout les petites exploitations qui seront touchées, puisque les grands groupes, qui possèdent des vignobles dans le monde entier, n'ont pas besoin du nom d'appellation pour se faire connaître. Bref, les conséquences seront dramatiques.
On enregistre des avancées significatives, puisque le Parlement européen a d'ores et déjà voté en faveur du maintien des droits de plantation. Il s'agit maintenant de convaincre les ministres de l'agriculture. Nous avons fait part de nos préoccupations à Bruno Le Maire. J'ai rencontré, la semaine dernière, des députés polonais, qui vont demander à leur ministre de changer d'attitude. Treize États membres ont signé la demande de réorientation de la réforme viticole ; cependant, nous ne disposons pas encore de la majorité. Nous espérons le ralliement de certains pays consommateurs.
La suppression des droits est fixée au 1er janvier 2016, c'est-à-dire à demain. Les jeunes n'osent plus se lancer dans la viticulture ; les entreprises ne veulent plus investir. La France a beaucoup à perdre. Quelles actions diplomatiques allez-vous engager ?
Par ailleurs, l'Angleterre ne se manifeste pas beaucoup. Quelle est sa position sur la crise actuelle ?
Enfin, pouvez-vous nous préciser le montant, par habitant, de la contribution française au budget de l'Union européenne ?
Le programme Galileo – le GPS européen – rencontre des difficultés, tant financières que technologiques. Comment le mener à bien, étant entendu qu'il est plus performant que le GPS américain et que l'Inde, la Chine et la Russie poussent également les feux ?
L'Union européenne a toujours pris les devants en matière de changement climatique. Jérôme Lambert et moi-même nous nous posons des questions sur la manière dont est préparée la conférence de Durban, qui s'ouvrira le 28 novembre prochain. Comment l'Union européenne abordera-t-elle ce rendez-vous ? Sera-t-elle unie ? Quelles propositions compte-t-elle faire ?
Avec le président de la Commission des affaires européennes du Bundestag, Gunther Krichbaum, je suis allé en Croatie apporter le soutien des parlementaires français et allemands à l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne. La Croatie a déjà fait beaucoup d'efforts en ce sens. Où en est le processus d'adhésion ?
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre : l'Europe a toujours avancé par crises. La crise actuelle développe certes l'euroscepticisme, mais c'est aussi l'occasion d'améliorer la gouvernance économique et l'intégration budgétaire, fiscale et économique européennes. A cet égard, il ne faut pas hésiter à s'affranchir de certaines règles trop lourdes, car la gestion de la crise exige réactivité et rapidité de décision ; ainsi, lors de la crise de 2008, le Président de la République n'avait pas hésité à réunir l'Eurogroupe, non seulement au niveau des ministres des finances, mais à celui des chefs d'État et de gouvernement – en y invitant le Premier ministre britannique. Dans les deux domaines précités, quels progrès attendez-vous ?
La France préside à la fois le G 8 et le G 20. Le sommet qui aura lieu dans un mois à Cannes suscite de grandes attentes. Des résultats concrets sont attendus. Qu'en espérez-vous ?
Monsieur Quentin, la France et l'Allemagne avaient proposé à la Roumanie et à la Bulgarie une entrée dans l'espace Schengen en deux étapes : une première étape aérienne et maritime ; une deuxième étape terrestre – on avait eu du mal à leur faire comprendre que l'on ne voulait pas fixer de calendrier précis pour la deuxième étape, compte tenu du fait que l'on souhaitait disposer d'un certain nombre d'éléments de surveillance. Les éléments que nous avions en notre possession faisaient apparaître des efforts importants de la part de ces deux pays en matière de lutte contre la corruption et d'accès à la démocratie, ainsi qu'une participation des policiers roumains à la gestion des flux migratoires. Je précise à ce sujet que, contrairement à ce que d'aucuns pourraient croire, il n'existe aucune relation entre l'appartenance à l'espace Schengen et le volume des flux migratoires.
Les Pays-Bas et la Finlande ont opposé leur veto à une intégration de la Roumanie et de la Bulgarie à l'espace Schengen. J'ai essayé, avec mes homologues bulgare et roumain, de proposer une solution intermédiaire à nos partenaires néerlandais, mais ceux-ci l'ont refusée.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est fort délicate. On a déjà demandé beaucoup d'efforts à la Roumanie et à la Bulgarie ; certes, ils doivent encore en faire, mais il me semble dangereux de laisser sans échéances et sans objectifs des pays qui n'ont accédé que récemment à la démocratie, et où le retour à des conceptions antieuropéennes est toujours possible.
La France, en concertation avec les Allemands, a fait ce qu'elle devait faire. La présidence polonaise avait accepté le principe d'une double étape. La question sera probablement évoquée au prochain Conseil européen, ce qui n'est pas une bonne chose car cela risque de polluer l'ensemble de la réunion.
Pourtant, ces deux pays adhèrent depuis déjà plusieurs mois au système d'information Schengen, dans le cadre du processus d'adhésion : voilà qui est paradoxal !
Nous estimons quant à nous que la Roumanie et la Bulgarie ont vocation à entrer dans l'espace Schengen, et que ce serait même un élément de sécurité et de contrôle. Il reste que notre proposition intermédiaire a été refusée. Nous sommes donc en train de réfléchir aux suites à donner à ce dossier.
Schengen est un acquis majeur. Il n'est pas question de revenir dessus. En revanche, les questions d'ordre public sont une compétence nationale, que l'on ne peut pas communautariser ; le Gouvernement français considère qu'une remise en cause du droit des nations à évaluer les atteintes à l'ordre public n'est pas acceptable.
Des situations exceptionnelles peuvent être provoquées par des flux migratoires, soit en raison de leur importance, soit en raison d'un risque de déstabilisation ; nous demandons donc qu'il y ait une clause de sauvegarde, et qu'elle soit entérinée.
La France a été confrontée à un flux migratoire de Tunisiens en provenance d'Italie, pays qui avait, pendant un certain temps, accordé des visas provisoires et qui n'avait pas été capable d'établir un contrôle à la périphérie. Il eût été logique de pouvoir renvoyer ces gens en Italie. Comme cela n'a pas été possible, nous avons rétabli provisoirement le contrôle aux frontières. Cela n'a rien à voir avec ce qui s'était produit au Danemark sous le précédent gouvernement, lorsque le contrôle aux frontières avait été rétabli sans que l'on se trouve dans une situation exceptionnelle.
Nous sommes favorables à l'espace Schengen, mais aussi au renforcement des frontières extérieures. Il faut qu'avec l'appui de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (Frontex), on aide les pays qui, comme la Pologne ou la Grèce, ont du mal à contrôler les frontières extérieures. Mais, quand on aboutit à un constat d'échec, il faut pouvoir faire jouer la clause de sauvegarde et la « double coque ».
Il faut donc distinguer les situations exceptionnelles, pour lesquelles des mesures d'ordre public s'imposent, et les problèmes chroniques, qui nécessitent aide, surveillance, rappels à l'ordre et, éventuellement, sanctions. Sur ce point, la proposition de résolution présentée par M. Quentin est conforme à la position du Gouvernement français, qui est elle-même soutenue par le Conseil européen.
Monsieur Deflesselles, les grands projets européens emblématiques, comme GEMS, Galileo ou ITER, ne sont pas inclus dans les perspectives financières. La France juge cela inacceptable. Peut-être s'agit-il d'un artifice de négociation, destiné à obtenir une forte augmentation du budget européen sous peine de l'abandon des grands projets ; une telle présentation nous paraît intolérable.
La conférence de Durban s'inscrit dans le droit fil du protocole de Kyoto. On doit y prendre des décisions importantes. La France est le promoteur du mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne, que d'aucuns présentent comme une mesure protectionniste, alors qu'il s'agit simplement de faire respecter l'environnement. La difficulté est de conclure des accords bilatéraux. L'Europe doit prendre les initiatives nécessaires pour poursuivre ce qui a été fait sous l'impulsion française et capitaliser les résultats de la conférence de Cancún.
J'en profite pour féliciter Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert pour leur engagement dans ce domaine. Si l'Europe parvenait à imposer une mesure qui se heurte actuellement à la réticence de la Chine et des États-Unis, ce serait très bénéfique pour son image. Continuons donc à nous battre en ce sens, tout en maintenant nos objectifs de réduction de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre et d'augmentation de 20 % de notre efficacité énergétique.
S'agissant de l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans, je dois me rendre dans les deux prochains jours, avec le président Lequiller, en Croatie et en Serbie. Nous transmettrons à la Croatie le message livré par Michel Herbillon : c'est le résultat d'une démarche exigeante et efficace, qui a été pilotée en grande partie par le couple franco-allemand. Le processus d'adhésion a débuté il y a presque dix ans, et c'est en raison des perspectives européennes que de si grands progrès ont été enregistrés dans ce pays.
Nous dirons par ailleurs à nos amis serbes qu'ils ont également vocation à entrer dans l'Union européenne, sans que cela ne s'accompagne d'aucun diktat. En revanche, une démarche d'adhésion suppose que l'on ait fait la paix avec ses voisins. Ne multiplions pas les situations de conflit, comme à Chypre ; il faut au contraire jouer sur l'attractivité de l'adhésion à l'Union européenne pour aider ces pays à faire progresser la démocratie et l'état de droit et à apaiser leurs relations avec leurs voisins.
Le PEAD consistait à récupérer les surplus de la politique agricole commune (PAC) pour les donner aux plus démunis. Son fonctionnement s'est avéré satisfaisant jusqu'au jour où, faute de surplus, il a fallu acheter directement des produits alimentaires : dès lors, il ne s'agissait plus d'une action communautaire. L'affaire ayant été portée devant les tribunaux, la sanction est tombée.
En la matière, la situation des Etats membres est très disparate ; en Allemagne, l'aide aux plus démunis relève ainsi de la responsabilité des länder. Les retours financiers sont relativement faibles : ils sont, pour la France, de l'ordre de 60 à 70 millions d'euros. Néanmoins, je considère qu'il s'agit d'un mauvais coup porté à l'image de l'Europe.
La solution la plus simple serait de nationaliser les politiques d'aide aux plus démunis. Budgétairement, il s'agirait pour la France d'une opération neutre. Il serait toutefois aisé de caricaturer les choses, et d'affirmer que l'Europe accepte de verser des milliards aux banques en difficulté, mais refuse d'aider les pauvres. C'est pourquoi Bruno Le Maire et moi-même essayons de lever la minorité de blocage, en proposant d'utiliser deux budgets différents, un pour la PAC, l'autre pour la solidarité ; malheureusement, cela semble mal engagé. Avec beaucoup d'intelligence, Bruno Le Maire n'a pas fait acter le refus et la décision a été renvoyée au Conseil du 20 octobre. D'ici là, nous allons activer notre diplomatie.
Une pérennisation du PEAD ne poserait aucun problème au budget européen, puisque la ligne budgétaire existe. Mes homologues allemand et tchèque semblent prêts à accepter un régime transitoire pour les deux ans qui nous séparent des perspectives financières 2014-2020, sous réserve que ce ne soit pas en contradiction avec l'arrêt de la cour de Karlsruhe. Soyez en tout cas assurés de notre détermination sur ce dossier.
Quant au Royaume-Uni, il fait partie de la minorité de blocage.
Robert Lecou et Philippe Armand Martin m'ont interrogé sur la politique européenne en matière de viticulture, notamment sur la suppression des droits de plantation et la réglementation de l'irrigation de la vigne. Nous souhaitons que celle-ci continue de relever du niveau national. Actuellement, en effet, l'irrigation de la vigne est régie par un décret qui, s'il l'encadre strictement, ne l'interdit pas. Un assouplissement de cette réglementation est envisageable. A l'occasion de la dernière modification du programme de développement rural pour l'hexagone, le Gouvernement a proposé à Bruxelles un nouveau dispositif de soutien aux infrastructures liées à l'évolution et l'adaptation du secteur agricole, qui répond exactement à la problématique du Languedoc-Roussillon. La Commission devrait nous donner sa réponse dans quelques jours et je pense pouvoir dire que nous devrions obtenir gain de cause.
La lettre adressée à la Commission par douze pays membres, dont la France, pour le maintien des droits de plantation au-delà de l'année 2015 devrait également obtenir une réponse positive.
S'agissant de l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, nous sommes dans la phase finale du processus : le traité d'adhésion doit être signé le 19 décembre, l'adhésion elle-même devant intervenir en juillet 2013. Bruxelles continuera d'exercer sa surveillance jusqu'à l'adhésion.
En ce qui concerne le G 20, notre préoccupation est double : que la présidence française soit l'occasion de lui imprimer une forte impulsion et que l'Union européenne y parle d'une même voix. Comme vous le savez, la France a souhaité que le G 20 ne se limite pas aux problématiques économiques et financières mais qu'il aborde également les questions sociales. Deuxièmement, pour être crédible, l'Europe doit proposer une réponse commune aux difficultés que nous traversons.
C'est aussi l'objectif des normes définies dans le cadre de Bâle III, telles que l'obligation pour les banques d'augmenter leurs fonds propres. Dès le premier semestre 2011, les banques françaises ont augmenté leurs fonds propres de dix milliards d'euros, ce qui correspond exactement à leur niveau d'exposition à la dette grecque. Il faut, à ce propos, rappeler à nos concitoyens que l'aide à la Grèce est, au-delà de l'obligation morale, de notre intérêt économique : un manque de solidarité vis-à-vis de la Grèce nous exposerait au risque d'un « effet domino », la crise de la dette souveraine s'étendant par contagion à l'Italie, à l'Espagne et à d'autres pays. Qu'on se rappelle que c'est le refus du gouvernement américain de venir au secours d'une banque qui est à l'origine de la crise financière mondiale.
En ce qui concerne la taxation des transactions financières, j'espère que le G 20 saura adopter une position ferme et claire. A défaut d'un accord des États-Unis, l'instauration de cette taxe au niveau européen constituerait un message très fort, celui d'une Europe nouvelle, plus juste et plus efficace. Une telle taxe serait en effet satisfaisante sur le plan moral, puisqu'elle frapperait la spéculation financière, à l'origine de la crise que nous traversons, épargnant l'économie réelle et le citoyen. Elle présenterait en outre les caractéristiques du bon impôt : un taux faible frappant une assiette large, garantie de stabilité et de rentabilité, même au cas où Londres s'exclurait du dispositif : ce n'est pas un taux de 0,05 % qui viderait les places financières européennes. J'espère en outre que le G 20 ne renverra pas à 2018 la mise en place de cette taxe, comme d'aucuns le proposent : un tel délai est une éternité pour les marchés financiers.
Il est à espérer aussi que l'Europe ne se contentera pas du Fonds européen de stabilité financière, mais qu'elle parviendra à mettre en place un dispositif plus puissant et plus réactif de gouvernance économique, propre à contrebalancer la fébrilité des marchés. Osons le mot : il faut désormais passer à une économie plus fédérale.
Il ne faut certes pas jeter le bébé avec l'eau du bain, ni casser le thermomètre lorsqu'on a la fièvre. Les agences de notation sont utiles, mais il faut reconnaître que, faute de critères objectifs, leur fiabilité laisse à désirer. Surtout, elles ne devraient pas stigmatiser des dirigeants démocratiquement élus, comme elles le font lorsqu'elles dégradent la note des États-Unis sous prétexte que les représentants démocrates et républicains ne sont pas parvenus à un accord. En démocratie, ce sont les peuples qui notent les dirigeants. On peut aussi leur reprocher leur manque de transparence, propice aux conflits d'intérêts.
C'est précisément parce qu'elles n'avaient pas prévu la crise de 2008 qu'elles en remettent aujourd'hui dans la sévérité.
Pour en revenir au G 20, la France a souhaité associer à ses décisions ceux des pays européens qui n'en étaient pas membres, notamment la Pologne, qui assure cette année la présidence de l'Union européenne.
En 2011, la France aura contribué au budget européen à hauteur de 18,5 milliards d'euros. Je voudrais profiter de l'occasion pour exprimer un avis personnel. L'impossibilité pour les parlementaires nationaux de négocier la contribution de leur pays au budget européen, ainsi que la garantie symétrique de recettes dont disposent les députés européens me semblent constituer une atteinte à la souveraineté du Parlement européen. Ne vaudrait-il pas mieux asseoir le budget européen sur un prélèvement européen, une taxation sur les transactions financières par exemple, qui permettrait au Parlement européen de ne plus dépendre des contributions nationales ? Un tel système présenterait un autre avantage : celui d'en finir avec l'éternel « I want my money back ». Il est temps de réfléchir aux moyens de rendre le budget européen plus efficace en matière de croissance et de création d'emplois. La cure de réalisme qui s'impose à nous doit être l'occasion de faire mieux avec autant.
Je voudrais adresser au cinquième ministre des affaires européennes en cinq ans tous nos voeux de réussite, sinon de longévité !
En ce qui concerne la Grèce, je partage votre analyse : l'Europe a les moyens de surmonter cette crise. Cependant de nombreuses incertitudes continuent à peser sur la réponse européenne et l'accord du 21 juillet ne les a pas dissipées. Ces doutes me semblent à l'origine du scepticisme des marchés, et il est à craindre que la situation ne se dégrade tant qu'on n'aura pas de certitude quant au montant de l'aide, à la capacité du Fonds de stabilité à faire face à cette crise, aux mécanismes qui seront mis en oeuvre – Fonds européen de stabilité ou Mécanisme européen de stabilité –, à la participation des banques et à leur solvabilité.
Je ne doute pas de la légitimité du rôle du couple franco-allemand dans la résolution de cette crise. Mais l'Allemagne est empêtrée dans un juridisme absurde : comment l'Europe entière peut-elle être ainsi suspendue aux arrêts incompréhensibles des pythies de Karlsruhe ? S'y ajoutent les divisions au sein de la coalition au pouvoir, certains souhaitant assumer un fédéralisme que les autres refusent. La France, quant à elle, est empêchée par ses problèmes économiques. Dans un tel contexte, et au vu de l'échec du processus intergouvernemental, le renforcement des institutions communautaires proposé par Barroso n'est pas irrecevable. C'est quand la Commission était forte que l'Europe a avancé. Il est vrai qu'on n'a pas tous les jours un Jacques Delors sous la main.
L'Europe a-t-elle engagé des recherches pour lutter contre l'esca, maladie extrêmement grave de la vigne ?
Ne pourrait-on pas mieux exploiter l'outil que constitue la Conférence des Organes Parlementaires Spécialisés dans les Affaires de l'Union des Parlements de l'Union Européenne, la COSAC ?
Je voudrais enfin rappeler l'importance du secteur des transports en Europe, qui mobilise deux cents milliards d'euros de fonds européens, pour le développement de l'économie.
L'incapacité des institutions communautaires à fournir une réponse satisfaisante à la crise prouve la nécessité de les faire évoluer. Pour ma part, j'avais déjà, dans ce lieu même, fait part de ma conviction que le traité constitutionnel devait être amendé. Je crois savoir que M. Van Rompuy a annoncé la tenue prochaine d'une conférence intergouvernementale dans cette perspective. Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ?
Deuxièmement, la France souhaite-t-elle que les questions de réciprocité et de loyauté des relations commerciales soient inscrites à l'ordre du jour du prochain sommet Union européenne-Chine ?
Je voudrais me faire l'écho de l'inquiétude que la crise grecque et ses conséquences éventuelles suscitent chez nos concitoyens. Le FMI vient d'appeler à renégocier le plan de sauvetage de la Grèce : quelle est la position de la France sur ce point ?
Étant donné l'opposition de certains États membres – je pense notamment à l'Irlande – au projet d'harmonisation de l'impôt sur les sociétés, ne faut-il pas envisager la solution de la coopération renforcée ? La condition de réunir au moins neuf États membres pour mettre en oeuvre cette procédure est-elle réalisable ? S'oriente-t-on vers une convergence franco-allemande en matière d'IS ? Pouvez-vous nous préciser la nature de la proposition de la Commission de taxe sur les transactions financières, notamment son assiette et son taux ?
La réforme du Pacte de stabilité prévue par le « paquet des six » prévoyait une modification du volet préventif du pacte selon une logique d'objectifs chiffrés. Celle-ci vous semble-t-elle avoir un sens aujourd'hui où la crise a mis en échec la logique purement comptable du pacte ?
Deuxièmement, que pensez-vous de l'absence de proposition européenne en matière de contrôle des flux financiers ?
Par ailleurs, dans l'hypothèse où le PEAD sera financé par le Fonds social européen (FSE), ne serait-il pas juste que celui-ci soit augmenté à proportion, afin d'éviter que la solidarité envers les pauvres ne se fasse au détriment des pauvres ?
S'agissant du PEAD, l'interrogation porte à la fois sur son avenir à long terme et à court terme. Le financement de ce programme à hauteur de 2,5 milliards d'euros, conformément à la proposition de la Commission, sera-t-il sanctuarisé dans le budget 2014-2020 ? Comment assurer son financement pour les années 2012 et 2013, alors que la situation réglementaire semble bloquée au niveau du Conseil européen ?
On peut envisager une inclusion du PEAD au FSE, à la condition que celui-ci soit abondé à due concurrence. Restera le problème de l'hétérogénéité des mécanismes d'aide alimentaire dans l'Union européenne. La solution la plus sécurisée serait de demander aux budgets nationaux de faire l'avance financière jusqu'à ce que le problème soit résolu, mais une telle solution a l'inconvénient de consacrer un recul de l'Europe dans ce domaine. En tout état de cause, nous poursuivons nos efforts pour préserver l'enveloppe de 500 millions d'euros durant la période de transition.
Je ne comprends pas ceux qui parlent de l'insuffisance du montant du Fonds européen de stabilité financière, quand les moyens du FMI sont à peine deux fois ceux du FESF. Si on adopte une telle logique, les réserves du fonds devraient couvrir l'ensemble des dettes souveraines de la zone euro ! Aujourd'hui seuls 10 % de ce montant ont été dépensés pour venir au secours de la Grèce, de l'Irlande ou du Portugal. Abonder encore le fonds serait même un mauvais signal lancé aux marchés. Il vaut mieux privilégier une démarche préventive, par exemple en intervenant sur les marchés secondaires ou en recapitalisant les banques en difficulté.
Le système bancaire français semble sécurisé. Alors que les normes de Bâle III n'entrent en application qu'en 2013, les banques françaises ont déjà remboursé les 60 milliards d'euros que l'État leur avait avancés à la suite de la faillite de Lehman Brothers, y ajoutant 2,8 milliards d'intérêts. De plus, elles ont augmenté leurs fonds propres de dix milliards d'euros en six mois, soit exactement le niveau de leur exposition à la dette grecque. Enfin elles ont subi le stress test avec succès. Cela ne nous dispense pas de réformer le système bancaire international, et c'est d'ailleurs un des sujets inscrits à l'ordre du jour du G 20.
Oui, l'Union européenne parlera de réciprocité à la Chine. Il ne s'agit pas de revenir au protectionnisme, mais de ne plus être naïf : est-il normal que le déficit de la balance commerciale de la zone euro avec ce pays s'élève à deux mille milliards d'euros en vingt ans ? Est-il normal que les partenaires commerciaux de l'Union européenne soient exemptés des règles strictes que celle-ci s'impose ? Ce n'est même plus une question de réciprocité, mais de loyauté des échanges commerciaux. Un marché unique de 500 millions de personnes constitue un formidable atout, à la condition que ses règles s'imposent aussi aux partenaires extérieurs.
J'ai cru comprendre, monsieur Caresche, que vous déploriez l'absence d'une personnalité comme Jacques Delors à la tête de la Commission : je ne peux que partager ce sentiment.
La convergence franco-allemande sur le plan social et fiscal est une obligation : on ne peut pas demander au peuple allemand d'être solidaire de peuples qui n'ont pas supporté les mêmes sacrifices que lui. Cela ne signifie pas qu'il faille porter l'âge de la retraite en France à soixante-sept ans. Aucun membre du Gouvernement ne l'a prétendu, et surtout pas le Premier ministre. Cela signifie simplement qu'aujourd'hui l'obligation de solidarité suppose une obligation symétrique de discipline.
Ce qui peut paraître relever d'un juridisme irritant aux yeux des Français, monsieur Caresche, n'est qu'une application normale du contrôle de constitutionnalité allemand. La cour de Karlsruhe a d'ailleurs rendu un arrêt très pro-européen.
Pitié, qu'on ne nous parle pas de renégociation du traité de Lisbonne ! Pensez-vous qu'il serait raisonnable, dans une situation de crise aggravée, de perdre encore trois ou quatre ans à renégocier et à soumettre au peuple français un nouveau projet de traité ?
Je pense que c'est tout à fait possible et que l'outil à notre disposition n'est pas si mauvais que ça. Il permet déjà d'avancer sans être bloqué par la règle de l'unanimité, de donner plus de pouvoir au Parlement, ou de créer des dispositifs d'adaptation tels que le Fonds européen de stabilité financière ou le Mécanisme européen de stabilité. Il s'agit surtout de convaincre les peuples français et allemand que cette solidarité européenne ne nous est pas imposée par les technocrates de Bruxelles, mais commandée par l'intérêt des peuples.
A propos de la COSAC, il faut rappeler que le traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs des Parlements et réaffirmé le principe de subsidiarité, dont le respect sera vérifié par la Cour de justice de l'Union européenne. La présidence polonaise a eu le grand mérite d'impliquer les parlements nationaux, à côté du Parlement européen, dans le débat sur les perspectives financières. On ne pourra pas faire évoluer l'Europe en excluant les parlements nationaux du processus.
L'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés est un des objectifs du projet d'Acte pour le marché unique préparé par Michel Barnier. Même si ce projet a été relancé par la Commission, les conditions d'une coopération renforcée en la matière ne sont pas réunies pour l'instant. Il faut espérer que l'initiative franco-allemande constituera un précédent susceptible d'entraîner d'autres États membres sur la voie d'une harmonisation de l'IS. Si on veut renforcer la solidarité européenne, il faudra bien aller dans ce sens : comment demander aux Français, soumis à un taux d'IS de 34 %, d'aider l'Irlande, où il est de 12,5 % ? Je précise que convergence ne veut pas dire similitude.
Quand vous opposez, monsieur Caresche, une France faible sur le plan économique à une Allemagne faible sur le plan politique, vous reconnaissez que la France est forte sur le plan politique. Pour avoir rencontré toutes les tendances politiques représentées au Bundestag, je savais que les députés sociaux-démocrates voteraient avec enthousiasme le renforcement du fonds européen de solidarité. Ce que Mme Merkel craignait, c'était d'avoir besoin des voix de l'opposition, dans la mesure où elle se serait retrouvée considérablement affaiblie dans une telle hypothèse. La chancelière étant désormais débarrassée de cette crainte, le dialogue franco-allemand peut reprendre. La leçon qu'il faut en tirer, c'est que tout ce qui renforce un des partenaires sur le plan politique renforce le couple franco-allemand.
Les transports sont en effet essentiels pour la constitution d'un marché intérieur, mais l'organisation de ce secteur reste très différente selon les États membres, en particulier celle du transport ferroviaire. Le Gouvernement français, comme la Commission européenne, travaille à améliorer l'efficacité du transport ferroviaire européen, ce qui ne peut que contribuer à la croissance européenne.
Je voudrais dire pour conclure que le choix n'est pas entre le statu quo et le retour en arrière : soit nous nous contentons de régler les problèmes de l'heure, soit nous franchissons une étape décisive, suivant l'impulsion donnée par le Président de la République. Aujourd'hui le monde, où l'interdépendance n'a jamais été aussi forte, bascule vers un autre modèle. Ces bouleversements nous imposent de modifier notre conception de l'Europe. La crise peut nous ouvrir de nouvelles perspectives en matière d'intégration européenne. Aujourd'hui, celle-ci n'est plus seulement une problématique d'eurocrates, mais un enjeu majeur pour nos concitoyens, pour leur vie quotidienne et l'idée qu'ils se font de la démocratie et de la liberté. Puissions-nous, durant la période éminemment électorale qui va s'ouvrir, conserver cela à l'esprit.
La séance est levée à 18 h 15