Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l'Agence nationale de la recherche, accompagnée de M. Philippe Freyssinet, responsable du département Énergie durable et environnement, et de M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité.
En 2008, l'ANR a fourni près de 30 % des financements des projets labellisés par les pôles de compétitivité. Pouvez-vous préciser la manière dont elle procède ?
L'ANR participe en effet largement au financement de la recherche des pôles, mais sans utiliser de mécanisme particulier. Elle lance des appels à projets, et les partenaires des pôles y répondent ; les projets qui lui sont soumis sont évalués suivant un mécanisme de peer review – évaluation par les pairs –, désormais certifié ISO 9001 et équivalent à celui qu'utilisent toutes les grandes agences dans le monde. Cela étant, lorsqu'un projet porté par des chercheurs – publics ou privés –, intéresse l'un des pôles, nous demandons aux porteurs du projet de solliciter de ce pôle une labellisation, confirmant qu'il correspond bien à sa stratégie ; mais cela ne change rien à notre mode d'évaluation. Notre taux de sélection moyen est de l'ordre de 25 %, soit un projet sur quatre. Si un projet que nous avons sélectionné est labellisé par un pôle, nous lui attribuons un bonus qui, depuis cette année, est de 7 % du montant des aides ; c'est notre seule action spécifique à l'égard des pôles. Cet abondement concrétise l'une des missions de l'ANR, qui est de rapprocher la recherche publique et la recherche privée. Cet argent va aux acteurs académiques, qui vont travailler à l'animation scientifique du pôle autour du projet, éventuellement faire venir des chercheurs étrangers, et travailler à la valorisation des résultats en allant voir des industriels. Ce dernier point est très important car on constate chez les chercheurs un déficit de sensibilité à la valorisation des résultats. Bref, le label donne droit à un petit plus qui aide les pôles à se construire sur le plan scientifique.
Pouvez-vous nous donner des chiffres sur l'aide apportée aux pôles de compétitivité par l'ANR ?
Quelque 6 000 projets sont soumis chaque année à l'ANR. Sur ce total, en 2008, il y a eu 1 135 projets labellisés, dont 234 ont été financés, impliquant 1 057 partenaires et représentant une aide de 170 millions d'euros.
Une quinzaine, mais à des niveaux très différents.
N'y a-t-il pas un détournement des pôles de compétitivité ? Certaines grandes entreprises ne les utilisent-elles pas pour déposer des dossiers alors que leurs activités de recherche et développement sont localisées ailleurs ?
Cela ne nous a pas été signalé.
Se tourner vers un pôle de compétitivité situé sur un autre territoire que son département de R&D me paraît être, pour l'entreprise, une source de complexité supplémentaire.
Le pôle reconnaît les entreprises filiales comme partenaires du territoire.
Que pensez-vous, avec le recul, du fonctionnement des pôles de compétitivité ? Est-ce un plus par rapport à la recherche académique ? Comment jugez-vous l'évaluation qui en a été faite ?
Comme je l'ai déjà indiqué, l'une des missions de l'ANR est de favoriser le partenariat public-privé. Or les pôles de compétitivité sont justement des creusets dans lesquels se regroupent certains grands groupes ou leurs filiales, des PME et des partenaires académiques. Ils poussent les acteurs de la recherche fondamentale à orienter leurs travaux vers les besoins industriels. Les réunions qu'ils organisent avec les différents acteurs du secteur – universités, grands centres de recherche – impulsent une dynamique très importante.
C'était vrai au début. Quand les pôles ont été créés, j'étais directeur scientifique de l'Institut français du pétrole. J'ai participé à ce titre à la création d'Axelera et de System@tic Paris Région. J'ai souligné à l'époque la présence trop faible des PME. La situation s'est bien améliorée depuis.
L'évaluation qui a été conduite sur les pôles de compétitivité est courageuse parce qu'elle n'a pas hésité à présenter des résultats contrastés. Elle rend compte de la réalité de la situation.
En quoi est-elle plus particulièrement courageuse ? Quels sont les points négatifs sur lesquels vous êtes d'accord ?
Cette évaluation comporte des points positifs et négatifs.
Elle est courageuse en ce sens qu'elle conduit à « revoir la copie » de structures qui ont reçu le label de pôle après l'appel à candidatures de 2005 mais qui n'ont pas réussi à « décoller ». Pour un pôle classé en catégorie 3, selon la terminologie de la DIACT, on doit revoir les contrats de performance et la stratégie au niveau du territoire pour, éventuellement, prolonger le label.
Par ailleurs, deux constats s'imposent.
Premièrement, une dynamique régionale s'est associée au dispositif national des pôles. Les projets collaboratifs sont aujourd'hui cofinancés de manière équilibrée entre l'échelon régional et l'échelon national.
Deuxièmement, les projets de pôle sont majoritairement des projets de recherche industrielle, mobilisant les trois composantes des pôles, à savoir l'entreprise, la recherche et la formation. Le même constat vaut pour les projets soumis à l'ANR, qui sont, pour les deux tiers, des projets de recherche industrielle.
L'ANR évalue les projets de pôle de la même manière que les autres, de façon transparente, ce qui conduit à un classement des pôles vis-à-vis des critères de sélection ANR.
Combien de temps faut-il compter entre le dépôt d'un dossier et la labellisation du projet ?
Le label est donné par le pôle pendant la période d'ouverture de l'appel à projets, plus éventuellement un mois.
Quant au délai de contractualisation, il est nécessairement inférieur à douze mois puisque l'ANR fonctionne par édition. Chaque année, elle ouvre de nouveaux appels à projets après avoir clos le budget précédent.
Selon le benchmark que nous avons réalisé sur l'ensemble des appels à projets, le délai minimum que nous avons réussi à atteindre est de six-sept mois. Il est très difficile de descendre en dessous car il faut au moins deux mois pour l'ouverture de l'appel à projets, deux mois pour la sélection par les pairs, un mois pour l'analyse financière des entreprises et l'étude des devis des porteurs de projet, et un mois pour la contractualisation.
À partir du moment où les contrats sont signés, le versement est très rapide. C'est un délai administratif, d'une semaine à quinze jours. Mais auparavant, il y a vraiment des délais incompressibles. Deux mois sont nécessaires aux porteurs de projet pour préparer leur réponse. Pour l'expertise – nous utilisons une expertise nationale et internationale –, deux mois sont également nécessaires car il faut le temps de trouver l'expert, le temps pour l'expert de réaliser son expertise et le temps pour nous de la restituer à notre commission des pairs.
Une comparaison avec nos homologues européens nous place parmi les agences qui ont les délais de procédure les plus rapides.
Ce délai figure dans les indicateurs de notre certification ISO 9001.
On dit que les pôles de compétitivité doivent servir à la fois l'aménagement du territoire, l'innovation, la politique industrielle. Selon vous, quelle est leur finalité ?
Les pôles de compétitivité sont, comme je l'ai déjà souligné, des creusets qui favorisent le contact entre les équipes académiques et l'industrie, et donc l'innovation industrielle. Trop de projets de recherche tombent, une fois la recherche finie, dans la death valley.... Les pôles sont un moteur pour aller plus vite vers l'innovation. Les grands pôles comme System@tic Paris Région, Axelera, le Pôle Mer PACA remplissent ce rôle.
La complexité des dossiers, le système de la propriété intellectuelle freinent-elles ces relations entre les instituts de recherche et les industriels ?
Oui, mais c'est un phénomène général. Il n'est pas lié aux pôles.
Il faudrait qu'il y ait des départements « propriété industrielle » à l'intérieur des universités, comme il en existe dans les établissements publics à caractère industriel et commercial.
Le directeur général de l'INSERM nous a fait remarquer ce matin que, si les CHU, les universités, les laboratoires déposent des brevets, l'industriel sera complètement dépassé.
Ce n'est pas du tout ainsi que la question se pose à mes yeux. Les académiques n'ont pas, la plupart du temps, toutes les compétences requises pour rédiger un brevet. Il faudrait qu'ils puissent bénéficier du soutien de services « brevet » dans les universités, les PRES – pôles de recherche et d'enseignement supérieur –, voire les pôles de compétitivité.
Je pense que les industriels aident les universitaires à écrire leur brevet et surtout à avoir le réflexe de se protéger. Les chercheurs académiques continuent aujourd'hui à publier avant même de s'être posé la question de savoir s'ils pouvaient ou non prendre un brevet. La proximité avec des industriels à travers des équipes mixtes public-privé devrait permettre de changer cela.
Elle a accès à une recherche en amont sur des questions spécifiques qui peuvent lui être utiles. Par exemple, s'il lui manque un matériau, elle osera, dans un pôle, aller voir l'équipe qui peut l'aider dans ce domaine. En cela, c'est vraiment pour elle un « service de proximité » très appréciable.
En ce qui concerne la propriété industrielle, la situation des petites entreprises est très difficile car cela coûte très cher de déposer un brevet et, surtout, de le maintenir.
C'est un frein financier tant pour les petites et très petites entreprises que pour certaines équipes universitaires.
Pour éviter que les délais dépassent douze mois, l'ANR a opté, dès le début, pour une organisation consistant à accepter le dépôt des projets tels quels et à imposer ensuite un délai de douze mois pour la signature de l'accord de consortium et le règlement des problèmes de propriété intellectuelle. Cette organisation fonctionne très bien et nous a permis d'engager 99,9 % de nos budgets. Contrairement à la Commission européenne qui impose un accord de consortium au début, ce qui peut être un frein au dépôt d'un projet par des PME, nous avons consenti à prendre un petit risque au départ, que nous contrôlons ensuite ; la perspective du versement de la seconde tranche nous assure la signature de l'accord de consortium dans les douze mois.
Pour les entreprises, le processus doit être le plus rapide possible. Quelles sont les solutions envisageables pour simplifier les dispositifs de financement ?
La position de l'ANR est en amont, puisque nous nous occupons de recherche. Derrière, il y a OSEO Innovation, avec lequel nous travaillons à établir un lien étroit, afin qu'il n'y ait pas de discontinuité et que des financements soient rapidement trouvés quand, un projet de recherche étant arrivé à terme, il faut transformer l'essai, passer aux prototypes et aller vers le marché. Nous avons rencontré des représentants d'OSEO Innovation plusieurs fois et nous souhaitons qu'ils soient présents lorsque nous ferons le bilan de nos appels à projets touchant à l'industrie – les premiers projets, en date de 2005, arrivant à terme en 2009 – afin de pouvoir éventuellement prendre le relais.
De l'extérieur, les financements publics paraissent complexes. Il est important de savoir qu'il existe une continuité entre l'ANR et OSEO.
Nous sommes en train de l'organiser, mais depuis sa création, l'ANR entretient avec OSEO des liens étroits. OSEO participe à nos comités et, pour notre part, nous nous rendons au CISI, le comité d'engagement du programme Innovation stratégique industrielle, qui a remplacé l'AII, l'Agence de l'innovation industrielle. Nous sommes organisés de la même manière qu'OSEO, avec le même découpage des départements scientifiques et techniques – santé, énergie, sciences et technologies de l'information et de la communication – et nos responsables de département travaillent ensemble. Nous avons une bonne connaissance mutuelle de nos activités respectives. Ce qui nous paraît très important, c'est d'organiser, à partir des résultats de projets de l'ANR, le passage de relais à OSEO.
L'ANR dispose d'un autre mécanisme : les appels à projets Émergence, limités à deux ans, au lieu de trois ou quatre pour les projets de recherche standards. Ils concernent des projets qui ont donné de bons résultats mais qui nécessitent, avant de pouvoir être regardés par un industriel comme vraiment intéressants, de la maturation et un complément de tests et d'études, l'équipe de recherche et l'équipe de valorisation travaillant ensemble.
Nous avons appliqué ce mécanisme dans le domaine des biotechnologies et il a bien fonctionné. Le premier appel Émergence, lancé en 2005, a donné lieu à la création de sept start-up, dont plusieurs ont réussi au concours innovation d'entreprise d'OSEO, qui prend donc maintenant le relais. Nous n'en sommes qu'au stade de la mise en place du système, puisque l'ANR arrive juste au terme de sa première vague de projets, mais il est fondamental.
Nous organisons une fois par an un grand séminaire réunissant des patrons de pôle. Au cours de cette journée « pôles », nous faisons le bilan des domaines où ils ont été très bons et de ceux où ils l'ont été moins, et nous organisons des ateliers par domaine afin de connaître leurs besoins de recherche.
Nous observons, les années passant, une maturation dans les stratégies scientifiques et techniques et la création de véritables dynamiques. Cela étant, comme le rapport d'évaluation l'a mis en évidence, les situations sont très hétérogènes.
À ce propos, comment expliquez-vous que 85 % du financement public soit concentré sur une quinzaine de pôles de compétitivité ?
Sans doute est-ce parce que ces quinze pôles sont capables de présenter de meilleurs projets, ont une gouvernance plus mature, des stratégies plus claires et travaillent dans des domaines plus émergents. L'ANR aboutit au même classement des pôles que celui qu'a fait apparaître l'évaluation.
Le PRES pourrait homogénéiser l'action des équipes académiques, le système français étant caractérisé par la présence d'opérateurs multiples ayant des statuts différents. Je pense qu'il serait bon pour la gouvernance du pôle d'avoir affaire à un patron de PRES qui représente ces équipes.
C'est là un problème qui n'est pas lié aux pôles de compétitivité, mais à notre système de recherche.
Quels sont vos rapports avec les organismes de recherche qui sont impliqués dans des pôles de compétitivité ?
Ce sont les mêmes qu'avec les organismes de recherche en général. Nous entretenons avec eux une collaboration extrêmement étroite. L'ANR compte cinquante-cinq scientifiques ; mis à part cinq ou six qui, comme moi, y travaillent à temps plein, ils consacrent à l'agence 30 à 40 % de leur temps et passent le reste dans leurs laboratoires. C'est par exemple le cas de M. Freyssinet, qui vient du BRGM.
Y a-t-il un rapprochement de la programmation entre l'ANR et les organismes de recherche ?
Il y a toujours eu une grande proximité entre les deux.
Au départ, les organismes de recherche faisaient partie du conseil d'administration de l'ANR.
Ils n'y sont restés qu'un an. Quand l'ANR est devenue un établissement public à caractère administratif – un EPA – , ils ont été remplacés par des personnalités qualifiées. Mais le décret qui a institué l'EPA a doté l'ANR de comités sectoriels pour gérer la programmation, et chaque organisme de recherche est présent dans le comité de son domaine – un pour les STIC, un pour l'énergie, un autre pour la santé, un autre sur les écosystèmes.
À votre avis, les pôles de compétitivité permettent-ils vraiment de créer une synergie entre innovation, politique industrielle et aménagement du territoire ? N'y a-t-il pas une contradiction entre l'innovation et l'aménagement du territoire, ce qui expliquerait qu'il n'y ait que quinze pôles qui émergent en matière d'innovation, les autres se consacrant davantage à l'aménagement du territoire ?
Il y a de grandes différences de maturité entre les pôles. Certains se sont créés à partir de structures encore jeunes et inabouties, tandis que d'autres, comme System@tic Paris Région qui s'est appuyé sur Thales et tous les champions de l'informatique en Ile-de-France, n'ont eu aucun mal à démarrer. En regardant la courbe d'apprentissage des pôles, on voit que certains évoluent vers l'innovation et que d'autres restent repliés sur leur territoire. Certains nous demandent actuellement de les aider à se tourner vers l'international.
Pensez-vous que certains ont atteint la taille critique leur permettant de rivaliser avec des pôles internationaux ?
La concentration des financements sur quinze pôles ne repose pas tant sur un critère de qualité que sur un critère de quantité ou de taille critique. Les quinze premiers pôles sont ceux qui ont les plus hauts niveaux d'activité économique, de recherche ou d'innovation. Leur offre de recherche est beaucoup plus importante que celle des autres.
L'objectif de 30 % de projets consacrés au développement durable s'applique-t-il aussi à l'ANR ?
Grâce à nos comités sectoriels, notre programmation thématique a été dès le début très largement tournée vers le développement durable. Le décompte réalisé au moment du Grenelle de l'environnement montrait que cela représentait 45 % de notre activité.
Pour résumer, l'intérêt des pôles est de rapprocher la recherche académique et la recherche-développement. Pour vous, c'est un acquis.
Non, ce n'est pas un acquis, mais les pôles de compétitivité encouragent cette dynamique ; ils peuvent nous aider à résoudre ce mal français qu'est la séparation entre les deux.
Au vu de l'audit, quelles priorités doit-on donner aux pôles pour qu'ils s'améliorent et se renforcent ?
Premièrement, il faut obtenir de ceux à qui on a dit de revoir leur copie qu'ils définissent une stratégie claire, ayant une chance d'aboutir et de leur donner une visibilité. Un certain nombre de pôles sont, en effet, en dessous du niveau.
Deuxièmement, il faut considérer le problème de taille et réfléchir, comme le propose la commission, au regroupement de certains pôles.
Troisièmement, le rayonnement des pôles à l'international doit être favorisé.
L'ANR a une action internationale importante depuis 2006. En 2008, nous avons consacré 5 % de nos financements à des projets transnationaux réunissant une équipe française et une équipe internationale, chaque pays finançant son équipe. En créant l'ANR, la France s'est en effet dotée d'une agence équivalente à celles qui existent dans tous les grands pays de recherche, travaillant suivant le même mécanisme de sélection par les pairs. Il est donc facile pour nous de passer un accord avec l'agence d'un autre grand pays afin de lancer un appel à projets commun pour des projets transnationaux. La NSF – National Science Foundation – en Grande-Bretagne ou la DFG – Deutsche Forschungsgemeinschaft – en Allemagne consacrent 8 % de leurs financements à de tels projets. Nous sommes donc sur la bonne voie, et nous pouvons très bien aider les pôles à monter des projets transnationaux, comme ils en ont formulé la demande lors de notre dernière réunion.
Cela ne conduit-il pas à avoir deux types de pôles : ceux qui répondent à un problème d'aménagement du territoire et ceux qui organisent une recherche en collaboration ? Les PME, en ce qui les concerne, nous disent se méfier de la collaboration avec une grande entreprise et préférer l'outil du crédit d'impôt recherche.
Nous avons besoin de plusieurs mécanismes, permettant de faire de l'innovation à différentes échelles, mais nous avons notamment besoin de grands pôles qui rayonnent à l'international et nous positionnent au niveau européen. C'est aussi l'idée de la LRU. Dans le domaine des nanotechnologies, tout le monde à l'étranger connaît Grenoble. On parle certes des grands pays de recherche, mais également des grandes équipes.
La crise a-t-elle un impact sur l'activité et le financement des pôles ?
Quel sera, selon vous, l'impact de la baisse des dotations de l'État en faveur de la politique des pôles de compétitivité sur la période 2009-2011 ?
Il est trop tôt pour dire si la crise a un impact sur la recherche. Nous avons observé des fluctuations, mais les demandes de financement restent à un niveau très élevé.
Dans le domaine qui me concerne, celui de l'énergie durable et de l'environnement, les situations sont très contrastées et dépendent des secteurs et des stratégies d'entreprise. Certains groupes, comme Lafarge, font des coupes dans leurs dépenses de R&D pour des raisons financières, et renoncent même sur leur part de fonds propres. D'autres, au contraire, profitent de la baisse momentanée de la production pour faire travailler leurs équipes d'ingénieurs sur l'innovation et la R&D.
Les industriels continuent à venir dans nos comités sectoriels pour bénéficier de la dynamique scientifique, et continuent à participer – puisque nous voulons une évaluation mixte – à l'évaluation des projets.
Que vous inspire le fait que, en termes de financement, la recherche fondamentale ait progressivement pris le pas sur la recherche industrielle ?
La recherche fondamentale a progressé, mais elle n'a pas pris le pas sur la recherche industrielle, qui reste largement majoritaire.
Elle est en effet passée de 70 à 63 % en trois ans. Cette évolution peut être considérée comme un signe positif car au début, l'ANR a dû convaincre les pôles de compétitivité que leur rôle ne se limitait pas au développement économique du territoire mais s'étendait à la R&D, et les inviter à répondre aux appels à projets nationaux. Petit à petit, ils ont consolidé leurs stratégies scientifiques, qui sont maintenant très élaborées.
Une personne travaillant dans un laboratoire de recherche peut-elle être tentée de quitter la recherche fondamentale pour se plonger dans l'environnement industriel d'un pôle ? Est-ce envisageable ? Y a-t-il eu des expériences ?
Les pôles de compétitivité sont des structures associatives composées de sept ou huit personnes qui ne représentent qu'elles-mêmes. Ils jouent un rôle d'animateur, mais ce ne sont pas eux qui font l'activité. Les créateurs de richesses, ce sont les membres des pôles. En revanche, il peut y avoir parmi ceux-ci des transferts. Par exemple, une start-up issue d'une université peut être hébergée et agrandie par un grand groupe ou une PME. Le pôle a alors une fonction d'incubation.
Ne peut-on imaginer que des chercheurs se déplacent dans des grands pôles pour une période de trois, quatre ou cinq ans, ce qui doperait l'activité de recherche de ces pôles ?
C'est une évolution que l'on peut souhaiter dans le futur, mais ce n'est pas le cas actuellement.
C'est un modèle qui existe dans d'autres pays. En Tunisie, par exemple, les pôles ont des structures d'hébergement, d'incubation, de couveuse. La France a préféré avoir des structures associatives très légères et très dynamiques, sans bâtiments ni centres de formation, parce qu'il existe déjà des incubateurs, des dispositifs d'essaimage et de création de start-up financés par OSEO.
On peut imaginer des mouvements dans les deux sens. Comme on a besoin de moyens industriels différents pour accompagner chaque recherche, il faut utiliser l'outil le plus proche de la problématique.
Dans les gros pôles, c'est envisageable.
Elle n'a pas vocation à les financer directement. En revanche, elle finance l'utilisation d'équipements requise par un projet : elle paie le fonctionnement de la plateforme, en tant qu'outil du projet, pendant la durée nécessaire.
Parmi les possibilités d'amélioration des pôles, je veux insister sur l'importance des associations permettant d'atteindre une taille critique. Cela a permis de grands succès, notamment dans le domaine de l'automobile : à partir des premiers dossiers qui avaient été déposés en Normandie et en Ile-de-France, Normandy Motor Valley et Vestapolis, s'est finalement formé MOV'EO ; et des discussions sont en cours pour une fusion avec le pôle MTA – Mobilité et Transports avancés –, situé sur le territoire de Poitou-Charentes. Vu de Tokyo, il est évident qu'on ne va pas faire la différence entre Poitiers et Versailles Satory dans le domaine de l'électromobilité ; partager la même plateforme de test de véhicules hybrides sur le plateau de Saclay a vraiment du sens.
Nous considérons que le dispositif des pôles a créé une nouvelle dynamique, et la synergie avec l'ANR est bonne. Cela nous a vraiment aidés à développer nos appels à projets partenariaux.
L'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur participe-t-elle à l'évaluation des pôles ?
L'AERES n'a pas participé à l'évaluation du Boston Consulting Group. Elle est spécialisée dans l'évaluation des instituts alors que les pôles, structures associatives, sont des sommes d'instituts.
À notre avis le dispositif des pôles est bien conçu et répond à un besoin. En revanche le nombre des pôles – 71 – est trop élevé ; il faudrait procéder à des regroupements et garder ceux qui sont vraiment capables de conduire une politique scientifique et technique et de promouvoir l'innovation.
Dans ce cas, il faut revoir leur dimension d'aménagement du territoire – car on peut imaginer un pôle excellent établi entre trois grandes villes de France.
L'exemple de l'aéronautique est intéressant de ce point de vue. La présence d'ASTech Paris Région, de Pégase et d'AESE – Aéronautique, Espace et Systèmes embarqués – est un avantage au niveau territorial, mais ce qui importe au niveau international, c'est la coordination des trois territoires et la force qui en résulte pour la France en matière de R&D aéronautique. Il faut savoir jouer sur les deux plans.
Quand on fait le bilan de nos appels à projets au sein de nos comités sectoriels, on s'aperçoit que la force de proposition des pôles augmente et qu'ils sont beaucoup moins conservateurs que certains acteurs de recherche. Ils ont un effet très positif sur la dynamique globale de la recherche.
Les pôles de compétitivité sont très intéressés par nos bilans d'appels à projets, que nous faisons en province. Généralement, ce sont eux qui nous accueillent et s'occupent de la logistique. Pour nous, ce sont vraiment de bons partenaires.
Un mot encore sur les écotechnologies. L'ANR a depuis sa création plusieurs programmes dans ce domaine. À l'occasion du salon Polytech, nous avons réalisé un numéro spécial sur nos premiers résultats, dont nous allons vous laisser un exemplaire.