Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

Séance du 9 avril 2009 à 11h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • RMN
  • louvre
  • musée
  • musées nationaux
  • nationaux
  • versailles

La séance

Source

PermalienPhoto de Georges Tron

J'ai le plaisir d'accueillir maintenant M. Jean-Jacques Aillagon. Nous avons voulu entendre non seulement l'actuel président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles, mais aussi l'ancien ministre de la Culture qui, à ce titre, avait fait souffler un vent nouveau sur la politique française des musées. Plusieurs des grands axes de la stratégie du musée du Louvre reflètent d'ailleurs ce renouveau.

Le principe de la mission d'évaluation et de contrôle est qu'un libre dialogue s'instaure entre notre invité et les Rapporteurs de la mission. Je salue également la présence de deux représentants de la Cour des comptes, MM. Emmanuel Giannesini et Emmanuel Marcovitch.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Monsieur Aillagon, il y a quelques semaines, lors d'un entretien désormais célèbre donné au journal Le Monde, vous avez déclaré que la question de la suppression du ministère de la Culture pouvait se poser. Pouvez-vous préciser votre pensée ? En tant qu'ancien ministre chargé de ces questions, quel regard portez-vous sur l'évolution de la gestion des établissements publics, notamment de celui du Louvre ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

C'est évidemment par boutade que j'ai évoqué, dans cet entretien, l'hypothèse de la suppression du ministère de la Culture, dans la mesure où j'affirmais simultanément mon attachement au principe même d'une action culturelle significative de l'État – laquelle, additionnée à l'action considérable des collectivités locales, permet à nos concitoyens de bénéficier d'un large accès à la culture.

Si j'ai évoqué cette disparition, c'est parce que j'étais agacé de constater que, pour un grand nombre de nos concitoyens, l'action culturelle ne serait née qu'avec la création d'un ministère de la Culture, alors que la IIIe et la IVe Républiques, qui ne disposaient pas de cet instrument, avaient déjà mis en oeuvre des politiques significatives dans ce domaine.

Par ailleurs, je suis dubitatif face à l'adulation sans discernement qu'a fini par susciter ce portefeuille. La nomination d'un ministre de la Culture doit servir à mener une politique, et non à faire plaisir à la personne concernée, même si je comprends fort bien que cela puisse faire plaisir.

Je constate enfin que ce ministère, devenu politiquement très vulnérable, est trop souvent tenté de n'être que le relais de l'opinion des populations dont il a la charge plutôt que d'être en mesure de travailler en toute indépendance aux objectifs d'une action culturelle de l'État. Ainsi, la loi relative aux droits des créateurs dont les oeuvres sont diffusées sur Internet, dont vous avez récemment débattu, donne certes satisfaction aux artistes, inquiets du mépris qui pourrait frapper leurs droits légitimes. Mais elle restera cependant, à mes yeux, largement inapplicable. Comme toujours, les usages l'emporteront. Dès lors, n'aurait-il pas mieux valu promouvoir d'autres modes de rémunération du droit des auteurs ? Je n'évoque cet exemple que parce qu'il est symptomatique du besoin auquel ce ministère est sans cesse exposé de devoir donner aux artistes des gages de sa totale orthodoxie.

Bien sûr, une telle décision de supprimer le ministère de la Culture serait, politiquement, impossible à prendre, car perçue comme le signe d'un désengagement culturel de l'État. Elle constituerait un symbole fâcheux. Continuons donc à pourvoir le poste de ministre de la Culture, mais sans perdre de vue les objectifs qu'il doit viser en sachant faire preuve d'une nécessaire liberté.

J'en viens au Louvre, qui est l'objet même de votre réflexion. Ce très grand musée, l'un des plus grands du monde, bénéficie d'un regain d'énergie depuis que l'État a engagé en sa faveur la réalisation d'un grand projet immobilier, avant de le doter, par étapes successives, d'une réelle responsabilité et d'une réelle autonomie. J'ai connu l'époque où il existait une totale et intime cohabitation entre la direction des Musées de France, la Réunion des musées nationaux et le musée du Louvre : en effet, le directeur des musées de France, qui logeait au Louvre, était le patron de fait de la RMN, dont l'administrateur général avait un bureau voisin du sien.

L'émergence du Louvre comme institution culturelle singulière a été un phénomène culturel important. Elle s'est inscrite dans le mouvement plus général inauguré avec la création du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou. Le Musée national d'art moderne avait en effet bénéficié d'emblée d'une très large autonomie culturelle et d'une autonomie totale en matière d'acquisitions.

Depuis, le phénomène a gagné l'ensemble du paysage des musées nationaux, et j'ai tenu à l'étendre lors de mon passage rue de Valois. Les musées d'Orsay et Guimet sont ainsi devenus des établissements publics ; quant au musée du Quai Branly, il l'était dès sa création. Je pense qu'il aurait fallu pousser encore plus loin le processus, même si tous les musées nationaux ne disposent pas de la taille critique justifiant la création d'un établissement public spécifique.

La situation de Versailles est plus complexe, puisqu'il s'agit à la fois d'un musée et d'un monument. C'est pourquoi son statut d'établissement public, créé en 1995, reste un peu bancal et est appelé à évoluer.

La création d'établissements publics, l'émergence de la personnalité des grands musées, le développement de leurs activités, leur succès public – chacun connaît la fréquentation du Louvre, du musée d'Orsay, du Musée national d'art moderne ou de Versailles –, l'excellence de leur bilan culturel, tout cela finit par poser la question de leurs relations avec la Réunion des musées nationaux.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Justement : pourquoi n'avez-vous pas, dans cet entretien avec Le Monde, évoqué plutôt la suppression de la RMN, dont le fonctionnement suscite de nombreuses interrogations ? Ses apports sont-ils vraiment essentiels pour les musées nationaux, grands ou petits ? Par ailleurs, n'est-ce pas une mauvaise chose de condamner des établissements à avoir deux patrons ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Si je n'ai pas évoqué cette hypothèse, c'est parce je crois justement qu'il ne faut pas supprimer la Réunion des musées nationaux. Longtemps, la RMN a été un organe de mutualisation, prélevant sur les recettes des gros pour, en théorie, redistribuer des moyens aux petits. La revendication légitime des musées-établissements publics à maîtriser la totalité de leurs recettes met certes fin à ce rôle, mais il reste néanmoins un certain nombre de domaines où cette institution peut garder une utilité.

Le premier domaine est la gestion de la photothèque des musées nationaux. En effet, aucun musée, pas même le Louvre, n'a la taille critique nécessaire pour maîtriser de manière efficace la diffusion commerciale des clichés de ses collections. Rappelons que les musées ne sont pas propriétaires de ces dernières, ils ne font qu'en assurer la garde pour le compte de l'État.

Le deuxième est la gestion, l'administration et la programmation des Galeries nationales du Grand palais – à condition que les musées nationaux concourent à cette programmation, notamment par le prêt d'oeuvres dont ils ont la garde. Je regrette d'ailleurs qu'à l'occasion de la rénovation du Grand palais, l'État ne soit pas allé jusqu'au bout de sa logique et n'en ait pas profité pour rénover les Galeries nationales. Cet équipement, qui date de l'époque Malraux, est en effet vétuste et mal distribué. Il aurait fallu avoir le courage d'étudier le repositionnement des Galeries et du Palais de la découverte, et d'entreprendre un grand projet culturel global, quitte à le faire financer en partie par le concessionnaire auquel aurait été confiée l'exploitation de la nef. L'État a préféré renoncer à ce choix, en achevant rapidement les travaux de la seule grande nef. On a négligé le chauffage, la climatisation, l'installation de monte-charges ou d'aires de livraison – pour exploiter rapidement la nef sans se préoccuper du reste du bâtiment. La Réunion des musées nationaux aurait pourtant pu jouer là aussi un rôle spécifique. On a préféré susciter la création d'un nouvel établissement.

Un troisième domaine dans lequel la RMN aurait pu trouver une utilité – si l'État n'avait pris le parti contraire – est le développement de la politique internationale des musées nationaux. Alors que la RMN aurait pu assurer la gestion du projet de Louvre à Abou Dabi – ce qui aurait été dans le sens de la simplification –, le choix a été fait de créer une autre structure, l'Agence France Muséums.

Enfin, la RMN peut et doit rester un organe mis à la disposition des petits musées, nationaux ou locaux, qui n'ont pas nécessairement la capacité, faute des professionnels requis, à produire seuls des expositions. La grande différence est que la relation entre la RMN et les musées, longtemps marquée par l'obligation, serait désormais contractuelle. Si les deux partenaires se respectent, une telle relation peut permettre de bâtir des projets.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Pourquoi serait-il plus logique de confier le projet d'Abou Dabi à la RMN plutôt qu'au Louvre lui-même ? Le musée n'est-il pas le mieux placé pour piloter cette opération – notamment en ce qui concerne la négociation des contreparties ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

De deux choses l'une : soit on considérait qu'il appartenait au Louvre de mettre en oeuvre un tel projet, soit on estimait que l'État, propriétaire des collections, devait être le premier concerné. Dans ce dernier cas, plutôt que de créer un organisme supplémentaire, il aurait été préférable de confier le dossier à une institution existante – la RMN, en l'occurrence. Mais on a préféré échapper à cette alternative et créer l'Agence France Muséums.

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Je l'ignore. La décision a été prise après mon départ du ministère. Parfois, derrière la création d'une institution nouvelle, se niche la volonté de trouver des débouchés pour les gens qui en assureront la direction…

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Dans le cadre de ces auditions, nous avons entendu à plusieurs reprises des directeurs de musée parler de la grande misère des musées de France. À l'instant, Mme Baldassari, directrice du musée national Picasso, évoquait l'étranglement financier dans lequel se trouve son établissement, dont la fréquentation assure pourtant à la RMN des revenus non négligeables.

Dans un tel contexte, nous nous interrogeons sur la politique du ministère de la Culture en termes d'investissements et d'acquisitions. Ainsi, était-il opportun de créer un auditorium symphonique à Paris, alors que l'on dispose déjà de la Salle Pleyel ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Comme les autres politiques de l'État, les politiques culturelles peuvent être motivées par des convictions profondes et se traduire par des engagements de long terme, mais elles peuvent aussi chercher à satisfaire l'émotion du moment ou l'influence de certains. Ainsi, d'éminentes personnalités telles que Pierre Boulez mènent depuis longtemps campagne en faveur de la création d'un grand auditorium à Paris. Pour ma part, j'avais fait remarquer qu'un tel projet ne devait pas relever seulement de l'État. En France, on a fini par considérer qu'un équipement national devait nécessairement être parisien. La conséquence c'est qu'en province, la participation de l'État aux projets est souvent marginale en comparaison de celle des collectivités locales. De toute évidence, la création d'un auditorium à Paris servirait très largement à la satisfaction musicale des habitants de la région parisienne. Il était donc logique – et l'idée a d'ailleurs fini par s'imposer – que la ville de Paris et la région Île-de-France prennent leur part au financement de cet équipement.

Par ailleurs, en tant que ministre, j'ai toujours jugé plus sage de mobiliser les moyens pour permettre le développement des institutions existantes plutôt que d'en créer de nouvelles. C'est pourquoi j'avais résisté aux pressions en faveur de la construction d'un nouvel auditorium. Cependant, comme la vie musicale parisienne avait besoin d'un outil plus adapté, je m'étais engagé dans la voie d'une location à long terme de la Salle Pleyel, alors vacante. Depuis, j'ai appris que l'État envisageait de l'acheter. Il me semble qu'il aurait fallu choisir entre cette acquisition et la construction d'un auditorium. Il ne suffit pas de construire un équipement ; encore faut-il, ensuite, assurer la programmation. Or un plateau artistique, un orchestre, des voix, tout cela coûte très cher. On ne gagne pas d'argent avec une programmation ambitieuse de musique classique.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Vous avez dit que la RMN avait vocation à prendre une partie des recettes des grands musées pour la redistribuer aux petits. Mais les subventions attribuées par l'État aux différents établissements contribuent déjà à assurer un certain équilibre. À quoi sert cette double péréquation ? Ne pourrait-on pas imaginer que chaque établissement conserve ses recettes, les subventions servant à compenser la faiblesse des ressources dans les petits musées ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous parler de la réforme des ressources humaines telle qu'elle est appliquée au Louvre ? Jugez-vous nécessaire qu'un établissement comme celui de Versailles – ou d'autres musées nationaux – puisse gérer son propre personnel ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Cette péréquation mécanique a vocation à disparaître. Rappelons que le Musée national d'art moderne a été, dès la création du Centre Pompidou, dispensé d'y participer. Par la suite, la création de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles, en 1995, a rendu cette institution totalement maîtresse de ses recettes. Il en est de même des musées du Louvre, d'Orsay et Guimet depuis mon passage rue de Valois. Il me semblait en effet malsain de priver d'une partie de leurs recettes des établissements désireux de développer leurs activités. Ce n'est pas ainsi qu'on les inciterait à progresser.

La péréquation ne subsiste donc que pour les petits musées, dont les recettes de billetterie sont faibles. Je crois comme vous que les subventions de l'État doivent se concentrer de façon prioritaire sur les institutions isolées, ou sur celles dont les collections n'ont pas autant d'attrait que celles des grands musées nationaux. Cette fonction de solidarité doit être clairement distinguée de la maîtrise des recettes. Elle peut être assurée soit par un établissement fédérateur comme la RMN, soit par l'administration centrale. Ainsi, la direction des Musées de France développe un programme national destiné à subventionner des expositions d'intérêt national dans les musées relevant de collectivités locales.

À cet égard, la situation de Versailles est la plus claire, puisque l'établissement ne vit que de ses recettes propres – billetterie, locations, concessions, mécénat – et ne reçoit pas de subventions de fonctionnement. Cependant, pour la première fois, il recevra cette année une compensation pour la perte de recettes due à la décision d'étendre aux moins de vingt-six ans l'accès aux collections nationales. Cette aide sera d'autant plus nécessaire que les jeunes – européens, notamment – représentent une grande part de notre public. L'État prend également directement en charge la rémunération des agents titulaires mis à la disposition de l'établissement. La valorisation de cette prise en charge s'élève à environ 20 millions d'euros.

Le Louvre est dans une situation plus complexe : il a désormais la maîtrise de ses recettes, mais reçoit de l'État une subvention appréciable de 122 millions d'euros. Ainsi, chaque visiteur de Versailles coûte 3 euros à l'État, tandis que chaque visiteur du Louvre lui coûte environ 15 euros.

J'en viens à la question relative aux ressources humaines. La conséquence logique du mouvement d'autonomisation est de donner aux établissements une responsabilité sur leur personnel, contractuel ou titulaire. C'est très largement le cas pour le Louvre, même si les progressions de carrière ou les mesures disciplinaires dépendent toujours du ministère de la Culture. À Versailles, l'autorité du président sur le personnel n'est que fonctionnelle : elle ne concerne pas les carrières, ce qui est regrettable. Elle ne concerne notamment pas la relation disciplinaire, ce qui est regrettable également.

S'agissant de Versailles, le transfert progressif de la responsabilité sur le personnel est pourtant prévu dans le contrat de performance, mais le service concerné du ministère de la Culture marque de la réticence quant à une mise en oeuvre rapide de cette perspective.

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Par habitude, et aussi, de la part de l'administration, pour légitimer son existence et ses missions. Mais puisque nous disposons désormais, dans le domaine culturel, d'un éventail très large d'établissements publics, nous devons veiller à leur laisser une pleine responsabilité à l'égard des personnels qu'ils emploient, qu'ils soient contractuels ou titulaires.

J'ai évoqué le contrat de performance. Je regrette que l'État privilégie ce type d'accord, qui fixe des objectifs généraux à l'établissement, au détriment des contrats d'objectifs et de moyens qui eux, engagent les deux contractants. Une administration plus adulte devrait recourir plus volontiers à de tels contrats, qui imposent une règle du jeu claire et lisible par tous.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Vous avez été un artisan de la décentralisation culturelle, puisque le lancement du projet Louvre Lens date de l'époque où vous étiez ministre. Ne faudrait-il pas aller plus loin ? Cette première étape n'était-elle pas motivée par le constat d'une culture trop « parisienne » ? Nous autres, élus de province, avons en effet parfois le sentiment que les Parisiens sont très gâtés par les choix culturels du ministère.

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

En ce domaine, la première étape a été, en fait, la décision de créer une antenne du Centre Pompidou à Metz.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Un projet qui vous tenait particulièrement à coeur.

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

En effet. J'étais président du Centre Pompidou lorsqu'il a fallu fermer l'établissement pendant vingt-sept mois pour rénovation, et je n'ai pas voulu que l'institution reste inactive. Nous avons donc maintenu une activité à Paris et lancé un programme « hors les murs ». En liaison avec des musées dépendant de collectivités locales, nous avons ainsi présenté une grande partie des collections du Musée national d'art moderne. Une trentaine d'expositions ont été réalisées : Kandinsky à Nantes, Picasso à Toulouse, Matisse au Cateau-Cambrésis, etc. Lors de la réouverture du Centre Pompidou, nous nous sommes dit que ce mouvement de collaboration avec les collectivités locales devait être poursuivi sous d'autres formes, d'abord grâce à une politique de dépôt systématique d'oeuvres importantes dans des musées de province – ainsi, la quasi-totalité des sculptures du musée de Villeneuve d'Ascq ou des oeuvres de Kandinsky du musée des beaux-arts de Nantes est constituée de dépôts du Musée national d'art moderne –, ensuite avec la création, en région, d'antennes permanentes du musée.

Les maires d'Albi ou de Lille se sont montrés intéressés, mais Martine Aubry comptait un peu trop sur l'État pour le financement. C'est finalement le maire de Metz, Jean-Marie Rausch, qui a réalisé le projet, en liaison avec la communauté d'agglomération, le département de la Moselle et la région Lorraine.

L'histoire de notre pays a conduit à ce que presque tous les musées nationaux soient installés à Paris. À mon arrivée au ministère de la Culture, j'ai donc jugé nécessaire que ces établissements engagent des actions de décentralisation. Le Louvre s'est lancé le premier en créant une antenne dans le Nord de la France. À mes yeux, de tels projets devaient constituer des instruments de développement culturel du territoire. Il ne s'agissait donc pas de se substituer à la responsabilité des collectivités locales, mais plutôt d'aller là où aucun équipement significatif n'existait, de façon à apporter une chance supplémentaire au territoire concerné. J'aurais souhaité que d'autres établissements, lorsqu'ils sont délocalisables – ce qui n'est pas le cas, par exemple, de Versailles –, s'engagent dans des projets de ce type. Ainsi, le Musée des arts et traditions populaires, dont le site d'origine est désormais fermé, pourrait répartir ses collections en quatre grands lieux répondant à des logiques géographiques et culturelles, quitte à conserver une structure centrale pour la gestion scientifique.

En tout état de cause, l'action des musées nationaux ne doit pas se limiter au territoire parisien, même si c'est là que se trouve leur siège. Ils doivent avoir des relations avec les musées locaux, mais aussi innover en matière d'animation culturelle du territoire, dès lors qu'il existe une demande de la part des collectivités locales.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Il y a quelques jours, avec mon collègue Marcel Rogemont, nous nous sommes rendus sur le site du Louvre-Lens. Nous y avons rencontré des acteurs passionnés par ce projet, comme le président de la région Nord-Pas-de-Calais. Dans un bassin minier qui a souffert, ce nouvel équipement représente une chance.

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

L'enthousiasme de Daniel Percheron a en effet beaucoup compté dans le choix de Lens. De même, Jean-Marie Rausch avait mis tout son poids dans la balance pour que l'antenne du Centre Pompidou soit installée à Metz. Ses successeurs ont d'ailleurs pris la relève.

Il faut cesser d'envisager la culture comme le seul résultat de ce que fait le ministère. La culture ne se réduit pas à l'empilement des initiatives publiques. Une telle vision ne tient pas compte du changement qu'a connu le paysage culturel français, marqué par la prise de responsabilité des collectivités locales, à travers une action à la fois volontaire et qui transcende largement les appartenances politiques. Loin de demeurer le tabernacle où se conçoit la politique culturelle de l'État, le ministère doit se demander comment s'appuyer sur la vigueur, la volonté et le sens de la responsabilité des collectivités locales pour mettre en oeuvre des projets.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Le Louvre n'est-il pas l'enfant gâté du ministère de la Culture ? Sa situation singulière ne tend-elle pas à cacher la dure réalité vécue par les autres musées ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Incontestablement, le Louvre n'a pas à se plaindre de la façon dont il est traité par l'État. Celui-ci lui a marqué son soutien lorsqu'il a engagé, à l'époque de François Mitterrand, un vaste programme de réaménagement du palais du Louvre, puis en augmentant les moyens de fonctionnement du musée et en lui donnant la maîtrise de ses recettes.

Le Louvre pourrait parfois se montrer plus généreux à l'égard des autres musées. Rappelons que le château de Versailles a été vidé au moment de la Révolution : le mobilier a été vendu, et les oeuvres ont été retirées pour constituer les collections du futur musée du Louvre. Ainsi, la plupart des grandes peintures, comme la Joconde, étaient d'abord à Versailles. Je regrette que le Louvre tienne à conserver certaines oeuvres qui formaient le décor du château et qui gagneraient à retrouver leur lieu d'origine. Ainsi, dans l'appartement du roi, des photographies maladroites figurent sur certains murs, rappelant les peintures qui s'y trouvaient et qui sont actuellement conservées au Louvre. Mais le Louvre ne consentirait que difficilement à s'en séparer, sauf dans le cadre d'un échange ou s'il y avait une volonté politique très forte de régler ce type de problème …

Mais si le Louvre est gâté, il est aussi une immense chance pour notre pays. C'est le plus grand musée du monde, l'affluence y est très grande, et à l'instar des autres grands musées nationaux, il contribue largement à la bonne santé de l'activité touristique en France – à Paris, en particulier –, dans un contexte où la concurrence étrangère s'accroît. Hier, à Versailles, nous avons dû recevoir environ 30 000 personnes, dont probablement 22 000 étrangers. Les grands sites muséaux, à commencer par le Louvre, sont donc une chance pour le pays. Certes, l'État doit clarifier sa relation avec ces institutions. Il a notamment intérêt à préciser le rôle de la Réunion des musées nationaux, en laissant à tous ces établissements le libre choix de coopérer ou non avec elle. Il doit également clarifier sa position s'agissant de la relation entre subventions et maîtrise des recettes, de façon à concentrer l'effet de la solidarité nationale sur des institutions moins à même d'attirer un large public.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Selon vous, le Louvre est-il une institution à part ?

PermalienJean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Il fait partie, avec Versailles, Orsay, le Centre Pompidou ou – à un degré moindre – Guimet, de cette famille des très grands établissements muséaux, dont les responsables se rencontrent régulièrement pour échanger leurs points de vue. Ainsi, il y a quelques semaines, nous avons été très alarmés du risque de chute de la fréquentation touristique en région parisienne, avant d'être rassurés par les résultats du printemps.

Mais selon moi, le Louvre ne serait un objet exceptionnel que si l'on plaçait le Château de Versailles dans la même catégorie… (Sourires.)