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Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Séance du 7 octobre 2009 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • majoration
  • pension

La séance

Source

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de M. François Charpentier, journaliste.

PermalienPhoto de Marie-Jo Zimmermann

Vous êtes l'auteur d'un ouvrage sur les retraites en France et dans le monde. Au moment où l'on discute de la réforme de la majoration de durée d'assurance des mères de famille (MDA), nous souhaiterions aborder avec vous ce problème, mais aussi plus généralement la question des pensions de retraite des femmes.

PermalienFrançois Charpentier

Je souhaiterais d'abord faire deux remarques préliminaires :

Premièrement, la question des droits familiaux a toujours été source de difficultés.

En 1994, lors de la première négociation sur le régime complémentaire de l'Agirc, l'institution d'un « coefficient de service » sur les majorations de droits familiaux qui représentaient un coût très important (majoration de 10% pour trois enfants et 6 % par enfant supplémentaire dans la limite de 30%, défiscalisé...) avait été contesté avec succès devant le TGI de Paris au motif qu'elle avait un caractère rétroactif. La question des droits familiaux est, d'ailleurs, le dernier terrain sur lequel butte l'harmonisation entre les régimes Agirc et Arrco. Tous les autres paramètres de fonctionnement des régimes complémentaires obligatoires du secteur privé sont harmonisés, sauf celui-là. Pourtant, après les accords de novembre 2003, un groupe de travail avait travaillé à une harmonisation. En vain.

Preuve qu'il y avait bien un problème et qu'il était urgent de le régler, le COR avait consacré son sixième rapport de décembre 2008 à cette question en prenant soin de lier droits familiaux et droits conjugaux.

Deuxièmement, l'intervention de la juridiction européenne en matière de retraite s'est pratiquement toujours faite au détriment des femmes.

Il faut d'abord rappeler que si le juge de Luxembourg intervient c'est parce qu'il n'existe aucun moyen pour la Commission de mettre en cohérence les principes communautaires (libre circulation des hommes, liberté d'installation, etc.) avec la souveraineté reconnue aux États en matière de sécurité sociale. Si un litige survient, c'est donc le juge qui fait le droit.

À la fin des années quatre-vingt, la CJCE a commencé à s'intéresser aux régimes de pensions. En 1990, l'arrêt Barber sur le fondement de l'article 119 du Traité de Rome, reconnaît à un Britannique le droit de partir en retraite au même âge que sa femme, soit 60 ans au lieu de 65 ans. Dans un régime en capitalisation le provisionnement qui aurait été nécessaire étant colossal, la décision sera prise de relever l'âge de départ des femmes à 65 ans. Tous les pays de l'Union européenne seront tenus de procéder à cette harmonisation. L'Allemagne va porter en l'espace de cinq ans l'âge des femmes de 60 à 65 ans, et celui des hommes, de 63 à 65 ans.

Toutes les décisions que prendra la Cour de justice par la suite en matière de retraite, se fonderont peu ou prou sur l'article 119 du Traité. Nous avions pourtant tous pensé que son objectif explicite était d'inciter les États à relever le niveau de rémunération des femmes, pour l'aligner progressivement sur celui des hommes.

Cela ne s'est pas produit et en matière de retraite les femmes restent très désavantagées par rapport aux hommes. Si à compétence égale une femme gagne 25 % de moins qu'un homme, elle a de bonnes chances d'avoir une retraite de 30 % inférieure. En France, la retraite moyenne d'une femme (800 euros) est de moitié inférieure à celle des hommes (1600 euros).

Plusieurs facteurs l'expliquent : le retard de salaire évidemment mais aussi le fait que près de 80 % des temps partiels - le plus souvent subis - sont occupés par des femmes ; s'y ajoute une plus forte exposition au chômage et des carrières plus courtes pour cause de maternités ; enfin, n'oublions pas que dans un système où les pensions sont indexées sur les prix, comme cela a été décidé en 1987, la dégradation de la retraite sera d'autant plus importante que la pension sera perçue longtemps. Or, les femmes ont, dans une proportion qui reste constante, une espérance de vie qui reste plus élevée que celle des hommes.

Les avantages familiaux ne corrigent cette situation qu'imparfaitement, puisqu'une fois ceux-ci pris en compte les pensions des femmes n'égalent encore que 62 % de celles des hommes.

C'est sur cette toile de fond que s'est posée la question des majorations de durées d'assurance, question qui a été mal posée donc mal résolue.

Nous savions tous qu'après l'arrêt Griesmar de 2001 qui traitait le cas d'un magistrat, donc d'un fonctionnaire, auquel la CJCE, puis le Conseil d'État, ont octroyé des majorations pour avoir élevé ses trois enfants, une plainte similaire dans le privé conduirait tôt ou tard les juges à retenir la même solution. Les Cours d'appel, tout au long de 2008, ont préparé la décision qui a été rendue le 19 février 2009 par la Cour de Cassation et qui a étendu la jurisprudence Griesmar aux salariés relevant du régime général.

Une réduction du droit des femmes était d'autant plus certaine que la réforme Fillon (la loi du 21 août 2003) avait tiré les conséquences de l'arrêt Griesmar en réduisant les droits des mères fonctionnaires. Certes, pour les enfants nés avant le 1er janvier 2004, les quatre trimestres étaient maintenus, mais pour les enfants nés après le 1er janvier les quatre trimestres ont été ramenés à deux. Il y a eu peu de réactions, car il était considéré que les retards de salaires étaient moindres dans la fonction publique.

II reste qu'en traitant la question de la MDA comme on l'a fait, une double erreur a été commise.

Premièrement, la MDA a été déconnectée de trois autres prestations visant elles aussi à aider les mères de famille : l'assurance vieillesse des parents au foyer (l'AVPF), la majoration de pension pour trois enfants et plus et le départ anticipé pour 15 ans de service. Or, on est en train de reproduire la même erreur. Le rapport du COR de décembre 2008 l'a souligné, l'occasion se présentait pourtant de remettre à plat ces quatre prestations pour en revoir les finalités, en fonction des évolutions de la société et éventuellement de corriger un certain nombre d'anomalies. C'est le cas notamment des majorations pour trois enfants et plus, attribuées aux deux membres d'un couple, mais qui de facto apportent un avantage plus grand aux pères dès lors qu'elles sont calculées sur des salaires supérieurs à ceux de leurs compagnes. Cette remise à plat aurait même dû conduire à harmoniser les majorations familiales entre l'Agirc (aujourd'hui 8 % pour trois enfants et 4 % par enfant supplémentaire dans la limite de 24 %, toujours défiscalisés) et l'Arrco (5 % par enfant). Cette remise à plat est d'autant plus nécessaire que ces majorations, selon les calculs du COR, représentent plus de 8% du montant total des pensions, soit 15 milliards d'euros.

Le COR, dans son rapport, explore différentes pistes de réformes pour la MDA (la lier à l'accouchement ; la lier à une interruption d'activité ; donner un droit d'option au sein du couple qui désignerait l'attributaire de la MDA ; ouvrir pour les mères un choix entre la MDA ou la majoration de pension) ainsi que pour les majorations pour trois enfants et plus (proportionnelles ou forfaitaires ?) qui auraient toutes mérité d'être discutées sur le fond dans une approche globale. Le COR posait la question et on notera que dès 2008, très en amont du débat actuel, toutes les hypothèses avaient déjà été balayées.

Seconde erreur : la question de la MDA a aussi été déconnectée des droits conjugaux et tout spécialement de la question des pensions de réversion. Or, le problème des pacsés se pose. Il a été évoqué dès 2006 dans le rapport Domeizel-Leclerc. Le partenaire survivant d'un Pacs pourra-t-il demain bénéficier d'un droit à réversion ? La question se pose car le Pacs est un instrument juridique solide, susceptible de générer une obligation alimentaire. Déjà une jurisprudence de la CJCE. (Tadao Maruko, janvier 2008) a reconnu à un « partenaire de vie », dans un système allemand sensiblement différent du Pacs, un droit à réversion au profit d'un partenaire du même sexe. Par ailleurs, une jurisprudence du 5 octobre dernier, relative à un eurocrate néerlandais, étend une nouvelle fois la notion de couple à des formes d'association et de partenariat parfois très éloignées du mariage traditionnel. Sachant qu'il y a plus de femmes âgées que d'hommes, si on raisonne à enveloppe constante des droits de réversion, le partage se fera fatalement au détriment des femmes car elles vivent plus longtemps que les hommes.

Finalement, la tendance générale est à la réduction des avantages qui avaient été consentis aux femmes à des fins natalistes, mais aussi plus ou moins explicitement au titre d'un rattrapage de salaire. Partant de là, n'eut-il pas fallu suivre la Cour des comptes qui s'interrogeait sur la possibilité de basculer ces droits familiaux sur la branche famille au risque de réduire le rôle redistributif du régime de base ? Dans la perspective d'un basculement de l'assurance vieillesse d'un régime d'annuités à un régime par points, cette évolution n'est évidemment pas neutre.

Ne fallait-il pas aussi aller beaucoup plus loin dans la réflexion en s'inspirant de ce qui se fait en Europe ? Certes, il existe des constantes soulignées par les travaux du COR qui se réduisent à un triple constat : les femmes participent moins au marché du travail que les hommes, sont plus souvent à temps partiel et sont moins bien payées que les hommes. En conséquence, leurs droits propres sont très inférieurs aux hommes, cette inégalité n'étant que très imparfaitement corrigée par les droits dérivés. Pire, la tendance au renforcement du caractère contributif des régimes partout en Europe ne favorise pas les femmes. Dans la période récente, des raisons démographiques ont poussé un pays comme l'Allemagne à s'intéresser aux droits familiaux. Mais soit que les États n'aient pu consacrer un effort budgétaire suffisant, soit qu'ils soient partis de trop loin, les résultats sur la démographie n'ont pas été concluants.

À propos de la réversion, le Président de la République a prudemment révisé son objectif d'un taux de réversion de 60 % pour tous. Pour autant, les vrais problèmes n'ont pas été posés. Je ne reviens pas sur les dispositions absurdes prises en 2003 qui avaient consisté, sous la pression de la Favec, à supprimer la condition d'âge à laquelle était subordonnée l'attribution de la pension de réversion. L'erreur a aujourd'hui été réparée. En revanche la réflexion n'a pas été entamée sur la finalité d'une pension de réversion dans une société qui connaît un taux de divorce élevé. Le COR, là encore, a pourtant posé dans son rapport de décembre 2008 toutes les bonnes questions : faut-il étendre la réversion aux couples non mariés ? Faut-il étendre la proratisation de la pension de réversion ? Comment éviter la précarité à la retraite des femmes divorcées ? En cas de divorce, à quel moment prendre en compte le droit à réversion et à quel moment servir les droits ? Que faire si la pension de réversion attribuée sous condition de ressources conduit, par rapport à la situation avant veuvage, à augmenter le niveau de vie de la personne veuve lorsque les droits propres de celle-ci sont relativement importants par rapport au conjoint décédé ? Que faire encore quand le conjoint survivant n'a pas atteint un âge proche de la retraite ? Toutes ces questions, posées par le COR, n'ont pas reçu de réponses.

En Europe, la Clef (Coordination française pour le lobby européen des femmes) a publié en juin 2006 un rapport sur ce sujet que je vous recommande. D'abord, il confirme le lien entre les inégalités sur le marché du travail et les inégalités de retraite. Ensuite, il se prononce pour une rupture avec le « modèle familialiste » et pour une individualisation des pensions, l'objectif étant de supprimer les trappes à inactivité que représentent certains avantages familiaux. Poussant le raisonnement plus loin, la Clef se prononce pour la suppression, comme en Suède depuis 1990, des pensions de réversion liées à la rémunération du conjoint et à l'attribution d'un droit propre à une retraite décente. Enfin, elle se prononce pour qu'en cas de divorce, on procède à un partage des droits sur le modèle du « rentensplitting » allemand : attribution paritaire de tous les droits à pension acquis par un couple pendant sa durée de vie commune.

PermalienPhoto de Marie-Jo Zimmermann

Je vous remercie pour la clarté du constat que vous dressez et l'importance des questions que nous allons avoir à affronter.

PermalienFrançois Charpentier

Je dresse effectivement trois constats graves sur les retraites : tout d'abord, celui de la dépendance. Ensuite, le problème des jeunes, qui vont demain percevoir des retraites moins élevées que leurs aînés. Comment leur faire admettre de contribuer à la hauteur nécessaire pour payer les pensions au niveau où elles sont aujourd'hui, alors qu'eux-mêmes ne devraient pas en profiter ? Le troisième défi est le problème des femmes âgées isolées de plus de 75 ans pour lesquelles les droits familiaux et conjugaux jouent un rôle majeur. Nous allons vers des difficultés si on ajoute, à la baisse des MDA, la question des pensions de réversion.

PermalienPhoto de Catherine Coutelle

J'ai eu des témoignages d'étudiants montrant que ceux-ci ne voulaient plus participer à la solidarité à l'égard des retraites et souhaitaient une retraite personnelle. Le discours ambiant selon lequel les jeunes travailleront plus longtemps et auront de faibles retraites a été très bien intégré par les principaux intéressés. Il va falloir ancrer fortement le système de solidarité.

PermalienFrançois Charpentier

Dans plusieurs pays en Europe, la paupérisation des femmes âgées est en marche. En Grande-Bretagne, 12,5 millions de personnes cotisent pour leur retraite, à un niveau qui ne leur assure pas la possibilité d'une pension supérieure au seuil de pauvreté. On était sortis de la pauvreté dans les années soixante-dix, et aujourd'hui, au moment de la liquidation de la retraite, des gens qui ont eu des carrières atypiques et des petits salaires se retrouvent en grande difficulté. La DARES a constaté que les droits des moins de trente ans ont diminué par rapport aux années cinquante. Ils ont sept trimestres d'assurance de moins, du fait qu'ils sont rentrés plus tard sur le marché du travail ou avec des salaires qui ne permettait pas de valider un trimestre. Alors que l'allongement de la durée de cotisation est recherché, les grandes entreprises se séparent de leur personnel dès qu'ils ont atteint leur droit. Cette personne non seulement va recevoir des prestations, ainsi qu'une indemnité de départ, mais elle ne va plus cotiser.

PermalienPhoto de Guénhaël Huet

Cela répond aussi à une demande forte de la part des assurés qui veulent partir à la retraite.

PermalienFrançois Charpentier

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui a arrêté à 70 ans l'âge de départ à la retraite d'office, a fixé l'applicabilité de cette mesure au 1er janvier 2010. Les entreprises se sont donc empressées de s'assurer du départ de leurs salariés âgés avant le 31 décembre 2009. La loi Fillon visait à relever le taux d'activité. En 2000, au sommet européen de Stockholm, il avait été décidé que 50% des salariés de 54 à 65 ans devaient être en activité en 2010. On est seulement à 38% malgré les dispositions prises et les campagnes. Au Japon ou au Royaume-Uni, le taux d'activité est au-dessus de 50%, parce que les gens continuent de travailler à cause du bas niveau des retraites. En France, pour les 54-60 ans, le taux comparable à la moyenne européenne. Pour les 60-65 ans, le taux d'activité est de l'ordre de 8%, ce qui est logique puisque l'âge de la retraite est fixé à 60 ans.

Les fonds de pension et les outils de la capitalisation sont des régimes d'entreprise que l'on doit constituer sur soixante à quatre-vingts ans. Mais qui peut assurer que, dans ce laps de temps, l'entreprise sera toujours en place ? Le système par répartition a trouvé ses limites du fait de la démographie, mais la crise a révélé que la capitalisation n'était pas la solution de remplacement, elle peut simplement aider. Dans les grands pays à fond de pension, une personne qui partirait en retraite cette année perdrait 30% de sa pension.

PermalienPhoto de Guénhaël Huet

On ne peut avoir une confiance aveugle dans des systèmes de capitalisation, même s'ils peuvent constituer un appoint utile, mais si on laisse les systèmes de répartition se dégrader, comme c'est le cas depuis quelques années, on n'aura plus rien. La grande difficulté est de jouer sur les deux tableaux : réformer le système de répartition, avec les difficultés considérables que cela implique, et préparer comme appoint celui de capitalisation.

PermalienFrançois Charpentier -

Deux remarques. D'une part, la France est plutôt bien placée parce que, malgré tout, les pensions assurent un niveau de remplacement relativement élevé pour les hommes comme pour les femmes par rapport à d'autres pays. Mais il est clair que ce taux va diminuer. D'autre part, il faut absolument que les banques et les assurances proposent des produits plus clairs et plus lisibles. On doit également permettre une sortie en rente ou en capital. Le grand public n'a pas confiance. En Allemagne le système bismarckien assurait un taux de remplacement de 70 %, comparable à celui de la France ; aujourd'hui, les Allemands prévoient un taux de 44 % en 2040, et nous risquons de connaître la même évolution.

PermalienPhoto de Catherine Coutelle

Ne peut-on imaginer un élargissement de l'assiette de cotisation ?

PermalienFrançois Charpentier -

Il y a eu de nombreux rapports sur le sujet, mais nous n'y sommes jamais parvenus. Notre système est fondamentalement calé sur les salaires. Je crois qu'il n'y a plus beaucoup de ressources. Il faut faire de la croissance et relancer l'économie.