La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition sur le thème de l'accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles de Mme Tita Zeitoun, Présidente de l'association Action de femme.
Merci, madame, d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes la fondatrice et la directrice de la société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes Boissière Expertise Audit et vous êtes également présidente de l'association Action de femme, que vous avez créée en 1997. Cette dernière a pour objectif de promouvoir la présence des femmes dans les conseils d'administration des entreprises et les lieux de décision.
Pourriez-vous nous donner des précisions sur l'action de votre association ? Selon vous, comment renforcer la place des femmes dans les lieux de décision ? Faut-il légiférer ? Quelle proportion de femmes faudrait-il imposer dans les conseils d'administration ? Des syndicalistes et des juristes disent que 20 %, ce n'est pas assez ; qu'en pensez-vous, compte tenu de l'évolution des mentalités et des rencontres que vous avez pu avoir avec les dirigeants d'entreprise ?
Mon métier est l'expertise comptable, et l'association Action de femme est en quelque sorte ma danseuse. Je n'en tire aucun profit, mais elle me tient particulièrement à coeur. Je l'ai créée assez tard, à la suite d'une réflexion faite par un président, dans le cadre de mes activités professionnelles, sur l'utilité d'un regard féminin. Cette association est mixte. Je pars en effet du principe que les hommes sont seuls à pouvoir faire une place aux femmes dans les entreprises.
Quand nous avons commencé à réaliser des études sur ces sujets, en 1997, nous avons utilisé une étude générale menée par une universitaire sur les administrateurs, de laquelle il est ressorti, qu'à l'époque, les rares femmes présentes dans les conseils d'administration étaient des héritières. Nous avons ensuite examiné régulièrement l'évolution de la situation, en particulier sur les sociétés du CAC 40. En 1997, 27 de ces 40 sociétés n'avaient pas de femme dans leur conseil d'administration. Aujourd'hui, il en reste encore six qui n'en ont aucune – dont Veolia Eau, Vinci, EADS, Danone et Capgemini. Sachant que les conseils d'administration se réunissent au mois de février, je viens d'écrire à nouveau à leurs présidents pour les inciter à y intégrer des femmes.
Cette année, pour la première fois, nous avons étendu notre étude aux comités de direction (CODIR) et comités exécutifs (COMEX), à partir du Guide des états-majors. Il apparaît dans cette étude, dont je vous ai apporté la synthèse, que sur les 500 premières sociétés françaises, 217 (soit presque la moitié) n'ont pas une seule femme dans leur CODIR ou dans leur COMEX ! Pourtant, il existe un vivier de femmes ayant les compétences requises et qui désireraient exercer ces responsabilités. On constate par ailleurs que les femmes qui sont membres de ces comités travaillent, dans leur grande majorité, dans la communication.
Quant aux pourcentages, il faut les manier avec précaution. Dans un conseil de 15 personnes, imposer 20 % de femmes, soit 3 femmes, c'est bien. Mais dans un conseil de 5 personnes, s'il y a 20 % de femmes, cela signifie qu'il n'y en a qu'une ! Or une femme seule ne peut rien faire. En l'occurrence, pour qu'il y en ait deux, il faut mettre la barre à 40 %.
C'est ce qu'a fait la Norvège, de même que l'Espagne dans une loi votée en mars 2008, qui ne concerne cependant que les sociétés de plus de 250 salariés. Je serais favorable à l'adoption d'une règle de ce type en France, avec un taux de 40 % pour les sociétés d'une taille minimale.
Parmi les 500 premières sociétés françaises, 292 n'ont aucune femme dans leur conseil d'administration. 134 sociétés ont plus de 10 % de femmes dans leur conseil d'administration, mais dans bien des cas cela signifie, en fait, qu'elles n'en comptent qu'une seule.
Au Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, sur les 66 membres élus, il n'y a que 4 femmes ! Pourtant, la profession est très féminisée. Autrement dit, dans ce métier, les femmes sont très souvent des « petites mains », elles travaillent très dur, mais elles ont très rarement le statut d'associée.
M. Guénhaël Huet. Le nombre de femmes élues doit aussi être mis en regard avec le nombre de celles qui ont voulu se présenter.
Certes. Mais il est beaucoup plus facile qu'on ne le prétend de trouver des femmes pour occuper des postes de responsabilité.
Ainsi, il y a deux ans, dans le cadre de l'Ordre des experts-comptables, nous avions organisé un déjeuner avec l'Association des experts-comptables et mandats publics. Nous y avions reçu M. Daniel Bouton, PDG de la Société générale, qui m'a mise au défi de lui trouver quinze femmes qui puissent faire partie de son conseil d'administration. J'ai battu la campagne et, un an après, je lui ai fait parvenir une liste. Je constate qu'en 2008, il a nommé une deuxième femme.
M. Michel Pébereau, il a adhéré à notre association en 2001. A l'époque, il n'y avait aucune femme dans le conseil d'administration de la BNP. Sept ans plus tard, on en compte 4.
En 2003, quand la loi sur la sécurité financière a été votée, à la Société générale qui n'avait alors aucune femme dans son conseil d'administration, ont été nommés comme administrateurs indépendants une femme et un homme.
Je pense qu'il ne faut pas rester à la traîne des pays qui ont fixé la barre à 40 % – même si en Espagne la règle est limitée aux sociétés de plus de 250 salariés.
En effet. Il conviendrait d'accorder un certain délai aux sociétés concernées, comme on l'a fait en Norvège. Mais il faudrait surtout dire avec force que le vivier existe : il y a plus de femmes compétentes qu'il n'en faut !
152 adhérents, mais le réseau est beaucoup plus large. Par exemple, notre association fait partie de la fédération « Du Rose dans le Gris », à laquelle appartient aussi l'association Arborus de Cristina Lunghi. J'ai été dernièrement invitée par la directrice de la communication avec six femmes, dans le cadre de rencontres organisées tous les lundis. Ces réunions permettent de faire le point afin d'aller de l'avant.
C'est très important. Les hommes ont leurs réseaux, mais les femmes commencent seulement à en mettre en place, avec cinquante ans de retard.
En effet. Il n'en existe pas encore beaucoup, et il faut s'efforcer de les croiser. De même, Odile Lajoix, qui est juriste, a su réunir un nombre important de personnes, comme le faisait Mme Ameline lorsqu'elle était ministre de la parité. D'autres qu'elle pourraient faire la même chose mais certaines femmes ont tendance à tout garder pour elles.
La semaine dernière, nous avons auditionné des responsables de l'association Grandes écoles au féminin. Elles organisent des petits déjeuners avec les directeurs des grands groupes et veulent développer cette pratique de réseau.
Je travaille avec cette association, qui est vraiment très bien. J'ai été invitée récemment à parler devant un groupe qui devait être mixte, mais qui n'a compté finalement que très peu d'hommes car ils se sentent rarement concernés par les questions relatives aux femmes.
J'ai été impressionnée par les représentantes de cette association. Ce sont des femmes qui, professionnellement, ont bien réussi, mais qui ont pris conscience qu'il leur fallait aller vers les jeunes diplômées.
Il faut les prévenir qu'on ne leur fera pas de cadeau dans leur vie professionnelle. Cela dit, mettez-vous à la place d'un employeur qui a besoin d'embaucher un directeur financier. Entre une femme de trente ans et un homme de trente ans, à compétences égales et rémunération égale, qui choisiriez-vous ? Moi-même, je choisirais l'homme.
Personne ne peut se permettre de le dire, mais c'est la raison principale de la discrimination à l'embauche. On voit donc de plus en plus de femmes, parce qu'elles veulent réussir, renoncer à leur congé de maternité. Elles s'arrêtent une semaine avant la naissance et reprennent très vite après. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les professions libérales, où il n'y a pas de congé de maternité.
Cela étant, au sein de cette jeune génération, on constate aussi un autre phénomène : face aux difficultés qui s'accumulent – frais de garde, problèmes de transports…–, les femmes se découragent et arrêtent de travailler. Cela se voit aux États-Unis, cela se dit en Angleterre. En France, on y vient petit à petit.
C'est vrai, et on ne me croit pas toujours quand je le dis. Quand les jeunes mères font leurs comptes, elles sont souvent découragées.
Je me demande comment font certaines femmes qui travaillent en ayant trois enfants. Cela dit, il faut savoir ce que l'on veut : au début de ma vie professionnelle, tout mon argent allait à la nourrice. Mais j'ai beau être née d'un père tunisien, avoir vécu dans une chambre de bonne et être partie d'un CAP d'aide-comptable, que j'ai transformé en diplôme d'expertise comptable à l'occasion d'une tuberculose, je considère que j'ai eu une vie plus facile qu'elle ne l'est aujourd'hui. A mon époque, il n'y avait pas de chômage et lorsque l'on voulait, on pouvait. Ce n'est plus le cas maintenant.
Il y a trente-cinq ou quarante ans, on savait qu'il fallait travailler beaucoup pour réussir, mais on savait aussi que si on travaillait, on réussirait. Aujourd'hui, homme ou femme, quand on a dix-huit ou vingt ans, la donne a changé.
Je reviens sur la nécessité de sensibiliser aux problèmes de la condition féminine les jeunes femmes qui entrent dans une grande école ou qui débutent leur carrière. C'est à cette époque de leur vie que cette sensibilisation doit se faire. Or malheureusement, ce n'est pas le cas. Les jeunes femmes pensent d'abord à obtenir leur diplôme puis à se lancer dans la vie professionnelle. Vous-même, madame, n'avez créé votre association qu'assez tard. Il est rare de voir une femme d'une vingtaine d'années s'investir sur ce sujet. Il faut soi-même avoir vécu certains événements pour décider d'intervenir pour les autres.
Le principal problème, c'est la gestion des grossesses. Je connais des femmes qui, après avoir eu deux ou trois enfants, ont quitté leur employeur pour continuer leur carrière ailleurs.
Dans la fonction publique territoriale, les femmes prennent systématiquement le congé maximal autorisé pour une maternité. Dans la ville dont je suis maire, je n'ai jamais vu une jeune femme ne pas demander de quitter son travail chaque jour une heure avant, comme elle en a le droit.
Dans les professions libérales, les femmes pourraient théoriquement faire la même chose, mais elles ne le font pas parce qu'elles doivent gagner leur vie, répondre à leurs clients, diriger leurs équipes. On s'est étonné du peu de succès de l'allocation de maternité – de 5 000 euros – proposée aux femmes exerçant une profession indépendante, mais elles ne peuvent pas se permettre de s'arrêter ! En général, comme je l'ai fait moi-même, elles ne s'arrêtent qu'au moment de la naissance et ne s'accordent que quelques jours de repos – à l'instar de Mme Rachida Dati, qu'il est honteux d'avoir critiqué de cette façon.
J'étais contre les lois sur la parité, mais quand la parité politique a été instituée, je me suis dit que les femmes n'avaient plus qu'à en faire bon usage. Et en 2006, à propos de vos amendements qui ont été censurés, j'ai pensé « pourquoi pas ? ». Maintenant, en voyant combien les choses évoluent lentement, je me dis qu'il faut agir.
Nous travaillons pour les générations suivantes, pas pour nous. Les responsables de l'association Grandes écoles au féminin que nous avons reçues, qui pour leur part n'ont pas eu besoin de loi pour avancer, disent elles-mêmes qu'aujourd'hui il faut légiférer pour leurs cadettes.
Lorsque je suis entrée en politique, je n'aurais jamais cru qu'il faudrait légiférer sur ce sujet, considérant que ce que j'avais fait, d'autres pouvaient le faire. Mais je me suis rendu compte, par exemple, que si on ne l'avait pas fait pour imposer la parité dans les conseils municipaux ou régionaux, ils compteraient bien moins de femme. Il ne faut pas « victimiser » les femmes mais leur permettre d'avoir le sens de leurs responsabilités.
Je suis d'accord avec vous. Pourquoi avoir ouvert les grandes écoles aux femmes voici une trentaine d'années, si c'est finalement pour les laisser au bord du chemin ? Mes trois enfants sont allés dans une école mixte, et à la maison, chacun apportait la même contribution aux tâches ménagères. Mais ma fille, qui a fait des études de biologie pour travailler dans la parfumerie, s'est aperçue que dans la vie professionnelle, beaucoup d'hommes passaient devant elle.
Lorsque j'ai fait le premier rapport sur l'égalité professionnelle, j'ai constaté que ce n'était pas la normalité. C'est la même chose en ce qui concerne la présence des femmes dans les lieux décisionnels.
Je vous suggère de faire en sorte qu'on impose la présence de femmes aux commandes des sociétés publiques. Dans son rapport de 1999, Mme Cotta demandait que l'État donne l'exemple. C'est impératif, et normalement il ne devrait pas y avoir besoin de loi.
Vous avez parfaitement raison. Mme Françoise Milewski a d'ailleurs souligné ici qu'on veut imposer des obligations aux sociétés privées, alors que l'État lui-même n'est pas un modèle.
J'entends bien. Mais ceux qui disent qu'il faut commencer par la fonction publique et les sociétés publiques ne sont pas sincères : si nous les suivons, ils seront les premiers à nous dire ensuite que le secteur privé a des contraintes spécifiques, notamment de productivité, qui l'empêchent de se plier aux mêmes obligations.
Il faut donc agir en même temps dans le secteur public et dans le secteur privé. Maintenant que nous avons légiféré sur le reste, notre devoir est en effet d'avancer sur la présence des femmes dans les lieux de décision.
Je me bats pour que joue désormais un « réflexe femmes ». Cela consiste à mettre les femmes en avant dans tous les domaines, par exemple en conseillant une femme plutôt qu'un homme lorsque l'on vous sollicite. C'est ce que je fais lorsque l'on me demande de trouver un commissaire aux apports ou un avocat spécialisé dans les fusions.
Je suis la seule femme à diriger majoritairement un cabinet qui a des mandats de sociétés cotées en Bourse en matière de commissariat aux comptes. Il ne faut donc jamais perdre espoir. C'est ce qu'il faut dire aux jeunes.
D'ailleurs, ceux qui sont entrés dans la vie active il y a huit ou dix ans ont connu le 11 septembre, une première crise puis une seconde. Ceux qui les suivent savent qu'ils commenceront par gagner le SMIC et qu'il leur faudra se débrouiller pour essayer de progresser. Mais j'ai mal au coeur pour toutes ces filles qui touchent des petits salaires et qui n'arrivent pas à s'en sortir au point que certaines se découragent et ne reviennent pas travailler, comptant sur la solidarité.
Une loi fixant à 40 % la proportion de femmes dans les conseils serait en tout cas motivante pour les femmes, d'autant plus que depuis 2002, le nombre maximal de mandats pour un administrateur a été limité à 5. Mais les femmes elles-mêmes n'ont pas toujours le « réflexe femmes »…