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Groupe de suivi du « grenelle de l’environnement

Séance du 10 octobre 2007 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La commission a entendu, dans le cadre du Grenelle de l'environnement et après le déplacement au Groenland du président Patrick Ollier et de plusieurs membres de la commission, M. Jean-Louis Etienne, médecin explorateur, et M. Jean Jouzel, climatologue et glaciologue, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace et membre du GIEC, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

PermalienPhoto de Serge Poignant

a remercié M. Etienne et M. Jouzel d'avoir répondu à l'invitation de la commission et leur a rendu hommage pour leur action ainsi que pour le fait qu'ils portent de par le monde la nécessaire « prise de conscience », selon l'expression du ministre Jean-Louis Borloo.

Après le déplacement au Groenland effectué par le président Ollier et plusieurs membres de la commission, ils ont été invités pour expliquer devant l'ensemble de la Commission le risque que fait courir le réchauffement climatique et l'urgence à prendre des décisions.

PermalienJean-Louis Etienne

met en avant le fait qu'un déplacement au Groenland donne à ceux qui s'y rendent la légitimité de parler des effets spectaculaires qu'ils ont vus du réchauffement climatique sur l'Arctique et l'envie de faire quelque chose, c'est-à-dire de s'attaquer à la cause, qui est l'accroissement de l'effet de serre qui entoure la planète.

(M. Etienne a appuyé son propos sur la projection de cartes permettant de mieux se rendre compte de l'enjeu géographique de l'Arctique.)

Le Pôle Nord est au milieu d'un océan, l'océan Arctique, lequel est entouré de pays puissants – la Russie, sur 8 000 kilomètres de côtes, les États-Unis avec l'Alaska, le Canada, le Danemark avec le Groenland, la Norvège – auxquels le droit international de la mer donne une souveraineté sur la zone économique exclusive de 200 milles nautiques au large des côtes. Cette zone, potentiellement riche en gaz et pétrole, est amenée à avoir un poids économique important du fait de l'ouverture de nouvelles voies navigables à la suite de la libération progressive de la glace.

À l'heure actuelle, la banquise qui recouvre cet océan gelé n'est pas très épaisse, comme du plancher au plafond dans une habitation, soit une moyenne de 2,50 mètres. C'est une coquille d'oeuf comparée à la profondeur de l'océan qui va de 3 000 à 5 000 mètres au Pôle Nord. Cette couche de glace est en permanence soumise à l'action des vents et des courants océaniques, si bien qu'elle se fracture et est un véritable chaos. Elle se rétrécit considérablement en surface et s'amenuise également en épaisseur.

Les premiers résultats de l'amenuisement en épaisseur de la banquise ont été donnés en 1992 par les relations entre les deux flottes sous-marines ex-soviétiques et américaines. Pendant les cinquante ans de la guerre froide, les sous-marins soviétiques et américains se sont espionnés sous cette coquille de glace, tout en portant des missiles anti-missiles prêts à intervenir au cas où un « pruneau » partait d'un côté ou de l'autre. Ils sortaient à des endroits relativement réguliers et la confrontation des résultats des flottes sous-marines russes et américaines a montré qu'en ces endroits la banquise s'est amenuisée de 40 %.

La calotte glaciaire a extrêmement rétréci en surface, et de manière particulièrement alarmante cette année. Fin septembre 2007, elle est plus petite que jamais.

La cause en est le réchauffement climatique. Des entrées d'eau chaude sont mesurées dans le bassin arctique, une montée progressive en température est notée, des vents chassent régulièrement la glace.

Le rétrécissement de la banquise va ouvrir deux nouvelles voies navigables : le passage du Nord-Est, qui reliera Brest au Japon en longeant la Russie jusqu'au détroit de Behring, et le passage du Nord-Ouest, qui permettra d'aller de Brest en Chine en passant au sud du Groenland et au nord du Canada.

Reste à savoir si les armateurs sont prêts à investir dans de nouveaux bateaux permettant d'exploiter ces voies navigables qui raccourciront considérablement et le temps et la dépense énergétique.

Le Nord-Est est sous la souveraineté de la Russie, laquelle a déjà un trafic maritime sur cette voie, été comme hiver, grâce à des brise-glace nucléaires équipés pour escorter des navires qui se mettent le nez dans le cul du précédent en forme de V.

L'archipel canadien revendique, quant à lui, la zone des 200 milles nautiques au large de ses côtes et considère les voies qui y passent comme canadiennes tandis que les Américains affirment qu'elles sont internationales. Dès qu'ils ont exploité le pétrole de l'Alaska, les Américains ont construit un brise-glace pétrolier, le Manhattan, qui a fait, en 1992, le premier voyage de l'Alaska à l'Est des États-Unis, en passant le long de l'archipel canadien. Les Canadiens les ont accusés d'avoir violé leurs eaux territoriales et d'avoir fait courir un risque environnemental important.

Le conflit n'est pas résolu. Les Américains font valoir que le passage va s'élargir avec la fonte de la banquise et que les Canadiens ne sont pas assez puissants ni pour investir sur des vaisseaux, ni pour organiser une surveillance de leurs côtes pour contrôler le passage du Nord-Ouest. C'est ce qui explique le déplacement récent du Premier ministre canadien dans le Nord du Canada, où il a annoncé un renforcement de la présence militaire.

Les armateurs qu'a interrogés M. Etienne ont déclaré ne pas être prêts à investir sur des bateaux renforcés en double coque et brise-glace parce que la période d'utilisation de ces voies est relativement courte dans l'année. La banquise disparaît à la fin de l'été pour se reformer pendant l'hiver, parce qu'il fait nuit, et son épaisseur est alors d'un mètre de glace, ce qui demande des bateaux puissants. De plus, ces derniers dépendent dans ces zones des escortes canadiennes, américaines ou russes.

La construction de tels bateaux commencera à être intéressante dans deux ou trois décennies sur la voie la plus courte, c'est-à-dire celle qui passe par le Pôle Nord, quand la banquise aura totalement disparu en été, libérant ainsi l'océan Arctique. Certains scientifiques estiment que cela pourrait se produire en 2020. La banquise deviendrait une glace mono-annuelle, réapparaissant l'hiver, beaucoup moins épaisse et moins compacte.

Parmi les autres intérêts économiques, il faut également citer une libération plus importante des plateaux continentaux, c'est-à-dire de la zone de terre qui plonge au-delà des côtes et s'étend entre 200 et 400 kilomètres sous 30 ou 100 mètres d'eau. Cela entraînera très certainement des mouvements vers le Nord de l'économie du pétrole et du gaz parce qu'il y a des poches importantes au large de la Russie et des États-Unis.

Les pétroliers n'attendent pas la disparition de la banquise pour les faire valoir. Les zones sont déjà localisées et exploitées même sous couvert d'une banquise, comme l'important champ gazier de Chtokman. Un appel d'offres a été lancé, il y a trois ans, par Gazprom et Total faisait partie des cinq sélectionnés, mais Gazprom a décidé de tout faire par lui-même. Total a cependant été contacté de nouveau il y a quelques mois, pour fournir un apport technique et non plus partager la richesse du gisement.

Laissant le soin à M. Jean Jouzel de parler des conséquences sur le climat. M. Etienne a souligné que, en deux ans, entre septembre 2005 et septembre 2007, la banquise a perdu deux fois et demie la surface de la France. Le climat est l'équilibre entre la chaleur permanente de l'Equateur et le froid des deux pôles. La tendance de la nature d'aller vers l'équilibre fait qu'il y a des mouvements atmosphériques et des mouvements de circulation océanique pour évacuer la chaleur tropicale vers les régions polaires. À partir du moment où ce pôle froid va s'affaiblir une bonne partie de l'année, il ne peut que s'ensuivre une dysharmonie climatique, d'autant qu'il y a une fonte importante du Groenland, comme le déplacement sur place a permis de s'en rendre compte. La fonte de la glace apporte de l'eau douce à la mer, ce qui change la salinité, donc les futurs courants.

L'Arctique est beaucoup plus touchée que les autres régions parce qu'elle change de couleur. En hiver, lorsque la température est de zéro degré, si l'on met la main sur une voiture blanche garée sur un parking extérieur, on constate qu'elle est froide ; si on met la main sur une voiture noire, elle est chaude. Le noir est un capteur du rayonnement solaire. L'Arctique est devenu absorbeur de rayonnement solaire alors qu'auparavant, il le réfléchissait, selon le phénomène de l'albédo, c'est-à-dire la réflexion de la luminosité par le blanc.

Le blanc est en train de disparaître à la fois sur les continents – le permafrost, c'est-à-dire le sol qui, même au coeur de l'été, restait gelé à quelques mètres de profondeur, assimile aujourd'hui du rayonnement et fond sur une profondeur de plus en plus importante –, et au niveau des océans Ainsi l'océan Arctique qui était une grande partie de l'année recouvert de blanc par la glace laisse apparaître aujourd'hui de plus en plus d'eau libre. Le noir de l'océan est devenu un capteur qui accélère la fonte, de sorte qu'on note un emballement du phénomène.

M. Etienne a enfin donné une image pour bien comprendre ce que représente un réchauffement de 0,6 degré en un siècle. Ce n'est pas très causant comparé à la différence de température entre l'été et l'hiver, ou entre le matin et le soir, mais il est important de ramener cette donnée à la quantité de masse chauffée.

Si l'on prend la température du corps humain, qui est de 37 degrés quand on est en bonne santé, on voit qu'avec 0,6 degré de plus, soit 37,6 degrés, on ne sent déjà pas bien. Il y a ce que l'on appelle en médecine un fébricule, qui montre que l'on couve quelque chose. La terre couve quelque chose. Certains scientifiques pronostiquent que, dans quelques décennies, la planète pourrait se réchauffer de 2 degrés. Reprenant la comparaison avec le corps humain, cela revient à passer de 37 degrés à 39 degrés, où l'on est très mal. Quand la terre se sera réchauffée de deux degrés, elle aura accumulé une quantité de chaleur colossale ce qui laissera présager des explosions, des libérations de chaleur, comparables aux cyclones, lesquels proviennent d'une détente de chaleur accumulée à la surface des océans à la fin de l'état dans les tropiques.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

a précisé qu'il est important d'avoir, de la part de spécialistes comme M. Jean-Louis Etienne et M. Jean Jouzel, des informations précises sur la genèse des problèmes évoqués dans le cadre du Grenelle de l'environnement, afin d'être en mesure de faire des propositions pour tenter d'améliorer la situation.

Concomitamment au déplacement des membres de la commission au Groenland, M. Biancheri y a emmené quelques jours des handicapés. Il faut saluer cette initiative.

PermalienJean Jouzel

a précisé que son implication sur le climat du futur vient de son implication première sur les problèmes de l'environnement jointe à ses études menées sur les changements climatiques.

(Il a, lui aussi, utilisé des transparents pour illustrer son propos.)

Son intervention a concerné uniquement l'Arctique, qui est le premier à souffrir de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, notamment du gaz carbonique, augmentation dont les hommes sont responsables. Les concentrations en méthane, en gaz carbonique et en oxyde d'azote sont d'ailleurs analysées dans les petites bulles piégées dans les glaces polaires. La vérité impose de préciser que, si l'effet de serre n'existait pas, l'homme ne serait pas là car la température serait de moins dix-huit degrés. Ce qui est un problème, c'est l'augmentation de l'effet de serre, dont il propose d'étudier les conséquences.

La première conséquence est l'élévation des températures. Les douze dernières années ont été plus chaudes que toutes celles qui ont précédé. Sur un enregistrement des températures sur les 120 dernières années, on observe un réchauffement important depuis quarante ans.

Entre la période de référence qui est 1951-1980 et la période 2001-2005, le réchauffement moyen a été d'un demi degré. Il est en général moins important dans l'océan et plus fort sur les continents, mais, il est surtout extrêmement marqué en Arctique, où il est deux à trois fois plus élevé qu'en moyenne globale, atteignant entre un et deux degrés.

Une raison est que l'Arctique s'assombrit. Des surfaces réfléchissantes – celles qui sont recouvertes de glace – sont remplacées par des surfaces absorbantes, comme l'a expliqué M. Etienne.

Une autre raison est que, dans l'Arctique, pour des raisons de dynamique atmosphérique, le réchauffement est plus concentré dans les basses couches de l'atmosphère.

La deuxième conséquence de l'effet de serre est l'élévation du niveau de la mer. Le rythme actuel est de trois millimètres par an, ce qui n'est pas négligeable, car cela fait trente centimètres en un siècle, dont une grande partie au Groenland.

La troisième conséquence est le rétrécissement de la calotte glacière. La surface enneigée est maximale à la fin du printemps. En une trentaine d'années, elle est passée de 38 millions de kilomètres carrés à 36 millions de kilomètres carrés, diminuant de quatre fois la surface de la France. La surface de la calotte glaciaire au mois de septembre a été diminuée par deux entre 1950 et aujourd'hui, passant de 8 millions de kilomètres carrés à 4 millions de kilomètres carrés, et de 7 millions de kilomètres carrés à 4 millions au cours des seules trente dernières années. Ce sont ces surfaces réfléchissantes qui ont été remplacées par des surfaces absorbantes.

Le processus va-t-il se poursuivre ? Cela est à craindre puisque la glace s'amincit, les glaces anciennes, c'est-à-dire multi-annuelles, tendant à disparaître.

Le climat du futur dépendra de l'évolution des émissions de gaz carbonique, de méthane et d'oxyde d'azote ainsi que de l'effet de serre. Les économistes proposent différents scénarios d'émission. Il est important de remarquer que, même si l'on stabilisait les émissions de gaz carbonique, les concentrations continueront à augmenter. Sur les 7 à 8 millions de tonnes de gaz carbonique émis chaque année, seuls deux ou trois sont absorbés, le reste venant s'ajouter les années suivantes. Donc, il ne suffit pas de maintenir les émissions à leur niveau actuel – ambition du facteur 2 du G8 – pour stabiliser les concentrations en gaz carbonique et l'effet de serre. Ce qui se passera dans vingt ans est pratiquement joué, et est indépendant de l'augmentation de l'effet de serre d'ici là. Le réchauffement dans vingt ans sera largement marqué par ce que les hommes ont émis dans l'atmosphère au cours de la deuxième partie du XXe siècle et qui n'a pas encore joué complètement son rôle. Ce problème d'inertie est important et doit être pris en compte.

En revanche, pour la fin du siècle, le scénario qui sera suivi est très important pour le climat que les hommes d'aujourd'hui laisseront derrière eux.

Les glaces de mer diminuent actuellement plus rapidement que ne le prévoyaient les modèles. L'importance de leur diminution en 2007 n'avait été prévue par personne. Selon les scénarios, elles auront disparu à la fin de l'été vers 2040-2050.

Le Groenland est un bon sujet d'étude car les changements y sont remarquables. Il constitue en effet une immense masse de glace d'à peu près trois kilomètres d'épaisseur en son milieu dont la fonte entraînerait une élévation de sept mètres du niveau de la mer.

Le volume de glace est la différence entre ce qui s'accumule chaque année, c'est-à-dire, en gros, la neige qui tombe, et ce qui part dans les régions côtières, un peu par évaporation mais essentiellement sous forme d'icebergs ou de fusion puisque de l'eau liquide circule, en effet, en dessous des glaciers. La glace s'écoule différemment selon la topographie.

La vitesse d'écoulement des grands glaciers émissaires a doublé au cours des dix dernières années. Elle est passée de vingt mètres par jour, soit six kilomètres par an, il y a une dizaine d'années, à quarante mètres par jour actuellement. Ce point est extrêmement important. Le résultat est que le Groenland a perdu 250 kilomètres cubes de glace. L'an dernier, il a contribué pour 15 % à l'élévation du niveau de la mer. Le glacier de Jakobson qu'a vu la délégation a participé à ce phénomène dans une proportion de 3 à 5 %.

Le problème essentiel est l'élévation du niveau de la mer à long terme. Celle-ci est due à deux phénomènes : la dilatation de l'océan au fur et à mesure qu'il se réchauffe et l'apport éventuel de glace continentale, provenant essentiellement du Groenland et éventuellement de l'Antarctique. Les glaciers alpins ne jouent pratiquement aucun rôle en ce domaine.

Les prédictions du GIEC – le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – évaluent l'élévation du niveau de la mer entre vingt et cinquante centimètres à la fin du siècle, mais elles ne tiennent pas compte de l'accélération de l'écoulement que l'on observe actuellement. Certains scientifiques, en particulier Stefan Rahmstorf, pensent qu'elle sera beaucoup plus proche du mètre. L'estimation entre vingt et cinquante centimètres est très prudente, le GIEC estimant qu'on ne peut pas faire mieux pour le moment.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

a demandé, pour fixer les idées, jusqu'où remonterait la mer si elle s'élevait d'un mètre.

PermalienJean Jouzel

a répondu que les conséquences pour la France métropolitaine ne seraient pas si graves qu'on pourrait l'imaginer bien que la grande Brière, en Loire-Atlantique, serait sous l'eau. Néanmoins une élévation d'un mètre est importante. Les régions les plus touchées seraient les îles du Pacifique, le delta du Niger, le delta du Nil, le Bangladesh, les Pays-Bas, et, plus généralement, les pays pauvres.

Il faut bien comprendre qu'il est impératif de respecter la convention Climat, c'est-à-dire stabiliser l'effet de serre. C'est le bon sens. On ne peut pas décemment laisser le chauffage augmenter en espérant qu'il ne se passera rien.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

a mis en relief que, même si l'on ne fait que stabiliser les émissions de gaz à effet de serre, une élévation du niveau de la mer aura lieu.

PermalienJean Jouzel

l'a confirmé.

Quel que soit le niveau de stabilisation, il faut diminuer les émissions, en particulier celles de gaz carbonique parce que celui-ci reste longtemps. La diminution par deux des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 – chiffre un peu mythique du G8 – assure simplement qu'on garde toutes les chances de son côté pour que le réchauffement climatique n'excède pas deux degrés par rapport au climat actuel. Cependant il sera certainement supérieur à un degré. Il y aura donc un problème d'adaptation au réchauffement climatique. Il faut bien se rendre compte que le coup est lancé. On le dit depuis vingt ans.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

a insisté sur l'importance de répéter les choses parce que tout le monde n'a pas la même perception des choses.

PermalienJean Jouzel

est revenu à son tour sur l'importance de bien comprendre que, quand le G 8 engage les pays à diminuer par deux leur émission de gaz à effet de serre, c'est dans le but, non pas de garder le climat actuel, mais de limiter le réchauffement et, surtout, d'éviter après 2050, un réchauffement de deux degrés.

PermalienPhoto de Jean-Louis Léonard

a rapporté qu'une simulation effectuée dans la Charente-Maritime a établi qu'une élévation du niveau de la mer de 50 cm ferait disparaître une bande de terre de 25 km. Avec un mètre, c'est une bande de 45 km qui disparaîtrait. En Aquitaine, la largeur des bandes concernées atteindrait 50 à 60 km.

PermalienPhoto de Robert Lecou

a indiqué que la fonte des glaciers alpins a mis au jour des traces d'habitat humain, ce qui laisse supposer que des phénomènes comparables se sont déjà produits dans l'histoire.

PermalienPhoto de Philippe Plisson

s'est dit étonné qu'une grande partie de l'exposé de M. Étienne ait été consacrée à l'ouverture de nouvelles routes maritimes facilitant les échanges entre l'Est et l'Ouest et à de nouvelles possibilités en matière de forages pétroliers et gaziers. Ne vaudrait-il pas mieux s'inquiéter de la situation et récuser la logique selon laquelle le réchauffement nous permettra de consommer et de circuler encore davantage ?

PermalienPhoto de Gilles d'Ettore

a relevé qu'il est difficile d'imposer la maîtrise de l'émission de gaz carbonique à tous les pays, notamment les pays émergents. En conséquence, la recherche doit porter aussi sur les moyens d'absorber l'excédent que la photosynthèse ne suffit pas à réduire.

PermalienPhoto de Charles-Ange Ginesy

a demandé si la recherche avait abordé les conséquences de la suppression de certains phénomènes de régulation naturelle. Cette année par exemple, la tordeuse du mélèze a sévi une nouvelle fois. Les scientifiques expliquent que sa multiplication est due à un décalage des saisons : la naissance des oiseaux prédateurs ne correspond plus à l'arrivée des chenilles. Peut-on dresser un tableau plus général des perturbations apportées à ces régulations ?

PermalienPhoto de Jean-Louis Gagnaire

a observé que la part des pays émergents dans l'émission de gaz à effet de serre doit être relativisée : rapportées au nombre d'habitants, ces émissions sont moins importantes qu'en Europe de l'Ouest, et bien inférieures aux niveaux atteints aux États-Unis. Dès lors, les efforts consentis dans les pays industrialisés seront particulièrement significatifs.

Il conviendrait également d'évoquer les flux migratoires que l'élévation du niveau des eaux va provoquer, notamment dans les pays asiatiques. La question du climat ne peut être dissociée de celle des déstabilisations démographiques au plan mondial.

En outre, l'un des « avantages » de la fonte des glaces au nord du Canada, à savoir l'exploitation de nouvelles ressources en pétrole et en gaz, ne fera qu'amplifier le mouvement puisque l'utilisation de ces combustibles fossiles produira davantage de gaz à effet ce serre.

Le président Patrick Ollier a précisé que MM. Étienne et Jouzel étaient auditionnés par la commission au titre de leurs compétences dans un domaine particulier. Les incidences géopolitiques ou géostratégiques des évolutions du climat pourront être abordées avec d'autres spécialistes.

PermalienJean Jouzel

a expliqué que sa spécialité l'avait amené à réfléchir sur les problèmes de l'évolution future du climat dans le cadre du GIEC et à l'occasion de la coprésidence, avec Nicholas Stern, du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l'environnement.

L'idée, répandue dans les pays développés, selon laquelle les pays émergents ne feront rien pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre est erronée. La Chine commence déjà à progresser, par exemple. Certains prétendent encore que la France peut continuer ses émissions puisque celles-ci ne représentent que 1 % des émissions mondiales. Le raisonnement est aberrant, y compris, comme l'a démontré Nicholas Stern, du point de vue du développement économique.

En matière de recherche sur le climat, on distinguera deux aspects : la recherche fondamentale, toujours extrêmement importante : la recherche sur les impacts, qui est fortement interdisciplinaire. Ainsi, avec une diminution des précipitations de 30 % et l'augmentation de l'évaporation, les paysages de la France vont profondément changer dans la deuxième partie du xxie siècle. Les conséquences sur la santé doivent être étudiées. De même, le GIEC a estimé qu'une élévation moyenne de 50 cm du niveau des eaux obligerait 200 millions d'habitants de quitter l'endroit où ils vivent. Certaines régions deviendront inhabitables, même si elles ne sont inondées que deux ou trois jours par an.

Les recherches portent également sur l'histoire du climat. Ainsi, il y a 120 000 ans, le Groenland a probablement contribué à une élévation de deux à trois mètres du niveau de la mer. Le réchauffement observé était dû à la position de la Terre sur son orbite.

Au total, on défendra sans réticence l'objectif du facteur 4 pour la France.

À plus longue échéance, même si l'on admet que le climat aura été stabilisé d'ici à la fin du siècle, le niveau de la mer continuera de monter. La part de ce phénomène imputable à la dilatation de l'océan, de l'ordre de 30 centimètres au cours du xxie siècle, se poursuivra dans les mêmes proportions au cours des siècles suivants. Le risque existe aussi qu'une partie des glaces du Groenland continue de disparaître. Quant à l'hypothèse, heureusement beaucoup moins probable, d'une fonte des glaces de l'Antarctique Est, elle se traduirait par une élévation de 60 mètres du niveau de la mer.

Pour espérer une stabilisation de l'effet de serre à la fin du siècle, il faut que les émissions descendent très rapidement à partir de 2020. Cela n'empêchera pas l'élévation quasi mécanique du niveau de la mer, due à l'inertie de l'océan. On pourrait atteindre des niveaux de quatre à cinq mètres. Notre action dans les prochaines décennies sera décisive sur ces phénomènes.

S'agissant du stockage du gaz carbonique, il faut signaler que la capacité de piégeage des océans et des végétaux risque de se stabiliser, voire parfois de s'inverser. Le réchauffement de l'eau entrave les échanges entre les couches de surface et les couches profondes de l'océan. Or, si les eaux de surface ne plongent pas, elles ne peuvent entraîner le gaz carbonique dans le fond. En un certain sens, ce phénomène est bénéfique car l'acidité de l'océan a déjà notablement augmenté, avec des effets importants sur la faune et la flore marines. Les projets visant à augmenter l'absorption par le phytoplancton ou grâce à l'installation de grands tuyaux entre les eaux de surface et les eaux profondes sont de fausses solutions.

En revanche, il faut envisager sérieusement et rapidement le piégeage et le stockage du gaz carbonique à la sortie des grandes centrales, en le renvoyant dans le sous-sol.

L'étude glaciologique du Groenland a mis en évidence l'instabilité du climat de cette région par le passé. On a ainsi costaté des réchauffements de l'ordre de 15 degrés en quelques dizaines d'années, avec des phases de refroidissement un peu plus lentes. Ces variations ont provoqué des arrêts, suivis de reprises, du Gulf Stream au rythme des extensions et des débâcles de la calotte glaciaire. En effet, lorsque de l'eau douce issue de la fonte se trouve à la surface de l'océan, le courant ne peut plus plonger à son arrivée près de la Norvège, si bien que la circulation océanique s'interrompt.

La fonte actuelle du permafrost et des glaces côtières du Groenland, ainsi que l'augmentation des précipitations dans le Nord de l'Europe, risquent de produire un tel effet à échéance de plus d'un siècle. Une simulation prenant en compte l'arrivée d'eau douce du Groenland et un arrêt du Gulf Stream fait apparaître un léger refroidissement au milieu de l'Atlantique Nord et une petite atténuation du réchauffement dans l'Ouest de l'Europe. Toutefois ce ne sont que des variations régionales, le réchauffement global ne présentant pas de modification notable.

Il y a 8 200 ans, la fin de la fonte de la calotte de l'hémisphère Nord a provoqué un tel phénomène, suivi d'une reprise du Gulf Stream au bout d'une centaine d'années. Toujours est-il que l'un arrêt du Gulf Stream, loin de résoudre les problèmes, viendrait au contraire s'y ajouter. Cette perspective devrait nous inciter encore plus à agir pour que le climat évolue le moins possible.

Le président Patrick Ollier a souligné que c'est l'une des premières fois que la commission des affaires économiques entend des spécialistes exposer précisément ces perspectives inquiétantes.

PermalienPhoto de Gabriel Biancheri

a rapporté qu'il avait passé plusieurs jours dans la baie de Quervain et qu'il avait pu observer, depuis la cabane de Paul-Émile Victor, les progrès de la moraine laissée par le rétrécissement du glacier. Devant le fjord d'Ilulissat, classé par l'Unesco au patrimoine mondial de l'humanité, on peut observer directement la catastrophe : ce sont des montagnes de glaces qui s'en vont à la mer. Les Inuits ont remarqué que la température ne descend plus en dessous de -30 degrés dans les hivers les plus rigoureux, contre -40 il y a quinze ans.

Les changements économiques que connaît la région constituent une conséquence du réchauffement constaté. En plus de la ligne directe de Copenhague, il s'est ouvert une ligne américaine depuis Baltimore. Son statut de semi-autonomie permet au Groenland de passer des accords sans en référer au Danemark. Ainsi, une société américaine vient de signer un partenariat de 2 milliards de dollars pour réaliser un port en eaux profondes dans la perspective de l'ouverture de nouvelles voies maritimes, tout en obtenant l'autorisation de construire une unité d'exploitation du sous-sol. La France, pour sa part, a entamé des échanges culturels…

Il serait souhaitable que le rapport Stern de 2005 soit distribué à tous les membres de la commission. L'irréversibilité du réchauffement y est démontrée de façon implacable. Nicholas Stern soutient même l'hypothèse pessimiste d'une disparition des glaces du Groenland entre 2035 et 2050. Son rapport met en relation les aspects économiques, les évolutions environnementales et les évolutions géographiques, avec notamment des flux migratoires affectant en permanence 200 à 300 millions de personnes à l'échelle de la planète.

PermalienPhoto de Martial Saddier

a rappelé que sa circonscription comprend l'ensemble de la partie française du massif du Mont-Blanc. Si l'analogie avec la température du corps humain est très éclairante, il convient aussi de souligner que la moyenne de 0,6 degré recouvre des disparités entre les régions françaises. Dans l'arc alpin, la hausse de la température est évaluée entre 1 et 1,2 degré, soit le double de la moyenne. En outre, un degré en montagne représente 150 mètres de biodiversité. Par rapport à l'après-guerre, l'évolution représente donc 200 mètres d'altitude.

Autre exemple : le front de la Mer de glace recule de 30 à 40 mètres par an, tandis que la réduction annuelle de l'épaisseur du glacier atteint 8 à 10 mètres. Comme il ne reste plus que 100 ou 120 mètres d'épaisseur, on doit prévoir la fin du glacier à échéance de dix à quinze ans. Il est vrai que les glaciers de la vallée de Chamonix ont connu des périodes où ils étaient plus hauts qu'aujourd'hui, mais cela s'inscrivait dans des cycles de 100 000 ans. Les carottages montrent que le recul actuel est sans équivalent dans les six derniers grands cycles glaciaires.

PermalienPhoto de Serge Poignant

a insisté sur l'importance des échelles de temps. Il faut être en mesure de répondre aux personnes qui relativisent le réchauffement en invoquant les modifications climatiques qui ont eu lieu dans le passé.

À M. Jancovici, qui annonçait la fin des ressources de pétrole, de gaz et de charbon, M. Étienne a objecté récemment au Sénat que des réserves existaient dans l'Arctique. Ces réserves sont-elles accessibles ? Quelles quantités représentent-elles ? La réponse à ces questions est importante pour les choix technologiques d'aujourd'hui.

PermalienJean-Louis Etienne

a précisé qu'il avait fait allusion à l'ouverture de voies navigables dans l'Arctique et aux ressources de la région parce que cette réalité doit être prise en compte. On construit des ports dans le Nord du Groenland et dans la baie de Churchill. L'Arctique est la future plaque tournante de l'industrie du gaz et du pétrole.

La signature humaine dans les émissions de gaz carbonique depuis deux siècles montre que l'homme est indiscutablement devenu un acteur du climat. Avant cette intervention, la Terre avait sa vie propre. On connaît bien les cycles climatiques liés aux variations de son orbite. La situation actuelle est toute différente, puisqu'il s'agit d'une prodigieuse accélération du réchauffement.

Nous n'avons plus le choix. Il est urgent de tout mettre en oeuvre pour économiser les énergies fossiles. Les nouveaux gisements de gaz au nord de la Norvège ou de la Russie ne dureront que quelques décennies et représentent une part infime de l'irrigation du monde en énergie, qui repose à 80 % sur l'approvisionnement en pétrole, gaz et charbon. L'amenuisement de la ressource conduira à privilégier certains emplois, par exemple dans l'industrie chimique ou pour d'autres applications où les énergies fossiles sont indispensables.

Nous avons donc quelques décennies pour réinventer nos ressources énergétiques. Ce virage est passionnant, car ce sont notre intelligence et notre faculté d'adaptation qui sont sollicitées. Dans dix ans, on trouvera totalement absurde d'avoir continué de rouler avec des voitures à essence en 2005. Il faut très rapidement prendre des mesures d'économie et adopter le mix énergétique.

À cet égard, il est irresponsable de refuser l'implantation d'éoliennes dans sa commune. Les éoliennes sont plutôt moins laides que les poteaux et lignes à haute tension qui traversent les paysages en tous sens. Au surplus, nous sommes dans une période de transition : dans quarante ans, peut-être démontera-t-on ces éoliennes pour les mettre au musée. Aujourd'hui pourtant, on ne peut se passer de l'éolien.

Il est pratiquement certain que l'on peut arriver très vite à satisfaire les besoins domestiques par l'énergie renouvelable, mais ce n'est pas le cas pour l'industrie lourde et les transports lourds, raison pour laquelle il faut préserver des énergies fossiles.

En ce qui concerne la technologie, des installations pilotes ont été mises en place, par exemple à Lacq, pour restocker le gaz carbonique à la sortie des génératrices. En Chine, on a rassemblé 3 000 ingénieurs dans une université pour travailler sur la pile à combustible : on peut tabler que les Chinois s'apprêtent à s'emparer d'un immense marché mondial. Ce sont eux qui nous vendront les panneaux solaires, les éoliennes et les autres équipements du futur.

La France n'en constitue pas moins un extraordinaire laboratoire et le Grenelle de l'environnement représente à cet égard une grande chance. Au-delà des inquiétudes, la période est enthousiasmante : c'est une Renaissance où il nous faudra réinventer la façon de consommer l'énergie. Nous sommes trop habitués à un certain confort pour qu'une régression soit envisageable. Au contraire, il nous faudra aller dans le sens de l'intelligence.

Dans cette optique, il convient de poursuivre, au-delà du programme industriel, la recherche en matière nucléaire. L'industrie nucléaire produit encore beaucoup de déchet. Il nous faut traverser cette phase. Alors que toutes les autres formes de productions reposent sur l'exploitation de ressources, le nucléaire est l'énergie de l'intelligence humaine. Le principal espoir doit être placé dans la fusion contrôlée l'atome, qui n'est autre chose que la recréation, sur terre, de l'énergie solaire.

PermalienJean Jouzel

a témoigné enfin du réel enthousiasme qu'il a rencontré au cours des travaux du Grenelle de l'environnement. La balle est désormais dans le camp du monde politique. Les mesures proposées constituent un ensemble cohérent. Elles ne sont pas anodines, mais elles sont applicables et efficaces. Ce n'est qu'assez récemment que les scientifiques ont rencontré une telle qualité d'écoute de la part des politiques. Ce partage des connaissances est d'une grande importance.

Le président Patrick Ollier a remercié les intervenants et proposé que ces échanges se renouvellent.

La commission des affaires économiques n'a pas l'intention de rester l'arme au pied. La responsabilité du législateur vis-à-vis des générations futures est engagée. Il conviendra de se montrer tout à la fois audacieux et cohérent, de manière à prendre en compte les limites de calendrier et des moyens financiers et à faire accepter à l'opinion les décisions prises. Un effort pédagogique est nécessaire, auquel la commission prendra sa part avec l'aide des scientifiques.