La commission des Finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. Patrice Martin-Lalande, Rapporteur spécial, sur des rapports particuliers de la Cour des comptes relatifs aux comptes et à la gestion des opérateurs de l'audiovisuel extérieur.
Le Président Didier Migaud : J'ai le plaisir, avec M. Patrice Martin-Lalande, Rapporteur spécial du budget des médias, d'accueillir M. Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, MM. Gilles Andréani, conseiller maître, Thomas Lesueur, auditeur, ainsi que Mme Maïa Wirgin, auditrice. Je me réjouis particulièrement de ce rapprochement entre la Cour des comptes et le Parlement : nous avons en effet sollicité l'assistance de la Cour afin de disposer d'une analyse des comptes et de la gestion de ces opérateurs et quatre rapports particuliers ont été transmis par le Premier président, M. Philippe Séguin, lesquels ont été immédiatement remis à M. Martin-Lalande afin qu'ils nourrissent – en plus des nombreuses auditions qu'il a menées – le rapport d'information sur les sociétés de l'audiovisuel extérieur qu'il s'apprête à présenter.
Ce travail que nous avons accompli – en moins de six mois – est en effet une « première » dans les relations entre la Cour des comptes et le Parlement, la commission des Finances ayant accepté de modifier son agenda afin de pouvoir disposer d'une base de travail solide fondée sur le contrôle des quatre sociétés dites de l'audiovisuel extérieur : CFI, TV5, RFI et France 24. Peut-être s'agit-il d'ailleurs d'une première application, par anticipation, du nouvel article 47-2 de la Constitution ?
Quatre aspects importants me semblent devoir être en l'occurrence soulignés.
Sur le plan budgétaire, tout d'abord, nous remarquons que la cherté d'une politique ne garantit pas la richesse d'une société. Les dotations de l'action audiovisuelle extérieure, en effet, ont augmenté sensiblement au cours des six dernières années. Le total des crédits des programmes 115 et 116, auquel s'ajoute le financement par la redevance, est ainsi passé entre 2002 et 2007 de 215 à 281 millions, ce qui représente une progression de 31 %. À cela s'ajoutent également 16 millions résultant de l'application de la convention liant l'État à France 24. Le financement de ces entreprises s'élève donc à près de 300 millions. Cette forte progression a été presque entièrement absorbée par la montée en charge de France 24 alors que la tension sur les ressources n'en est pas moins persistante. Les subventions accordées aux autres sociétés – TV5, CFI et RFI – ont quant à elles progressé de façon modérée : sans être alarmante, leur situation financière est également tendue, toutes devant faire face à des besoins de financement qui ne permettent pas d'envisager une stabilisation de leur budget à court terme. RFI a ainsi connu une perte exceptionnelle de 11 millions en 2006 liée à la renégociation, par ailleurs génératrice d'économies à terme, du contrat de diffusion qui la liait à TDF ; une recapitalisation est nécessaire. Par ailleurs, des coûts de restructuration doivent être également prévus en raison de choix de langues et de zones de diffusion trop longtemps différés. TV5 a financé son développement en réalisant des économies sur les frais de diffusion mais il ne reste qu'une zone, l'Europe, où une telle option existe si la société décide de renoncer à l'analogique en 2009 ; sans projet de développement particulier, le maintien de sa présence à son niveau actuel exige la poursuite de sa politique de sous-titrage ; les besoins d'enrichissement de sa grille de programmes sont par ailleurs manifestes. France 24, enfin, est en phase de montée en puissance. Les développements envisagés par la convention – extension de la durée du programme arabophone, extension géographique de la diffusion aux Amériques et, éventuellement, diffusion en espagnol – combinés au mécanisme d'indexation pourraient porter son budget à 133 millions en 2010. Au total, il ne faut donc pas exclure l'hypothèse d'un financement du secteur de l'audiovisuel extérieur à hauteur de 350 millions.
Si, par ailleurs, la Cour des comptes n'est pas la mieux placée pour juger de l'efficacité du dispositif lui-même, elle n'en a pas moins formulé quelques remarques essentielles. La présence de RFI est importante en Afrique subsaharienne mais plus inégale ailleurs ; ses langues et ses priorités géographiques de diffusion méritent donc d'être repensées. TV5 est, quant à elle, une chaîne généraliste mondiale dont le réseau constitue le principal atout mais la qualité de ses programmes est souvent critiquée ; elle a de plus été entraînée vers un format hybride informationgénéraliste qui a certes été clarifié dans le sens d'un retour à sa vocation initiale mais sans que ses moyens d'information aient été pour autant réduits. France 24 est une chaîne d'information moderne relativement économe qui repose principalement sur la fourniture externe d'images et le recours à un réseau de correspondants non permanents. CFI, enfin, est une banque gratuite de programmes à laquelle s'ajoute une vocation récente de coopération dont on ne sait pas si elle prendra le relais d'une activité de banque vouée au déclin dès lors que de plus en plus de pays accèdent à une offre de programmes payante. La présence de programmes français, en outre, ne coïncide pas toujours avec nos priorités stratégiques : TV5 est ainsi une chaîne francophone très investie en Europe alors que l'avenir de la francophonie se joue plutôt en Afrique ; RFI, de surcroît, n'a pas suffisamment réorienté son offre depuis la fin de la guerre froide et est insuffisamment présente au Maghreb ; ses modes de présence au Moyen-Orient, par ailleurs, doivent être redéfinis. De manière générale, c'est la présence des chaînes nationales françaises, par débordement ou par piratage, qui tient lieu de politique audiovisuelle extérieure en Afrique du Nord ; le passage à la télévision numérique risque, du reste, de créer un « trou noir » pour la présence audiovisuelle dans cette zone. Enfin, les résultats de ces sociétés ne sont pas assez mesurés : outre qu'elles consacrent moins de 1 % de leurs chiffres d'affaires à l'évaluation de leur audience, les différentes mesures tendent plutôt à valoriser l'offre – le nombre de foyers initialisés – ou la notoriété.
Le pilotage politique et administratif de l'audiovisuel extérieur, en outre, est divisé et d'une efficacité inégale. La gestion de TV5 et CFI par le ministère des Affaires étrangères n'a pas permis d'imposer à TV5 les priorités géographiques qui avaient été décidées ni d'organiser de vraies synergies avec CFI. De plus, la forte opposition du Quai d'Orsay au projet de chaîne d'information internationale a conduit à mettre en place une offre renforcée d'information sur TV5. RFI, quant à elle, est financée par le ministère des Affaires étrangères mais également par le ministère de la Culture à travers la redevance ; il est notable que des arbitrages sur les langues et les zones de diffusion n'ont pas été rendus. France 24 a été budgétairement rattachée au Premier ministre mais il s'agit d'une entreprise privée qui n'a pas eu de tutelle particulière et dont les choix stratégiques, souvent heureux, ont été opérés par sa direction. Enfin, France Télévisions n'a pas joué le rôle d'orientation stratégique qui aurait pu être le sien auprès de TV5 et CFI.
J'ajoute qu'à la suite des décisions prises par le chef de l'État, des travaux de la commission Benamou et de la nomination de M. Alain de Pouzilhac à la présidence de la société Audiovisuel extérieur de la France, de France 24, de RFI et de TV5, une holding permet désormais de centraliser l'ensemble des questions qui se posent.
Enfin, des incertitudes demeurent et des priorités devraient inspirer selon nous l'action publique.
Une première inquiétude a trait à l'évolution de l'actionnariat de France 24. M. le Premier président Philippe Séguin a conclu ainsi la lettre qu'il a transmise à la Commission au début du mois de juillet : « La perspective du changement d'actionnariat met en lumière le paradoxe d'un montage initial où la société, bien que financée sur fonds publics, est néanmoins détenue par des actionnaires qui n'encourent aucun risque financier réel dans sa gestion. En l'absence – que l'on peut regretter – d'une clause de retour à l'État de l'investissement qu'il a ainsi consenti, la Cour souligne la nécessité que le caractère original du montage d'origine soit pris en compte lors de son éventuel dénouement d'une façon qui reflète sa réalité économique et préserve les intérêts patrimoniaux de l'État. »
Une seconde inquiétude concerne le pilotage de la holding par l'État. Si, en effet, le rassemblement de l'ensemble des subventions de l'État à l'audiovisuel extérieur dans un seul programme budgétaire – et ce d'autant plus que pourrait être supprimé le financement de RFI par la redevance – va dans le sens d'une plus grande lisibilité de la politique et des financements de l'État, comment seront décidées les orientations stratégiques, géographiques et linguistiques ?
La troisième inquiétude concerne le rôle de la holding dans l'allocation des ressources de chaque entité. Les instruments de pilotage seront-ils entièrement dirigés vers la holding, qui serait libre de répartir les ressources publiques entre ses sociétés filiales, ou les financements de chacune d'elle seront-ils individualisés dans le programme « audiovisuel extérieur » ? De la même façon, y aura-t-il un contrat unique d'objectifs et de moyens au niveau de la holding ou l'État sera-t-il amené à assigner des objectifs spécifiques à chaque société ?
Trois priorités nous semblent par ailleurs décisives.
La restructuration de RFI et la mobilisation de chacune des sociétés contrôlées – TV5, CFI, RFI – sur de véritables projets est essentielle. Ces sociétés, en effet, ont pâti des nombreuses remises en chantier de l'architecture d'ensemble de l'audiovisuel extérieur. Si leurs atouts sont reconnus, elles ne s'en trouvent pas moins confrontées à une nécessaire redynamisation. S'agissant de TV5, le projet devra en outre emporter l'adhésion des partenaires de la France.
Par ailleurs, des choix politiques doivent être opérés en terme de zones, de publics et de moyens. Le périmètre de l'audiovisuel extérieur est aujourd'hui excessif compte tenu des moyens affectés à cette politique : la contrainte budgétaire commande de passer d'une logique de l'offre et de la présence universelle de médias français sans doute trop nombreux à une politique ciblée qui réponde à une demande mieux définie.
Enfin, si les synergies sans cesse annoncées et jamais réalisées doivent être un cap essentiel pour le management, elles impliquent néanmoins un coût d'entrée et ne pourront se réaliser qu'à terme.
De telles priorités ne dispensant pas les sociétés d'un effort de maîtrise des coûts, la Cour formule deux préconisations. Ces sociétés doivent tout d'abord avoir des objectifs de ressources propres, en l'occurrence et à terme, selon la direction de France 24, à hauteur de 40 %. L'absence d'un tel objectif dans le plan de financement initial de cette chaîne est d'autant plus injustifié que celle-ci a réalisé au cours de son premier exercice un produit de 4,3 millions. Les ressources propres de TV5, quant à elles, sont passées de 8,9 à 10,5 millions de 2002 à 2007. En outre, s'il est normal d'anticiper les coûts de restructuration et d'achèvement de la montée en puissance de France 24, il est impératif de les inscrire dans un cycle pluriannuel de ressources dans lequel, à ces surcoûts qui peuvent être considérés comme un investissement de départ, succédera une phase de « retour » budgétaire sous forme de synergies ou d'une croissance des ressources propres. Ce cycle devrait être formalisé dans un contrat pluriannuel.
La France a hérité dans le domaine de l'audiovisuel extérieur d'un ensemble disparate constitué en strates successives où chaque société a été l'objet d'attentions prioritaires : d'abord RFI, pilier le plus ancien de cette politique qui a manqué depuis longtemps d'un ensemble d'orientations de la part des pouvoirs publics ; CFI, qui a aspiré à devenir une chaîne mondiale de télévision au début des années 90 et est aujourd'hui ramenée à un rôle modeste de banque de programmes et de coopérations : TV5, chaîne francophone mondiale devenue à la fin des années 90 la pièce centrale du dispositif audiovisuel extérieur ; France 24, enfin, chaîne d'information continue conçue en marge d'un système qu'elle complète plus qu'elle ne s'y intègre. Ce dispositif, que l'on peut juger trop étendu, est aujourd'hui un fait acquis. Il doit être resserré, les différents intervenants doivent avoir des rôles mieux définis et les résultats d'audience être mieux évalués. Cela implique d'abord de stabiliser un secteur laissé dans l'incertitude, de remobiliser des personnels parfois démoralisés et d'assigner à chacun des objectifs clarifiés. La mise en place de la holding n'est pas une fin en soi : il s'agit d'un moyen permettant d'atteindre ces objectifs dans la cohérence et la durée.
Le Président Didier Migaud : Je vous remercie.
Je me réjouis de la coopération intervenue en la matière entre l'Assemblée nationale et la Cour des comptes qui nous a transmis, dans le cadre de travaux conduits à la demande de notre Commission, trois rapports et un relevé d'observations définitives concernant les différents outils de l'audiovisuel extérieur public.
Déjà, en 2004, mon rapport d'information sur les conventions collectives des personnels de l'audiovisuel public s'appuyait sur une enquête de la Cour des comptes : il s'agissait, d'ailleurs, à l'époque, de la première demande d'enquête formulée par notre commission des Finances au titre de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances – LOLF –, prolongeant la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour des comptes au Parlement.
De la même manière, au début de l'année, mon rapport d'information sur le bilan de la réforme de la redevance était rédigé sur le fondement de l'expertise de la Cour des comptes, à qui le Président Migaud avait commandé, toujours en application de l'article 58 de la LOLF, une communication utile et remarquée.
Faute de réponses précises de la part des autorités compétentes sur le coût de restructuration de RFI – sinon l'annonce, de la part du président Alain de Pouzilhac, qu'il n'y aurait pas de licenciement consécutif à un plan social –, disposeriez-vous, monsieur le président Picq, d'éléments précis sur ce coût, hormis la recapitalisation nécessaire de la société due à la perte de 11 millions d'euros entraînée par la renégociation du contrat de diffusion qui la liait à TDF ?
Par ailleurs, le budget de l'audiovisuel extérieur public, que vous avez estimé à 350 millions d'euros si les tendances actuelles se poursuivent, permettra-t-il, selon vous, de renforcer l'influence de la France au même titre, par exemple que les politiques en matière d'action culturelle, de développement de l'enseignement du français à l'étranger ou d'accueil d'étudiants étrangers en France ?
Concernant le manque d'adéquation que vous avez évoqué entre les objectifs stratégiques de la France et les outils de l'audiovisuel extérieur public, une mesure de l'efficacité de l'outil audiovisuel existe-elle et dispose-t-on d'éléments de comparaison avec d'autres pays ?
Quant au pilotage administratif et politique – d'une « efficacité inégale », selon votre formule –, les pouvoirs publics ne précisent pas la façon dont il sera organisé. Pour autant, il ne me semble pas que le conseil d'administration de la holding soit le lieu où l'on puisse définir la politique de l'audiovisuel extérieur de la France, mais plutôt celui où on l'applique. A quel niveau devrait selon vous s'effectuer ce pilotage ?
Le Président Didier Migaud : Pour reprendre une autre de vos formules, monsieur le président, comment faire pour ne pas avoir « une politique chère » à « l'efficacité inégale » et pour avoir « des sociétés moins appauvries » ?
La Cour des comptes n'avait pas pour mission d'évaluer le coût de restructuration de RFI. Elle devait non pas s'intéresser à l'avenir, mais constater le présent. C'est ce qu'elle a fait en chiffrant le coût nécessaire de la recapitalisation à 11 millions d'euros et en soulignant deux éléments : d'une part, s'agissant du mode de diffusion, les économies espérées en équivalent temps plein avec le passage au numérique se sont transformées en embauches supplémentaires ; d'autre part, concernant les zones de diffusion et les langues, toute décision inspirée par le souci de cibler davantage l'offre implique forcément un coût, comme l'ont souligné les présidents Cluzel et Schwartz, qu'il s'agisse de la reconversion des journalistes concernés, de la formation ou encore de l'aide au départ.
S'agissant de l'évolution du budget de l'audiovisuel extérieur public, lequel est aujourd'hui de 300 millions d'euros, les besoins de financement s'additionnent. Ainsi, pour TV5, même sans plan majeur de développement, le simple fait de maintenir une politique de sous-titrage ou d'enrichir les programmes de la chaîne a un coût. De même, pour France 24, le budget devrait être susceptible de passer de 80 à 133 millions d'euros d'ici à 2010. Voilà notamment pourquoi la Cour a estimé à 350 millions d'euros les besoins de l'audiovisuel extérieur public à cet horizon.
En matière de benchmarking – ou plutôt de parangonnage, pour faire plaisir à notre Premier président – l'affichage des résultats d'audience par les sociétés étrangères – M. Gilles Andréani répondra sur ce point – implique vraisemblablement une part d'intox. Pour autant,les dépenses d'études des sociétés de l'audiovisuel extérieur public français sont modestes et tendent plus à valoriser un potentiel d'audience qu'à mesurer la réception, même si l'exercice est parfois délicat. Il y a là une part de poker menteur que les professionnels de l'audiovisuel seraient plus à même de décrypter.
Quant au pilotage des opérateurs audiovisuels, une holding, en effet, gère et n'est pas en charge des choix politiques et diplomatiques du pays. Je ne sais si le Conseil de l'audiovisuel extérieur de la France – CAEF –, qui ne s'est pas réuni depuis longtemps, est le lieu de la décision politique et des arbitrages, mais une holding permet à tout le moins de disposer d'un lieu unique pour rendre compte et pour apprécier les enjeux politiques, financiers et diplomatiques. La Cour ne peut donc que constater qu'il existe deux niveaux différents de pilotage, l'un d'animation, l'autre de prise de décisions politiques.
Concernant la situation financière des entreprises, l'augmentation du budget de l'audiovisuel n'a profité qu'à la montée en charge de France 24, ce qui a laissé les autres, sans modifier ni leurs programmes ni leur structure, dans une situation financière plus tendue.
En matière d'études d'audience, les comparaisons internationales sont très difficiles – on sait seulement que la BBC dépense deux fois plus que les autres en pourcentage de son chiffre d'affaires à mesurer son audience. Il est cependant dans la nature de TV5 et de France 24, plus que pour les autres sociétés, de chercher à mesurer leur notoriété plus que leur audience.
La stratégie affichée de France 24 – qui dépense à cet effet presque deux fois plus en pourcentage du chiffre d'affaires que les autres – a en effet été, dans les premiers dix-huit mois de son lancement, de promouvoir d'abord la notoriété de la chaîne, avant de la faire regarder.
En Europe, des procédés, comparables à ce qui existe en France avec Médiamétrie, permettent d'obtenir des résultats d'audience qui situent TV5 à des niveaux très modestes en Allemagne ou en Belgique. Ailleurs, les mesures sont faites par sondage et par extrapolation à partir d'un échantillonnage de grandes villes du monde, mais le rapport relatif à TV5 insiste sur le caractère très lent du renouvellement du cycle des sondages.
Le rapport ayant trait à France 24 contient des éléments de comparaisons internationales, mais les chiffres ont été communiqués par la chaîne elle-même. En tout état de cause, le niveau de financement d'Al Jazira est opaque, et concernant les deux grandes chaînes internationales de la BBC – BBC News et BBC World – il est difficile de reconstituer un budget probant car la maison mère prend à sa charge nombre de frais. La Cour ne peut donc qu'avouer son impuissance pour l'établissement de comparaisons internationales.
Selon notre estimation cependant, la France n'est pas très éloignée du Royaume-Uni et de l'Allemagne en niveau de la dépense globale publique pour les études d'audience.
Le Président Didier Migaud : Nous en venons à la présentation du projet de rapport d'information sur l'audiovisuel extérieur de la France.
L'objectif du rapport d'information est de réintroduire le Parlement dans la conduite de la réforme de l'audiovisuel extérieur, dont il est largement exclu. C'est ce qui explique que des enquêtes aient été demandées à la Cour des comptes l'année dernière sur les différentes sociétés qui composent l'audiovisuel extérieur. Si, entre-temps, le Président de la République a confié une mission à deux de ses collaborateurs, MM. Benamou et Lévitte, pour réfléchir avec d'autres à la réforme de l'audiovisuel extérieur, et si la décision a été prise de constituer une holding et de nommer ses deux dirigeants, la réforme est cependant loin d'être achevée. Aussi est-il utile de rendre publics les travaux de la Cour des comptes et de les assortir de nos propres réflexions.
Ces dernières pourraient d'ailleurs se traduire – lors de l'examen du prochain projet de loi de finances ou du projet de loi sur l'audiovisuel qui prendra en compte certaines mesures préconisées par la Commission pour la nouvelle télévision publique – par le dépôt de plusieurs amendements.
Un premier amendement pourrait obliger à la transmission systématique du projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'audiovisuel extérieur aux commissions parlementaires compétentes afin, comme pour l'audiovisuel hexagonal, de permettre au Parlement d'exprimer sa position avant la signature et, au Gouvernement, de faire connaître à ce dernier les objectifs qu'il assigne à l'audiovisuel extérieur.
Un autre amendement permettrait également inscrire dans la loi le principe d'une audition annuelle et systématique du président de la société holding de l'audiovisuel extérieur, de façon que, de la même manière que les commissions des Finances et des Affaires culturelles entendent chaque année un exposé du président de France Télévisions suivi d'un débat sur la mise en oeuvre de son contrat d'objectifs et de moyens, nous puissions avoir un suivi du pilotage administratif et politique de l'audiovisuel extérieur – le politique ne se résumant pas en l'occurrence à l'exécutif, mais comprenant aussi le législatif.
La réforme est donc entrée dans sa phase opérationnelle avec la transformation d'une structure, dont l'État était seul propriétaire du capital, en une société rebaptisée « Audiovisuel extérieur de la France » – AEF –, ce qui a permis de créer la holding dans laquelle figureront à terme les outils de l'audiovisuel extérieur de la France, lorsque certaines questions liées à l'actionnariat auront été réglées. Ses deux dirigeants, M. Alain de Pouzilhac, président, et Mme Christine Ockrent, directrice générale, ont alors été nommés.
Il convient maintenant que les synergies à attendre de la mise en cohérence de l'audiovisuel extérieur soient quantifiées et évaluées afin de ne pas tomber dans des errements comme pour la numérisation de RFI. De même, les cibles géographiques, les publics visés ainsi que les médias à privilégier doivent être mieux définis, car le nouveau modèle du média global permet de sortir de l'organisation fondée sur une seule technologie de diffusion.
Par rapport aux autres formes d'influence de la France dans le domaine international, un comparatif est certainement à élaborer entre cet outil que constitue l'audiovisuel et les autres outils disponibles. Il conviendra également de vérifier la réalité des économies qui auront été exigées dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de la société holding, afin d'éviter ce qui est arrivé avec la numérisation.
Concernant l'actionnariat, l'entrée d'AEF dans le capital de RFI impliquait de lever un obstacle législatif, ce qui a été réalisé avec l'adoption d'un amendement au projet de loi de modernisation de l'économie, permettant à l'État de détenir indirectement la totalité du capital de RFI. Cette disposition, en attente de promulgation, est un préalable nécessaire à une détention directe du capital de RFI par la société holding.
S'agissant de TV5, après le « psychodrame » dû à l'idée d'intégrer la chaîne au sein de l'audiovisuel extérieur français – nos partenaires francophones ayant en effet apprécié de manière inégale cette initiative que certains ont pu considérer comme une mainmise de la France sur cette société multilatérale –, la confiance semble aujourd'hui revenue : TV5 sera considéré comme un « partenaire » et non une filiale de la société holding – cette dernière ne détenant pas plus de 49 % du capital –, et Mme Marie-Christine Saragosse en a été nommée directrice générale de plein exercice.
Pour autant, ce compromis devra permettre à la fois de ménager la souveraineté de nos partenaires – même si la France supporte l'essentiel de la charge de TV5 – et de promouvoir des synergies avec les autres éléments de l'audiovisuel extérieur français.
Quant à l'actionnariat de France 24, composé de France Télévisions et de TF1 à la suite d'une participation acquise pour 17 500 euros chacune, les pouvoirs publics négocient avec la chaîne privée le rachat de sa participation, mais les prétentions de celle-ci vont au-delà de ce que l'État peut se permettre – sans parler des aspects moraux de la question. Ces négociations seront peut-être menées en lien avec ce que TF1 espère retirer des assouplissements en matière de publicité liés à la nouvelle directive européenne Services médias audiovisuels – SMA – et de la suppression partielle de la publicité sur France Télévisions.
Pour ce qui est du pilotage administratif et politique, on ne peut que s'étonner de l'annonce faite par Alain de Pouzilhac, par ailleurs excellent président, de l'abandon du rapport Benamou, alors que ce dernier constitue la première tentative d'une définition d'une politique cohérente de l'État en matière d'audiovisuel extérieur. Seules les autorités politiques en charge de l'audiovisuel extérieur de la France pourraient en décider ainsi. Ce travail devra être comparé au plan d'action stratégique pour les années 2009-2013 que doivent élaborer M. Alain de Pouzilhac et Mme Christine Ockrent.
On ne peut se contenter, comme lieu de définition de la politique extérieure de la France en matière d'audiovisuel, du conseil d'administration de la holding, même si des représentants de l'État y siègent. Les mois qui viennent seront donc importants pour arrêter la forme et le rôle de cet outil de pilotage.
En résumé, un pas en avant a été franchi. Alors que nombre de rapports antérieurs, y compris ceux que j'ai rédigés, dénonçaient un certain immobilisme dans le domaine de l'audiovisuel extérieur, la réforme est cette fois-ci lancée. Le cap est bon, et si des problèmes continuent de subsister concernant les modalités de réalisation de la réforme, ils pourront certainement être résolus lors du vote du projet de budget, et je tiens à nouveau à remercier la Cour des comptes de sa contribution au débat.
Je remercie M. le président Picq ainsi que M. Martin-Lalande pour la pertinence de leurs observations. Je suis assez étonné et préoccupé de constater que l'audiovisuel extérieur n'est pas complètement intégré au sein des différentes politiques du ministère des Affaires étrangères. Pire : la France ne semble pas considérer ce secteur comme un outil de sa politique étrangère. Qui prend les décisions en la matière ? A cela s'ajoute que la direction du ministère des Affaires étrangères censée être responsable de l'audiovisuel extérieur disparaîtrait, le ministère de la Culture et de la communication récupérant pour lui seul cette responsabilité. En outre, le pilotage de ce domaine ne pourrait-il être inclus dans l'éventuel Conseil de l'action extérieure de l'État envisagé dans le Livre blanc remis à M. le ministre des Affaires étrangères par M. Alain Juppé ? Enfin, ce Conseil ne pourrait-il pas jouer le même rôle que l'ancien conseil interministériel de l'audiovisuel ?
Je partage ces préoccupations : il serait en effet paradoxal que le seul ministère de la Culture et de la communication ait en charge la politique de l'audiovisuel extérieur, lequel constitue par ailleurs un élément important de notre politique étrangère. Il me semble en revanche souhaitable que le nouveau Conseil exerce son activité d'une manière différente de l'ancien tant ce dernier ne donnait guère satisfaction. Je vous propose de poursuivre notre dialogue dans le cadre de la discussion du budget et de la loi sur l'audiovisuel. Quoi qu'il en soit, un versant interministériel s'impose.
Le Président Didier Migaud : C'est en effet le bon sens.
Je tiens à souligner la diversité de ce secteur : les quatre sociétés que j'ai évoquées constituent quatre mondes à part entière. Entre CFI, petite structure en voie d'appauvrissement et TV5 ou France 24, les différences sont immenses et ce serait une erreur de croire à une fusion magique ! La restructuration est délicate et exige beaucoup de prudence de la part de la holding : le chemin sera long.
En outre, piloter, ce n'est pas gérer. L'audiovisuel est une affaire de professionnels. C'est à eux de s'intéresser aux synergies, à la valorisation et aux objectifs ! Étant par ailleurs soumis à des contraintes politiques – l'action de la France – et financières, il faut que les dirigeants veillent à la réalisation des objectifs et que les arbitrages politiques et financiers soient rendus au niveau adéquat. La holding doit pouvoir favoriser une telle organisation.
Le Président Didier Migaud : Je vous remercie. D'autres initiatives s'inscriront en effet dans le cadre de la prochaine loi de finances initiale ou du texte relatif à l'audiovisuel.
Consultée, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information de M. Martin-Lalande, auquel seront joints les quatre rapports de la Cour des comptes ainsi que les lettres de transmission de M. Philippe Séguin.