Nous allons examiner le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle sur le coût des opérations militaires extérieures, notamment sous mandat international. Avaient été désignés comme rapporteurs, M. Louis Giscard d'Estaing, par ailleurs rapporteur spécial de la commission des Finances sur le budget opérationnel de la défense, et Mme Françoise Olivier-Coupeau membre de la commission de la Défense.
La mission a procédé aux auditions qui lui ont été nécessaires pour disposer d'une vue complète sur les méthodes de préparation et de suivi des Opex, et les rapporteurs se sont rendus au centre de planification et de suivi des opérations de l'état-major des armées puis au Kosovo au Tchad et en Afghanistan.
Je sais qu'ils ont particulièrement apprécié les relations de confiance nouées avec le président de la 2eme chambre de la Cour des comptes, M. Alain Hespel, et les magistrats de cette chambre chargés d'un rapport sur le même sujet qui sera rendu public la semaine prochaine. Ces travaux menés en parfaite complémentarité sont d'un grand intérêt.
Mission nous avait été donnée d'évaluer et de contrôler le coût des Opex. Depuis près de deux décennies, la France projette en permanence 10 000 à 12 000 de ses militaires en opérations extérieures souvent périlleuses, en plus de ceux qui sont prépositionnés dans des pays avec lesquels la France a signé des accords. Ces opérations ont un coût élevé, et qui augmente continûment. Évalué à 852 millions d'euros en 2008 et probablement sous-estimé, ce coût ne devrait guère se réduire, compte tenu de notre implication croissante en Afghanistan, un théâtre d'opération particulièrement onéreux.
En outre, à l'inverse de pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas qui sont présents, parfois en force, sur un nombre réduit de théâtres, la France participe à cinq opérations extérieures majeures. Cette dispersion génère un coût élevé en logistique, transport, service de santé, et frais d'états-majors.
L'intervention de la MEC a été motivée par l'exigence d'un contrôle démocratique sur un poste majeur de dépenses de l'État. Il ne s'agissait ni d'empiéter sur les compétences constitutionnelles du chef de l'État et du Gouvernement s'agissant des décisions d'engager les forces armées et de définir leurs missions – toutefois, je rappelle que, depuis la réforme de la Constitution, l'autorisation d'engagement de nos forces au-delà de quatre mois est soumise au Parlement –, ni de soumettre l'examen de ces crédits à une approche strictement financière – la sécurité des hommes et la réussite de la mission sont également des éléments à prendre en compte.
Dans ce domaine comme dans les autres, la MEC est inspirée par la recherche de l'efficience de la dépense publique. Les rapporteurs ont donc souhaité examiner l'optimisation des moyens mis au service de la politique militaire extérieure de la France. Les Opex doivent être menées au meilleur coût, et non au moindre coût.
Les Opex constituent une activité en forte hausse depuis vingt ans. La France est aujourd'hui l'une des puissances les plus engagées dans ce type d'opérations internationales. Parmi les pays comparables, seul le Royaume-Uni atteint un niveau d'engagement équivalent au nôtre, avec quelque 15 000 militaires déployés à l'étranger, principalement en Irak et en Afghanistan.
La Cour des comptes, qui s'est penchée en même temps que l'Assemblée nationale sur le coût des opérations extérieures, a calculé que le déploiement permanent de 12 000 militaires hors de nos frontières rendait nécessaire la rotation d'environ 40 000 militaires par an.
La quasi-totalité des forces déployées et des ressources financières consacrées par la France aux opérations extérieures est concentrée sur les cinq théâtres les plus importants. En Afghanistan, la France déploie au total 3 400 hommes dans les opérations Enduring Freedom et Pamir, ainsi que dans les détachements air basés au Kirghizstan et au Tadjikistan et dans l'opération navale Héraclès. Au Kosovo, la participation française est de quelque 1 600 personnels à la KFOR de l'OTAN et de 160 hommes à la mission Eulex de l'Union européenne – mission de soutien juridique et de police. Au Liban, le contingent français – 1 500 militaires – est au deuxième rang de l'opération des Nations unies (FINUL), derrière le contingent italien. Au Tchad, la France déploie 1 140 hommes dans le dispositif Epervier depuis 1986, et 230 hommes sont présents au Centrafrique dans le cadre de l'opération Boali depuis 2003. Depuis janvier 2008, nous avons aussi déployé 1 600 soldats dans le cadre de l'opération européenne Eufor, en cours de remplacement par la Minurcat des Nations unies. En Côte d'Ivoire, la France, engagée dans l'opération Licorne et dans l'ONUCI, déploie environ 2 000 soldats.
Compte tenu des risques que ces opérations nombreuses et répétées font courir sur le recrutement, nous proposons de mettre en place des indicateurs de performance destinés à mesurer l'adaptation des armées aux Opex : taux de militaires partant en Opex plus fréquemment que la norme fixée par l'armée de terre, qui est de quatre mois sur seize, et de six mois pour l'Afghanistan ; évolution du taux de renouvellement des contrats des militaires ayant servi en Opex par comparaison à l'ensemble des militaires.
Certains pays, confrontés comme la France à la hausse continue du coût des Opex, essaient de la compenser en faisant participer largement leurs entreprises nationales aux travaux de reconstruction. C'est le cas de la plupart des pays anglo-saxons et aussi de l'Allemagne, voire de la Turquie, très présente sur les théâtres afghan, libanais et kosovar. Ces nations utilisent notamment des réservistes issus de grandes entreprises qui profitent de leur présence sur le terrain dans des structures militaires et de leurs carnets d'adresses pour prospecter les marchés dont beaucoup sont financés par des fonds onusiens ou européens.
Les Français n'ont pas cet état d'esprit et privilégient plutôt les entreprises locales. Cela s'explique par la volonté de faire appel à de la main d'oeuvre locales pour stabiliser l'économie des régions en crise, mais surtout par l'absence des entreprises françaises, peu intéressées par des théâtres d'opérations supposés instables et qui négligent le rôle d'information, voire de prospective, que pourraient jouer des réservistes issus de leurs rang. Si l'absence flagrante des entreprises françaises en Afghanistan peut se comprendre, ce pays n'étant pas dans la zone d'influence française traditionnelle, il en est malheureusement presque de même au Tchad, pays francophone et dont les liens avec notre pays sont particulièrement anciens et étroits. Vos rapporteurs déplorent donc le faible engagement des entreprises françaises dans les opérations de reconstruction et de soutien de nos armées.
Par ailleurs, il apparaît que le coût des Opex est nettement sous-évalué. Jusqu'à présent, seuls les coûts directs sont pris considération – principalement les rémunérations et le fonctionnement des forces envoyées en opérations. Certains coûts pourtant structurels mais qui ne relèvent pas de ces catégories ne sont pas pris en compte alors qu'ils sont directement induits par les opérations extérieures. Il s'agit principalement des coûts suivants :
– les dépenses de long terme liées aux carrières des militaires ayant servi en Opex telles que les bonifications de retraite liées aux états de service, les rentes ou pensions d'invalidité, les pensions versées aux veuves et ayant droits ;
– l'usure rapide de matériels très sollicités, ce qui en rend l'entretien plus onéreux, le surcoût étant évalué par les armées entre 25 à 30 millions d'euros par an – dans le cadre de la politique de gestion des parcs, lors du renouvellement des forces tous les quatre mois, les matériels sont désormais laissés sur place, ce qui entraîne certains problèmes de maintien en condition opérationnelle ;
– la formation renforcée des personnels en partance pour l'Afghanistan, théâtre d'opération où ils seront soumis aux dangers propres à la guerre. Cette formation concerne 7 500 personnes par an, dure six mois au lieu de trois, comprend un stage en centre d'aguerrissement en montagne, et dont l'état-major n'a pas évalué le coût ;
– les programmes réalisés dans l'urgence, particulièrement coûteux, tels que l'achat de véhicules spécifiques, l'installation de tourelleaux téléopérés sur les VAB ou encore l'achat de brouilleurs – le coût de ces programmes d'urgence a été estimé à environ 100 millions d'euros en 2008 ;
Les nombreuses opérations d'infrastructure non comptabilisées. Ainsi, la reconstruction de l'hôpital militaire de N'Djamena, pourtant financé par les différentes armées, n'est pas prise en compte dans le budget opérationnel de programme « Opex ».
Le ministère du Budget s'en tient à une définition très restrictive du coût des opérations extérieures, considérées principalement sous l'angle des rémunérations et des frais de fonctionnement. Les dépenses d'équipement, considérées comme durables, sont exclues du champ puisque les matériels acquis à l'occasion d'une Opex sont censés être réutilisés ultérieurement. Or le coût du rapatriement de certains préfabriqués est souvent supérieur à celui de l'acquisition de matériels similaires neufs…
Une instruction datant de 1984 fixe les règles de calcul des surcoûts liés aux Opex. Adoptée à une époque où les opérations extérieures ne connaissaient pas l'ampleur qu'elles ont prise, cette instruction apparaît beaucoup trop restrictive. Sa modification, à l'ordre du jour depuis plusieurs années mais sans cesse reportée, doit aboutir.
Sur ce point, vos rapporteurs formulent plusieurs préconisations. Ils demandent d'abord que les consultations reprennent entre le ministère du Budget et celui de la Défense pour actualiser l'instruction de 1984 de manière à prendre en compte, de la manière la plus exhaustive possible, le coût des opérations extérieures. Nous demandons notamment que soient intégrés dans le coût des Opex les dépenses de long terme liées aux carrières, celles liées au renforcement de la préparation des personnels, le coût des matériels et équipements perdus en action ainsi que le coût des matériels achetés en urgence.
La mission s'est aussi demandé si certaines dépenses engagées relevaient de l'aide au développement plutôt que de la défense. Lorsqu'elles se trouvent en opérations à l'étranger, les forces françaises font profiter les populations locales d'actions qui s'apparentent davantage à de l'aide au développement qu'à de la défense, même si le coût est considéré comme relevant des Opex.
Ainsi, les armées françaises en opérations extérieures bénéficient du soutien du service de santé des armées. Des centres médicochirurgicaux sont installés sur les théâtres d'opération et des médecins et chirurgiens sont présents en permanence. Comme la situation, sauf en Afghanistan, est généralement calme, les personnels médicaux interviennent, à 90% de leur activité, au profit des populations locales. Cette aide médicale aux populations, entièrement gratuite et trop peu mise en valeur, coûte 4,5 millions d'euros par an, tous théâtres confondus.
Afin de mieux faire accepter sa présence sur les territoires où elle stationne, l'armée française procède à des actions civilo-militaires : il s'agit de mener, si possible avec l'aide des autochtones et pour un budget limité, des opérations au profit des populations locales : rénovation d'un pont, d'un bâtiment public, d'un dispensaire, d'une pompe à eau...
Sur décision politique, la France assure depuis plusieurs années le soutien total ou partiel de contingents étrangers au sein des coalitions auxquelles elle participe. Depuis 2000, elle assure ainsi le soutien complet – hébergement, logement, alimentation... – du contingent marocain stationné à Novo Selo, au Kosovo, et principalement utilisé à la garde du camp. Ce bataillon, qui comptait 450 soldats à l'origine a été réduit, début 2009, à 220 hommes. L'« arrangement technique » signé le 25 mars 2000 entre les deux pays prévoit un montant mensuel de dépenses limité à 149 400 euros. Le coût cumulé du soutien de ce bataillon s'est élevé à 21,3 millions d'euros, entièrement prélevés sur le budget consacré aux Opex.
Au Tchad, l'armée française a fourni gratuitement au contingent polonais divers matériels d'un coût de 2,4 millions d'euros, dont un système d'hébergement pour 150 hommes ; elle nourrit le contingent de 60 Albanais stationnés à Abéché à qui elle fournit des véhicules destinés à lui permettre de mener à bien sa mission de garde du camp. Aux Ukrainiens, elle fournit gratuitement 350 m3 de carburant aéronautique par mois et de l'alimentation pour 18 militaires, pour un coût de 8,5 millions d'euros. À la Russie, elle fournit également un module destiné à loger 150 personnes... Le coût total de cette aide aux contingents étrangers est évalué, pour le théâtre tchadien, à 12,68 millions d'euros en 2008.
Enfin, en Afghanistan, l'armée française, comme les autres armées alliées, contribue gratuitement à la formation de l'armée nationale. Cet effort, dont le coût ne semble pas être précisément chiffré, est également imputé sur le budget des opérations extérieures du ministère de la défense alors qu'à bien des égards il s'apparente à une action de coopération.
La mission demande donc que soient bien distinguées, dans le coût des opérations extérieures, les dépenses qui relèvent réellement de la défense et celles qui ressortissent à la coopération ou à l'aide au développement. Il n'apparaît pas anormal que les actions relevant de l'action extérieure de la France soient financées par les crédits du ministère des Affaires étrangères plutôt que par ceux de la mission Défense.
La mission a constaté une sous-budgétisation initiale chronique.
Pendant longtemps, le coût des opérations extérieures n'a pas été inscrit en loi de finances initiale car il était considéré comme un événement exceptionnel et imprévisible. En 2003 pour la première fois, et à la demande insistante des parlementaires, 24 millions d'euros ont été provisionnés pour des opérations dont le coût réel s'est élevé, cette année-là, à environ 630 millions. Partie de rien, la budgétisation des Opex s'est faite très lentement pour plafonner à 55 % du montant réel en 2007 et en 2008. Dans le budget pluriannuel 2009-2011, cette provision a été portée à 510 millions. Toutefois, compte tenu du niveau de l'engagement extérieur de la France, cette somme ne suffira même pas à couvrir les deux tiers des dépenses attendues cette année.
Jusqu'à présent, les surcoûts non provisionnés ont été le plus souvent compensés en cours d'exercice par l'annulation de crédits d'équipement. Cette procédure, préjudiciable au bon déroulement des programmes d'équipement, a conduit au respect très approximatif des dernières lois de programmation. Les armées étant tenues d'avancer la trésorerie des Opex, cette manière de procéder a contribué à accroître les reports de crédits d'un exercice sur l'autre tout en augmentant les intérêts moratoires dus aux fournisseurs payés avec retard. Ainsi, selon l'état-major des armées, la part des surcoûts restés à la charge du ministère de la Défense et financée par les crédits d'équipement depuis 1998 s'élèverait à près de trois milliards d'euros. Voilà qui explique des discussions assez tendues entre le ministère du Budget et celui de la Défense.
À ce sujet, les Rapporteurs formulent deux propositions.
D'une part, il faut poursuivre l'amélioration de l'inscription en loi de finances initiale de la totalité du coût prévisionnel des Opex –il faut aussi accepter le principe que nous puissions, en cours d'année, réduire notre engagement sur certains théâtres d'opération ; d'autre part, lorsque le Gouvernement présente au Parlement une demande d'autorisation de renouvellement d'opérations extérieures, conformément à la Constitution, il doit communiquer une actualisation des coûts et une étude d'impact pour chaque théâtre d'opération.
Sur la base de ce constat, la mission a formulé des propositions visant à optimiser les coûts.
Lorsqu'une opération extérieure est entreprise, les troupes déployées sont d'abord hébergées dans des logements provisoires, généralement sous des tentes. Puis, l'opération durant, des logements préfabriqués sont achetés, acheminés et installés. Dans un troisième temps, au bout d'un certain nombre d'années, la fabrication d'éléments en « dur » est décidée.
L'expérience montre que, sauf cas très particuliers, les opérations extérieures sont longues. L'Opex en Bosnie a duré 15 ans, celles au Kosovo, en Côte d'Ivoire, au Tchad, en Afghanistan se prolongent, respectivement, depuis 10, 7, 23 et 8 ans, sans réelle perspective de désengagement à court terme, sauf peut-être pour le Kosovo.
La solution la plus rationnelle semble être de construire des bâtiments « en dur » pour loger nos troupes aussitôt que possible, avec des schémas standardisés assurant des constructions sécurisées bien définies. Le coût de la main d'oeuvre locale et des matériaux rend la construction moins onéreuse que l'achat et l'acheminement de préfabriqués qui, bien que censés être mobiles, ne pourront que très difficilement être réutilisés et dont le rapatriement coûte plus cher que l'abandon.
Outre les économies financières réalisées sur le long terme, les constructions présentent plusieurs avantages : elles assurent une bien meilleure protection contre les roquettes et tout autre type d'attentat ; elles procurent un meilleur confort pour les personnels – ce qui n'est pas négligeable quand les températures passent de -20 à +40 degrés ; elles assurent du travail à la main d'oeuvre locale ; elles peuvent être rétrocédées aux autorités locales lors du retrait. Certes, une installation de ce type présente l'inconvénient de donner d'emblée le signal d'une installation longue. Mais cela peut aussi avoir l'effet bénéfique de montrer la détermination de notre pays.
Aussi considérons-nous que, lorsqu'une opération extérieure est lancée et s'il n'est pas expressément décidé que sa durée sera limitée à quelques mois, les armées ont intérêt à bâtir aussitôt que possible des installations pérennes aussi standardisées que possible qui, outre les avantages sécuritaires, feront réaliser, sur la durée, des économies substantielles en matière d'infrastructures.
Au sein de coalitions comme l'Otan ou l'Union européenne, les services rendus par un État à un autre, comme l'alimentation ou le transport, font l'objet d'une facturation. Or, la France ne facture pas à ses alliés les prestations qu'elle leur fournit au même niveau qu'elle s'acquitte de ses factures. Notre pays facture ses prestations à « coût coûtant », alors que les autres nations facturent un coût global qui intègre l'amortissement. C'est ainsi que l'alimentation quotidienne d'un militaire français par l'armée néerlandaise en Afghanistan nous est facturée 50 euros, alors que la France en réclame beaucoup moins aux armées dont elle nourrit les soldats – et dans certains cas, elle ne leur présente même pas de facture.
Un interprète afghan recruté à Kaboul par les forces françaises est rémunéré environ 600 euros par mois. Mais lorsque la France doit exceptionnellement faire appel à un interprète fourni par une autre nation de la coalition, ce service lui est facturé 2 500 euros par mois ! Cette forme de candeur aboutit à ce que, pour l'année 2009, la France doit 7,45 millions d'euros à ses alliés quand ceux-ci ne lui doivent que 4,91 millions d'euros – de plus, nos militaires estimant la procédure si compliquée et les paiements si aléatoires que les factures ne sont parfois pas envoyées.
Au Tchad, ce sont les géographes de l'armée française qui ont réalisé la cartographie complète de l'est du pays. Lorsque la Minurcat est arrivée, sans la moindre carte, les données cartographiques appartenant à l'armée française ont été cédées à l'ONU pour une somme dérisoire, « à peine plus que le prix du papier sur lequel elles sont imprimées ».
Nous proposons de facturer les prestations servies par la France aux armées alliées selon les méthodes de calcul utilisées pour facturer les prestations équivalentes à nos forces, en se fondant sur le coût global et non sur le coût marginal.
Les armées utilisent sur la plupart des théâtres d'opération des véhicules civils, parfois achetés mais généralement loués. C'est le cas en Afghanistan, pour 28 véhicules tout-terrain, dont une bonne partie sont blindés. Si le prix de location d'une voiture non blindée reste acceptable quoique très élevé, – 600 euros par mois –, le coût de la location d'un 4X4 blindé est de 6 600 euros par mois. Il est vrai que le marché est étroit, ce qui ne favorise pas la concurrence.
Selon les calculs du ministère de la Défense, une voiture blindée louée reviendrait, sur trois ans, « à peine plus cher » – 37 000 euros de plus, quand même – qu'une voiture achetée. Outre que le mode calcul, dont vous trouverez le détail dans le rapport, nous paraît discutable, ces 37 000 euros d'économie par véhicule ne nous paraissent pas négligeables, sans compter que l'état-major des armées semble oublier que, contrairement à une voiture louée, une voiture achetée peut être revendue. En réalité, nous avons le sentiment que les armées préfèrent louer plutôt qu'acheter, même si cela revient plus cher aux finances publiques, car ce qui est loué est imputé en frais de fonctionnement remboursables par Bercy en fin d'exercice, alors que les achats d'équipement ne sont pas remboursables. Des raisons procédurales et la mésentente entre les deux ministères ont donc pour effet un gaspillage d'argent public.
Nous recommandons donc que lorsqu'il apparaît que le coût de location d'un matériel, notamment d'un véhicule, est supérieur, pour la durée d'utilisation envisagée, au coût d'achat, de privilégier l'acquisition.
Depuis quelques années, la piraterie maritime se développe sur une grande échelle. Malgré les mises en garde répétées des autorités françaises, nombre de navires battant pavillon national, notamment des plaisanciers – je pense au Carré d'As et au Ponant – continuent à fréquenter les eaux dangereuses du Golfe d'Aden, notamment. Certains de nos compatriotes ont été victimes d'enlèvements – à cette occasion, le skippeur du Tanit a même été tué – et, pour les libérer, les armées ont dû mettre en place des dispositifs lourds et coûteux. La vie de nos soldats a été mise en danger à l'occasion de chacune de ces opérations. Si la décision de mener ces missions pour sauver des vies humaines ne se discute pas, il n'en demeure pas moins que ces missions permettent également de récupérer les navires détournés ; or ce sauvetage de biens matériels est réalisé au profit de propriétaires et d'assureurs à qui il ne vient parfois même pas l'idée d'écrire une lettre de remerciement au ministre de la Défense.
Il n'y a aucune raison pour que coût du sauvetage d'un navire – pas celui d'un otage – ne soit pas facturé au propriétaire ou à l'assureur du bâtiment en question. Outre le dédommagement que le ministère de la Défense recevrait, on peut penser que la menace de cette sanction financière aurait une vertu pédagogique et pourrait conduire armateurs et plaisanciers à mieux respecter les mises en garde des autorités françaises.
Nous recommandons donc que toute intervention militaire aboutissant à la récupération d'un navire mis en difficulté par un acte de piraterie fasse l'objet d'une facturation au propriétaire ou à son assureur.
Le budget contraint de la mission Défense ne permet pas toujours aux forces de disposer de tout le matériel dont elles peuvent avoir besoin. Or, les opérations permettent parfois de réaliser des prises qui pourraient être réutilisées par les armées. C'est le cas des embarcations rapides utilisées par les narcotrafiquants aux Antilles et en Méditerranée – ces embarcations, appelées go fast, sont équipées de quatre à cinq moteurs de 1 000 chevaux chacun.
Nous proposons donc que la législation – code des douanes ou code des domaines – soit modifiée pour permettre aux armées de réutiliser pour leur propre compte le matériel pris lors d'opération, en particulier les embarcations rapides saisies lors d'arrestations de narcotrafiquants, ou pour l'accomplissement de leur mission ou au moins comme réserve de pièces de rechange. À l'heure actuelle, le matériel saisi pourrit dans des hangars.
Nous considérons enfin que le Parlement doit s'intéresser à l'externalisation. La volonté de recentrer les forces sur leur coeur de métier a conduit l'état-major des armées à développer un vaste projet d'externalisation. Cette externalisation n'est réalisable que sur des théâtres d'opération stabilisés. En effet, dans une situation potentiellement dangereuse, confier des tâches à des sociétés privées reviendrait à exposer des civils aux dangers de la guerre et constituerait un poids pour les militaires qui devraient, en plus de leur mission, assurer la protection de ces civils. Le recours à des entreprises privées est très utile dans des domaines qui ne relèvent pas du coeur de métier des armées comme la construction ou l'agrandissement de bases, la fourniture d'eau, de groupes électrogènes ou de produits alimentaires.
Toutefois, la répartition des marchés accordés aux entreprises peut créer un risque politique. Ainsi, selon les statistiques du ministère de la Défense, 96 % des entreprises travaillant pour l'Eufor au Tchad sont des multinationales, souvent européennes ; seuls 4 % des marchés sont donc récupérés par les entreprises tchadiennes. Il n'est pas rare de voir les autorités locales manifester leur insatisfaction devant la faible place faite aux entreprises de leur pays. C'est une des raisons pour lesquelles les militaires français tentent, au Tchad comme en Afghanistan, de favoriser les entreprises locales.
D'autre part, compte tenu des rémunérations versées par les forces françaises, il est fréquent qu'un interprète ou un personnel de restauration soit mieux rémunéré qu'un policier ou un professeur. Le risque existe donc de voir des professionnels particulièrement qualifiés – des universitaires ou des chirurgiens, par exemple – abandonner leur métier et priver leur pays de leurs compétences parce que l'interprétation est plus rémunératrice.
Autre inconvénient : l'externalisation de services se traduit par la passation de contrats qui ne sont pas toujours d'une grande souplesse. Ainsi, l'une des raisons du coût élevé des opérations menées au Tchad tient à ce que les contrats passés avec le secteur privé pour la construction et le fonctionnement du « camp des étoiles », à Abéché, l'ont été pour 2 000 soldats. Or, au cours de l'année 2008, ce camp a plutôt hébergé 1 000 à 1 500 personnes en moyenne, mais les prestataires ont argué de leurs investissements pour facturer un montant de prestations correspondant à 2 000 occupants. Si ce camp avait été géré avec des moyens uniquement militaires, l'adaptation aurait été certainement plus facile.
Enfin, il arrive que dans certaines régions déshéritées, l'économat des armées ne trouve pas de prestataire de services où qu'il en trouve un seul. Dans ce cas, le bénéfice financier de l'externalisation est loin d'être évident.
Pour toutes ces raisons, nous appelons l'attention de la commission des Finances sur l'utilité de s'intéresser de plus près à l'externalisation, menée à grands pas par le ministère de la Défense, en créant éventuellement une mission d'évaluation et de contrôle sur le coût et les bénéfices attendus de l'externalisation au sein de ce ministère.
Madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la grande qualité de votre travail qui montre une fois de plus toute la pertinence des missions d'évaluation et de contrôle. Je me félicite que la commission des Finances et les autres commissions travaillent de conserve, car nos propositions seront d'autant mieux entendues que d'autres commissions auront été associés à leur élaboration.
J'adhère aux propositions formulées, mais il me semble que la proposition n° 18 gagnerait à être précisée. Je comprends la logique qui la sous-tend, et il est effectivement choquant que ceux qui ont bénéficié du secours de la force publique n'aient même pas l'idée d'envoyer un mot de remerciement. Toutefois, il faut distinguer sociétés commerciales et personnes privées. L'État a un devoir d'assistance à l'égard de nos concitoyens, et bien des imprudences sont commises sans que leurs auteurs reçoivent une facture. Pour autant, si une société pétrolière continue de faire emprunter à ses navires des itinéraires qui leur ont été fortement déconseillés, il faut, bien sûr, envisager une sanction financière.
Cette mission a été des plus intéressantes, mais nous avons été frappés, au cours des auditions, par une absence de bon sens un peu trop bien partagée.
Elle s'est manifestée en premier lieu dans la nature des relations entre le ministère du Budget et celui de la Défense. Nous avons entendu des personnalités venir régler leurs comptes devant nous ; il était flagrant que la communication ne passait plus et que l'on demandait à la mission de jouer un rôle de médiation. Il convient d'insister auprès des ministres concernés sur ce que cette situation a de choquant.
Nous avons eu le sentiment que les relations entre les trois armées manquaient également de liant. Là encore, il conviendrait d'inciter le ministre à intervenir.
J'en viens à la budgétisation. Certes, 24 millions ont été inscrits au budget de 2003 au titre des Opex, et pour la première fois. Seulement, cette somme ne représentait qu'une infime partie du coût total de ces opérations, et l'on voit bien que la France ne bénéficie pas des économies d'échelle que devraient permettre des opérations européennes. Là encore, le bon sens fait gravement défaut.
Je comprends le point de vue exprimé par le président Didier Migaud : il paraît effectivement difficile d'envoyer la facture des secours à des plaisanciers qui ont été victimes d'actes de piraterie. Toutefois, le dispositif actuel est très déresponsabilisant. Nous devons donc nous doter des moyens juridiques qui permettront de récupérer les sommes dépensées auprès de ceux qui ont les moyens de les rembourser. Peut-être, en effet, la sanction financière ne doit-elle pas être automatique, mais quand notre marine est contrainte de mener des opérations de police, alors que ce n'est pas son rôle, parce que des sociétés commerciales ignorent sciemment les mises en garde qui leur ont été faites, il faut pouvoir sanctionner ces comportements irresponsables.
La proposition n° 19 me laisse dubitatif. Dans tous les cas, la réutilisation par nos armées du matériel saisi en opération ne peut être entreprise sans garanties juridiques très protectrices.
Je remercie les rapporteurs, grâce auxquels nous avons fait des découvertes passionnantes.
Je m'associe aux remerciements adressés aux deux rapporteurs.
J'aimerais savoir si les déclarations faites par le ministre de la Défense, le 8 juin dernier, lors du débat sur la loi de programmation militaire, soulignant la nécessité d'un soutien financier régulier pour assurer la disponibilité des matériels ont été suivies d'effets. Cette disponibilité est la condition première de la sécurité de nos hommes et de l'opérationnalité réelle.
J'aimerais aussi savoir sur quelle base est calculé le remboursement onusien et comment il est comptabilisé dans le budget du ministère de la Défense.
Enfin, la nature des Opex a beaucoup changé depuis 1984, à mesure que notre présence se renforçait en Asie centrale – en Afghanistan en particulier. Il faut donc imposer aux deux ministères concernés un dialogue approfondi à ce sujet, dialogue manifestement inexistant à ce jour.
Le rapport qui nous a été soumis est d'un intérêt soutenu. Il est rare que des dysfonctionnements et des sources de gaspillage sautent aussi clairement aux yeux. À ce sujet, la Cour des comptes a-t-elle menée un travail aussi approfondi que la mission ? Les aberrations décrites me semblent pour certaines être passibles de la Cour de discipline budgétaire. N'est-ce pas une perversion de préférer louer des matériels, parce que, contrairement aux crédits d'équipement, les crédits de fonctionnement sont réinscrits, plutôt que d'en acheter ? Qu'en dit la Cour des comptes?
D'autre part, la sous-évaluation en loi de finances initiale du coût des Opex est permanente. En fait, la dotation devrait être supérieure à un milliard d'euros – chacun conviendra que ce montant n'a rien d'anecdotique. Il est inacceptable que ce procédé perdure. Puisque ces crédits n'ont plus rien d'exceptionnel, les dotations doivent apparaître dans la loi de finances initiale, pour permettre un réel contrôle du Parlement, obliger le ministre à justifier des inscriptions budgétaires et mettre en évidence les aberrations éventuelles. La lisibilité du budget en serait grandement améliorée.
Je félicite nos deux rapporteurs qui contribuent à faire la clarté sur les comptes de la Nation.
J'aimerais en savoir plus sur l'état réel de nos matériels, particulièrement les hélicoptères.
J'aimerais aussi savoir si nos hommes, dont on sait l'engagement remarquable dans les pires conditions, sont, eux aussi, convenablement équipés.
D'autre part, une préparation psychologique est-elle prévue pour ces soldats qui passent d'un théâtre d'opération à un autre et qui sont tenus de s'adapter à des situations très différentes dans des pays eux-mêmes très différents ?
Enfin, je crains que l'on ne tende à externaliser certains services au seul motif que d'autres armées ont elles-mêmes externalisé des opérations militaires.
La base aussi bien que les officiers généraux ayant fait état de multiples difficultés, la commission des Finances a largement matière à continuer de vérifier, avec la commission de la Défense, que les finances publiques sont correctement utilisées. Le culte du secret a fait son temps et la transparence doit prévaloir.
Je remercie à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leur travail.
Au Kosovo, où je suis allé avec la 4ème brigade aéromobile, dont l'état-major se trouvait à Nancy, deux choses m'avaient plus particulièrement marqué.
D'abord, l'importance de l'action humanitaire en direction des civils. Il ne faudrait surtout pas faire cesser ces opérations civiles et de coopération car d'après ce que nous avaient dit les militaires sur place à l'époque, elles contribuent grandement à la qualité de leur intervention et à leur propre sécurité. Il conviendrait en revanche de mettre en place une comptabilité analytique afin de bien distinguer ce qui relève de la mission militaire et ce qui relève plutôt de la coopération. L'a-t-on fait, de manière expérimentale, sur quelque théâtre d'opération?
M'avaient aussi marqué à l'époque les étapes successives de l'installation des troupes, dans des tentes d'abord, puis des locaux trouvés sur place, éventuellement pris en location chez l'habitant, ensuite des ébauches de constructions… – au point qu'on en est venu à se poser la question de l'installation de camps modèles standardisés qui pourraient être partout rapidement construits. Cela a-t-il été fait quelque part ? L'intérêt de cette installation d'emblée dans des locaux en dur a-t-il pu être évalué ?
Je m'associe aux félicitations adressées aux rapporteurs par tous les orateurs qui m'ont précédé.
Ce qui me frappe, moi, c'est la faiblesse des retombées économiques pour les entreprises françaises de nos opérations militaires extérieures. Les rapporteurs déplorent le faible engagement de nos entreprises dans les opérations de soutien de nos armées comme de reconstruction. Leurs propositions en ce domaine ne pourraient-elles pas aller plus loin encore ?
Enfin, la remarque sur l'utilité de la création d'un billet de 1 euro n'a pas manqué de m'intéresser.
La commission des Finances insiste encore et toujours sur la sous-évaluation des crédits Opex. Des progrès ont été réalisés. Le ministre actuel est sensible au problème et a veillé à ce que la dotation inscrite en loi de finances initiale soit plus élevée. Un pas supplémentaire devra être franchi, dans la mesure où on sait encore pertinemment que les crédits réellement utilisés seront supérieurs à ceux budgétés, ce qui met en cause la sincérité des estimations budgétaires. Il ne me choque pas que des ajustements puissent avoir lieu en cours d'année mais ils doivent pouvoir être justifiés.
L'intérêt de ce rapport est aussi de proposer des économies potentielles, certains gaspillages, François Goulard l'a dit, résultant de comportements anormaux, dont il faudrait toutefois être certain qu'ils ne sont pas la conséquence d'une application rigide de principes eux-mêmes trop rigides. La LOLF a essayé d'apporter des solutions. Certaines règles devront peut-être être rappelées.
Ne doutant pas que la Commission autorisera la publication de ce rapport, j'invite les rapporteurs à communiquer le plus largement possible à son sujet et à le diffuser auprès de la presse. Fruit d'un important travail, les propositions très intéressantes contenues dans ce rapport méritent d'être connues.
En ce qui concerne la piraterie, il ne s'agit pas de facturer systématiquement l'intervention de nos forces mais de faire savoir que le ministère de la Défense peut, dans certains cas, être amené à exiger le remboursement des frais engagés. Cela aurait tout d'abord une vertu pédagogique. Si les plaisanciers savaient que, le cas échéant, tout ou partie de ces frais pourraient leur être facturés, cela les inciterait sans doute à s'assurer, beaucoup d'entre eux ne l'étant pas encore. Pour le reste, soyez assurés que nous faisons bien la différence entre les catégories de navires.
S'agissant de notre proposition que les armées puissent réutiliser pour leur propre compte les matériels saisis en opération, je suis, comme vous, consciente des difficultés juridiques que cela peut poser. Nous n'avons fait qu'ouvrir une piste sur laquelle il faut, ensemble, continuer d'avancer. Nos policiers et nos gendarmes déplorent eux aussi de ne pas pouvoir utiliser les véhicules très rapides saisis auprès de certains malfaiteurs, qui leur seraient bien utiles pour d'autres opérations. Mais, bien évidemment, un encadrement juridique très strict doit être prévu.
Pour ce qui est des matériels, vous avez demandé si ceux utilisés dans les Opex sont parfaitement adaptés et en bon état. Les armées ne diront jamais le contraire. Je pense, pour ma part, que l'on met à disposition des troupes les matériels nécessaires… dans la limite de ceux possédés. L'aéromobilité, par exemple, est très déficiente. Ce n'est, hélas, qu'après l'embuscade d'Ouzbin que nos troupes ont pu obtenir un troisième hélicoptère Caracal en Afghanistan, alors même que ces appareils, utilisés notamment pour aller récupérer des blessés, volent nécessairement par deux. Nous n'en avions auparavant que deux sur place, c'est-à-dire aucun si l'un était en panne. Il n'y a là aucune mauvaise volonté politique. Nos armées n'ont tout simplement pas tant de matériels que cela. Nul ne doute que si elles possédaient les matériels nécessaires, elles les mettraient à disposition ! Par ailleurs, le report de la livraison de l'A400M va coûter très cher au budget de la Défense en matière de transport.
De même, sur un plan plus modeste, tous nos soldats en Afghanistan ne sont-ils pas encore équipés de chaussures de montagne. Il est prévu de le faire, comme on les a équipés progressivement d'un nouveau gilet pare-balles, plus protecteur et entravant moins leur mobilité. Mais il a fallu un an pour que tous soient équipés. Ce sous-équipement conduit aux achats dans l'urgence, souvent décriés, et pousse parfois nos militaires à s'acheter eux-mêmes leur équipement – cela a notamment été le cas des chaussures de montagne en Afghanistan –, ce que le chef d'état-major des armées interdit pourtant formellement. Toutes ces difficultés ne tiennent pas seulement à des raisons budgétaires, mais aussi au fait qu'on ne dispose pas des matériels et de l'équipement ad hoc.
Je laisserai Louis Giscard d'Estaing vous répondre plus précisément sur notre collaboration avec la Cour des comptes.
La Cour des comptes travaille en effet sur le coût des Opex depuis plus d'un an. Son rapport ne sera, hélas, disponible que le 8 juillet. Les lourdeurs de ses procédures internes expliquent les trop longs délais entre le moment où la Cour se saisit d'un sujet et celui où ses conclusions sont disponibles.
Le Premier Président de la Cour des comptes est conscient de ces lourdeurs et de la longueur des délais. La Cour a fait beaucoup de progrès et est désormais beaucoup plus réactive.
Georges Tron a regretté un manque de bon sens financier dans l'établissement des bases de calcul. Il faut savoir qu'il n'existait pas, jusqu'à il y a peu, de comptabilité analytique au ministère de la défense. L'état-major des armées s'est maintenant doté d'un bureau budget-finances de bon niveau mais qui n'est pas encore en mesure de connaître exactement tous les frais réels engagés par les armées. Cela étant, d'une manière générale, il est difficile d'évaluer le surcoût strictement lié aux Opex. En effet, quel est-il par rapport aux coûts ordinaires d'entraînement et de fonctionnement d'un régiment en matière de munitions, de carburant, d'usure des matériels… ? Des études sont actuellement menées sur le carburant.
L'armée de l'air est confrontée à un problème particulier supplémentaire, à savoir que les pilotes envoyés en Opex effectuent en peu de temps un très grand nombre d'heures de vol, si bien que, de retour à leur base, ils n'ont plus le droit de voler, ce qui pose le problème du maintien en condition opérationnelle de certains personnels très spécialisés – je pense aux pilotes de Caracal qui, selon la doctrine d'emploi de nos armées, volent à moins de cinq mètres du sol. Au bout de deux mois en Afghanistan, ils ont épuisé leur « crédit » d'heures de vol. Tous ces éléments font qu'il est difficile d'évaluer le surcoût d'une Opex.
Pour ce qui est d'une comptabilité analytique, un effort a été fait, mais notre travail doit inciter les responsables à le poursuivre. Bercy doit demander les justificatifs nécessaires au ministère de la Défense et celui-ci mieux préciser ce qu'il retient dans ses bases de calcul.
S'agissant des matériels, Jean Launay a raison. Nous l'avons parfaitement mis en évidence lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire, la vétusté de certains d'entre eux obère leur disponibilité opérationnelle. Nos Transall sont à bout de souffle, nos Puma, pourtant indispensables au Tchad pour l'opération Épervier, arrivent en fin de vie… En ce qui concerne la gestion des parcs, des progrès ont été accomplis. Alors qu'auparavant les chars Leclerc, déployés par exemple au Liban, étaient systématiquement rapatriés en France au moment de la relève des unités, ce qui était exagérément coûteux, ils restent désormais sur place, seuls les équipages se relayant.
Concernant les remboursements de l'ONU, la France, il faut l'avouer, peut-être par sens de sa responsabilité en tant que grande puissance, n'était pas très prompte à les solliciter, contrairement à d'autres pays pour lesquels cela améliore significativement la situation de leurs militaires. L'ONU rembourse en effet sur la base d'un barème forfaitaire, peu intéressant pour l'armée française. Mais les choses ont changé. Une véritable prise de conscience s'est opérée au ministère de la Défense et à l'état-major des armées où l'on considère désormais légitime de se faire rembourser lorsqu'on intervient sous mandat international. Toutefois, au Liban par exemple, seul théâtre où l'ONU a remboursé les matériels, les chars Leclerc étaient hors barème ; il faut savoir que certains pays y arrivent sans matériel, l'ONU le leur fournissant …
Tout à fait. Nos véhicules de combat AMX-10 P entraient, eux, dans le barème.
L'ONU rembourse 1 028 dollars, soit 735 euros, par mois et par soldat, ce qui est supérieur à la solde des militaires de nombreux pays, mais inférieur à celle des nôtres.
Oui, monsieur Goulard, nous nous sommes attachés à mettre en évidence les dysfonctionnements, aidés en cette tâche par les magistrats de la Cour des comptes avec lesquels nous avons travaillé, Mme Saliou et M. d'Aboville, qui nous ont mis sur quelques pistes. Sous-budgétisation ou sous-évaluation des crédits des Opex ? J'ai déjà pointé la difficulté d'évaluer les surcoûts exacts liés aux Opex, sachant que les armées ont de toute façon un coût de fonctionnement. Sous-budgétisation, assurément : le président Migaud a raison. On est encore très en-dessous de l'objectif qui paraîtrait légitime de 80% des dépenses inscrites en loi de finances initiale.
Monsieur Dumont, le maintien en condition opérationnelle et la disponibilité opérationnelle sont excellents pour les Opex. Mais pour que les matériels envoyés en Opex soient en parfait état, on « cannibalise » ceux restant en métropole. Le problème aujourd'hui pour certains régiments est de disposer d'assez de matériels pour s'entraîner avant de partir… Certains équipements des hommes peuvent n'être pas parfaitement adaptés. Si notre armée de l'air dispose de treillis couleur sable pour pays chauds, ce n'est pas le cas de notre armée de terre, dont les treillis sont les mêmes sur tous les théâtres d'intervention. Ainsi en Afghanistan, nos soldats d'infanterie sont-ils équipés de treillis de couleur verte, ce qui n'est pas la couleur dominante des paysages afghans… Les achats en urgence ou sur étagère s'expliquent ainsi du fait que nos unités ne disposent pas toujours de l'équipement idoine.
Pour ce qui est de l'externalisation, nous souhaitons poursuivre notre réflexion. Les États-Unis ont externalisé la restauration du corps des marines, qui a d'ailleurs été confiée à une entreprise française, Sodexo. Mais cela ne vaut que sur le sol américain. Sur les théâtres extérieurs, c'est l'armée américaine qui assure la restauration de ses troupes.
Vous avez raison, monsieur Carcenac, les grands groupes français de travaux publics, du traitement de l'eau, des fournitures électriques… sont très peu présents sur le théâtre des Opex. Presque aucune entreprise française ne soumissionne aux marchés, importants, lancés par l'OTAN ou par l'ONU. Il y a là un vrai sujet de réflexion. Peut-être pourrions-nous mobiliser les entreprises sur le sujet par le biais des officiers de réserve, à l'instar de l'Allemagne, dont beaucoup de réservistes travaillent pour de grandes entreprises quand ils ne sont pas en opération. Si ce lien était mieux assuré, peut-être nos entreprises pourraient-elles participer davantage aux reconstructions ou réaliser des infrastructures, notamment dans des pays où nous intervenons en stabilisation ou pour le maintien de la paix. Le cas du Tchad, pays traditionnel de la zone d'influence française, nous a paru éloquent, trop peu d'entreprises françaises y étant présentes.
Monsieur Hénart, une expérimentation d'installation en dur est en cours en Afghanistan pour nos bases opérationnelles avancées. Nous avons visité celle de Tora, où cette construction présente le double avantage de faire travailler les entreprises locales et de pouvoir laisser à l'armée afghane, lorsque nous nous retirerons, une installation en dur, plus sûre. La prise en compte de la sécurité des troupes est en effet un élément déterminant. La garnison soviétique qui, du temps de l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS, occupait cette position, d'où est d'ailleurs partie notre patrouille tombée dans l'embuscade d'Ouzbin l'été dernier, a été exterminée. Les Soviétiques n'étaient qu'une soixantaine à cet endroit alors que nous y avons 350 hommes. Surtout, ils n'avaient pas occupé le promontoire situé en face, d'où ils ont été pilonnés, alors que nous y avons, nous, installé un poste pour une section de façon à sécuriser notre position.
Enfin, s'agissant de l'utilité le billet de 1 euro, la question n'est pas aussi anecdotique qu'il y paraît. Les trésoriers doivent faire transporter sur le théâtre des opérations des valises de pièces pouvant peser jusqu'à 120 kg, ce qui coûte très cher, notamment quand ce transport a lieu par voie aérienne. De plus, les pièces présentent l'inconvénient de ne pouvoir être changées en monnaie locale, tandis que le billet de 1 dollar, qui représente 70 centimes d'euro, plus maniable, facile à utiliser et surtout convertible, est extrêmement utilisé sur le théâtre des Opex. Notre plus petite coupure, le billet de cinq euros, représente, elle, huit dollars. Un billet de 1 euro ne serait donc pas inutile, sans compter qu'il est un théâtre où l'euro est devenue la monnaie locale, le Kosovo l'utilisant depuis plusieurs années.
Je vous remercie de ces réponses. Je souhaite que le rapporteur suive la mise en oeuvre des propositions de ce rapport et que la MEC, sur des sujets aussi importants que celui-ci ou le financement des SDIS, dont nous traiterons la semaine prochaine, qui dépassent largement les clivages politiques, puisse faire un point à échéance d'un an. Il nous appartient d'assurer au mieux le suivi des propositions, très intéressantes, parfois de simple bon sens, que nous formulons.
Je propose maintenant à la commission des Finances d'autoriser la publication de ce rapport.
La Commission autorise la publication du rapport, en application de l'article 145 du règlement.
Informations relatives à la Commission