La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) s'est réunie pour examiner le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton, rapporteure, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) s'est réunie pour examiner le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton, rapporteure, sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments.
a présenté le rapport, puis un échange de vues a eu lieu auquel ont participé MM. Jean Mallot et Pierre Morange, coprésidents, ainsi que MM. Georges Colombier et Jean-Pierre Door.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a adopté le rapport à l'unanimité.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ensuite procédé à l'audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports.
a présenté le rapport, puis un échange de vues a eu lieu auquel ont participé MM. Jean Mallot et Pierre Morange, coprésidents, ainsi que MM. Georges Colombier et Jean-Pierre Door.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a adopté le rapport à l'unanimité.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ensuite procédé à l'audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports.
Nous entamons aujourd'hui une série d'auditions consacrées à notre nouveau thème d'étude : les affections de longue durée. Je souhaite la bienvenue à M. Didier Houssin, directeur général de la santé, première personnalité à être consultée sur ce sujet. Par ailleurs, je précise que Mme Anny Golfouse-Buet, rapporteure à la sixième chambre de la Cour des comptes, nous assistera dans nos travaux sur ce sujet.
Je rappelle, en outre, que la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale vient d'adopter à l'unanimité le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton consacré à notre précédente thématique, la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Ce rapport sera présenté tout à l'heure devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis présenté à la presse, dont je salue les représentants présents aujourd'hui.
Pourquoi s'intéresser aux affections de longue durée (ALD) ? Parce qu'elles comptent pour une bonne part dans le défi sanitaire auquel notre pays est confronté. Ainsi, comme l'a rappelé Mme Catherine Lemorton dans son rapport, les dépenses liées aux ALD représentent 60 % des dépenses de l'assurance maladie. Et les patients atteints d'affections de longue durée, qui représentent 14 % des assurés, consomment à eux seuls la moitié des médicaments, en raison des pathologies lourdes dont ils sont affectés.
Sans attendre, je laisse la parole à notre rapporteur, M. Jean-Pierre Door.
Nous entamons aujourd'hui une série d'auditions consacrées à notre nouveau thème d'étude : les affections de longue durée. Je souhaite la bienvenue à M. Didier Houssin, directeur général de la santé, première personnalité à être consultée sur ce sujet. Par ailleurs, je précise que Mme Anny Golfouse-Buet, rapporteure à la sixième chambre de la Cour des comptes, nous assistera dans nos travaux sur ce sujet.
Je rappelle, en outre, que la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale vient d'adopter à l'unanimité le rapport présenté par Mme Catherine Lemorton consacré à notre précédente thématique, la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments. Ce rapport sera présenté tout à l'heure devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis présenté à la presse, dont je salue les représentants présents aujourd'hui.
Pourquoi s'intéresser aux affections de longue durée (ALD) ? Parce qu'elles comptent pour une bonne part dans le défi sanitaire auquel notre pays est confronté. Ainsi, comme l'a rappelé Mme Catherine Lemorton dans son rapport, les dépenses liées aux ALD représentent 60 % des dépenses de l'assurance maladie. Et les patients atteints d'affections de longue durée, qui représentent 14 % des assurés, consomment à eux seuls la moitié des médicaments, en raison des pathologies lourdes dont ils sont affectés.
Sans attendre, je laisse la parole à notre rapporteur, M. Jean-Pierre Door.
Les affections de longue durée sont en effet un sujet dont nous nous préoccupons depuis longtemps, car les statistiques montrent qu'elles tendent à tirer vers le haut l'évolution des dépenses de santé. Ainsi, selon les derniers chiffres dont disposent les caisses d'assurance maladie, la croissance des dépenses liées aux soins de ville est de 0,9 % pour les patients non ALD et de près 9 % pour les patients en ALD. Cela nous incite à nous poser certaines questions au sujet de l'avenir de la protection sociale et de l'organisation de notre système de santé. Nous avons tous lu attentivement le rapport sur le bouclier sanitaire que M. Raoul Briet et M. Bertrand Fragonard viennent de remettre à la ministre de la santé. Ce rapport, sur lequel je vous demanderai votre avis, confirme que la progression des dépenses de médicaments se concentre surtout sur les patients en ALD. Le constat est donc sans appel.
Aussi, j'aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet et savoir quelles seraient vos pistes de réflexion. Faut-il revoir la liste des ALD, qui sont aujourd'hui au nombre de trente, sans compter les « hors-liste » ? Faut-il modifier les critères de sortie ou considérer qu'un patient doit être maintenu toute sa vie dans le système ? D'une manière générale, comment la direction générale de la santé est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge des affections de longue durée ?
Les affections de longue durée sont en effet un sujet dont nous nous préoccupons depuis longtemps, car les statistiques montrent qu'elles tendent à tirer vers le haut l'évolution des dépenses de santé. Ainsi, selon les derniers chiffres dont disposent les caisses d'assurance maladie, la croissance des dépenses liées aux soins de ville est de 0,9 % pour les patients non ALD et de près 9 % pour les patients en ALD. Cela nous incite à nous poser certaines questions au sujet de l'avenir de la protection sociale et de l'organisation de notre système de santé. Nous avons tous lu attentivement le rapport sur le bouclier sanitaire que M. Raoul Briet et M. Bertrand Fragonard viennent de remettre à la ministre de la santé. Ce rapport, sur lequel je vous demanderai votre avis, confirme que la progression des dépenses de médicaments se concentre surtout sur les patients en ALD. Le constat est donc sans appel.
Aussi, j'aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet et savoir quelles seraient vos pistes de réflexion. Faut-il revoir la liste des ALD, qui sont aujourd'hui au nombre de trente, sans compter les « hors-liste » ? Faut-il modifier les critères de sortie ou considérer qu'un patient doit être maintenu toute sa vie dans le système ? D'une manière générale, comment la direction générale de la santé est-elle impliquée dans la réflexion engagée sur la prise en charge des affections de longue durée ?
Les affections de longue durée représentent un problème délicat, peut-être le plus difficile de ceux auxquels nous sommes confrontés. Si améliorer la santé de la population est notre objectif prioritaire, il est également essentiel de rendre cette amélioration accessible à tous. Or l'évolution du dispositif ALD rend plus délicate la conciliation de ces deux objectifs.
Je ne rappellerai que brièvement cette évolution, déjà présentée dans le rapport rédigé par M. Raoul Briet et M. Bertrand Fragonard avec le concours de M. Pierre-Jean Lancry et dans nombre d'études récentes. Le dispositif, né avec la sécurité sociale, est marqué par une approche centrée sur les soins, héritière d'une époque où la médecine semblait de nature à résoudre presque tous les problèmes. De fait, un système fondé sur une liste de maladies conduit à aborder la santé publique et sa dimension financière à travers le prisme de la médecine et du soin.
Il n'y a cependant pas lieu de regretter cette option. Le système des ALD a représenté une évolution formidable. À une époque où la médecine était triomphante, il constituait la meilleure façon de prendre les malades en charge, et a permis de soigner des patients qui, autrement, n'auraient pas pu l'être. Une étude de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a montré qu'en 2004, le coût annuel de traitement d'un malade était de 23 000 euros pour une néphropathie chronique grave, de 26 000 euros pour une hémophilie, de 16 000 euros pour une suite de transplantations d'organes, de 21 000 euros pour une mucoviscidose et de 17 000 euros pour une paraplégie – pour prendre les chiffres les plus élevés. Ce sont des coûts très importants, et sans une prise en charge totale, les victimes de ces pathologies de longue durée n'auraient pu être soignées. Par ailleurs, certaines pathologies plus fréquentes et qui entraînent souvent la mort, telles que les affections cardiovasculaires ou les cancers, représentent un coût moindre par personne, mais beaucoup plus important à l'échelle de la population. Il faut donc bien distinguer les affections qui se révèlent extrêmement coûteuses pour une personne de celles qui le sont pour la société. Ce ne sont pas les mêmes.
Le dispositif ALD est remarquable, mais il est victime de son succès. Les études prospectives montrent qu'en 2015, il pourrait concerner 12 millions de personnes et concentrer 70 % des dépenses d'assurance maladie remboursées. La question se pose donc de savoir si nous pouvons continuer ainsi ou si une réforme s'impose.
Ma contribution à cette réflexion, particulièrement complexe et qui comprend une importante dimension économique, ne peut qu'être modeste et se limiter à tracer quelques pistes.
Première remarque : l'équilibre financier de notre système d'assurance maladie est un objectif majeur en termes de santé publique. Nous avons la chance de vivre dans un pays qui offre, malgré les limites et les fragilités du système, une certaine égalité d'accès à la prévention et aux soins. Il est essentiel de conserver cet acquis, même s'il tend aujourd'hui à être remis en cause par des problèmes d'inégalités territoriales ou de dépassements d'honoraires – ou même par l'instauration de franchises, bien que leur niveau reste aujourd'hui modeste. Quoi qu'il en soit, il convient de s'interroger sur la façon de pérenniser un système qui garantit globalement l'égalité d'accès aux soins et à la prévention.
Deuxième remarque : une des faiblesses du système ALD est peut-être son approche centrée sur les soins. On laisse ainsi de côté des éléments déterminants, relatifs à l'environnement ou au comportement, qui devraient faire l'objet d'une prévention hors du système de soins. Beaucoup de choses se jouent avant même que se pose la question de l'affection de longue durée. Les exigences de santé publique comme l'approche économique imposent d'aborder le sujet en amont.
Troisième remarque : l'avantage du dispositif ALD, c'est qu'il permet dès le début une prévention secondaire ou tertiaire, laquelle pourrait être compromise par une entrée plus tardive dans le dispositif. Si, comme il en a été question, nous modifions les critères d'admission en ALD, en particulier s'agissant des affections cardiovasculaires, du diabète et de l'hypertension, alors il conviendra de mettre en oeuvre des actions de prévention au moins aussi efficaces que celles qui sont menées lorsque le patient bénéficie de la prise en charge au titre des affections de longue durée. On peut imaginer, par exemple, une consultation de prévention systématique.
Réviser le dispositif ALD, qui atteint peut-être ses limites, ne doit donc pas conduire à jeter le bébé avec l'eau du bain, car les apports de ce dispositif sont irremplaçables, en particulier pour les affections les plus coûteuses dont je citais à l'instant des exemples.
Que les choses soient claires : le propos de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale n'est en aucun cas de jeter l'opprobre sur une catégorie de la population en raison des maux dont elle souffre ni de la désigner comme responsable du déséquilibre des comptes sociaux et sanitaires. Vous avez judicieusement souligné le caractère essentiel et novateur de ce dispositif, dont l'origine se confond avec celle de la sécurité sociale. Nous ne cherchons qu'à dresser l'état des lieux et à établir des prévisions, afin d'en tirer les conséquences à court, moyen et long terme, sur le plan sanitaire comme sur le plan budgétaire.
En effet, en dépit des réformes successives dont a bénéficié le système de soins, la situation budgétaire reste critique. La laisser perdurer reviendrait à remettre en cause l'expression, en matière sanitaire, de principes fondamentaux de la République. Nous sommes unanimes à rappeler la nécessité de concilier qualité des soins, proximité et égalité d'accès. Or M. Jean-Pierre Door a évoqué le rapport Briet-Fragonard sur le bouclier sanitaire, qui propose un véritable changement de paradigme. En effet, depuis l'origine de la sécurité sociale, on cotisait selon ses moyens et on recevait selon ses besoins. Dans un système de bouclier sanitaire, dès lors qu'un critère financier intervient pour définir le remboursement, on peut affirmer, en outrant quelque peu le propos, que l'on cotise et reçoit selon ses moyens. Quel est votre sentiment sur ce sujet, sachant qu'un tel dispositif ne pourrait pas être opérationnel avant trois ou quatre ans, dans le meilleur des cas, compte tenu de la complexité des données à maîtriser et de la coordination qui sera nécessaire entre les différentes structures ?
Que les choses soient claires : le propos de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale n'est en aucun cas de jeter l'opprobre sur une catégorie de la population en raison des maux dont elle souffre ni de la désigner comme responsable du déséquilibre des comptes sociaux et sanitaires. Vous avez judicieusement souligné le caractère essentiel et novateur de ce dispositif, dont l'origine se confond avec celle de la sécurité sociale. Nous ne cherchons qu'à dresser l'état des lieux et à établir des prévisions, afin d'en tirer les conséquences à court, moyen et long terme, sur le plan sanitaire comme sur le plan budgétaire.
En effet, en dépit des réformes successives dont a bénéficié le système de soins, la situation budgétaire reste critique. La laisser perdurer reviendrait à remettre en cause l'expression, en matière sanitaire, de principes fondamentaux de la République. Nous sommes unanimes à rappeler la nécessité de concilier qualité des soins, proximité et égalité d'accès. Or M. Jean-Pierre Door a évoqué le rapport Briet-Fragonard sur le bouclier sanitaire, qui propose un véritable changement de paradigme. En effet, depuis l'origine de la sécurité sociale, on cotisait selon ses moyens et on recevait selon ses besoins. Dans un système de bouclier sanitaire, dès lors qu'un critère financier intervient pour définir le remboursement, on peut affirmer, en outrant quelque peu le propos, que l'on cotise et reçoit selon ses moyens. Quel est votre sentiment sur ce sujet, sachant qu'un tel dispositif ne pourrait pas être opérationnel avant trois ou quatre ans, dans le meilleur des cas, compte tenu de la complexité des données à maîtriser et de la coordination qui sera nécessaire entre les différentes structures ?
Le dispositif ALD ne peut pas poursuivre deux lièvres à la fois. Il ne peut pas concourir à l'amélioration de la qualité grâce aux protocoles et à l'organisation des soins tout en cherchant à résoudre les difficultés financières que nous connaissons et qui se poseront avec plus d'acuité dans les années à venir. Le bouclier sanitaire relève, lui, d'une approche essentiellement financière qui a le mérite d'être assez simple. Je ne suis pas le mieux placé pour juger de sa faisabilité, mais je présume que ce sera difficile, surtout si le bouclier doit s'exprimer en fonction du revenu, ce qui me semble légitime. La même somme n'a en effet pas la même valeur selon les revenus dont on dispose. Pour assurer une certaine justice, il convient donc de corréler le dispositif aux ressources disponibles, quitte à exonérer totalement les personnes dépourvues de revenus.
Toutefois, les difficultés techniques et le temps nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet ne doivent pas constituer un frein. C'est une solution séduisante, sans doute plus que celle qui consisterait à rechercher, par exemple dans le cas de l'hypertension artérielle, le moment à partir duquel doit survenir l'admission en ALD.
Compte tenu de la complexité de la médecine et de la diversité des êtres humains, ce serait en effet très difficile. Mieux vaut, sans doute, passer à autre chose, tout en conservant l'esprit qui a présidé à la création du système ALD.
Ce système est en effet remarquable, tant il est l'expression de la solidarité nationale. Mais la liste des pathologies concernées est très ancienne. Doit-elle être revue ? De même, faut-il redéfinir les critères d'admission en ALD ? Et les critères de sortie ? En tant qu'ancien cardiologue, je sais que de nombreuses personnes ont été maintenues en ALD alors qu'elles auraient pu sortir du système. Dès lors, le « stock » de patients concernés ne fait que croître. Lorsque des patients vont mieux, lorsque l'affection est stabilisée, ne devraient-ils pas se retirer du système de solidarité afin que d'autres en bénéficient ?
Ce système est en effet remarquable, tant il est l'expression de la solidarité nationale. Mais la liste des pathologies concernées est très ancienne. Doit-elle être revue ? De même, faut-il redéfinir les critères d'admission en ALD ? Et les critères de sortie ? En tant qu'ancien cardiologue, je sais que de nombreuses personnes ont été maintenues en ALD alors qu'elles auraient pu sortir du système. Dès lors, le « stock » de patients concernés ne fait que croître. Lorsque des patients vont mieux, lorsque l'affection est stabilisée, ne devraient-ils pas se retirer du système de solidarité afin que d'autres en bénéficient ?
Vous avez raison, et des tentatives ont d'ailleurs eu lieu en ce domaine. Ainsi, l'ordonnancier bizone est un moyen de distinguer les soins qui relèvent de la maladie exonérante de ceux qui en sont éloignés. Par ailleurs, il serait sans doute utile de s'interroger sur les critères de sortie du système ALD pour certaines affections, de même que l'on s'est posé la question pour l'admission, notamment s'agissant du diabète ou de l'hypertension. La difficulté est de définir des critères légitimes, compte tenu de la spécificité de chacune des situations. On peut donc essayer de mettre en oeuvre les mesures que vous évoquez, et tenter de faire preuve de plus de discernement, au moins pendant la période transitoire qui nous sépare de la mise en place d'un système plus juste et efficace. D'éventuels ajustements, qui auraient pour motivation principale la nécessité de répondre à la situation financière, ne feraient que reporter le problème : il faudra bien, de toute façon, mettre en place un nouveau système tel que le bouclier sanitaire.
Aujourd'hui, dans le système ALD, tout est intégralement pris en charge, y compris les médicaments à vignette bleue, qui ne sont en principe remboursés qu'à 35 %. Est-il logique de rembourser totalement des médicaments ou des actes qui ne sont pas indispensables au traitement de l'affection de longue durée ? Certes, l'ordonnancier bizone est un premier pas, mais ne faudrait-il pas envisager une prise en charge séparée pour les médicaments à vignette bleue ?
Aujourd'hui, dans le système ALD, tout est intégralement pris en charge, y compris les médicaments à vignette bleue, qui ne sont en principe remboursés qu'à 35 %. Est-il logique de rembourser totalement des médicaments ou des actes qui ne sont pas indispensables au traitement de l'affection de longue durée ? Certes, l'ordonnancier bizone est un premier pas, mais ne faudrait-il pas envisager une prise en charge séparée pour les médicaments à vignette bleue ?
M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, s'interrogeait ainsi sur l'opportunité de reporter une partie des dépenses ALD, comme le forfait journalier, sur le secteur assurantiel, avec le risque que cela comporte d'une inégalité entre les ménages, la dépense sanitaire pesant différemment selon le niveau de vie. Qu'en pensez-vous ? Vous pourriez me répondre que c'est au politique qu'il revient de trancher la question, mais je vous demande votre avis en tant qu'expert.
M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, s'interrogeait ainsi sur l'opportunité de reporter une partie des dépenses ALD, comme le forfait journalier, sur le secteur assurantiel, avec le risque que cela comporte d'une inégalité entre les ménages, la dépense sanitaire pesant différemment selon le niveau de vie. Qu'en pensez-vous ? Vous pourriez me répondre que c'est au politique qu'il revient de trancher la question, mais je vous demande votre avis en tant qu'expert.
Mon sentiment est que l'on peut imaginer de nouveaux moyens de distinguer ce qui relève de l'ALD et ce qui n'en relève pas, ce qui serait légitime ou illégitime. Le risque auquel on s'exposerait toutefois, c'est celui de la complexité.
Le système de l'ordonnancier bizone n'est déjà pas simple. Plus on entrera dans le détail, plus les choses se compliqueront.
Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à l'imagination… Malgré tout, il y a une question de fond que l'on ne peut éviter de se poser – et le rapport sur le bouclier sanitaire a ce mérite –, c'est celle de savoir si l'approche ALD, toute formidable qu'elle soit, est viable dans les trente ans à venir. Personnellement, j'ai tendance à en douter.
Nous aussi. Nous aimerions sauvegarder le système, mais nous nous demandons comment faire.
Nous aussi. Nous aimerions sauvegarder le système, mais nous nous demandons comment faire.
Pendant un à cinq ans, on pourrait procéder à des ajustements, en faisant en sorte qu'ils soient le mieux compris possible.
Cela serait-il suffisant pour répondre au défi que représente l'aggravation du déficit budgétaire ?
Cela serait-il suffisant pour répondre au défi que représente l'aggravation du déficit budgétaire ?
Je ne sais pas. Je n'ai pas la compétence nécessaire, ni une vision suffisamment globale pour répondre à une telle question, car trop de facteurs entrent en jeu. En revanche, si vous me demandez quelles sont les meilleures pistes à explorer – sans que je puisse en évaluer l'impact financier –, je dirais que l'on pourrait réexaminer les critères d'entrée en ALD pour l'hypertension artérielle et le diabète, à condition de préserver la fonction de prévention assurée par le système. De même, la question de la sortie de l'ALD mériterait sans doute d'être explorée, notamment en matière de pathologie cardiovasculaire.
En effet, un patient ayant subi un triple pontage peut, dans certains cas, être considéré comme tout à fait guéri, même s'il doit suivre un traitement par aspirine. Il peut vivre ainsi pendant dix, quinze, vingt ans. Or il demeure en ALD de façon permanente. Ne pourrait-il pas en sortir, quitte à y revenir le jour où surviendrait un nouvel incident ?
En effet, un patient ayant subi un triple pontage peut, dans certains cas, être considéré comme tout à fait guéri, même s'il doit suivre un traitement par aspirine. Il peut vivre ainsi pendant dix, quinze, vingt ans. Or il demeure en ALD de façon permanente. Ne pourrait-il pas en sortir, quitte à y revenir le jour où surviendrait un nouvel incident ?
On peut aussi se poser la question en matière de cancérologie.
Nous nous demandons déjà comment faire en sorte que des malades ayant subi des pathologies graves telles que cancers, affections cardiovasculaires ou par le VIH ne soient pas par la suite, pénalisés dans l'accès au logement, à l'assurance ou à l'emprunt. Cela passe par une réflexion sur la notion de guérison, qu'il serait logique de relier à la question de la sortie de l'ALD.
C'est donc sur l'entrée et la sortie de l'ALD que nous devons nous concentrer.
Mais faut-il tout prendre en charge ? Un patient en ALD ne devrait-il pas relever du régime de droit commun pour l'achat de médicaments à vignette bleue, qui ne sont pas strictement indispensables, ou s'agissant du transport sanitaire – lequel contribue largement à l'augmentation des dépenses –, dès lors qu'il ne s'agit que de se rendre à un contrôle de routine ?
De même, comment pourrait-on mieux responsabiliser les patients bénéficiant de l'ALD ? Souvent, lorsque l'on évoque ce sujet de médecin à patient, la réaction est la même : « J'y ai droit ». Les caisses d'assurance maladie ne devraient-elles pas leur adresser une information écrite rappelant les devoirs qui incombent aux patients bénéficiant de la solidarité nationale ?
Mais faut-il tout prendre en charge ? Un patient en ALD ne devrait-il pas relever du régime de droit commun pour l'achat de médicaments à vignette bleue, qui ne sont pas strictement indispensables, ou s'agissant du transport sanitaire – lequel contribue largement à l'augmentation des dépenses –, dès lors qu'il ne s'agit que de se rendre à un contrôle de routine ?
De même, comment pourrait-on mieux responsabiliser les patients bénéficiant de l'ALD ? Souvent, lorsque l'on évoque ce sujet de médecin à patient, la réaction est la même : « J'y ai droit ». Les caisses d'assurance maladie ne devraient-elles pas leur adresser une information écrite rappelant les devoirs qui incombent aux patients bénéficiant de la solidarité nationale ?
Il ne s'agit pas d'adopter un point de vue strictement comptable ni d'imposer des contrôles tatillons mais de rendre le système plus souple, plus rationnel, de l'optimiser, afin de dégager certaines marges de manoeuvre. Je comprends que vous ne disposiez pas de toutes les données macroéconomiques nécessaires pour répondre à nos questions, mais n'y a-t-il pas, au sein de votre ministère, des gens capables d'évaluer, pour chacune des hypothèses que nous avons évoquées, le montant des économies possibles ?
Il ne s'agit pas d'adopter un point de vue strictement comptable ni d'imposer des contrôles tatillons mais de rendre le système plus souple, plus rationnel, de l'optimiser, afin de dégager certaines marges de manoeuvre. Je comprends que vous ne disposiez pas de toutes les données macroéconomiques nécessaires pour répondre à nos questions, mais n'y a-t-il pas, au sein de votre ministère, des gens capables d'évaluer, pour chacune des hypothèses que nous avons évoquées, le montant des économies possibles ?
Les marges de manoeuvre les plus évidentes sont à rechercher dans les modalités d'entrée en ALD pour les maladies cardiovasculaires, l'hypertension et le diabète, et dans celle de sortie pour les cancers et les maladies cardiovasculaires. Ce sont des domaines où il vaut la peine de rechercher des ajustements. Mais quant à leur impact financier éventuel, je ne dispose pas d'autres données que celles issues des rapports publiés. Il faudrait interroger les responsables de la CNAMTS ou de la direction de la sécurité sociale.
J'en reviens à la question de M. Jean-Pierre Door. Beaucoup d'assurés s'étonnent de ne pas savoir combien ils coûtent à la société, contrairement à ce qui se passe dans certains pays comme les États-Unis, où l'on peut connaître le montant exact des dépenses occasionnées. Il faudrait réfléchir au moyen de délivrer une telle information, même si cela peut, là encore, poser des problèmes techniques. La responsabilisation peut venir de l'information.
J'avais justement déposé un amendement sur ce sujet lorsque j'étais rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en 2004. Mais il n'a pas soulevé l'enthousiasme des membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – toutes tendances confondues, d'ailleurs. Une injection de rappel ne serait pas inutile, et je vous remercie d'y contribuer.
J'avais justement déposé un amendement sur ce sujet lorsque j'étais rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en 2004. Mais il n'a pas soulevé l'enthousiasme des membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – toutes tendances confondues, d'ailleurs. Une injection de rappel ne serait pas inutile, et je vous remercie d'y contribuer.
Je ne prétends pas que l'effet serait spectaculaire ni immédiat, mais cela pourrait représenter un moyen de responsabilisation.
Bien entendu, cette information serait confidentielle et la personne concernée en aurait la totale maîtrise. Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser certains patients.
Bien entendu, cette information serait confidentielle et la personne concernée en aurait la totale maîtrise. Il ne s'agit en aucun cas de stigmatiser certains patients.
Bien sûr. Mais la responsabilisation passe également par la prévention et par l'éducation, en particulier en direction des plus jeunes. Cela peut avoir une grande importance pour prévenir certaines affections cardiovasculaires ou certains cancers. Il s'agit là d'une politique à long terme, mais la prévention ne doit pas se limiter à la contrainte ou l'action sur l'environnement.
La responsabilisation, c'est aussi celle des médecins, car ce sont eux qui déclenchent la prise en charge au titre de l'ALD. Selon moi, ils font bien leur travail, mais la qualité de l'information qu'ils transmettent a une grande importance : c'est en effet à partir du formulaire qu'ils ont rempli que le médecin-conseil de la caisse d'assurance maladie prend la décision de valider ou non les critères d'admission en ALD, en général sans voir le patient. Par la suite, un contrôle a lieu tous les deux ans. C'est un système qui, en 2008, peut apparaître un peu archaïque. Ne faudrait-il pas en revoir les modalités ?
La responsabilisation, c'est aussi celle des médecins, car ce sont eux qui déclenchent la prise en charge au titre de l'ALD. Selon moi, ils font bien leur travail, mais la qualité de l'information qu'ils transmettent a une grande importance : c'est en effet à partir du formulaire qu'ils ont rempli que le médecin-conseil de la caisse d'assurance maladie prend la décision de valider ou non les critères d'admission en ALD, en général sans voir le patient. Par la suite, un contrôle a lieu tous les deux ans. C'est un système qui, en 2008, peut apparaître un peu archaïque. Ne faudrait-il pas en revoir les modalités ?
La responsabilisation des médecins est effectivement un point très important. La difficulté, c'est que leur position dans la société, la manière dont ils sont perçus et dont ils se perçoivent a évolué. Il y a quelques dizaines d'années, ils étaient plus en situation de donner quelque chose. Nombre d'entre eux avaient d'ailleurs un comportement sacrificiel en travaillant sans compter, et cette manière d'exercer leur métier, de traduire leur vocation leur garantissait l'estime. Mais la situation a changé : aujourd'hui, ils répondent à une demande. L'inscription en ALD peut participer de ce phénomène : « j'y ai droit », dit le patient. Tout ce qui permet de lutter contre cette tendance et de repositionner le médecin en tant qu'« offreur » de santé ne peut qu'aller dans le bon sens.
Je pense aux vétérinaires, qui ont une double fonction : ils remplissent un rôle d'ordre privé, mais aussi une mission de service public. Il serait bon que les médecins jouissent d'un statut comparable, qu'ils soient responsables de la santé d'une population, d'un groupe de personnes.
Le mandat de santé publique, institué par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, constitue un pas dans cette direction, mais ce n'est qu'un début. Il faut approfondir la question, qui touche, bien sûr, à l'exercice de la médecine ou au mode de rémunération.
Dans le cadre de l'ALD, les honoraires du médecin sont majorés : il touche un forfait annuel de 40 euros en contrepartie de la gestion du protocole de soins. Or lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous l'avez noté, nous avons adopté une mesure permettant de forfaitiser les honoraires, de prévoir une rémunération spécifique pour un suivi du patient au long cours, dans le cadre d'un réseau de soins. Cela concerne en particulier les affections de longue durée. Faudrait-il revoir ce système, en concertation avec les médecins ?
Dans le cadre de l'ALD, les honoraires du médecin sont majorés : il touche un forfait annuel de 40 euros en contrepartie de la gestion du protocole de soins. Or lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous l'avez noté, nous avons adopté une mesure permettant de forfaitiser les honoraires, de prévoir une rémunération spécifique pour un suivi du patient au long cours, dans le cadre d'un réseau de soins. Cela concerne en particulier les affections de longue durée. Faudrait-il revoir ce système, en concertation avec les médecins ?
On pourrait l'enrichir de façon à ce qu'il s'articule autour d'une action de prévention. Dès lors, dispenser des soins ne serait pas, pour le médecin, la seule façon d'exercer son métier.
Cela passe par une prise en charge plus globale du patient, qui ne se limiterait donc pas au remplissage d'un formulaire.
Cela passe par une prise en charge plus globale du patient, qui ne se limiterait donc pas au remplissage d'un formulaire.
Oui, une prise en charge globale de personnes, pas nécessairement de patients. Il s'agit de mener des actions de prévention, d'information, de dépistage ou de vaccination, avant même de prendre en charge une maladie si c'est nécessaire.
Disposez-vous d'études comparatives sur ce qui se passe à l'étranger ? En Allemagne, le système ALD n'existe pas, car ils ont mis en place un bouclier sanitaire. Mais savez-vous ce qu'il en est en Angleterre ou dans les pays scandinaves ?
Disposez-vous d'études comparatives sur ce qui se passe à l'étranger ? En Allemagne, le système ALD n'existe pas, car ils ont mis en place un bouclier sanitaire. Mais savez-vous ce qu'il en est en Angleterre ou dans les pays scandinaves ?
M. Jean-Pierre Door a évoqué le processus médico-administratif conduisant à l'admission d'un patient en ALD. Pensez-vous que le médecin contrôleur devrait voir le patient avant de prendre une décision ?
M. Jean-Pierre Door a évoqué le processus médico-administratif conduisant à l'admission d'un patient en ALD. Pensez-vous que le médecin contrôleur devrait voir le patient avant de prendre une décision ?
À mes yeux, ce serait aller un peu loin. En revanche, lors de l'évaluation des pratiques professionnelles des médecins – qui devrait constituer une pierre angulaire de notre politique de santé –, il faudrait porter une attention particulière à la prise en charge en ALD, au diagnostic ou à la validation des critères.
Mais dès lors que le médecin a considéré la demande d'admission comme légitime, le reste ne devrait relever que de la gestion administrative. On peut donc se demander quelle est l'utilité du médecin contrôleur dans la procédure.
Mais dès lors que le médecin a considéré la demande d'admission comme légitime, le reste ne devrait relever que de la gestion administrative. On peut donc se demander quelle est l'utilité du médecin contrôleur dans la procédure.
Disons que, compte tenu du poids financier que représente la prise en charge des ALD, il serait légitime que chaque médecin sache où il se situe par rapport à ses confrères en termes de taux d'inscription en ALD ou de sortie d'ALD. Ce regard extérieur sur sa pratique, qui pourrait être porté par la CNAMTS, permettrait de corriger d'éventuels comportements aberrants. Par ailleurs, j'insiste sur l'importance de l'évaluation des pratiques professionnelles.
Avant de terminer, j'aimerais aborder la question du dossier médical personnel, le DMP, auquel j'attache – comme vous, je crois – une grande importance. Nous avons proposé de relancer ce projet, et le rapport de la mission conduite par M. Michel Gagneux, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), remis fin avril à la ministre en charge de la santé, abonde dans notre sens. Le DMP étant l'outil idéal de coordination des soins, il permettrait de mieux suivre les patients souffrant de maladies graves et chroniques. Il serait donc légitime que les patients en ALD constituent un public prioritaire lors de son expérimentation. La direction générale de la santé est-elle prête à accélérer le processus ? Je sais que Mme la ministre doit nous présenter ses conclusions à la fin mai, mais ce n'est que dans un mois. Nous serions ravis de connaître d'ores et déjà votre avis sur ce sujet.
Avant de terminer, j'aimerais aborder la question du dossier médical personnel, le DMP, auquel j'attache – comme vous, je crois – une grande importance. Nous avons proposé de relancer ce projet, et le rapport de la mission conduite par M. Michel Gagneux, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), remis fin avril à la ministre en charge de la santé, abonde dans notre sens. Le DMP étant l'outil idéal de coordination des soins, il permettrait de mieux suivre les patients souffrant de maladies graves et chroniques. Il serait donc légitime que les patients en ALD constituent un public prioritaire lors de son expérimentation. La direction générale de la santé est-elle prête à accélérer le processus ? Je sais que Mme la ministre doit nous présenter ses conclusions à la fin mai, mais ce n'est que dans un mois. Nous serions ravis de connaître d'ores et déjà votre avis sur ce sujet.
Je me demande si le DMP n'a pas plutôt souffert, à un moment, d'une accélération excessive plutôt que d'un ralentissement. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un projet capital, qui semble repartir sur des bases plus réalistes. Dans la mesure où le système ALD est une marque de la solidarité nationale, il serait en effet légitime de rechercher tous les moyens d'en assurer le fonctionnement le plus juste et le plus efficace. À cet égard, le DMP serait certainement un bon outil, même s'il existe de multiples difficultés et si beaucoup de temps sera sans doute nécessaire pour mettre en oeuvre ce projet. À titre personnel, j'y suis très favorable, mais je n'ai aucun scoop à vous apporter sur ce sujet.
Comme vous, nous souhaitons que ce chantier démarre sans délai. C'est une orientation inéluctable.
Comme vous, nous souhaitons que ce chantier démarre sans délai. C'est une orientation inéluctable.
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu, conjointement avec la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, M. Jacques Delors, président du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC).
Je remercie très chaleureusement le président Jacques Delors de venir éclairer le travail conjoint de nos deux commissions.
Pourquoi cette rencontre ? Le travail du CERC est pour nous extraordinairement important. De son rapport « La France en transition », une assertion est restée gravée dans ma mémoire : le salaire direct en France a peu augmenté, alors que le salaire social et différé est de plus en plus important. De multiples choix nous attendent – évolution des dépenses de santé et de vieillesse, établissement du revenu de solidarité active (RSA) et avenir de la prime pour l'emploi, reconversion éventuelle d'une partie des ressources de l'Unédic au profit des régimes d'assurance vieillesse – qui devront se faire sous une triple contrainte : ne plus aggraver la dette, voire, si possible, la réduire ; ne pas porter atteinte à la compétitivité des entreprises, surtout industrielles, dans un monde ouvert ; répondre au fort besoin de pouvoir d'achat ressenti par la population. Existe-t-il un chemin pour améliorer notre performance sociale, c'est-à-dire un moyen d'obtenir une plus grande efficacité des dépenses sociales ?
Je suis heureux d'accueillir à mon tour le président du CERC, M. Jacques Delors, et son rapporteur général, M. Michel Dollé. Les questions traitées par le CERC sont au coeur des réflexions de nos deux commissions. L'efficacité de l'action publique en général, et dans le domaine social en particulier, est une préoccupation partagée par tous.
Pourriez-vous nous expliquer quelles sont, selon vous, l'utilité et la place du CERC puisqu'une réflexion est engagée sur la question de la multiplicité des organismes d'évaluation ? Comment mesurez-vous l'impact de ses travaux et les suites données à ses recommandations ? Puisque nous allons débattre aussi du RSA et que vous avez remis un rapport sur les travailleurs pauvres, quelles sont vos préconisations et quelle est votre perception de la part relative du revenu et du patrimoine dans les inégalités constatées aujourd'hui, qui auraient plutôt tendance à s'aggraver ?
Le CERC a été créé dans les années 1960, après un rapport de la Conférence des revenus dont j'étais le rapporteur général. Il a connu deux changements de dénomination décidés respectivement par M. Édouard Balladur et M. Lionel Jospin. Outre un rapporteur général, son équipe comprend six chargés de mission, deux documentalistes et deux secrétaires. Nous avons obligation de rendre périodiquement un rapport annuel. Le Premier ministre peut nous saisir ; il l'a fait sur les aides au retour à l'emploi dans le contexte de la réflexion sur l'organisation du marché de l'emploi – Agence nationale pour l'emploi et plan d'aide au retour à l'emploi. Contrairement aux autres organismes dans la mouvance du Premier ministre, nous pouvons nous autosaisir. Le conseil que je préside est indépendant. Il comprend huit membres, dont deux sont de droit : le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et la directrice de la Direction de l'animation, de la recherche et des études statistiques (DARES) du ministère en charge du travail.
Mes remarques puisent dans le rapport « La France en transition », qui couvre la période 1993-2005, et, parfois, dans les rapports précédents et les suivants. Bien que ce ne soit pas strictement de notre compétence, notre rapport s'inspire de l'idée que notre compétitivité est insuffisante ; d'où un dynamisme et une croissance également insuffisants au regard des comparaisons internationales. La cause n'en est pas qu'un problème de coûts, comme le montre l'analyse du ciblage de nos productions et de nos exportations.
Nous avons concentré notre attention sur ceux qui ont la vie la plus difficile. Nous organisons parallèlement des séminaires. Celui de cette année, sur la cohésion sociale, a permis de souligner les souffrances sociales endurées : premièrement, par ceux qui souffrent de l'instabilité de leur emploi ; deuxièmement, par les titulaires des minima sociaux ; troisièmement, par les habitants des quartiers difficiles et de certaines régions rurales qui, en l'absence de services publics ou de sites de production, sont soumis à des exigences de mobilité qui pèsent lourdement sur leur revenu.
Certes, notre démographie est prometteuse – avec deux enfants par femme, nous avons, avec l'Irlande, le meilleur taux de natalité – mais nous allons prochainement affronter le défi d'années relativement creuses. J'enfonce là des portes ouvertes.
Les obsessions qui jalonnent nos rapports depuis huit ans concernent d'abord les travailleurs pauvres et les enfants pauvres. Le rapport les concernant est celui qui a eu le plus de résonance. Il s'agit également d'un sujet récurrent en Grande-Bretagne, aux États-Unis, et ailleurs.
Les chercheurs sociaux nous invitent aussi à réfléchir à la question de savoir comment investir dans le social concernant la question des jeunes.
Troisième obsession : l'instabilité de l'emploi, plus que l'insécurité. Il s'agit du facteur central des inégalités. Sans vous accabler de chiffres, dans la tranche des salariés âgés de vingt-cinq à cinquante-quatre ans, le salaire horaire varie de 1 à 2,8, mais les variations du salaire annuel perçu vont de 1 à 13,4. En moyenne, un travailleur travaille treize semaines à raison de vingt-deux heures hebdomadaires.
Quatrième thème : l'aide au retour à l'emploi, donc le fonctionnement du marché du travail. Puisque vous vous intéressez au RSA, sachez que nous avons soutenu le Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) et les réformes de l'accompagnement du demandeur d'emploi – nous en avions même proposé certaines. Nous avons étés frappés surtout par les freins non financiers au retour à l'emploi qui se superposent à des difficultés plus classiques telles que la prise en charge par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) – ou l'agence France Emploi – et la formation, dont la rentabilité a été contestée par de nombreux experts. J'y reviendrai parce que c'est profondément injuste. L'accent doit être mis sur l'accompagnement des personnes, en particulier celles qui sont bénéficiaires du Revenu minimum d'insertion (RMI). Leur situation est telle qu'une incitation financière supplémentaire ne suffit pas, et qu'il leur faut, pour réussir, un accompagnement personnalisé.
Cinquième obsession : les jeunes sortis sans diplôme du système éducatif. Ils sont 190 000 chaque année : 110 000 issus de l'enseignement secondaire – c'est à eux que sera consacré notre prochain rapport, qui sera publié dans un mois – et 80 000 après une ou deux années universitaires. Indépendamment d'une énième réforme du système éducatif, il faut se tourner vers l'accompagnement, la formation, l'aide à la recherche d'emploi, l'alternance et la mobilisation des entreprises.
S'agissant, enfin, des services à la personne, les discussions sont très vives au sein du CERC car la question n'est pas simple. La controverse porte sur la façon de concilier lutte contre les inégalités et efficacité économique.
Nos travaux ont permis de constituer une documentation ciblée qui est consultée internationalement. C'est une des spécificités du CERC et je m'oppose à la mutualisation des documentations, qui ferait disparaître cette originalité. Elle nous permet dans le même temps d'entrer en contact avec des chercheurs et des praticiens du monde entier.
Nous avons aussi travaillé à la façon d'optimiser la dépense publique.
Autre question qui nous passionne et qui nous est plus personnelle : la complexité des structures administratives et la décentralisation. Je suis vraiment réservé sur la façon dont se fait cette dernière, compte tenu de son peu d'efficacité, notamment dans le domaine des aides aux plus pauvres, de la formation et même du traitement des bénéficiaires du RMI. De ce point de vue, la décentralisation est ratée.
Par ailleurs, il est nécessaire d'améliorer les relations sociales. Les choses sont en train de bouger. Est-il possible, en matière sociale, de définir des politiques publiques qui n'aient qu'un seul objectif ? Malgré le ravissement que procurent de tels outils aux techniciens des cabinets ministériels, l'expérience montre qu'une politique publique qui vise plusieurs objectifs parvient difficilement à les concilier. Par exemple, comment concilier le barème de l'impôt sur le revenu et le RSA ? Ou encore la politique familiale et le RSA ? Il n'y a pas de réponse simple.
S'agissant du système d'enseignement, il a ses qualités, mais il est producteur d'inégalités et il est coûteux. Le problème est toujours mal posé, nous semble-t-il.
En ce qui concerne la formation permanente, elle ne répond pas à tous les objectifs fixés par la loi de 1970 qui l'a instituée. Elle fait cependant l'objet de critiques excessives car elle n'est vue que sous l'angle de la théorie du capital humain. En ne rapportant l'investissement en formation qu'au salaire ultérieurement perçu, on laisse de côté la moitié de ce que la formation peut apporter. Une telle approche biaise la discussion.
Enfin, sur l'État social à réinventer, nous réfléchissons au thème : moins de graisse inutile et plus d'investissement préventif dans le social ; ce qui explique l'intérêt que nous portons aux enfants pauvres.
Le président Pierre Méhaignerie : Quelles pistes envisagez-vous pour réinventer l'État social ?
La notion essentielle est celle développée par l'économiste Amartya Sen : les « capabilités ». Il faut s'efforcer de doter chaque adolescent de compétences, de confiance en soi, d'une meilleure connaissance de soi et des moyens de se défendre dans la vie tout en lui faisant comprendre qu'il n'y a pas de solidarité sans responsabilité. J'avais intitulé mon rapport à l'Unesco sur l'éducation au xxiè siècle : « Un trésor est caché dedans ». Ma conviction est que chaque enfant a un trésor au fond de lui et que c'est à la politique de l'éducation – et aussi à la famille ! – de le lui révéler. Le mot d'ordre de la campagne électorale de Tony Blair n'était-il pas : éducation, éducation, éducation ? Chez lui, comme chez nous, 16 % des jeunes de quinze ans ne maîtrisent ni le calcul, ni l'écriture, et ne savent pas exposer les choses clairement. L'éducation est la priorité sur le plan social, pour mieux conjuguer liberté, solidarité, responsabilité – droits et devoirs.
Un travailleur pauvre n'est pas en mesure de se procurer des ressources suffisantes. Or la stigmatisation à éviter est celle qui frappe les personnes au lieu de la situation qu'elles subissent. Il faudrait surtout stigmatiser ces emplois qui ne permettent pas à ceux qui les occupent de vivre correctement. Comment faire pour qu'il n'y ait pas de travailleurs pauvres ? Le RSA est déjà porteur d'une accusation implicite – celle de ne pas travailler assez – alors qu'il s'adresse surtout à des victimes. Pourquoi le marché offre-t-il de plus en plus d'emplois à temps incomplet ?
Vous avez par ailleurs souligné les limites de la décentralisation de l'action sociale et vous vous êtes interrogé sur son efficacité. Certains départements paient les largesses décidées par l'État, mais cela n'épuise pas le sujet. Pourriez-vous préciser votre diagnostic ?
Beaucoup de travaux du CERC tournent autour d'un problème que nous n'avons toujours pas résolu : l'articulation entre la politique familiale et celle de l'emploi. Toutes les études montrent que, contrairement à ce que voulait unanimement le Parlement, la prime pour l'emploi (PPE) n'est pas un élément d'incitation au travail. Elle répartit du pouvoir d'achat. Depuis des années, nous réclamons tous que la PPE soit « branchée » sur la feuille de paie. Nous n'avons toujours pas réussi à l'obtenir. Or c'est une question que vous soulevez dans vos travaux. Parallèlement, comment la politique familiale pourrait-elle éviter que, plus elle est nombreuse, plus la famille tombe dans la trappe à pauvreté ? Comment faire pour que ceux qui s'efforcent de s'en sortir ne soient pas moins bien traités que quand ils vivent de l'assistance et ce, malgré les efforts faits en matière de retour à l'emploi – le RSA étant la dernière tentative en date ?
Quant aux enfants pauvres, ils sont identifiés dès le cours préparatoire. Or, on les retrouve à seize ans sans formation. Le chiffre de 16 %, c'est la moyenne nationale. Dans les collèges les plus dégradés de mon département, la proportion peut atteindre 30 %. Comment donner une chance à ces élèves, au lieu d'en faire des assistés, dont une partie à vie, car une fois qu'ils sont largués, ils font un refus de l'école, puis de la formation ?
Vous faites de l'instabilité dans l'emploi la cause majeure des inégalités. Le RSA, tel qu'il est prévu, est-il de nature à réduire les inégalités liées à la précarité ? Pour quelle raison majeure la formation professionnelle est-elle inégalitaire ?
La formation professionnelle est un sujet central. Les crédits qui y sont consacrés sont considérables. Sur ce plan, la France n'est pas en retard, mais les résultats sont très médiocres. Quelle appréciation portez-vous sur la faible mobilisation de la communauté universitaire française en matière de formation continue ? Seulement 7 % des crédits sont utilisés dans le cadre de l'université.
Beaucoup d'espoirs ont été mis dans la validation des acquis de l'expérience. Il semble qu'il y ait des freins sérieux du côté de l'éducation nationale pour aller jusqu'au bout des dispositifs, et que ceux qui devraient inciter les salariés à se former se mobilisent peu. Qu'en pensez-vous ?
Les dispositifs d'emplois aidés sont anciens, ils remontent aux travaux d'utilité collective. Avec le recul, quel jugement portez-vous sur eux et sur leur capacité à favoriser l'intégration au sein du marché du travail ?
Sur la question de la précarité et du temps incomplet, la multiplication des contrats de courte durée n'est sans doute pas la conséquence d'une segmentation a priori du marché du travail. Nous avons le contrat à durée indéterminée (CDI), le contrat à durée déterminée (CDD) et l'intérim. Le développement des petits boulots répond vraisemblablement aux besoins des entreprises, à l'incertitude liée au changement, peut-être à une obsession quant au contrat à durée indéterminée. Le fait est que nous sommes un des pays où les emplois courts sont les plus répandus. Le CERC se demande si une mobilisation en faveur des jeunes sans diplôme est possible de la part des acteurs du marché du travail, notamment des entreprises d'intérim.
Comme pour les seniors, les mauvaises habitudes sont bien ancrées dans la société. Les réformes pour les remettre en cause sont les plus difficiles. La préférence pour le départ à la retraite et le comportement des entreprises ont eu raison des efforts entrepris, qui ne datent pas d'hier. Je n'ai pas de remède. Partir du constat a priori et trouver des solutions pour compléter le revenu reviendrait à encourager des pratiques qui ne sont pas bonnes. Je suis sceptique sur les mesures telles que le remplacement du CDI et du CDD par un contrat unique. Il y aurait beaucoup à dire sur la hantise du licenciement, sur les chefs d'entreprise qui redoutent les prud'hommes – nous sommes le pays où les recours devant cette juridiction sont les plus nombreux – au point de les inciter à ne pas embaucher, et sur ceux qui n'embauchent pas pour ne pas se casser la tête. Il n'y a pas de recette miracle à attendre de l'arsenal juridique.
Quant à la décentralisation de l'action sociale, elle génère parfois des inégalités et des abus. Je le sais parce que j'ai de la famille dans de petites communes. Quoi qu'il en soit, les différences de traitement du RMI d'un département à l'autre sont un obstacle pour chiffrer exactement l'aide qui est apportée. Dans ce domaine aussi, les instances sont trop nombreuses, ce qui coûte très cher. Pensez au nombre d'emplois créés par les instances décentralisées depuis quelques années. Cela aussi creuse le déficit public, ce qui devrait davantage émouvoir les Français. Ne pas transmettre pareille dette aux générations à venir relève chez nous de la défense des droits de l'Homme. Les niveaux d'instance sont trop nombreux, c'est ma principale critique.
Quant à la formation permanente, il n'y a plus de pilote dans l'avion. On a beau être pour le marché et la décentralisation, il y a un moment où l'État, même dégraissé, doit se poser des questions sur le sens de l'action qui est menée, s'assurer que le Parlement dispose de chiffres clairs pour juger. Les régions, à qui un effort considérable est demandé, créent des organismes de consultation. On parle de décentraliser l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). A mon avis, ces efforts sont vains : ils vont coûter cher sans permettre une politique de formation.
La précarité est due essentiellement à un mauvais départ dans la vie, dans le système éducatif, et à de mauvaises pratiques sur le marché du travail. Je me refuse à désigner un coupable unique. Le cas des seniors est vraiment parlant : les Français préfèrent partir à la retraite et il est très difficile de changer les mauvaises habitudes des entreprises. Empiler les mécanismes juridiques ne servirait à rien. Comme le disent, à tort ou à raison, les économistes américains, les Français ont une préférence pour le loisir. Je parlerais quant à moi d'équilibre personnel, ce qui est tout à fait différent.
Avant d'évoquer la politique familiale, j'ai oublié de citer, parmi ceux qui souffrent, les familles monoparentales. La France affiche un taux d'emploi des femmes qui vaut celui des pays nordiques. Il n'y a plus aujourd'hui d'obstacle à l'entrée des femmes sur le marché du travail : les chiffres sont bons. Le risque est de reculer l'âge du premier enfant, ce qui pourrait conduire, à long terme, certaines femmes à renoncer à avoir des enfants. Cela étant, la politique familiale traditionnelle demeure un exemple pour les pays voisins, même si la réussite ne dépend pas que d'incitations matérielles.
La formation permanente a été créée par M. Michel Debré en 1966. Je m'en suis occupé à partir de 1969. Les partenaires sociaux ont signé un accord interprofessionnel sur ce thème avant qu'intervienne la loi. Initialement, celle-ci se fixait cinq objectifs : l'insertion professionnelle des jeunes, déjà ! – mais, à l'époque, le service militaire était une formidable source d'informations sur les métiers ; la conversion des activités ; l'entretien et le perfectionnement des connaissances – c'est ce qui a le mieux réussi, mais seulement pour les catégories les plus élevées et pour les moins de quarante-cinq ans ; la promotion professionnelle, qui a beaucoup régressé, à moins qu'on n'en parle moins seulement ; enfin, le développement personnel. Il faut rappeler ces ambitions, quitte à en moderniser certaines, pour fonder une politique de formation. Avec 23 à 25 milliards d'euros consacrés chaque année à la formation professionnelle, on pourrait faire beaucoup mieux. Le système s'est enkysté sous l'effet des corporatismes des syndicats et des entreprises. En parlant devant le Comité d'orientation pour l'emploi, j'ai failli déclencher un scandale ! Si l'on ne veut rien changer à la collecte, ni aux petits avantages minables, et en l'absence de pilote dans l'avion rattaché directement au Premier ministre, on se heurte au poids des habitudes. C'est dommage car nous faisons aujourd'hui beaucoup moins bien que certains pays qui étaient en retard sur nous en 1970.
La validation des acquis professionnels ne marche pas aussi bien qu'on pourrait l'espérer, mais les résultats ne sont pas nuls. Chaque gouvernement change quelque chose, soit le nom, soit la méthode, si bien qu'au plan local, tout le monde se casse la tête. Mais ce qui marche le mieux, ce sont les contrats professionnels, qui donnent toute satisfaction. Sans doute faudrait-il que les jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme fassent l'objet de contrats pré-professionnels. Le programme Trajet d'accès à l'emploi (TRACE), lui aussi, a bien marché, parce qu'il prévoyait un accompagnement. J'espère qu'il en sera de même avec le Contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS), mais cela suppose beaucoup de coordination. Il faudra clarifier les rôles respectifs de la nouvelle agence France Emploi et de l'Unédic, qui fait preuve aussi parfois d'un esprit corporatiste, des missions locales de l'emploi, des services chargés de l'emploi, des conseils général et régional… Même s'il faut un État plus léger, il y a des domaines où une impulsion nationale est nécessaire. Les parlementaires et les partenaires sociaux doivent pouvoir procéder à une évaluation. C'est ce qui manque le plus.
En tant que président de conseil général, je constate l'émergence d'un corps social très fort, dévolu à l'aide à la personne et aux services. On en parle beaucoup, pourtant peu de mesures cohérentes suivent. Des milliers et des milliers d'emplois sont en jeu, mais ils sont en passe de donner naissance à un sous-prolétariat – ou à des travailleurs pauvres. C'est une source d'inquiétudes. Les partenaires sociaux en ont pris conscience et interrogent la représentation nationale et le gouvernement à ce sujet. Si nous ne faisons rien, nous allons passer à côté d'une question essentielle. Une initiative de l'État s'impose pour coordonner, dans le cadre de la décentralisation, l'effort fait par les départements avec le Revenu minimum d'insertion (RMI) et par les régions en matière de formation. À cet égard, la plupart des régions en restent à des formations qualifiantes, sans prendre en compte les besoins particuliers de ceux qui sont aidés par la société et qu'il faut transformer en acteurs économiques, non plus que les besoins spécifiques des jeunes. Il s'agit d'un souci majeur.
Vous avez cité la formule « un trésor est caché dedans » et nous y souscrivons pleinement. Mais cette affirmation n'est-elle pas remise en question par les états pathologiques que l'on peut observer : des cerveaux malmenés, détruits parfois, en tout cas endommagés par un abus de télévision dans la petite enfance, ensuite, par des jeux et des drogues ? Ne faut-il pas réexaminer la situation de l'enfance et de l'adolescence à travers un nouveau prisme dont il est difficile de préciser de quoi il est fait ?
Les travailleurs pauvres sont souvent des travailleuses, puisque 80 % des travailleurs à temps partiel – un temps partiel généralement subi – sont des femmes. Les enfants pauvres sont en mal de bonne éducation, en raison souvent de la situation de leurs parents. L'accès à l'emploi des parents, en particulier des mères, a un impact très positif sur le parcours des enfants. Quelles sont vos préconisations pour remédier aux inégalités homme-femme observées en matière de précarité du travail ? Le congé parental d'éducation a eu un effet très négatif sur la carrière des femmes et sur leur salaire.
Dans votre rapport consacré à « la France en transition », vous abordez à de multiples reprises la question de l'immigration en soulignant l'absence d'un corpus de statistiques propres. Comment voyez-vous la place de l'immigration dans la France des dix prochaines années ?
La pauvreté n'est pas uniquement liée à la précarité ou à l'instabilité. Quand une famille de quatre personnes perçoit un seul SMIC, même avec un contrat à durée indéterminée, elle vit sous le seuil de pauvreté. Le problème, c'est que le SMIC ne permet plus d'échapper à la pauvreté. Certains économistes estiment que le SMIC français est trop proche du salaire médian, ce qui expliquerait le taux d'inactivité élevé des travailleurs peu qualifiés constaté en France. Qu'en pensez-vous ?
Ce matin, dans l'émission Les quatre vérités, Mme Laurence Parisot, présidente du Mouvement des entreprises en France (Medef), a déclaré que les difficultés d'emploi des salariés de plus de cinquante-cinq ans sont imputables à l'âge de la retraite, qui serait trop bas. Les employeurs hésiteraient à recruter des personnes très proches de la retraite. Quelle appréciation portez-vous sur ce constat ?
La pauvreté des travailleurs se répercute évidemment sur leurs enfants, avec des conséquences sur le devenir de ces derniers à l'âge adulte. La pauvreté qui frappe les ménages les plus précaires doit nous inviter à nous interroger sur le scandale des crédits à la consommation, qui débouchent automatiquement sur un surendettement chronique.
Pour accomplir des économies d'échelle, plutôt que de supprimer les départements, ne serait-il pas plus efficace d'aller au bout de la décentralisation, dont l'objectif premier, en mars 1982, était de supprimer les financements croisés ? L'État ne devrait-il pas définir ses prérogatives régaliennes puis distribuer les autres compétences entre les régions, les départements, les communautés de communes et les communes, en les accompagnant évidemment des moyens financiers nécessaires ?
La politique de la formation et de l'emploi ne doit-elle pas être considérée comme un service public et confiée prioritairement aux missions locales plutôt qu'aux entreprises d'intérim ?
Ces derniers jours, plusieurs entreprises ont annoncé des centaines de suppressions d'emplois, en invoquant souvent les mêmes motifs : la nécessité de délocaliser face à la concurrence mondiale. La disparition de ces emplois est-elle inéluctable ? La seule solution consiste-t-elle à remettre en cause le niveau des salaires ou la durée du temps de travail ?
Si la durée de cotisation pour percevoir une retraite à taux plein est portée à quarante et une années, nombre de salariés seront lourdement pénalisés car le taux d'emploi des plus de cinquante-cinq ans est très faible.
Le rapport du CERC sur les travailleurs pauvres indiquait que la pauvreté est davantage due au temps partiel contraint qu'au niveau de rémunération. Dans les pays où la négociation sociale a permis d'éviter le temps partiel contraint, la situation est-elle complètement différente ?
Dans votre rapport sur la pauvreté des enfants, vous estimez que nos politiques familiales exercent un effet de redistribution à rebours. Pouvez-vous développer ce sujet ? Comment le quotient familial joue-t-il ?
Le CERC a toujours été très attentif aux inégalités. Comment ces dernières ont-elles évolué depuis dix ans ? Le système fiscal français est peu redistributif. La création de la prime pour l'emploi visait deux objectifs : créer un impôt négatif en faveur des revenus les plus bas et favoriser le retour à l'emploi. D'autres réformes fiscales pourraient-elles être envisagées ?
Les emplois à la personne, qui se développent, sont précaires et relativement peu professionnalisés. De surcroît, les aides de l'État, qui prennent des formes multiples, atteignent 10 milliards d'euros. Ne serait-il pas souhaitable de reprendre et de mettre à jour le rapport de 1998 de Mme Véronique Hespel et M. Michel Thierry consacré à la question du redéploiement des aides à la personne, afin de rendre ces dernières plus lisibles et plus efficaces ?
Je trouve que la « loi Borloo » sur les services à la personne vise trop large et crée de curieuses disparités, mais les partisans de ce système me rétorquent que, en 1950, 20 % seulement des Français avaient accès à l'automobile. Par ailleurs, je trouve excessifs les avantages fiscaux accordés. Puisque l'argent public est rare, il faudra bientôt envisager une restriction et une concentration de ces avantages, qui profitent surtout aux familles riches alors que ce sont les plus modestes qui ont le plus besoin de services à la personne. Si je possède une résidence secondaire et si j'y emploie un jardinier, est-il légitime que je puise déduire sa rémunération ? Prenons garde cependant de ne pas freiner un mouvement qui a permis de créer 80 000 emplois en 2007. Il convient également que les personnes travaillant dans ces secteurs bénéficient d'une formation et d'un statut.
L'enjeu consiste à créer des emplois de meilleure qualité et plus durables. Je rappelle que la Suède, par exemple, a choisi de n'attribuer des avantages fiscaux que pour les emplois structurés dans les entreprises.
Dans notre système actuel de politique familiale, qui vise les familles moyennes, les enfants des familles défavorisées n'ont pas accès aux modes de garde extérieurs, ce qui empêche les parents de travailler et ce qui fait obstacle à l'acquisition de capacités cognitives et à la socialisation précoce. La mauvaise influence du milieu familial n'est donc pas compensée par la confrontation à d'autres éducateurs. Les analyses comparatives entre la France et les pays nordiques mettent en évidence l'intérêt des systèmes de prise en charge extérieure.
Cette considération renvoie au statut des assistantes maternelles agréées, qui se trouvent dans une situation relativement précaire de dépendance vis-à-vis des parents qui les emploient. Lorsqu'elles travaillent pour une crèche familiale, les assistantes maternelles sont gérées par la commune et les enfants ont davantage de relations interpersonnelles. Si les enfants des milieux défavorisés rencontrent moins de difficultés scolaires au Danemark, ce n'est pas un hasard. Le versement d'une allocation ne suffit pas ; une réflexion doit être menée sur la construction d'un service public de l'enfance.
On a raison de souligner l'impact de l'environnement social sur les enfants. Dans le journal télévisé récent d'une chaîne de service public, se sont succédés des sujets sur la tragédie autrichienne, le débat sur les retraites et la visite du Président de la République en Tunisie. La citoyenneté en prend un coup chaque jour. Étant âgé de quatre-vingt-deux ans, on pourra m'accuser de cultiver la nostalgie, mais je crois que la société va mal. En tout cas, de fait, la réflexion sur la place de la famille dans la société est essentielle. Sinon, comment l'instituteur pourra-t-il remédier aux carences de la famille et aux agressions de l'environnement ?
Je suis un peu plus optimiste que vous en ce qui concerne la place des femmes sur le marché du travail. L'amélioration est constante, même si les pères ne prennent pas autant de congés parentaux que les mères. Après plusieurs mois d'absence, les femmes doivent retrouver les mêmes fonctions, et cela nécessite des négociations dans l'entreprise ou au niveau national. Les congés de maternité et les congés parentaux ne doivent pas être considérés négativement dans les carrières des femmes.
Un grand économiste américain, Paul Krugman, estime que devenir protectionniste et combattre les tendances de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'arrangerait rien mais que l'État doit accorder des compensations aux salariés licenciés ou subissant des bas salaires. La formule de la prime pour l'emploi, c'est-à-dire d'un impôt négatif sur le revenu – je l'avais proposé sans succès dès 1984 –, pourrait même inclure la dimension familiale. Mais il serait impossible de négliger la mondialisation et de s'enfermer dans un château fort. Il n'en demeure pas moins que nous pourrions réduire la concurrence entre pays membres de l'Union européenne en faisant cesser la surenchère à la baisse de l'impôt sur les entreprises. Lorsque je présidais la Commission européenne, nous avons beaucoup donné à l'Irlande pour son développement ; cela doit cesser.
Par ailleurs, il faut distinguer droit d'asile et immigration. Les immigrés ne pourront résoudre notre problème de retraite, d'autant qu'il faudrait ensuite payer la leur ! Il faut essayer de satisfaire nos besoins économiques avec notre propre population. En tant que citoyen, je désapprouve l'immigration choisie, qui prive les pays d'origine de leurs professionnels les plus qualifiés, nous obligeant ensuite à leur verser des aides pour en former de nouveaux. Toutefois, je n'ai pas de solution miracle à proposer.
Au-delà des petits métiers, des facilités que se donnent les entreprises, des mauvaises habitudes prises sur le marché du travail et du progrès technique, l'enjeu principal est d'accroître la quantité de travail disponible en France. De ce point de vue, les aides à la personne sont utiles.
Vous me permettrez de laisser les partenaires sociaux et les deux assemblées se charger du dossier des retraites. Travaillant toujours à mon âge, je suis un mauvais exemple, mais je comprends que certains, usés par leur métier, n'en soient pas capables !
Les 3 ou 4 % des ménages les plus riches ont vu leurs revenus vraiment décoller, que ce soit aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en France. Paient-ils suffisamment d'impôts ? Le prélèvement le plus citoyen est l'impôt sur le revenu ; il doit par conséquent être revalorisé, quitte à réduire les autres. C'est la leçon sociale-démocrate par excellence. Par ailleurs, je suis défavorable au prélèvement à la source car il est important de savoir ce que l'on donne et à qui on le donne.
Dans notre rapport sur la France en transition, nous avons expliqué que les inégalités ont crû, surtout du fait de l'évolution en haut de la hiérarchie.
Le niveau du salaire minimum français n'est pas significativement plus élevé que dans d'autres pays, notamment au Royaume-Uni. En revanche, beaucoup de salariés français sont au salaire minimum et celui-ci est relativement proche du salaire médian, qui est bas. Mais le salaire médian ne se décrète pas ; il est déterminé par le mode de fonctionnement du marché. En France, c'est le niveau de formation qui pose problème : il pèse à la fois sur le taux de croissance, le niveau de la rémunération moyenne et le taux de chômage. L'une des questions importantes reste le problème de l'éducation.
Je recommande de bien distinguer la prime pour l'emploi du revenu de solidarité active (RSA), même si les idées sont proches. Le RSA a pour but d'encourager les allocataires de minima sociaux à travailler, le travail étant un facteur essentiel de dignité. Si l'objectif est de répondre à la globalisation et à la concurrence des pays en développement ou des pays européens moins riches que la France, la préférence va alors à l'impôt négatif plutôt qu'à des mesures trop liées à l'emploi et déformant le marché du travail. En effet, le salaire doit être la juste rétribution du travail et faire partie des éléments de négociation entre le chef d'entreprise et le salarié. À cet égard, le mouvement vers l'intéressement et l'individualisation des salaires m'inquiète car il nuit au renforcement des syndicats.
Oui, mais ce n'est pas le dispositif qui me plaît le plus.
Je suis favorable à un impôt négatif tenant compte de l'ensemble des revenus familiaux et se substituant aux aides familiales, quotient familial et peut-être même en partie allocations familiales. Mais l'impôt sur le revenu doit rester au centre de la contribution citoyenne à la solidarité et la vie de la société.
Monsieur le président, je vous remercie. Je retiens de cette audition les sujets suivants : la pauvreté des enfants et des adolescents, le réexamen des aides à la personne et l'impôt négatif.