Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, j'ai l'honneur, au nom du groupe socialiste, radical et citoyen, de défendre la motion de rejet préalable sur la proposition de loi visant à simplifier et améliorer la qualité du droit. Nul ne contestera que la simplification du droit soit un objectif louable. Lorsque nos textes, de plus en plus nombreux et de plus en plus complexes, s'empilent à un rythme aussi frénétique, nos concitoyens ne sont plus à même d'y accéder. Cela génère de l'insécurité juridique et, au-delà, c'est le sens même de l'action du législateur qui n'est plus perceptible. C'est l'essence même de la démocratie qui s'en trouve alors affectée. La qualité de la loi n'est pas une simple question technique, « elle est le gage de sa légitimité » ; ainsi avez-vous conclu, tout à l'heure, votre propos, monsieur le secrétaire d'État. Pourtant, sa dégradation est un mal profond qui peut porter atteinte aux fondements même de l'État de droit. Nous pouvons avancer sans hésitation que cette proposition de loi, compte tenu de la multitude d'objets qu'elle couvre, constitue une nouvelle catégorie de lois que nous pourrions qualifier de difformes. L'inflation législative exigerait que l'on fasse une pause pour apprécier le travail du législateur que nous sommes, et c'est tout l'inverse qui se produit. Qu'on en juge : selon une estimation de la section des études du Conseil d'État, aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000, sont venus s'ajouter en moyenne soixante-dix lois, cinquante ordonnances et 1 500 décrets par an ! Chacun ici connaît l'avertissement lancé par Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » Aujourd'hui les auteurs parlent plus volontiers d'« inflation législative ». Mais, ne nous y trompons pas : cette inflation ne concerne pas le nombre de textes votés, mais leur volume. Écoutez plutôt : 620 pages et 912 grammes en 1970 ; 632 pages et 1 022 grammes en 1980 ; 1 055 pages et 1 594 grammes en 1990… Ces chiffres, présentés par le professeur Hispalis, sont ceux du nombre de pages – ordonnances et tables non incluses – et du poids du Recueil des lois publié annuellement par l'Assemblée nationale. Ce constat est partagé sur tous les bancs de notre hémicycle. À partir de là, comment ne pas être en accord avec l'objectif de simplification et d'amélioration de la qualité du droit ? Mais c'est à une tout autre question qu'il nous appartient de répondre aujourd'hui : cette proposition de loi est-elle un moyen pertinent pour atteindre cet objectif si louable ? Il suffit d'examiner ce texte pour pouvoir répondre : cette proposition comportait initialement 150 articles. À l'issue de la première lecture à l'Assemblée, on en comptait 177… Revenu du Sénat, il en contient plus de 200 ! Certains de ces articles modifient, à eux seuls, trente dispositions différentes ! Ce sont près de cinquante codes qui sont modifiés. Je n'en ferai pas ici l'énumération, comme lors de l'examen en première lecture. Ce seul chiffre de cinquante codes suffit à réaliser le caractère exceptionnellement disparate de cette proposition de loi visant à simplifier le droit ! Des fuites d'eau au tatouage obligatoire des chats de plus de sept mois, sans oublier la suppression du classement au concours de l'ENA, arrêtons là cet inventaire à la Prévert… Un chiffre encore : ce texte, sans l'exposé des motifs, est composé de 142 pages ! Mais ce n'est pas là le plus grave ! Ce monstre législatif est le résultat d'une méthode législative, mais l'on devrait plutôt parler d'absence de méthode ! Si l'on souhaite simplifier et améliorer la qualité du droit, il faut repenser la manière qui est la nôtre de faire les lois ! On modifie par touches successives les mêmes textes ! Songez que plus de 10 % des articles d'un code changent chaque année. Les modifications s'empilent jusqu'à rendre les textes illisibles, pire, jusqu'à ce que nos codes en perdent leur cohérence ! Leur esprit en quelque sorte se dilue ! Le phénomène se nourrit de lui-même puisque les modifications appellent de nouvelles modifications ! Rien de nouveau avec ce texte qui révèle le problème, puisqu'il n'y porte remède ! « Bien naïf… » – écrit le professeur Molfessis – « …celui qui contemple l'essor des règles visant à l'amélioration du droit en s'en réjouissant, comme si l'appel à la simplification et, plus généralement, l'invocation de la sécurité juridique étaient un signe de rédemption du système juridique ! » C'est parce que la règle se dégrade, que l'inflation normative augmente et que la complexité des textes est croissante, que les pouvoirs publics multiplient les interventions destinées à améliorer la réglementation, à réduire le flot des textes, à simplifier le droit. Et pourtant, des leçons ont été tirées des projets de simplification du droit de 2003 et 2004 : à l'époque, conscient de la nécessité de simplifier notre droit, le gouvernement avait souhaité y travailler. Mais, compte tenu que l'exercice affecterait des textes nombreux et disparates sur des points jugés très techniques, il était apparu préférable d'habiliter le gouvernement à procéder par ordonnances ! Cette solution avait par ailleurs, aux yeux de votre majorité, un avantage, puisqu'elle permettait de faire vite ! Au final, le résultat fut plus que mitigé et la doctrine elle-même a clairement désavoué ce type de procédé ! Le nombre incalculable d'ordonnances édictées sur le fondement de cette habilitation a permis de constater que, loin de combattre l'inflation, cette méthode n'a fait que la nourrir ! Le résultat est si imparfait qu'il a fallu revenir sur ces modifications introduites par ordonnance ! Et passons sur le fait que le Parlement lui-même se trouvait dépossédé de sa compétence législative ! Il n'est, en effet, jamais bon de contourner le Parlement pour faire la loi ! Voilà la leçon qui semble avoir été tirée de cette malheureuse expérience ! Mais ce n'est là qu'une moitié de leçon, car il ne suffit pas que le Parlement se saisisse de la simplification, encore faut-il qu'il légifère autrement ! « Une lente maturation est souvent gage de qualité » : voilà ce que le professeur Cabrillac nous rappelle dans un article portant sur la codification ! C'est encore le bon sens qui fait le plus défaut à notre assemblée !
Ce texte qui nous est présenté comprend donc plus de 200 articles, modifie près de cinquante codes et c'est dans la précipitation qu'il est élaboré ! Combien de temps aura-t-il fallu à la commission des lois pour examiner les chapitres IV à IX, mercredi dernier ? Quinze minutes auront suffi pour adopter une centaine d'articles – excusez du peu ! – et pour traiter soixante-dix amendements !
Le 13/07/2011 à 16:42, Justine (juriste) a dit :
Cette démonstration de M. Clément illustre clairement à quel point les textes qui prétendent simplifier le droit le compliquent toujours plus...
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