Je reviendrai brièvement sur le débat que nous avons eu sur l'article 4 parce qu'un certain nombre de nos collègue n'étaient pas là avant la levée de séance.
Nous débattons d'un sujet important et nous sommes tous d'accord sur l'objectif : il faut trouver des solutions pour lutter contre la pédopornographie.
En même temps, nous sommes tous conscients que le sujet est très particulier. On n'accède pas à un site pédopornographique par hasard : il ne suffit pas d'aller sur le site Disney, par exemple, pour se retrouver, deux secondes plus tard, sur un site pédopornographique. Nous avons affaire à un public particulier, à une communauté particulière. Lorsque l'Autorité de régulation des jeux en ligne a filtré cet été le site StanJames.com, cela n'a pas posé de soucis particuliers : d'autres sites équivalents existaient qui, eux, étaient agréés. Cela n'a pas fait de bruit et les internautes s'y sont retrouvés. Il n'en est pas de même dans le cas présent. Comme pour HADOPI, cela concerne une tranche de population spécifique qui dialogue entre elle, se passe des informations et qui trouvera toujours, il faut en être bien conscient, le moyen de contourner les dispositifs mis en place.
Il ne faut pas se leurrer : HADOPI ne changera strictement rien pour le pirate, le téléchargeur professionnel. Il cryptera des données, mettra en place des VPN et se connectera sur des serveurs étrangers. Quelle que soit la loi que vous mettrez en place, elle n'apportera aucune solution. C'est là qu'est tout le problème.
Un autre exemple nous est fourni avec l'affaire Wikileaks, dont je m'étonne qu'on ne parle pas davantage dans cet hémicycle. Alors qu'un certain nombre d'États ont tout intérêt à ce que ce site ne perdure pas, alors que des moyens considérables ont été déployés, avec des attaques sur les serveurs pour les faire tomber, faute de pouvoir les bloquer, alors que le site est sans cesse obligé de changer de serveur et de pays, et alors que son dirigeant est en prison, Wikileaks continue à exister grâce à plus de 1 000 sites miroirs et personne ne peut rien y faire.
La loi, ce n'est pas de l'à peu près : c'est blanc ou noir. Il nous faut donc trouver des solutions pérennes, ce que ne fait pas l'article 4.
L'amendement de suppression a été rejeté, soit ; mais cet amendement n° 62 est également très important. Le rôle du juge dans la décision de filtrage est au coeur du problème. Trois arguments militent en faveur du juge comme passage obligé pour toute demande de filtrage d'internet. Filtrer, c'est restreindre l'accès à ce que peut lire ou voir un internaute. Cette atteinte à la liberté d'expression peut être justifiée par la poursuite d'autres buts – dans le cas présent, la lutte contre la pédopornographie est tout à fait légitime –, mais seul le juge peut effectuer la balance entre des droits constitutionnels. Dans tous les cas – et les sénateurs l'ont reconnu –, les frontières sont floues et l'on ne sait parfois guère ce qu'il faut qualifier de pornographique ou de pédopornographique. La qualification des faits, c'est le travail du juge, et certainement pas celui d'une autorité administrative qui serait juge et partie.
Enfin, le contrôle du juge doit porter sur la nécessité du filtrage, mais aussi sur la proportionnalité des moyens que l'on propose de mettre en oeuvre au regard des objectifs poursuivis. Entre le filtrage d'un site de jeux basé à Gibraltar ou à Malte et celui d'un site contenant des images pédopornographiques, il me semble qu'il y a des différences. Dans le cas d'un site de jeux illégal, un simple filtrage par nom de domaine suffit à lui faire perdre 95 % de la clientèle, ce qui est le but recherché, sans causer de dommages collatéraux, puisque seul le site de jeux est présent sous ce nom de domaine. Il n'en va pas de même pour un site pédopornographique : il faudra employer des méthodes très lourdes, comme le filtrage par URL ou par DNS, et les dommages collatéraux peuvent être importants. On se souvient que Wikipedia avait été bloqué en Australie, à cause d'une seule page qui causait problème, sans que le but soit atteint.
Le filtrage profond d'internet n'est pas un jouet que l'on peut brandir pour faire croire que l'on ne reste pas inactif, alors même qu'il est inefficace. Si la lutte contre la pédopornographie est nécessaire et légitime, elle n'autorise pas à faire n'importe quoi, n'importe comment. Pour juger ce qui est justifié et de la proportionnalité des moyens mis en oeuvre, il est impératif de passer par un juge pour filtrer internet.
Le 09/01/2011 à 19:29, Rezo a dit :
En relisant tous ces arguments je n'arrive toujours pas à comprendre comment des parlementaires consciencieux peuvent avoir voté sans sourciller de telles dispositions... Tout est dit, l'évidence est là et puis...
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