Monsieur le ministre, les premières étapes de l'examen du texte dont nous discutons aujourd'hui ont montré une profonde division au sein de votre majorité – nous en avons eu l'illustration depuis le début du débat. Deux camps, voire trois, se sont formés, correspondant à deux, voire trois façons d'envisager la situation financière et les perspectives budgétaires de notre sécurité sociale.
La ligne de faille ne se contente pas de traverser la droite de l'hémicycle mais fracture jusqu'à l'exécutif, comme en témoignent les dissonances apparues entre le chef de l'État et son Premier ministre au cours des dernières heures.
Vous nous avez donné trois versions différentes ce soir. Je félicite à mon tour les deux rapporteurs, le président de la commission des lois et M. Bur, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour leur courage. Yves Bur en témoigne assez régulièrement, il ne va pas toujours au bout de ses intentions, mais il a souvent la velléité d'arranger les choses. Il aurait pu aller plus loin depuis quelques années, mais les progrès sont évidents et je l'en félicite fortement. Mme Montchamp aurait pu aller un peu plus loin, nous avons été surpris de voir qu'elle avait un peu lâché en route.
Vous avez donc trois versions, la 2025, si je peux utiliser ce raccourci, sans recettes pérennes, la 2025 avec des recettes pérennes, et, pour les tenants de l'orthodoxie, la limite de 2021, qui avait été fixée.
Les raisons de la discorde sont en vérité assez simples. Les orientations mises en avant durant la campagne de 2007 et transformées en programme politique depuis lors ne peuvent plus raisonnablement faire consensus. Vous avez transformé en profondeur votre projet de loi car plusieurs représentants de la majorité parlementaire, partisans d'une gestion rigoureuse des finances publiques et incarnant, pour certains, une droite sociale attachée aux héritages de 1945, vous ont exprimé leur désaccord, un désaccord franc et massif à l'instant.
Cette dérogation exceptionnelle qui consiste à allonger la durée d'amortissement de la dette sociale jusqu'à 2025 ne passe décidément pas bien. Les députés de l'opposition que nous sommes espèrent vivement que cette fronde salutaire, déjà esquissée lors de l'examen du PLFSS pour 2010, persévérera jusqu'au rejet définitif de la mesure la plus contestable de ce projet de loi, le report à 2025 de l'amortissement de la dette.
La majorité de circonstance qui s'est formée vous réclame notamment d'administrer enfin à notre sécurité sociale le remède de cheval qui permettra de la sauver. Nos finances sociales sont dans un état calamiteux. Déjà alourdies par un déficit que vous avez consciencieusement entretenu entre 2002 et 2008, elles sont aujourd'hui plombées par l'effet ciseaux – baisse des ressources et augmentation des dépenses – résultant de la crise économique que nous traversons.
Oubliez les dogmes et les fausses promesses et acceptez de regarder la réalité du moment avec lucidité. L'ampleur de nos déficits est à la mesure de l'ampleur des besoins sociaux de nos compatriotes. Il s'agit de leur prêter assistance tout en préservant la capacité de notre sécurité sociale à faire de même pour les générations qui leur succéderont. Voilà qui appelle à trouver les ressources nécessaires en mettant à contribution ceux qui le peuvent.
À gauche comme à droite, plusieurs propositions, plus ou moins empreintes de justice fiscale, vous ont déjà été formulées en ce sens : augmentation de la CSG et de la CRDS, relèvement des tranches les plus hautes de l'IRPP, suppression des niches fiscales ou du bouclier fiscal. Prisonnier de sa rigidité idéologique, votre gouvernement s'interdit de toucher à ces leviers et choisit une fois de plus de laisser filer les déficits.
Réaffirmant dans le discours son opposition à toute hausse d'impôt, il s'apprête pourtant, en rabotant les niches fiscales, à relever de deux points le taux de prélèvements obligatoires au cours des deux prochaines années, un effort bien insuffisant pour attester d'une conversion véritable au pragmatisme économique, d'autant que la manoeuvre nous est vendue comme une opération de réduction de la dépense publique et non comme une augmentation déguisée de la fiscalité.
Compte tenu de votre attachement à défendre le catéchisme néolibéral, il y a d'ailleurs lieu de s'étonner, monsieur le ministre, de votre propension à négliger la recherche de l'équilibre budgétaire, qui est pourtant la pierre angulaire de la doctrine économique à laquelle vous vous référez.
N'éprouvez-vous pas la moindre gêne à nous demander, avec ce projet de loi organique, de faire sauter le garde-fou introduit en 2005 pour éviter la dérive de nos déficits sociaux, un principe de responsabilité budgétaire qui prévoit d'affecter à la CADES des recettes pérennes correspondant au montant des dettes qui lui sont transférées afin de ne pas allonger l'amortissement de cette dernière ? Rappelez-vous que c'est comme un seul homme que notre assemblée, déjà inquiète du gonflement de la dette sociale, avait approuvé ce principe de bonne gestion de nos comptes sociaux. Quel reniement mis sur le compte de la crise qui, une fois de plus, a bon dos !
Prenant le contre-pied de ce précepte, votre projet de loi proposait, dans sa version initiale, d'étaler jusqu'à 2025 le remboursement du passif en consacrant à l'opération des ressources précaires tirées d'une réduction des niches dans le domaine des assurances complémentaires et des mutuelles. On voit que ce projet évolue tous les jours sous la pression, ce qui montre bien le peu de préparation en amont, avec une opposition salutaire dans votre propre camp.