J'ai eu l'occasion de le dire à Bruno Le Maire à cette tribune, je considère que 200 000 à 300 000 emplois sont directement en danger dans les trois à quatre années qui viennent dans notre pays. Malgré les efforts du ministre et le travail qu'il accomplit, je l'ai reconnu publiquement plusieurs fois, je considère que notre pays ne prend pas la mesure de la gravité de la situation du monde agricole aujourd'hui. Vous le savez tous, mes chers collègues, regardez les chiffres dans vos départements. Dans mon département de la Dordogne, nous avions l'habitude de faire 200 installations par an. L'année dernière, nous en avons eu 40 et je pense qu'en 2010, nous n'atteindrons pas les 20.
La situation est telle que tous les exploitants qui ont passé l'âge de cinquante ans n'attendent pas de faire valoir leurs droits à la retraite – l'âge va être repoussé de deux ans, après le recul de deux ans et demi en 2003. Le drame, c'est qu'ils n'incitent pas leurs enfants à reprendre leurs exploitations, vous le constatez, je suis sûr, dans vos circonscriptions, parce que tous les secteurs d'activité sont en crise : le secteur du lait mais d'autres également, comme celui de la viande. On sent un marasme dans le monde agricole comme jamais on ne l'a ressenti dans ce pays.
Sur le plan politique, cette population vous était plutôt favorable, encore qu'il ne faille pas exagérer parce que, dans beaucoup de régions, le vote des agriculteurs s'est toujours partagé entre la droite et la gauche – on peut même dire que dans le sud de la France, dans le sud-ouest, dans le midi viticole par exemple, les agriculteurs avaient plutôt tendance à voter à gauche plutôt qu'à droite. Je ne veux pas tirer des conséquences politiciennes de la crise que je décris, ce serait idiot. D'ailleurs, le fait que le Président de la République ait l'air de courir sans cesse après l'électorat agricole n'est pas bon, pour sa propre crédibilité comme pour notre République parce que, à chaque sortie, on se rend compte du décalage qui existe entre la réalité et ce qu'est capable de percevoir le Président de la République. Chaque fois, le monde agricole, qui est un monde de terriens, se rend compte à quel point notre Président, qui est notre Président à tous, qui a été choisi par la majorité des Français, est décalé. Je l'ai reçu dimanche dans ma circonscription, pour les soixante-dix ans de Lascaux, c'est le Président de la République. Nous sommes tous des républicains, il a été choisi majoritairement par les Français, il est normal qu'on le considère comme le Président de la République – en tout cas, c'est comme ça pour moi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
En tout cas, je note à quel point il existe un décalage entre les perceptions qu'il peut avoir et la réalité des terroirs. Manifestement, c'est un Président urbain, ce n'est pas un reproche, c'est comme ça, chacun a sa personnalité et on voit bien que cette France des terroirs, il ne la sent pas comme la sentaient Jacques Chirac, François Mitterrand, Giscard d'Estaing, Pompidou ou le général de Gaulle. On voit bien qu'il n'y a pas d'appréhension de ce monde-là et qu'il n'y a pas une appréhension globale de ce qu'est le territoire national. Il ne faut pas oublier que l'activité à la fois économique et sociale de ce secteur identitaire fait vivre beaucoup de villages : s'il n'y avait pas les exploitations agricoles, il n'y aurait pas d'activités économiques – dans les petits villages, ce sont souvent les seules activités économiques qui restent.
On voit bien que cette activité est véritablement en danger, parce qu'elle se fait dépasser par une économie libérale qui est en train de se libéraliser au maximum au niveau européen et même au niveau mondial. Les agriculteurs de notre pays, qui sont des artisans en vérité, même ceux qui sont assez importants, ont de plus en plus de mal à lutter face à de véritables industriels. Et la crainte que nous avons, c'est de voir disparaître totalement cette activité agricole. On peut même se demander ce qui restera comme zones de production dans le monde dans quelques années.
Nous menons des réflexions, chacun, dans nos partis politiques. J'ai été toute la journée avec Antoine Herth qui est responsable des questions agricoles à l'UMP. Nous préparons un rapport sur le suivi de la loi sur les OGM, nous avons très souvent l'occasion d'en parler. Chacun réfléchit mais nous considérons, nous, qu'il serait urgent de prendre des mesures qui permettraient de faire face à la libéralisation des échanges telle que nous la connaissons aujourd'hui. Il a suffi d'ouvrir les marchés de la viande ovine à la Nouvelle-Zélande pour que la production française s'effondre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous le savez, je pourrais vous en parler encore pendant des heures mais je pense que le temps nous est compté.
En tout cas, monsieur le ministre, je voudrais vous redire une dernière fois que vous ne faites pas ce qu'il faut pour les retraités agricoles de ce pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)