Le projet de loi prévoit que le piratage soit sanctionné par la suspension de l'accès à Internet : le pirate est ainsi puni par là où il a fauté. Toutefois, la mise en oeuvre de cette mesure comporte des difficultés qui la rendent difficilement applicable.
Premièrement, cela va à l'encontre de la politique que nous menons depuis plusieurs années, visant à développer l'accès à Internet à haut débit pour tous – je pense notamment au plan numérique 2012. Dans cette logique, je suis sincèrement convaincu que l'accès à Internet devrait plutôt être un service public universel ne pouvant être complètement coupé, comme l'électricité ou le téléphone.
Deuxièmement, d'un point de vue technique, il est impossible de généraliser le dispositif en l'état actuel, comme cela a été dit et redit par Mme la ministre et M. le rapporteur. Dès lors, les mesures de suspension d'accès seront ou non applicables selon que l'on se trouvera à la ville ou à la campagne, ou « en fonction de l'état de l'art », pour reprendre la fameuse formule que nous avons évoquée hier soir ; on pourra aussi éventuellement réduire le débit. Enfin, dans les cas où ces mesures ne seront pas applicables, on obligera l'internaute concerné à installer un logiciel anti-téléchargement. Cela pose un véritable problème d'égalité des abonnés qui va exposer le texte à un fort risque de censure par le Conseil constitutionnel.
Troisièmement, la mise en oeuvre du dispositif de suspension va être extrêmement coûteuse pour l'État, contrairement au système d'amendes. Nous en sommes déjà à plus de 100 millions d'euros, mais le coût total sera beaucoup plus élevé. Dans le cas de Free, par exemple, c'est l'ensemble des boîtiers électroniques qu'il faudra remplacer. Qui le fera, qui paiera ? Nous ne disposons d'aucun renseignement sur ce point – si ce n'est que le système, en dépit de son coût, pourra facilement être contourné.
Enfin, comme nous l'avons déjà dit, un grand nombre de décisions seront prises à tort, l'adresse IP ne constituant pas une preuve irréfutable. Le cas des foyers est souvent cité en exemple par ceux qui se félicitent que les mesures envisagées puissent avoir pour effet de susciter l'ouverture d'un dialogue entre parents et enfants au sein des familles. Peut-être, mais il n'y a pas que les foyers ! Comment fera-t-on pour les entreprises, les collectivités, les hôpitaux, qui utilisent Internet tous les jours ? Il est impensable de suspendre leur accès. Quant à la solution du pare-feu, elle ne saurait répondre à toutes les situations et demande, en tout état de cause, un paramétrage spécifique et très facilement contournable. Dans la mesure où bon nombre de décisions vont être prises à tort – je peux expliquer à nouveau ce qu'est une adresse IP, pour ceux qui ne seraient pas convaincus –, il faut bien se poser la question des dommages et intérêts. Quid des dommages et intérêts dès lors que des décisions seront prises à tort ? Demain, vous condamnez une entreprise et vous lui coupez son accès à Internet. Mais si cette entreprise obtient gain de cause auprès de la justice – le jugement comme celui du tribunal de Guingamp risque très rapidement de faire jurisprudence –, qui paiera les dommages et intérêt ? On parle ici, non plus de 100 millions, mais de sommes extraordinaires.
Je vous en conjure une fois encore, mettez en place un système d'amende. Cette dernière, au moins, est contestable et laissera la possibilité de travailler aux entreprises. Cela permettra en outre d'introduire une procédure contradictoire car, avec ses trois membres, la commission de protection des droits aura bien du mal à le faire.
Enfin, la restriction d'accès à Internet n'a aucun sens dès lors qu'elle n'intervient que dans un seul pays. On l'a vu, l'une des façons de contourner la loi consiste à se connecter par des VPN sur des serveurs étrangers. Le réseau Internet étant intrinsèquement mondialisé, ces mesures de restriction ou de suspension d'accès au réseau ne seraient opérantes que dans un contexte international qui déciderait de prendre simultanément des mesures identiques à celles du projet de loi sur la HADOPI. Or la création de telles instances de régulation mondiale d'Internet est loin d'être à l'ordre du jour.
Voilà toutes les raisons pour lesquelles je vous demande, par cet amendement, de remplacer la suspension par une amende qui sera parfaitement applicable, pour tous, sur tout le territoire et immédiatement.