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Intervention de François Baroin

Réunion du 16 février 2010 à 15h00
Modification de la procédure de huis clos devant la cour d'assises des mineurs — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Baroin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État à la justice, mes chers collègues, le principe de la publicité des débats judiciaires est une règle fondamentale pour les libertés publiques et constitue l'un des piliers des sociétés démocratiques. En France, nous le savons, la justice est rendue « au nom du peuple français » : il est donc essentiel que les citoyens puissent exercer un contrôle sur les conditions dans lesquelles elle est rendue.

Reconnu dès la Révolution par l'Assemblée constituante, puis, plus récemment, par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ce principe connaît un certain nombre d'exceptions. Les victimes d'infractions sexuelles bénéficient de plein droit du huis clos si elles en font la demande, afin de leur permettre de préserver leur intimité. Les mineurs jugés par des juridictions pour mineurs le sont selon les règles de la publicité restreinte : seuls peuvent être présents leurs proches et les professionnels de l'enfance chargés de leur suivi ; la présence de la presse et du public est écartée.

Cette règle de protection des mineurs s'applique y compris lorsque la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au moment du procès. Or cette situation est la règle devant les cours d'assises des mineurs et est extrêmement fréquente devant les tribunaux pour enfants. En 2008, 98 % des mineurs de 16 à 18 ans jugés pour crimes l'ont été alors qu'ils étaient devenus majeurs ; ce taux était de 44 % devant les tribunaux pour enfants.

Il y a une dizaine d'années, la règle de la publicité restreinte, appliquée aux mineurs quel que soit leur âge au moment de leur procès, avait montré ses inconvénients à l'occasion de ce que l'on a appelé l'affaire Dils. Souvenons-nous, M. Dils, condamné par une cour d'assises des mineurs, avait bénéficié d'une révision de sa condamnation et avait été renvoyé devant une nouvelle cour d'assises des mineurs, alors qu'il était âgé de plus de 30 ans. Il souhaitait que son procès puisse être public, mais la loi ne lui donnait alors pas cette possibilité. Après sa condamnation par la cour d'assises des mineurs du Rhône au terme d'un procès tenu sous le régime de la publicité restreinte, c'est un député socialiste, M. Jean-Pierre Michel, qui, à juste titre, avait fait adopter un amendement permettant que, à la demande d'un mineur devenu majeur au jour de sa comparution, le procès devant une cour d'assises des mineurs puisse être public. Lors de son procès en appel, tenu publiquement grâce à la modification législative dont le premier procès après révision avait montré la nécessité, M. Dils, on s'en souvient, avait été acquitté.

Cette présentation des dispositions légales applicables aux procès des mineurs devenus majeurs et de leur genèse nous rappelle également que le législateur doit savoir être à l'écoute des aspirations de la société. C'est aussi son devoir, sa responsabilité, que de proposer les modifications dont l'actualité fait apparaître la nécessité. A ceux qui disent que le texte dont nous abordons l'examen est une loi de circonstance, je réponds que, presque tous les jours, ce sont les circonstances qui éclairent l'exigence, pour le législateur que nous sommes, de remédier aux faiblesses du droit.

En juin 2009, était jugée devant la cour d'assises des mineurs de Paris une affaire dont la particulière gravité avait créé une émotion extrêmement forte parmi nos concitoyens : l'affaire dite du « gang des barbares », dont la victime, Ilan Halimi, avait été torturée et assassinée dans des circonstances particulièrement abominables.

Comme le procès Dils quelques années plus tôt, celui du gang des barbares a révélé une difficulté soulevée par les règles applicables lorsqu'un mineur poursuivi est devenu majeur au moment du procès. Les vingt-sept accusés étaient majeurs au jour de l'audience, mais deux d'entre eux étaient mineurs au moment des faits. La complexité de l'affaire et le rôle joué par ces deux mineurs avaient conduit à ne pas disjoindre l'affaire, tous les accusés étant en conséquence renvoyés devant une cour d'assises des mineurs. La règle de la publicité restreinte était donc applicable, alors même que la majorité des accusés étaient majeurs au moment des faits et auraient dû être jugés publiquement.

La seule possibilité pour que ce procès se déroule publiquement aurait été que les deux accusés mineurs au moment des faits acceptent la publicité, ce qui ne fut pas le cas.

Afin de résoudre cette difficulté d'ordre général, mise en évidence par une affaire particulière, nous avons déposé, avec mon collègue Jack Lang, que je salue, une proposition de loi tendant à modifier les règles de publicité applicables devant les cours d'assises des mineurs lorsqu'elles jugent des personnes devenues majeures, afin que la décision sur le régime de publicité applicable n'appartienne plus au seul accusé mais soit soumise à une appréciation de la cour en début d'audience.

Après plusieurs mois de travail, notre commission a retenu un certain nombre d'enseignements susceptibles de bonifier notre élan de départ. Nous avons entendu de nombreux magistrats et avocats spécialistes des mineurs et des représentants des juridictions criminelles, qui ont une certaine expérience en la matière, mais qui sont aussi soucieux de la préservation de l'anonymat et de la protection du droit des mineurs.

Après un débat de qualité, la commission des lois est parvenue à un texte marqué par l'équilibre entre les deux grands principes régissant le sujet qui nous intéresse : le principe de la publicité des débats judiciaires, d'une part, et le droit à la protection des intérêts des mineurs, d'autre part.

Les travaux que j'ai eu l'honneur de mener en tant que rapporteur m'ont amené à la conclusion que la publicité restreinte, qui est aujourd'hui un droit absolu du mineur – y compris lorsqu'il est devenu majeur – pouvait et devait être conciliée avec d'autres intérêts, susceptibles de remettre en cause son application pour les mineurs devenus majeurs.

Il s'agit, d'abord, de l'intérêt de la justice elle-même, qui peut commander que, dans un souci de pédagogie vis-à-vis de tous, certains procès soient publics. Je crois à la vertu pédagogique du procès. Je crois aussi à la nécessité de créer un cadre de droit permettant à la société, par exemple dans l'affaire du gang des barbares, de comprendre comment un tel drame a pu se produire dans une cité, avec autant de personnes en cause. Celles-ci, au cours du procès, ont nourri un double sentiment d'injustice, qui fut ressenti en particulier par la famille d'Ilan Halimi : l'injustice qu'a constituée sa disparition dans les conditions que l'on sait, sur lesquelles je ne reviens pas, a été doublée du sentiment qu'une forme de loi de silence s'imposait à travers l'application du droit conduisant au huis clos, sans faculté pour la cour d'offrir au public, et notamment aux journalistes, la possibilité de suivre les travaux de l'audience.

Il s'agit ensuite de l'intérêt d'autres coaccusés majeurs. Dans cette même affaire, par exemple, les accusés majeurs ont été privés de leur droit à un procès public par la seule décision des coaccusés mineurs au moment des faits. Il s'agit enfin de l'intérêt des victimes, celles-ci pouvant légitimement estimer que l'oeuvre de justice nécessite une audience publique.

La conciliation entre d'une part, le droit de l'accusé mineur au moment des faits à la publicité restreinte, et, d'autre part, ces autres intérêts, a été le fil conducteur de notre réflexion. Contrairement à ce qui est dit ici ou là, cette conciliation ne pose pas de difficulté sur le plan du respect par la France des engagements internationaux auxquels elle est partie, et plus particulièrement de la convention européenne des droits de l'homme. En effet, l'article 6 de la CEDH, qui proclame le principe de la publicité des débats judiciaires, admet qu'il puisse être dérogé à ce principe « lorsque les intérêts du mineur l'exigent ». La CEDH n'impose pas la publicité restreinte pour les mineurs, mais permet seulement d'appliquer un tel régime si les intérêts du mineur l'exigent. La publicité restreinte peut donc être écartée au profit de la publicité si d'autres intérêts avec lesquels elle est conciliée le requièrent, ce qui est le cas lorsque le mineur est devenu majeur au jour de son procès. Et l'on doit à la vérité de reconnaître que c'est aujourd'hui le cas général. Il est très rare – on n'en a que quatre exemples, dans un passé récent – que les accusés mineurs au moment des faits soient toujours mineurs à la date de leur comparution. Cela est dû, naturellement, à la lenteur des procédures, mais le fait est que ces derniers cas de figure sont marginaux.

Je rappelle que les règles qui permettent la publicité dans certains cas existent dans plusieurs pays européens.

Dans le cadre de la recherche de cet équilibre, le texte adopté par la commission des lois a tout d'abord réaffirmé le principe de la publicité restreinte pour les mineurs devenus majeurs au jour de leur procès. Le maintien de ce principe est en effet conforme à la nécessité de préserver une spécificité au statut pénal des mineurs, afin de tenir compte de leur âge au moment des faits. Ce texte ne procède donc pas de la volonté d'aligner de manière automatique et systématique le droit commun sur le droit des mineurs, ou l'inverse. Je le dis pour celles et ceux qui auraient besoin d'être rassurés. Leur souci est par ailleurs légitime, et cette question fera l'objet de débats, dans quelques mois, à l'occasion d'autres textes fondamentaux.

Toutefois, si le principe de la publicité restreinte pour les mineurs devenus majeurs est réaffirmé, la proposition de loi aménage les conditions dans lesquelles il peut y être dérogé : dorénavant, le ministère public, l'un des accusés ou la partie civile pourront demander la publicité. En cas d'opposition de l'une des parties à la publicité des débats, c'est la cour qui devra statuer par une décision spéciale et motivée, en prenant en considération, ce qui me semble très important, les intérêts de la société, de l'accusé et de la partie civile, après un débat au cours duquel auront été entendus le ministère public et les avocats des parties.

Soucieuse que des circonstances particulières tenant à un besoin de protection renforcée de certains mineurs puissent être prises en compte, la commission a également prévu que, dans le cas où la personnalité de l'accusé mineur au moment des faits rendrait indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics, la cour devra ordonner que l'audience sera soumise au régime de la publicité restreinte.

En troisième lieu, la commission a étendu les nouvelles règles de publicité décrites ci-dessus aux audiences du tribunal pour enfants. Si la cour d'assises des mineurs est le lieu où doivent se rendre les décisions de justice sur des éléments criminels particulièrement abominables, il était difficilement concevable, par un parallélisme des formes, de ne pas aligner la proposition sur le tribunal pour enfants. Celui-ci, qui juge les délits commis par les mineurs de treize à dix-huit ans, mais aussi les crimes commis par les mineurs de treize à seize ans, est en effet susceptible de rencontrer les mêmes situations que la cour d'assises des mineurs. La cohérence juridique nous a donc conduits à rendre cette proposition plus souple.

Enfin, la commission a jugé indispensable de renforcer les sanctions encourues par les personnes qui violent l'interdiction de publication des comptes rendus des débats des juridictions pour mineurs.

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