Mon intervention portera sur les articles 2, 3 et 4, qui traitent de la lutte contre la cybercriminalité. Je rejoins ce qu'a dit Martine Billard : ce n'est que la suite du débat que nous avons eu en 2005 et 2006 sur DADVSI, en 2009 sur HADOPI, et même avant DADVSI, en 2004, avec l'effet « 11 septembre », lorsque, sous le prétexte légitime de lutter contre le terrorisme, de premières tentatives de contrôle d'Internet avaient vu le jour.
En l'occurrence, on peut tenter, même si l'exercice est sans doute vain, de mesurer l'efficacité de ces articles par rapport aux objectifs poursuivis, qui sont fort légitimes du reste. Qui, dans cet hémicycle, ne voudrait lutter contre la cybercriminalité, contre la diffusion d'idées racistes ou antisémites sur le net, ou contre la diffusion d'images pédopornographiques ?
Mais, au-delà des nobles buts poursuivies par les dispositions de ces trois articles, une question se pose. Dans ce domaine, en effet, le droit commun s'impose très légitimement sans qu'il soit forcément nécessaire d'adapter la loi, et cela explique le malaise que vous ressentez dès qu'il s'agit de traiter d'Internet.
En fait, Internet n'est qu'un média, un moyen de diffusion. Quand on parle de racisme, de xénophobie, d'antisémitisme, de pédopornographie, on devrait avant tout s'occuper de ceux qui diffusent ces contenus illégaux, de leurs auteurs, ou des victimes, mais s'attaquer au mode de diffusion nous interpelle fortement. L'écho de certaines déclarations raisonne encore à nos oreilles. Jean-François Copé disant : « Internet est un danger pour la démocratie ». M. Guaino stigmatisant Internet, la transparence absolue qu'il permet étant, selon lui, le début du totalitarisme. Tout cela traduit le fait que, pour vous, Internet est l'ennemi, Internet est le mal. La raison en est simple : contrairement à l'audiovisuel, à la radio, à la presse écrite, et grâce à la complicité de grands groupes industriels et financiers, c'est un moyen de communication que vous ne pouvez pas maîtriser. C'est cela qui, au fond, vous dérange, d'où cette pulsion qui vous fait vouloir contrôler Internet en mettant en place des dispositifs de filtrage. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
La création du délit d'usurpation d'identité numérique présente, selon nous, un intérêt d'autant plus limité que l'article 2 ne précise pas ce qu'est l'identité numérique. En l'occurrence Mme Myriam Quéméner, magistrate et auteur du livre Cybercriminalité : aspects stratégiques et juridiques, écrit à juste raison : « En pratique les difficultés se feront jour quant à la définition précise de l'identité numérique, qui n'existe pas en l'état, et il appartiendra à la jurisprudence de cerner cette notion qui concernera aussi bien le pseudo que le mot de passe. Le pseudo faisant partie de l'identité numérique, une personne pourrait donc être poursuivie pour avoir utilisé un pseudo tel que “Roi du monde” ou “Lutin jaune”. »
Donc, sur le web a transparu très logiquement la crainte, finalement assez légitime, que des sites quelque peu parodiques se moquant de certaines affaires récentes puissent faire l'objet d'une censure en vertu de la mise en oeuvre de cet article 2 créant le délit d'usurpation d'identité numérique.
On retrouve d'ailleurs dans l'article 3 cette méfiance fondamentale que vous avez à l'égard d'Internet, puisque vous faites de son usage une circonstance aggravante – nous voudrions savoir pourquoi – pour certains délits prévus par le code de la propriété intellectuelle. Si le délit est le même, pourquoi aggrave-t-on les sanctions pénales ?
Enfin, nous aurons sans doute un échange très constructif sur l'article 4. La lutte contre la pédopornographie est certes une noble cause, mais au lieu de viser des URL précises, les mesures de filtrage prévues auront un effet de massue puisqu'elles toucheront des domaines entiers et notamment des sites légaux totalement étrangers à la diffusion d'images pédopornographiques. Nous espérons que l'amendement Tardy survivra à la discussion en séance publique, puisque c'est la traduction logique de la censure historique du Conseil constitutionnel de juin 2009, et si vraiment vous ne souhaitez pas filtrer Internet, il vous faudra le prouver en retenant un certain nombre de nos amendements.