« De la dentelle électorale cousue de fil blanc », selon Le Canard enchaîné que je cite encore : « La Somme est un pur chef-d'oeuvre. La 1ère circonscription, fief de Maxime Gremetz, hérite de frontières encore plus acrobatiques que celles décidées en 1986 par Charles Pasqua, qui était pourtant expert en coups de ciseaux. Ce territoire concentre désormais 70 % des HLM de la Somme. Avantage de la manoeuvre : dans un département où la gauche détient 55 % des cantons, l'UMP… » – et c'est, là, une erreur, je dirai, pour ma part, la droite – «…est quasiment assurée de rafler les quatre sièges restants. Avec d'autres découpages très artistiques, comme en témoignent les contours de la 4ème circonscription… » D'autres médias aussi variés que Le Figaro, La Croix, Le Monde, BFM TV ou C dans l'air font tous la même analyse.
Selon l'avis de la commission Guéna : « le découpage proposé fait apparaître une géographie d'une grande complexité » ; une « patte de crabe » puisque les points extrêmes de cette circonscription sont éloignés de 100 kilomètres. À lui seul, le choix de supprimer une circonscription de taille moyenne – je ne dirai pas la mienne, mais celle dont je suis l'élu – alors que d'autres étaient bien moins peuplées, ce choix peut déjà porter à contestation.
Toute la population, tous les analystes ont perçu que le but ultime de l'opération consistait à renforcer une situation favorable à la majorité actuelle et à réduire au maximum le risque d'alternance politique en confortant les cinq sortants : quatre de droite et un de gauche.
Le travail de dentelle du dépeceur a abouti à la création d'une circonscription aberrante, la première, qui englobe la moitié d'Amiens – première ville du département – et Abbeville – deuxième ville – dans sa totalité. Vous avez réussi l'exploit de regrouper en une seule circonscription presque tous les cantons composant les seules circonscriptions du département détenues par la gauche. La majeure partie des populations du département situées en zone urbaine sensible se retrouveraient dans cette première circonscription, qui concentrerait également, je l'ai déjà précédemment souligné, 70 % du parc de logements sociaux et les populations les plus touchées par les problèmes d'emploi et dont les conditions sociales sont les plus difficiles de la Somme. Goodyear, Valeo, Vénilia, Sièges de France, entreprises disparues ou en grande difficulté, sont connues de tous.
Cette circonscription est aussi une incohérence géographique et territoriale, une indécence historique, une anomalie sociologique, une absurdité institutionnelle et administrative, une incohérence culturelle, économique et un cynisme politique. La ville d'Abbeville, chef-lieu d'arrondissement au coeur du pays des trois vallées et d'un futur parc naturel régional, capitale de la Picardie maritime – que vous avez pu admirer hier soir dans le cadre de l'émission Des racines et des ailes – porte d'entrée de la baie de Somme, l'une des plus belles baies du monde, se retrouverait ainsi coupée de tous ces territoires, dans une situation de dépendance et quasiment annexée par la capitale amiénoise. C'est la négation de la notion de « bassin de vie ». Le futur député serait, ainsi, celui des deux plus grandes villes du département, situées à quarante-cinq kilomètres l'une de l'autre, comptant respectivement 130 000 et 25 000 habitants. C'est une incohérence totale ! Abbeville et sa région ont déjà perdu la Banque de France, le tribunal de grande instance, des menaces pèsent sur son hôpital et sa sous-préfecture. La population n'admet pas ce charcutage qui aboutirait à la suppression de la circonscription et à la disparition de son député. Il n'est pas incongru de dire qu'elle pense que c'est encore un peu plus de service public qui disparaîtrait dans la continuité des attaques subies depuis quelques années. Choquée, elle a réagi en se mobilisant, en signant en force une pétition dénonçant ce projet. De même, de nombreux conseils municipaux ont voté, très souvent à l'unanimité, et quelle que soit leur majorité politique, une motion demandant le retrait de la proposition. La population unanime est scandalisée par ce tripatouillage partisan, ce bidouillage dont elle perçoit bien l'objectif. Il y a trop de cohérence dans l'acharnement destructeur contre la deuxième ville du département, pour ne pas s'interroger sur le point de savoir qui en veut autant à Abbeville !
Et que dire de la future 4ème circonscription aux formes si étranges, si particulières, aux frontières acrobatiques, sans cohérence, avec une continuité territoriale limite, qui prend en tenaille trois autres circonscriptions, et dont le seul objet est de conforter le député actuel par l'adjonction de trois cantons de droite ?
Le constat est le même pour la future 3ème circonscription qui s'agrandit de deux cantons de droite supplémentaires.
Non, comme le dit la commission Guéna « la géographie très complexe » du redécoupage prévu dans le projet d'ordonnance n'est en rien justifiée par la recherche de l'équilibre géographique entre les cinq circonscriptions du département. Les résultats électoraux des cantons en cause ne laissent aucun doute sur la motivation de ces choix géographiques incohérents.
Monsieur le secrétaire d'État, seuls des objectifs politiques évidents et de petits arrangements entre amis ont guidé les ciseaux des auteurs de ce découpage que tous s'accordent à dénommer charcutage ou même tripatouillage et à qualifier de partisan et de partial.