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Intervention de René Dosière

Réunion du 14 janvier 2010 à 9h35
Délimitation des circonscriptions des députés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière :

On ne peut pas parler de « clandestins », comme en France, car ils sont tout sauf clandestins : on peut les voir en allant au marché, en prenant un taxi, au travail dans les champs, sur les chantiers de construction, parmi les personnels de service... On ne peut pas non plus parler de « sans-papiers » parce qu'une partie de ces étrangers en situation irrégulière a des papiers. Faux, certes, mais des papiers quand même ! (Rires.) Alors que certains Mahorais, qui eux sont français, n'en ont pas. Cette situation particulière et étonnante devrait nous poser un problème.

Un autre aspect tout à fait spécifique est que Mayotte est le seul territoire de notre République où coexistent deux états civils, l'un de droit coranique, l'autre de droit commun. À ma connaissance, aucun autre territoire français ne présente une telle particularité. Même en Alsace-Lorraine, il n'y a eu de tout temps qu'un seul état civil.

Cette coexistence est issue de l'histoire de Mayotte et de ses liens avec les Comores, en particulier avec l'île d'Anjouan toute proche, dont les habitants sont culturellement, cultuellement et familialement très proches, ce qui explique la masse de personnes en situation irrégulière. Elle donc très ancienne, certes, mais pose tout de même un problème.

Depuis 2000, le Gouvernement a décidé de régulariser l'état civil et de faire en sorte que chacun puisse en avoir un de droit commun. Une commission de révision de l'état civil a été mise en place, dont le but est de donner à chaque Mahorais un état civil qui permette de l'identifier. Mais cela ne marche pas ! Sans entrer dans les détails, je dirai que cette commission n'est pas dotée des moyens suffisants. J'ai présidé avec Didier Quentin deux missions d'information sur les problèmes de Mayotte et sur ce sujet ; nous avons alerté le Gouvernement, le ministre de l'intérieur et celui de la justice sur la nécessité de donner les moyens au moins en cette matière. Bref, on bricole, alors que la situation exigerait qu'on y mette tous les moyens et que tout le monde ait un état civil dans des délais raisonnables.

La création d'un poste supplémentaire de député à Mayotte pourrait peut-être un jour se justifier, mais aujourd'hui, elle est prématurée. Il serait sans doute préférable d'attendre que la situation en matière d'état civil soit clarifiée pour prendre une telle décision.

Un autre aspect, lié à l'état-civil, ne peut que toucher les parlementaires que nous sommes : il y a lieu de s'interroger sur le degré de fiabilité des listes électorales. En effet, des électeurs inscrits sur ces dernières sous leur nom reçoivent un état-civil de droit commun s'ils le demandent ; mais, comme les systèmes informatiques respectifs des mairies, de la préfecture, de la justice et de la commission de révision de l'état-civil ne sont pas compatibles – c'eût été trop simple ! –, une personne dotée d'un état-civil de droit commun n'est pas automatiquement inscrite sur les listes électorales. Pour l'être, elle doit effectuer la démarche elle-même, et rien ne garantit alors qu'elle ne le sera pas sous deux noms différents…

Dans un système démocratique comme le nôtre, la fiabilité des listes électorales est pourtant absolument fondamentale. Mais le cas de Mayotte est tout à fait spécifique en la matière, alors que le pourcentage d'erreurs ne devrait pas y être plus élevé que dans n'importe quelle circonscription métropolitaine.

Si vous n'aviez pas proposé de créer un siège de député supplémentaire à Mayotte, vous auriez par exemple pu maintenir celui de notre collègue Aurélie Filippetti, ici présente... (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Le Conseil constitutionnel vous aurait opposé, m'objecterez-vous, le fait que Mayotte compte 186 000 habitants. Mais, compte tenu des spécificités démographiques et électorales de ce territoire, que je viens de rappeler, je ne suis pas sûr que le Conseil aurait adopté un point de vue aussi étroit, obtus, parisien et centralisateur. Au demeurant, son président connaît assez bien les problèmes de l'outre-mer et est suffisamment large d'esprit pour comprendre la nécessité de faire une exception pour Mayotte.

Je ne suis donc pas certain que ce choix vous aurait exposé à la censure du Conseil constitutionnel, contrairement à d'autres, qui concernent la métropole et que mes collègues ont évoqués… Peut-être le nouveau délai qui vous est accordé vous permettra-t-il de corriger ce qui me paraît constituer une anomalie d'un point de vue démocratique. En effet, il s'agit naturellement d'empêcher que cette situation ne perdure : si Mayotte doit devenir un département français comme les autres, ainsi que nous le souhaitons tous, puisque c'est ce que veut la population mahoraise, le Gouvernement doit prendre les mesures nécessaires pour instituer un état-civil fiable, préalable indispensable, notamment à la création d'un second siège de député.

En Nouvelle-Calédonie, le problème est quelque peu différent. Vous n'y créez aucun siège supplémentaire ; on en reste donc à deux députés. Il s'agit à mes yeux d'une erreur politique. En effet, le statut de la Nouvelle-Calédonie est déjà sans pareil et sans précédent dans notre République : nous avons créé, moyennant une révision constitutionnelle, une citoyenneté calédonienne – et non une nationalité : la nationalité française demeure. La possession de cette citoyenneté conditionne des droits spécifiques, y compris électoraux, mais aux élections provinciales seulement : ceux qui ne sont pas citoyens calédoniens n'ont pas le droit de participer à ces élections. Les élections nationales ne sont pas concernées.

En outre, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie possède une vocation législative : il vote des lois, comme nous, et certaines de ces lois dites de pays sont directement soumises au Conseil constitutionnel, sans avoir besoin d'être votées par l'Assemblée nationale. Avouez que, dans notre vieux pays centralisé et jacobin, une telle situation est pour le moins surprenante !

J'ajoute que, dans quelques années, le transfert de compétences au Congrès de la Nouvelle-Calédonie et aux provinces calédoniennes sera entièrement achevé dans toutes les matières, à l'exception des domaines régaliens.

Ce territoire pourrait donc être appelé à détenir ce que j'appellerais une souveraineté, qu'il partagera vraisemblablement avec la France, étant donné l'importance respective des populations. Il appartiendra naturellement aux deux grandes communautés, d'origine respectivement européenne et canaque, d'en décider. Pour l'instant, ces communautés ont décidé d'exister, et de se reconnaître mutuellement un droit égal à revendiquer le territoire comme leur – situation bien particulière dans notre histoire coloniale –, s'obligeant ainsi à vivre ensemble et à construire ensemble leur avenir, même si le résultat final fait l'objet de conceptions divergentes.

Mais, d'un point de vue politique, cette situation implique que les deux communautés puissent dialoguer, monsieur le secrétaire d'État, et que la représentation nationale soit régulièrement tenue informée de leurs échanges. Or, aujourd'hui, la représentation parlementaire de la Nouvelle-Calédonie, composée de deux députés et d'un sénateur, est entièrement monocolore – politiquement, s'entend, puisque notre collègue sénateur Simon Loueckhote est d'origine canaque, à la différence de nos deux collègues députés.

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