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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 14 janvier 2010 à 9h35
Délimitation des circonscriptions des députés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

S'il y a consensus sur le principe de la représentation des Français de l'étranger, nous contestons le recours à l'ordonnance. Sur le principe d'abord, parce qu'il réduit le débat à sa plus simple expression, ce dont personne ne peut se satisfaire ; sur les conséquences ensuite, car il hypothèque notre capacité à amender votre texte. La procédure de l'ordonnance est réductrice du point de vue de la démocratie. Malheureusement, ce n'est pas le seul texte concerné par cette pratique puisque, dans quelque temps, nous discuterons, avec le même rapporteur, un autre projet de même nature, qui concerne les modalités de vote. Cela montre que, malgré nos mises en garde, vous persistez sur une voie qui n'est pas celle de la revalorisation du Parlement.

Deux millions et demi de Français établis hors de France seront représentés à l'Assemblée nationale. Peu de pays dans l'Union européenne ont une telle représentation pour leurs citoyens expatriés. Seuls en bénéficient l'Italie, le Portugal et la Roumanie; que suivront sans doute rapidement la Croatie et l'Espagne.

Un million de personnes sont inscrites sur les listes électorales consulaires, c'est-à-dire l'équivalent du dix-huitième département français. C'est enfin la reconnaissance d'une égalité réelle entre les citoyens vivant en métropole et ceux résidant à l'étranger.

Tout comme les députés de la métropole, ceux qu'éliront les Français établis hors de France représenteront la nation tout entière et non la population de leur circonscription.

Actuellement, de nombreux Français de l'étranger ne votent pas, des binationaux pour l'essentiel, ce que nous regrettons. Dorénavant, ils seront incités à s'inscrire sur les listes électorales pour participer à ces élections. Nous espérons une augmentation significative des inscriptions, et je crois que nous sommes d'accord sur ce point. Déjà, en 2008, nous avions constaté une augmentation de 10 % des inscriptions sur les listes consulaires, ce qui constituait un bon signe.

En revanche, nous ne sommes pas d'accord avec le mode de scrutin que vous avez choisi. Aucun principe constitutionnel – et le Sénat est là pour le montrer – n'interdit de faire appel à la fois au mode de scrutin majoritaire et à la représentation proportionnelle. Nous persistons à penser que le choix de cette dernière aurait permis d'organiser plus aisément un vote qui se déroulera à travers toute la planète. Vous aurez besoin de deux dimanches, alors qu'un seul vote aurait pu avoir lieu. Et vous savez, pour avoir commencé à examiner ces questions, que bon nombre de problèmes pratiques se poseront. Nous pensons surtout que la représentation proportionnelle aurait permis une juste et équitable représentation des sensibilités différentes des Français résidant à l'étranger.

Il y aurait beaucoup à dire sur les conditions dans lesquelles s'exerce aujourd'hui le vote de ces Français, notamment dans le cadre de l'Assemblée des Français de l'étranger : il s'agit d'un vote par correspondance, et le nombre des bureaux est régulièrement discuté. Très récemment, à l'occasion de l'audition des représentants du bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger, nous avons souligné ces aspects. Nous serons extrêmement attentifs aux conditions pratiques de ce déroulement, d'autant que la commission prévue à l'article 25 de la Constitution, que vous persistez à appeler indépendante, a appelé notre attention sur ce point. Je me permets de reprendre ses propos : elle suggère que « le ministère des affaires étrangères et les consulats soient mis en garde sur les modalités d'organisation du scrutin et appellent l'attention du Gouvernement sur l'importance qui s'attache à ce que ses services reçoivent en temps utile des instructions précises. »

La commission, qui mesure très prudemment son expression, souligne à quel point les conditions d'organisation du scrutin seront délicates et de nature à générer des contentieux qui, naturellement, altéreraient la sincérité du scrutin. Il faudra donc de la vigilance, de la prudence et de la rigueur pour garantir la libre expression de nos concitoyens établis hors de France.

Un mot sur le nombre de circonscriptions attribuées aux Français de l'étranger. Vous avez dû, après la décision du Conseil constitutionnel, le faire passer de sept à onze. Il n'y a pas lieu de s'en féliciter ou de le regretter : il suffit de constater que c'est la juste représentation du poids démographique réel de cette population. Cela correspond donc à l'application d'un simple principe de justice. Raison de plus, monsieur le secrétaire d'État, pour que le scrutin soit organisé de manière tout à fait indiscutable.

J'en viens maintenant à la délimitation contestable, et donc contestée, des circonscriptions. En première lecture, vous nous aviez indiqué, à cette tribune, que la délimitation des circonscriptions à laquelle vous avez procédé correspondait à une volonté commune des sénateurs des Français de l'étranger. Vous aviez même affirmé disposer d'un document signé de sénateurs de la majorité et de l'opposition vous faisant les propositions que vous avez suivies. Comme vous le savez, je m'étais permis de contester cette affirmation et de vous demander, par courrier daté du 16 octobre, soit le lendemain du scrutin, de bien vouloir m'adresser copie de ce document, afin de savoir si j'étais dans l'erreur ou si vous aviez avancé un argument qui n'était pas fondé. Je suis obligé de constater que vous n'avez pas répondu à mon courrier. Ce silence vaut aveu. Vous ne pouvez en effet produire de document émanant d'un plan consensuel qui corresponde à ce que vous avez imaginé. Ce découpage repose donc sur des bases partisanes : l'UMP a souhaité se ménager un avantage numérique significatif.

Ainsi la lecture du tableau n°1 ter, qui figure en annexe de l'ordonnance, montre que les craintes que nous avions exprimées étaient justifiées.

Bruno Le Roux a très justement rappelé que les règles posées par le Conseil constitutionnel concernent aussi les Français de l'étranger, en particulier celle de l'écart maximal de 20 % entre la population concernée et la population moyenne, et celle de la continuité territoriale.

Il est regrettable qu'avant de transmettre ce projet de redécoupage à la commission consultative, vous n'ayez pas cru bon de consulter l'Assemblée des Français de l'étranger, qui est pourtant l'organe représentant la population, élu de surcroît au suffrage universel.

Je le répète : il s'agit là d'un redécoupage à la carte.

Lors des dernières présidentielles – cette base de référence, après tout, en vaut bien une autre –, au second tour, Nicolas Sarkozy avait obtenu 42 % des suffrages exprimés parmi les Français de l'étranger, contre 48 % pour Ségolène Royal. Si l'on transpose ces résultats à la représentation des Français de l'étranger sur la base des onze circonscriptions créées, six des futurs députés devraient être issus de la majorité actuelle et cinq de l'opposition. Or, si l'on calcule les résultats tels que nous les connaissons par pays et en se fondant sur la délimitation retenue par votre ordonnance, l'on s'aperçoit que demain, sur les onze circonscriptions, deux seulement éliraient un député de l'opposition, et que les neuf autres choisiraient un député de droite. Un collectif de citoyens, www.regardscitoyens.org, qui observe avec beaucoup d'attention le travail des parlementaires, s'est intéressé à ce redécoupage électoral et a abouti aux mêmes conclusions que Bruno Le Roux. Fort heureusement, monsieur le ministre, nous croyons aux campagnes électorales et nous sommes convaincus qu'elles permettront, si ce n'est d'aboutir à une solution équitable, au moins de corriger le funeste dessein que vous avez conçu.

S'agissant de l'aspect géographique des circonscriptions, l'on ne peut que s'interroger sur la première et la deuxième, celles de l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud. Les deux zones sont affectées par des écarts démographiques considérables, que la commission n'a d'ailleurs pas manqué de relever : + 38,53 % pour l'Amérique du Nord et – 30,83 % pour l'Amérique latine.

Que dire de la cinquième circonscription, également remarquée par la commission, qui affiche un déficit démographique de – 17 % et qui, surtout, englobe de manière pour le moins étonnante la péninsule ibérique et la principauté de Monaco. C'est inacceptable ; que vient faire Monaco dans cette circonscription, si ce n'est contrebalancer, par ses voix de droite, les voix de gauche de l'Espagne ?

Quant à la circonscription qui rassemble Beyrouth, Israël et l'Afrique du sud, l'on peut encore s' interroger sur le lien qui unit ces pays. La continuité territoriale est en l'espèce hautement fantaisiste.

Enfin, la onzième circonscription – Asie et Océanie – pourtant fort étendue, est largement déficitaire, – 30,14 %.

La commission « indépendante » elle-même a considéré qu'avec un simple effort, vous auriez très bien pu rééquilibrer ces circonscriptions et faire disparaître les écarts les plus importants qui sont autant d'atteintes exorbitantes au principe d'égalité devant le suffrage, ainsi que l'a très bien exprimé M. Bruno Le Roux.

1 commentaire :

Le 15/01/2010 à 11:56, Benjamin (Ingénieur) a dit :

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"Un collectif de citoyens, www.regardscitoyens.org, qui observe avec beaucoup d'attention le travail des parlementaires, s'est intéressé à ce redécoupage électoral"

Merci M. Urvoas pour votre réutilisation de nos travaux. C'est bien pour apporter un regard indépendant et documenté sur les travaux parlementaires que notre collectif s'engage.

Notre étude, actualisée avec les derniers chiffres INSEE de population du recensement 2007, est consultable en ligne à l'adresse suivante : http://www.regardscitoyens.org/redecoupage/

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