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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 29 avril 2009 à 15h00
Protection de la création sur internet — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche :

Or le Conseil constitutionnel a clairement considéré, dans une décision du 18 décembre 2000, que, en raison de leur nature, ces dépenses ne sauraient incomber directement aux opérateurs. C'est ennuyeux, dans la mesure où, pour 2009, madame la ministre, vous n'avez budgété que 6,7 millions d'euros.

Nous souhaitons également rappeler combien nous sommes inquiets de voir la prise de sanctions telles que la suspension d'un abonnement à internet confiée à une autorité administrative. La compétence exclusive du juge pour toute mesure visant la protection ou la restriction des libertés individuelles est un principe rappelé à maintes reprises par le Conseil constitutionnel. Selon ce principe, vous ne pouvez donc abandonner un tel pouvoir à une autorité administrative.

Au-delà, nous regrettons vivement que ce texte demeure flou et imprécis, et que, de surcroît, les débats n'aient pas permis d'éclairer le silence de la loi. Quelles sociétés seront ainsi chargées de la collecte des adresses IP incriminées, préalable à la saisine de la HADOPI, et avec quelles garanties techniques ? Silence… Quels seront les moyens de sécurisation prétendument absolue que la HADOPI sera amenée à labelliser ? Sur quelles bases le seront-ils ? Silence… En fonction de quels critères la HADOPI décidera-t-elle d'envoyer un mail d'avertissement, puis une recommandation ? En fonction de quels critères choisira-t-elle entre la sanction et l'injonction ? En fonction de quels critères proposera-t-elle une transaction plutôt qu'une sanction ? Nous ne le savons toujours pas. Il n'est pas acceptable de laisser la HADOPI en décider seule, arbitrairement et de manière aléatoire, sans que le législateur ait défini un cadre au préalable : c'est contraire au principe d'égalité des citoyens devant la loi.

Le silence de cette loi est porteur de trop de menaces et d'incertitudes, oserais-je dire de dissimulations ?

Vous avez essayé, madame la ministre, de nous rassurer en nous expliquant que les sanctions seraient prises après réflexion, discussions, mails, lettres, coups de téléphone avec les internautes, bref, que vous feriez du cas par cas.

Sauf que, dans le même temps, vous nous avez répété – ô combien de fois – vos objectifs. Je vous cite : « Nous partons d'une hypothèse de fonctionnement de 10 000 courriels d'avertissement, 3 000 lettres recommandées et 1 000 décisions de suspension par jour ». Ce dispositif est donc bien un dispositif de masse, et comme vous avez dit en séance le 30 mars : « Bien sûr, le système sera complètement automatisé ». Automatisation et examen au cas par cas ne vont pas ensemble, madame la ministre. C'est le moins que l'on puisse dire ! Et technologiquement parlant, le risque d'erreur est grand.

Le caractère manifestement disproportionné de la sanction encourue par les internautes est aggravé par le fait que ces derniers ne pourront bénéficier des garanties procédurales habituelles. Absence de procédure contradictoire, non prise en compte de la présomption d'innocence, non respect du principe de l'imputabilité, possibilité de cumuler sanction administrative, sanction pénale et sanction financière constituent – nous le rappelons avec force aujourd'hui – autant d'éléments d'irrecevabilité.

Avec la réintroduction, dans cette nouvelle lecture, de l'obligation pour l'internaute de continuer à payer son abonnement après la suspension de son accès à Internet, il s'agit purement et simplement d'ignorer ce que sont les dispositions du code de la consommation. En cela, votre texte est plus que jamais une loi d'exception.

Votre projet de loi met donc en place une présomption de responsabilité, et même de culpabilité de l'internaute. Le choix délibéré de faire peser la charge de la preuve sur lui, combiné à l'absence de droit de recours effectif de la part des titulaires de l'accès recevant des messages d'avertissement par voie électronique, ignore tout simplement ce qu'on appelle le droit à une procédure équitable et les droits de la défense.

Nous ne nous satisfaisons pas, madame la ministre, d'avoir eu raison il y a trois ans. Nous ne nous satisfaisons pas de devoir à nouveau nous opposer à un texte qui s'inscrit dans la droite ligne de la loi dite DADVSI. Nous ne nous satisferons pas, dans un an, peut-être deux, d'avoir à faire le même et triste constat : les artistes n'auront pas touché un euro de plus, le contribuable aura financé cette gabegie et vous – ou votre successeur – n'oserez même pas faire le bilan d'une loi aussi inefficace qu'inutile.

Madame la ministre, Renaud Donnedieu de Vabres vous a un peu rapidement félicitée d'avoir réussi là où il avait échoué. C'était un geste amical de sa part. Craignez que, comme Hyacinthe dans Les Fourberies de Scapin si chères à M. Karoutchi, il ne vous dise désormais : « La ressemblance de nos destins doit contribuer encore à faire naître notre amitié ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je vous invite, chers collègues à voter cette exception d'irrecevabilité. (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et continuent d'applaudir.)

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