L'article L. 335-12 du code de la propriété intellectuel se contente de poser le principe d'une obligation de surveillance d'un accès à internet contre tout acte de piraterie. On nous propose de réécrire cet article, sous la forme de l'article L. 336-3, à l'article 6 du présent projet de loi. Le dispositif serait donc élargi avec une obligation de sanction et des clauses d'exonération.
Nous avons déjà abordé cette question à l'article 2, à propos de la procédure de sanction de la HADOPI. Il ne s'agit pas de sanctionner la mise à disposition d'oeuvres protégées par le droit d'auteur ou les droits voisins, ni le téléchargement illégal en tant que tel ; il s'agit de sanctionner l'absence de surveillance de la connexion à Internet qui aurait permis ces actes de téléchargement illégal. Le lien entre le téléchargement illégal et la sanction est donc indirect, ce qui nous paraît très grave, car on ne respecte pas ici un principe général du droit, fondateur de l'état de droit : le principe de l'imputabilité de la faute.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 6 viole même le principe de la personnalité des délits et des peines. Un père de famille – celui-là même qui a souvent été appelé à la rescousse dans nos débats – risquerait donc d'être sanctionné à la place d'un autre, qui aurait téléchargé illégalement une oeuvre protégée : l'un de ses enfants, son voisin qui se serait connecté à son réseau wifi ou toute autre personne ayant usurpé son adresse IP. Il ne serait pourtant complice ni directement ni indirectement de l'acte qu'on lui reprocherait.
L'internaute aura les plus grandes difficultés à prouver sa bonne foi, puisque l'on ne part pas du principe, lui aussi fondateur de notre état de droit, de la présomption d'innocence, mais du principe contraire, celui de la présomption de culpabilité – qui, dans ce projet de loi, fait de tous les internautes des suspects en puissance. Comment l'abonné pourra-t-il prouver qu'il n'a pas téléchargé une oeuvre protégée ? Mme la ministre a suggéré qu'il pourrait prendre son disque dur sous le bras et l'apporter à la HADOPI. Notre collègue Gagnaire nous a mis en garde : il ne faut pas confondre le disque dur avec le circuit d'alimentation de l'ordinateur. Quand bien même l'internaute se pliera à cette procédure, cela ne prouvera rien.
Autre problème : l'abonné pourra être exonéré s'il a mis en oeuvre un des moyens de sécurisation, mais lui demandera-t-on de prouver que ces moyens étaient activés au moment du délit ?
Enfin, pourquoi l'abonné ne serait-il puni du défaut de surveillance de sa connexion que si cela a permis le téléchargement illégal d'oeuvres protégées, et non des échanges autrement plus graves ? Madame la ministre, nous reprenons ici une préoccupation que vous avez exprimée à propos des parents qui doivent protéger leurs enfants du visionnage de contenus pornographiques ou les empêcher d'être entraînés dans un réseau pédophile.
Ces questions sont posées, auxquelles il n'est pas apporté de réponses. Une fois de plus, un article du projet de loi place l'internaute dans une grande insécurité juridique.