COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRE EUROPEENNES
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission chargée des affaires européennes, puis de M. Daniel Garrigue, Vice-président, et de M. Jean-Luc Warsmann, Président de la Commission des lois
La séance est ouverte à dix-huit heures quinze
Le Président Pierre Lequiller. Je suis particulièrement heureux de vous accueillir dans ce qui est désormais la Commission chargée des affaires européennes – et non plus la Délégation pour l'Union européenne – depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui accroît sensiblement les pouvoirs du Parlement dans le domaine européen en lui permettant de se saisir de tous les documents émis par les institutions européennes, l'autorisant notamment à s'exprimer sur les négociations d'adhésion.
Comment donc relancer le traité de Lisbonne ? Une réunion a eu lieu hier dans le cadre du Triangle de Weimar et nous souhaitons tous, bien entendu, parvenir à une solution commune nous permettant de sortir de l'impasse liée au vote irlandais. Selon nous, le sursaut ne pourra avoir lieu que si la République tchèque et la Pologne ratifient le traité, plaçant ainsi l'Irlande face à ses responsabilités.
Le Président Jean-Luc Warsmann. Je vous souhaite également la bienvenue. La commission des lois a été récemment confrontée à deux reprises à la question institutionnelle européenne. C'est elle qui a rapporté le projet de loi constitutionnelle nécessaire à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe, ainsi que celui permettant l'adoption du traité de Lisbonne.
Comme le Président Pierre Lequiller, j'espère que nous pourrons vite trouver une porte de sortie rendant possible l'entrée en vigueur du traité.
Je vous remercie de votre accueil et je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de MM. Jo Leinen et Johannes Voggenhuber.
Lundi, la commission des affaires constitutionnelles a reçu M. Martin, ministre des affaires étrangères de l'Irlande, et un débat a eu lieu hier au Parlement européen : la commission a réitéré son soutien au traité, encore plus nécessaire après le conflit entre la Russie et la Géorgie et alors qu'une crise financière se déchaîne. M. Martin s'est montré très ouvert et les discussions ont eu lieu dans un climat constructif. Il apparaît tout d'abord que les Irlandais qui ont voté « non » n'en demeurent pas moins favorables à l'Europe : ils ont ainsi moins fait preuve de scepticisme que d'une forme de conservatisme, sans que l'on puisse pour autant minorer les questions que les Irlandais se posent sur la pérennité de leurs traditions et de leurs lois en matière d'avortement ou de neutralité. Une sous-commission parlementaire a par ailleurs été créée rassemblant différents partis s'étant prononcés en faveur du « oui » mais également le Sinn Féin, partisan du « non », au côté du célèbre milliardaire Declan Ganley, par ailleurs en affaire avec le Pentagone pour 250 millions de dollars. M. Martin souhaite qu'un consensus le plus large possible voie le jour.
La question du calendrier, de plus, est essentielle : nous sommes à neuf mois des élections européennes ; le temps nécessaire à la gestation d'un enfant ne nous permettrait-il donc pas de sortir de la situation que nous connaissons ? En outre, si vingt pays avaient ratifié le traité lors du référendum irlandais, il faut aujourd'hui compter avec l'Italie, l'Espagne, la Finlande et la Belgique, un recours ayant par ailleurs été porté devant la Cour constitutionnelle en Allemagne. En Pologne, le Parlement s'est également prononcé en faveur du traité même si le Président temporise. En République tchèque, il est vrai, le Sénat semble eurosceptique et le président « europhobique ». Quoi qu'il en soit, la non-entrée en vigueur du traité de Lisbonne au moment des élections européennes pourrait compliquer considérablement la situation tant en matière institutionnelle que politique ou financière. La France a un rôle important à jouer en la matière.
Les travaux du Parlement européen, dans le domaine institutionnel, souffrent du « non » irlandais et je suis très pessimiste pour l'avenir. Néanmoins, nous devons nous montrer aussi encourageants que possible à l'endroit de l'Irlande dont le peuple est généreux et solidaire envers les autres Européens comme nous l'avons constaté lors du traité de Nice où nous avions expliqué aux Irlandais que la Pologne aurait pu pâtir du maintien de leur position. Ils doivent une fois de plus comprendre qu'un refus de leur part serait très grave. Sans doute serait-il opportun d'accroître les relations entre les différents parlements nationaux et l'Irlande dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes (COSAC). Une déclaration interprétative sur les sujets conflictuels, tels ceux de la défense ou de la taille de la Commission européenne, devrait également voir le jour.
Du point de vue du calendrier, rien ne me semble possible avant les élections européennes même si cela est fort regrettable. De surcroît, des élections qui peuvent changer la donne auront lieu au printemps 2010 au Royaume-Uni : la marge de manoeuvre dont nous disposons est donc très restreinte.
Le Président Pierre Lequiller. Ce point de vue relève de ce que l'on pourrait appeler la Realpolitik mais je crois néanmoins qu'il serait très dommageable que le traité de Lisbonne ne soit pas ratifié avant les élections européennes. La situation, il est vrai, est délicate puisque à ce jour, le « non » l'emporte encore dans les sondages irlandais. Toutefois, une pression exercée sur les Tchèques et les Polonais ne serait sans doute pas sans effet et les termes du débat en seraient changés. Après tout, pourquoi s'en priver quand les partisans du « non » n'ont pas lésiné sur la démagogie ? Les Irlandais accepteraient-ils d'être ainsi isolés au risque, in fine, de s'éloigner de l'Europe ? J'ajoute que l'Irlande étant l'un des pays les plus touchés par la crise financière, une réponse de l'Europe unie constituerait un argument de poids. Je ne suis donc pas aussi pessimiste que M. Andrew Duff, même s'il faut bien entendu se garder de toute provocation.
En ce qui me concerne, je suis à la fois pessimiste – pour les raisons que M. Andrew Duff a mentionnées - et optimiste car nous n'avons pas d'autre choix que de parvenir à sortir de cette crise avant les élections européennes. Nous devons dialoguer constamment avec l'Irlande et l'aider à trouver une issue. Sans doute les Irlandais ont-ils besoin d'une période supplémentaire de réflexion.
J'ajoute que le « non » irlandais doit nous interpeller sur les inepties qui se disent parfois sur l'Europe. Il me semble par ailleurs qu'en matière institutionnelle nous avons péché par un manque d'implication des citoyens. Deux rapports seront d'ailleurs prochainement présentés sur le rôle de la société civile dans le processus européen de décision ainsi que sur l'initiative citoyenne.
Nous en sommes tous d'accord : le traité de Lisbonne doit être rapidement adopté, quelles que soient les divergences éventuelles comme celles qui touchent, par exemple, à la taille de la Commission. Le Président Pierre Lequiller a raison : il faut que les Polonais et les Tchèques ratifient rapidement le traité de manière que les Irlandais soient mis face à leur responsabilité.
Je compte au nombre des volontaristes : pourquoi, en effet, nous montrer plus pessimistes aujourd'hui qu'au mois de juillet ? Certes, le résultat irlandais a été décevant mais le gouvernement irlandais a proposé de discuter et le Président Nicolas Sarkozy, en tant que Président du Conseil européen, a eu l'occasion d'avoir un débat direct avec les diverses parties. Nous avons par ailleurs d'autres raisons d'être optimistes : l'opinion publique irlandaise est moins hostile au traité qu'elle n'a hélas été sensible à une habile propagande selon laquelle, si le traité était adopté, sa législation nationale serait modifiée sur un certain nombre de points. A cela s'ajoutent le conflit entre la Russie et la Géorgie ainsi que la crise financière qui confirment l'un et l'autre l'absolue nécessité, pour l'Union européenne, d'avoir des institutions plus fortes. En revanche, il est vrai qu'un « lisbo-pessimisme » s'est fait jour dans le microcosme communautaire, y compris parmi des Européens ardents, mais pourquoi donc y céder ?
J'ajoute qu'il ne me paraît pas sérieux de faire campagne dans le cadre des prochaines élections européennes sans savoir si c'est le traité de Nice ou celui de Lisbonne qui s'appliquera : « Votez pour moi ! Je ne sais pas quels seront mes pouvoirs au Parlement européen mais, rassurez-vous, la décision sera prise par les électeurs irlandais ! ». Un résultat négatif me semble même préférable au statu quo si l'on ne veut pas assister au triomphe des listes eurosceptiques qui auront beau jeu d'invoquer le manque de clarté de la construction européenne. A ce propos, j'ai noté d'étranges et de dangereuses conjonctions durant la récente campagne électorale autrichienne entre le parti socialiste et certains partis d'extrême droite.
En outre, le Président polonais Kaczińsky retient sa plume tant que les Irlandais n'ont pas signé mais il est probable qu'il ne signe pas du tout si la ratification irlandaise n'intervient pas avant l'automne prochain. Quant à la République tchèque, qui s'apprête à présider l'Union européenne, sa non-ratification serait impensable si les Irlandais adoptaient le texte.
En l'état, nous devons rassurer les Irlandais, en insistant sur notre respect de la souveraineté du peuple tout en leur faisant bien comprendre que nous ne leur demandons pas de changer d'avis mais de revoter après leur avoir donné satisfaction. Que l'on se souvienne du Danemark en 1992 ! Il a dit « non » au traité monétaire sans être hostile à l'union monétaire mais sans vouloir non plus y participer. Après la rédaction d'une clause d'exception, le Danemark a répondu « oui » à une question différente mais qui n'entravait plus la construction de l'union monétaire.
Le moment venu, il ne faudra pas non plus s'interdire quelques pressions en mettant le peuple irlandais devant ses responsabilités européennes : la décision d'un peuple de quatre millions d'habitants engagera l'avenir de 500 millions d'Européens, lesquels seront fort mécontents en cas de paralysie de l'institution ; de plus, si le traité de Nice continue de s'appliquer, les Irlandais doivent savoir que l'on ne comptera plus que 26 commissaires au lieu de 27.
Par ailleurs, si la Constitution irlandaise n'impose en rien un référendum pour ratifier un traité européen, ses articles 46 et 47 disposent qu'un référendum est obligatoire pour modifier la Constitution. Les Irlandais, pour ratifier le traité de Lisbonne, doivent donc mettre leur Constitution en conformité avec ses préconisations, comme nous-même l'avons fait. Or, les Irlandais ont préféré ne pas se poser la question de savoir ce qui, dans un traité européen, n'était pas compatible avec leur Constitution et ils ont soumis directement le traité à référendum en considérant que celui-ci avait juridiquement la même force que la Constitution puisqu'il avait été validé par l'ensemble du peuple irlandais. Juridiquement, la Constitution irlandaise c'est donc la Constitution de 1921 et les traités qui ont été ratifiés par référendum. Serait-il impossible de suggérer officieusement aux Irlandais de modifier d'abord la Constitution puis de ratifier le traité ? Le référendum devrait ainsi permettre d'inscrire dans la Constitution irlandaise, une fois pour toutes, toutes les garanties dont les Irlandais ont besoin pour être heureux avec nous en Europe, sur l'avortement, sur l'alliance atlantique… Dans ces conditions, les Irlandais ne peuvent que voter oui ! Ensuite, rien ne s'opposera à ce que la ratification ait lieu dans le cadre parlementaire. Il faut donc savoir manier habilement la carotte et le bâton de manière qu'une décision soit prise au printemps.
Je suis loin d'être pessimiste et je considère aussi qu'il faut faire preuve de volontarisme. Il me semble également très malhabile, de la part de certains, de laisser croire qu'il serait possible d'en rester au traité de Nice alors que nous devons continuer le combat pour l'Europe.
Sans doute serait-il opportun, en effet, que les Polonais et les Tchèques ratifient le traité de manière que l'Irlande soit placée devant ses responsabilités.
Enfin, il faut faire preuve de tact et de fermeté : nous n'avons pas le choix ! S'il faut neuf mois pour que naisse un enfant, je préfère que celui-ci soit prématuré !
Je deviens de plus en plus optimiste : une ratification parlementaire du traité est possible dans 26 pays, dont la Pologne et la République tchèque, le président allemand ayant par ailleurs déclaré qu'aucun obstacle constitutionnel ne pouvait s'y opposer.
L'Irlande a créé une sous-commission commune aux deux chambres ; un rapport sera présenté le 25 novembre au plus tard visant à expliciter les éventuelles conséquences du vote du traité, en particulier en ce qui concerne les questions abordées pendant la campagne dont celles de l'avortement, de la fiscalité ou de la taille de la Commission.
Les Irlandais, par ailleurs, doivent comprendre qu'il ne sera pas possible de lancer de nouvelles négociations afin d'avoir un nouveau traité : c'est maintenant ou jamais ! Des défis collectifs importants sont devant nous, et l'Irlande commence à en prendre conscience : la criminalité organisée, la mondialisation, l'immigration, les tensions internationales. Il faut parvenir à une solution avant les élections européennes, lesquelles doivent être l'occasion de poser les questions de fond au lieu de faire le jeu des eurosceptiques en s'interrogeant sur la pertinence du nouveau traité.
Autre argument de poids : il est heureux que la crise géorgienne ait eu lieu alors que l'Union est présidée par un « grand pays », mais c'est précisément parce qu'il aurait pu en être tout autrement que le traité de Lisbonne est nécessaire, grâce, en particulier, à la création d'un président permanent du Conseil européen.
Enfin, les parlements nationaux et le Parlement européen auraient tout intérêt à travailler discrètement et officieusement avec le Parlement irlandais.
Je vous remercie.
S'il ne me semble pas une condition sine qua non que les Polonais et les Tchèques se déterminent avant le vote irlandais, nous sommes en revanche tous d'accord pour considérer qu'il faut aboutir le plus rapidement possible, en particulier en raison des échéances électorales. En outre, les Irlandais doivent comprendre qu'en cas d'adoption du traité, leur constitution ne serait pas modifiée sur les points précis qu'ils ont mis en avant. Enfin, si un espace existe bel et bien pour la négociation, tout le problème est de savoir comment l'engager : est-ce de manière informelle ? Dans ce cas-là, quels seront les véritables interlocuteurs en Irlande ? De surcroît, il me paraît difficile de négocier des points précis et d'expliquer aux Irlandais ce qu'il perdraient s'ils maintenaient leur position actuelle sans conférer une certaine solennité à la négociation.
Cette négociation doit être conduite par la présidence du Conseil européen, ce qui est d'ailleurs déjà le cas. Le communiqué publié après la récente rencontre du Président Nicolas Sarkozy avec le Premier ministre irlandais rappelle que le gouvernement irlandais s'engage à formuler des propositions lors du Conseil européen d'octobre en vue d'arriver à un accord en décembre en tenant compte du calendrier politique dont l'acmé viendra avec les élections européennes du mois de juin. Nous pouvons faire confiance au Président Nicolas Sarkozy pour séduire mais aussi pour se montrer persuasif. Quant à nous, nous devons veiller à ne pas prendre d'initiative dont les conséquences seraient contre-productives tout en restant en effet en contact étroit avec les Irlandais.
Le Président Daniel Garrigue. Il me semblerait en effet judicieux d'aller à la rencontre de nos collègues parlementaires. Je vous remercie.
Le groupe UMP nous a informés, le 7 octobre 2008, de la démission de MM. Emile Blessig et Jérôme Bignon de leur poste de membre de la Commission chargée des affaires européennes. Ils sont remplacés par Mme Valérie Rosso-Debord, députée de Meurthe-et-Moselle, et M. Lionnel Luca, député des Alpes-Maritimes.
Enfin, M. Didier Quentin a été nommé Vice-président de la Commission en remplacement de M. Thierry Mariani.
La séance est levée à vingt heures.