La séance est ouverte à 10 heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission examine le rapport d'information budgétaire de M. Manuel Aeschlimann sur l'efficacité péréquatrice des dotations versées aux collectivités territoriales.
Le Président Jean-Luc Warsmann. Je tiens à saluer le travail de notre collègue Manuel Aeschlimann, qui inaugure une nouvelle démarche de notre Commission s'agissant de l'évaluation de l'usage des crédits votés par le Parlement. Les rapports d'informations confiés à plusieurs de nos rapporteurs pour avis sur les projets de loi de finances constituent en effet un excellent moyen d'approfondir leurs analyses et réflexions, en tirant profit d'un recul qui manque souvent lors des sessions budgétaires d'automne.
Je souhaiterais moi aussi saluer l'initiative prise par la Commission qui, en me confiant ce rapport d'information sur la péréquation, s'est donné les moyens de mieux contrôler les finances locales.
La décentralisation, chacun d'entre nous en est convaincu, est bien sûr un espace de liberté, mais elle suppose aussi une régulation publique. L'exercice de responsabilités politiques et financières importantes, par des collectivités locales dont le potentiel est très inégal, appelle la mise en place de correctifs financiers : c'est le rôle de la péréquation.
Notre commission s'était penchée l'an dernier, sous la responsabilité de son président, sur la clarification des compétences des collectivités territoriales – travaux qui ont été, au mois de mars dernier, complétés par ceux du Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Edouard Balladur. Aujourd'hui, l'imminence d'une importante réforme de notre organisation territoriale et des finances locales doit nous conduire à nous interroger sur les moyens d'améliorer l'efficacité des mécanismes de péréquation à l'oeuvre dans notre pays.
Pour mener ce travail, j'ai effectué, depuis le mois de mars dernier, une série d'auditions qui m'ont permis de recueillir l'avis des représentants de l'Etat et des principales associations d'élus (AMF, ADCF, ADF et ARF), ainsi que celui d'experts reconnus de cette matière, souvent technique : les professeurs Gilbert et Guengant, dont les travaux nous ont éclairé. Le rapport qui vous a été distribué effectue une analyse critique de l'efficacité péréquatrice des dotations versées par l'Etat aux collectivités locales, mais aussi, plus largement, des finalités, de l'architecture et des perspectives de la péréquation dans notre pays.
Un premier constat s'est rapidement imposé : l'intérêt économique et politique de la péréquation, consistant à réduire les écarts de ressources entre collectivités territoriales en tenant compte des charges qui leur sont imposées, n'est guère contesté. Cet objectif de correction des inégalités territoriales est d'ailleurs inscrit, depuis la révision du 28 mars 2003, au dernier alinéa de l'article 72-2 de notre Constitution - il s'agit donc aussi d'une exigence juridique.
Mais ce consensus apparaît rapidement comme superficiel. Les premières difficultés surgissent dès que l'on essaye de définir précisément le champ de la politique de péréquation, qui ne se limite pas aux seules dotations versées par l'Etat aux collectivités – on parle alors de péréquation verticale. Il faut aussi prendre en compte les mécanismes de péréquation dite horizontale, consistant à opérer un prélèvement sur les ressources des collectivités les plus favorisées pour en redistribuer le produit à celles qui le sont moins, comme le fait le Fonds de solidarité des communes d'Île-de-France (FSRIF) depuis près de 20 ans. Il ne faut pas non plus négliger le rôle péréquateur de l'intercommunalité, des subventions départementales aux communes ou encore des fonds structurels européens. Les difficultés sont plus grandes encore lorsque l'on s'efforce d'arrêter les formes que doit revêtir la péréquation : l'établissement de critères de ressources et, surtout, celui de critères de charges, donnent lieu à de nombreuses controverses, en fonction de leur impact attendu sur les finances de chaque collectivité. Pour que le débat ne repose pas sur des malentendus, il serait utile d'expliciter les objectifs et la définition de la péréquation : il me semble qu'elle peut être conçue comme la correction des inégalités de ressources entre collectivités locales, à niveau de charges obligatoires comparable. Par ailleurs, l'analyse de l'efficacité de la péréquation doit nécessairement être concentrée sur les seules formes de péréquation suffisamment directes et institutionnalisées pour être évaluées – tel n'est pas le cas, par exemple, pour les subventions allouées par les départements aux communes.
Quel bilan peut-on aujourd'hui dresser de l'efficacité de notre politique de péréquation ?
Il faut d'abord souligner que, contrairement à une idée reçue, le poids de la péréquation s'est globalement renforcé depuis une dizaine d'années : la proportion de la DGF consacrée aux dotations explicitement péréquatrices a continuellement augmenté à partir de 2004 et s'élève à 15,7 % en 2008 (soit 6,3 milliards d'euros), contre seulement 9,5 % en 1998. Certes, une étude conduite par les professeurs Gilbert et Guengant pour le compte du Comité des finances locales montre une évolution plus contrastée des effets de la péréquation entre 2001 et 2006 : le taux de correction des inégalités de pouvoir d'achat aurait augmenté d'environ 7 points pour les régions, mais il aurait baissé de 2 ou 3 points pour les départements et les communes. Toutefois, cette baisse s'explique principalement par l'intégration de dotations compensatrices dans la dotation forfaitaire de la DGF.
Enfin, l'indice de performance intrinsèque, qui mesure l'efficacité péréquatrice d'un euro utilisé par une dotation, montre que l'effet redistributif de certaines dotations est dilué par leur mode de calcul : tel est notamment le cas de la dotation de solidarité rurale versée aux régions, ou encore des dotations de péréquation urbaine et de fonctionnement minimal attribuées aux départements.
Mais plus fondamentalement, il apparaît que les modalités de « pilotage » actuelles de la péréquation limitent les possibilités d'amélioration de l'efficacité péréquatrice des dotations, comme l'a montré à l'automne dernier le report de l'essentiel de la réforme de la dotation de solidarité urbaine (DSU), dont le Gouvernement voulait renforcer l'effet péréquateur. La recherche du plus petit dénominateur commun entre des collectivités dont aucune ne veut être « perdante » aboutit à fossiliser les dotations existantes, sur lesquelles viennent progressivement s'empiler des « étages » supplémentaires régis par des critères différents – et ce dans un contexte budgétaire qui ne permet pas d'étendre indéfiniment les soutiens publics. L'ensemble devient de moins en moins lisible, complexe à gérer, d'autant que la péréquation est déjà éparpillée en une multitude de dotations : a elle seule, la DGF comprend 7 dotations explicitement péréquatrices, auxquelles il faut ajouter, toujours au titre de la péréquation verticale, trois dotations dont la gestion est déconcentrée (dotation de développement rural, dotation globale d'équipement, dotation de développement urbain) et, au titre de la péréquation horizontale, les trois outils originaux que constituent les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, le fonds de solidarité de la région Ile-de-France (FSRIF) et, pour plus de 160 communautés d'agglomération, la dotation de solidarité communautaire. Noyée dans des dispositifs technocratiques et presque paralysée par les conservatismes, la volonté politique peine à s'affirmer pour mettre en oeuvre une politique de péréquation cohérente, bien évaluée et transparente. Les auditions que j'ai effectuées montrent qu'il existe aujourd'hui une prise de conscience sur la nécessité de remédier à cette situation en réformant profondément notre système.
Avant d'envisager des perspectives d'évolution de notre système de péréquation, je me suis demandé si les exemples étrangers pouvaient utilement nous guider. Dans la plupart des pays européens, les mécanismes de péréquation sont également critiqués pour leur complexité et leur évaluation insuffisante ; leur légitimité même est parfois contestée dans des Etats confrontés à d'importantes disparités régionales, comme l'Espagne ou l'Italie. Chaque système reflète un cheminement historique singulier, et il paraît notamment difficile de s'inspirer de la situation des Etats fédéraux, où il existe souvent une péréquation à deux niveaux (entre Etats fédérés, puis au sein de chacun d'entre eux sous leur responsabilité), voire des objectifs de péréquation juridiquement contraignants, comme en Allemagne. Pour autant, il ne me semblerait pas inutile, pour donner une cohérence politique globale aux dispositifs de péréquation verticale dans notre pays, que le Comité des finances locales délibère chaque année d'un objectif indicatif de péréquation pour les dotations versées par l'Etat à chaque catégorie de collectivités territoriales. Retenons aussi, de certaines difficultés rencontrées à l'étranger, qu'il est préférable de ne pas faire principalement jouer la péréquation entre de trop grands « blocs territoriaux », au risque de créer de grandes ruptures financières et politiques qui fragilisent l'unité nationale et le consensus autour de la péréquation.
De nombreux interlocuteurs ont aussi fait part, lors des auditions, de leurs inquiétudes quant aux conséquences pour la péréquation de la suppression annoncée de 80 % de l'assiette de la taxe professionnelle. L'Etat devra compenser intégralement les pertes de recettes résultant de cette réforme pour les collectivités, et je crois qu'il serait préférable, pour ne pas nuire à la péréquation, de faire reposer cette compensation prioritairement sur la création de taxes locales imposant la valeur ajoutée des entreprises, ainsi que l'impact écologique de leurs activités.
Le bouleversement que représentera pour les finances locales la quasi-suppression de la taxe professionnelle peut représenter une opportunité unique d'envisager une réforme globale et ambitieuse des dispositifs de péréquation. A l'instar de ce que proposent les sénateurs Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, dans leur récent rapport d'information sur la réorganisation territoriale, je crois qu'il faut cesser de ne raisonner qu'à partir des dotations existantes, qu'il faut unifier pour donner naissance à un système de péréquation plus lisible. L'effort de regroupement des dotations péréquatrices versées par l'Etat devrait conduire à ce que chaque niveau de collectivités bénéficie d'une unique dotation péréquatrice, dont l'indice de performance intrinsèque devrait être supérieur à 0,5.
Par ailleurs, les critères à privilégier pour le calcul de ces dotations rénovées devraient être, en priorité, le potentiel fiscal, qui reflète bien les disparités territoriales, puis les critères de charge, en privilégiant celles qui correspondent à des handicaps structurels (comme une géographie accidentée ou insulaire, l'éloignement ou l'enclavement, l'importance de la population à faibles revenus). En effet, les critères de charge liés à des choix de gestion ou à des politiques sectorielles (zonages de la politique de la ville ou référence à des données relatives à l'insertion ou la formation professionnelle) sont moins objectifs et affaiblissent la responsabilité locale.
Mes chers collègues, le rapport que je viens de vous présenter fait un constat contrasté de nos politiques de péréquation et ne prétend pas apporter de réponses « clefs en main » aux problèmes identifiés, mais il dessine des pistes qui, je l'espère, pourront inspirer les futures réformes territoriales attendues par nos concitoyens.
Notre rapporteur dresse un constat réaliste de la situation des dotations versées aux collectivités territoriales. Pour ma part, je souhaite attirer l'attention sur la portée paradoxale de la dotation globale de fonctionnement, qui accroît parfois les écarts entre collectivités alors même que les dotations ont pour vocation de les réduire.
Je partage l'avis du rapporteur, consistant à suggérer une remise à plat du système à l'occasion de la réforme de la taxe professionnelle. Jusqu'à présent, les communes aux revenus les plus substantiels acceptaient de participer à l'effort de solidarité en direction des communes les moins riches, mais la perspective d'un changement d'assiette de leurs ressources pourrait les inciter à réviser ce comportement.
En tout état de cause, la situation budgétaire dégradée de nombreuses collectivités, résultant de l'accroissement de leurs dépenses sociales notamment, souligne l'urgence d'une réforme de la fiscalité locale. Il reste que le débat à venir sur le remplacement de la taxe professionnelle rend inopportuns les nouveaux projets de réforme de la dotation de solidarité urbaine, en cours de préparation.
Le Président Jean-Luc Warsmann. Je partage ce qui vient d'être dit. La réforme de la taxe professionnelle est l'occasion d'une remise à plat des dotations versées aux collectivités territoriales. Il est probable qu'à cette occasion l'État souhaite conférer un rôle stabilisateur à ces dotations. Il reviendra donc au Parlement, lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2010, de rester vigilant pour pérenniser l'effet péréquateur du système et de veiller à ce que l'entrée en vigueur du nouveau mécanisme soit suffisamment progressive pour ne pas déstabiliser les finances locales.
Je suis également d'avis que la future réforme de la dotation de solidarité urbaine devra être beaucoup plus ambitieuse, sans négliger bien sûr la concertation requise. J'ai constaté, pendant les auditions organisées pour la préparation de ce rapport, que toutes les instances représentatives des élus locaux se déclarent aujourd'hui favorables à une péréquation plus forte et réformée dans son ensemble, de manière à aboutir à des dotations plus globales et lisibles.
Conformément à l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale, la Commission autorise le dépôt du rapport en vue de sa publication.
Réunie ensuite en application de l'article 88 du Règlement, la Commission constate qu'elle n'est saisie d'aucun amendement à la proposition de loi de M. François Sauvadet visant à démocratiser le mode de fixation des rémunérations des mandataires sociaux dans les sociétés anonymes (n° 1671).
La séance est levée à 10 heures 30.