COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 11 février 2009
Présidence de M. Thierry Mariani, Vice-président de la Commission
La séance est ouverte à onze heures trente
« Je rends ici compte d'un travail de réflexion sur le projet de PNR européen en présence de notre Président de séance, grand spécialiste de ces questions. Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet, notamment au moment de l'approbation, en des circonstances assez contraintes, de l'accord entre l'Union et les Etats-Unis sur l'échange de données PNR. Ce projet de décision-cadre, en cours d'élaboration, propose de créer un dispositif de collecte et de traitement à l'échelle européenne. Une telle mesure améliorerait la lisibilité des politiques nationales pour les Etats et les citoyens de l'Union et permettrait d'harmoniser les pratiques. Le Royaume-uni est indéniablement l'Etat le plus en avance sur ce thème, ce qui n'est pas étonnant. D'autres partenaires européens continuent à avoir des réserves sérieuses. Ce texte a été mis en avant par le volontarisme de la présidence française et à raison, car le sujet est important et doit encore faire l'objet de débats. Les données PNR sont les données collectées par les transporteurs internationaux au stade de la réservation commerciale. Les grands pays de la planète traitent ces données ou s'y intéressent de près afin de lutter contre le terrorisme.
La première question venant à l'esprit est celle de la compatibilité avec la préservation des libertés publiques, au premier rang desquelles le droit au respect de la vie privée sur lequel la France est très sourcilleuse à juste raison. Je suis à titre personnel convaincu de la nécessité d'un tel instrument, tout comme les autorités françaises. Si l'Europe disposait d'un outil commun, elle serait mieux armée pour négocier les prochains accords internationaux.
Les régimes existants sont principalement celui des Etats-Unis, sur lequel je ne reviendrai pas, et qui est particulièrement problématique avec une durée de conservation de quinze ans et des possibilités de transmission à des tiers trop larges, et celui du Royaume-Uni qui connaît une progression très rapide depuis 2005 avec le projet pilote Semaphore puis le programme E-borders. La France a mis en place le fichier des passagers aériens à partir des données figurant sur les documents de voyage.
Cet instrument européen cherche à encadrer la collecte et le traitement de données PNR par les autorités publiques nationales à des fins de lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité. Ces données ont plusieurs utilités : en temps réel avec des analyses de risque sur la base de critères élaborés par les services opérationnels avec une possibilité d'anticiper les interventions, sur moyen terme avec la réalisation d'analyses en matière de terrorisme et de criminalité sur la base des données conservées et en réponse à des demandes au cas par cas dans le cadre d'enquêtes policières ou de poursuites judiciaires.
La collecte viserait l'ensemble des passagers des vols en provenance ou à destination des pays tiers, chaque Etat membre étant destinataire des données relatives aux vols au départ ou à l'arrivée sur son territoire.
Les unités de renseignements passagers auraient la charge de la conservation et de la protection des données PNR sur une durée qui reste à définir. Cette question fera d'ailleurs l'objet d'un point dans la proposition de résolution afin de réduire le délai maximum de conservation actuellement en négociation.
La proposition initiale de la Commission européenne était très insuffisante, notamment en termes de la protection des droits fondamentaux et de protection des données, mais les choses ont bien progressé. Le Parlement européen a adopté une résolution critique sur l'état actuel du projet et il serait très intéressant de prendre l'initiative de rencontrer les parlementaires afin de dialoguer avec eux sur ce dossier.
Les principales questions soulevées au cours des débats sont les suivantes :
-dans quelle mesure ce nouvel instrument est-il nécessaire et quelles preuves peuvent être apportées de son utilité, au-delà des déclarations générales ?
- quel sort serait réservé aux données sensibles pouvant apparaître dans un dossier passager : demandes relatives au repas à bord, à une place spécifique du fait d'un problème de santé, indications indirectes qui pourraient nourrir des supputations sur une appartenance politique, syndicale ou religieuse (par exemple avec une adresse mail) ?
- comment seraient réalisées les analyses de risque, qui sont du profilage ? Que pouvons-nous accepter et que devons-nous refuser ?
- quel régime de protection des données serait applicable ?
- la durée de conservation initialement fixée à 13 ans est apparue largement excessive.
S'agissant de l'utilité des données PNR, ma conviction est faite. Elles sont une source essentielle et non redondante avec d'autres systèmes de collecte. Il ressort notamment de l'audition de la douane française que de 60 à 80 % des saisies de stupéfiants sur les aéroports de Roissy et d'Orly sont réalisées grâce aux données PNR.
En ce qui concerne le champ de la décision cadre, en l'état actuel des négociations, seuls les vols vers ou à destination d'un pays tiers seraient concernés (y compris, le cas échéant, leur segment intra européen). Les unités de renseignements passagers, qui seraient des autorités publiques créées dans chaque Etat membre, seraient destinataires des données PNR brutes pour les vols au départ ou à l'atterrissage sur leur territoire.
Ces unités devraient effectuer des analyses de risque, avec toutes les interrogations que suscite le profilage, sur les données transmises en fonction des directives établies par les services opérationnels.
Les données collectées seraient relativement nombreuses et posent principalement la question des données sensibles, qui pourraient porter atteinte au socle de nos libertés fondamentales. A l'heure actuelle, deux options sont possibles : soit exclure totalement l'utilisation des données sensibles à quelque étape que ce soit, soit permettre une utilisation des données sensibles au cas par cas, dans le cadre de procédures policières et judiciaires bien spécifiques.
En l'état actuel du texte, les données sensibles pourraient être utilisées uniquement à des fins d'enquête en cours ou de poursuites déjà engagées.
En matière de durée de conservation, il existe un fossé entre les partisans d'une durée limitée et ceux d'une durée très longue. Vraisemblablement, le choix d'une fourchette entre un minimum (trois ans) et un maximum (dix ans) autorisés se dessine. Je vous proposerai de réduire cette fourchette à une durée de trois à six ans car il ne devrait pas y avoir une telle différence entre le minimum et le maximum.
Je vous propose donc d'adopter une proposition de résolution.
Le Président Thierry Mariani. C'est un sujet important pour l'avenir. Ces données sont certainement un outil nécessaire pour prévenir des actions terroristes et la proposition de ramener leur délai de conservation à une durée de trois à six ans est certainement plus raisonnable. Trois questions se posent : quelle est la position de la nouvelle administration américaine dans ce domaine, comment assurer le respect des libertés à chaque étape de la collecte et du traitement des données et qu'en sera-t-il de la réciprocité de leur accès pour les pays tiers ?
Il n'y a pas encore d'information précise quant à l'attitude de la nouvelle administration américaine même si on peut estimer qu'elle ne changera guère.
La protection des données à chaque étape est essentielle, de la transmission par les compagnies aériennes jusqu'à , le cas échéant, la transmission d'un Etat membre vers un pays tiers. Le recueil des données doit être encadré, tout comme leur traitement ultérieur, bien que l'utilisation faite par les autorités répressives relève bien entendu du droit national.
En matière de réciprocité, l'établissement d'un recueil de données PNR au niveau européen permettra de négocier, avec nos principes, sur des bases solides et équilibrées avec des pays comme les Etats-Unis et l'Australie. Il faut relever que la Grande-Bretagne a bien pris part au débat sur le projet alors qu'elle-même dispose déjà de son propre régime de collecte et de traitement.
Il est nécessaire de tout mettre en oeuvre pour lutter contre le terrorisme mais il est permis d'être dubitatif sur le fait de récolter ainsi des milliards de données. Sommes-nous face à une forme de dérive ?
La proposition de résolution insiste de façon positive sur le nécessaire respect de la vie privée mais celui-ci apparaît contradictoire avec le principe même du recueil de données comme, par exemple, celui des habitudes alimentaires. L'atteinte à la vie privée est indéniable. Je ne méconnais pas la nécessité de la lutte contre le terrorisme, mais un certain scepticisme est de mise quant à l'efficacité d'une collecte de données sur une aussi vaste échelle.
Les terroristes voulant arriver à leurs fins emploieront un certain nombre de moyens afin de ne pas être découverts. Il me semble donc que le point crucial est de repérer le terroriste avant qu'il ne monte dans l'avion, les moyens les plus importants devant être employés en amont.
Je ne m'oppose pas à cette résolution mais le Parlement européen a émis des réserves compte tenu des possibilités de dérives. Le risque terroriste existe mais ce n'est pas avec de telles mesures qu'on s'attaquera aux racines du mal.
Je rejoins un peu notre collègue Jérôme Lambert car on s'expose à se noyer dans les détails. J'approuve le rapport mais toutes ces mesures consomment du temps et sont coûteuses. Finalement, trop de sécurité tue la sécurité.
Les demandes de certains repas sont des informations sensibles. Je suis persuadé qu'on ne pourra pas échapper au recueil de ces données qui ne devraient être utilisées que dans le cadre de poursuites déjà engagées. Mais ce point fait encore l'objet de discussions. Le problème central est de rendre conciliables la défense des libertés individuelles et la lutte contre le terrorisme. Il est certain que cet outil touche aux libertés fondamentales mais ces atteintes doivent être proportionnées et strictement encadrées. Il est préférable d'avoir un dispositif cohérent en Europe qui minimisera les inconvénients plutôt que des régimes disparates et de se trouver en grand déséquilibre avec les Etats auxquels les données PNR sont transférées et qui n'ont pas d'état d'âme.
Le Président Thierry Mariani. Les terroristes sauront probablement trouver des parades. Il me semble qu'on réagit continuellement avec retard comme le montre le fait que le contrôle des explosifs persiste alors que cette menace contre les avions a pratiquement disparu.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont montré que le problème essentiel résidait dans l'utilisation de faux papiers. J'estime donc que le moyen le plus efficace réside dans le contrôle des attributions de papiers d'identité, notamment de la part de certains pays.
Enfin il ne faut pas se cacher que ces recueils de données PNR sont utilisés comme un moyen d'espionnage économique autant que comme arme de lutte contre le terrorisme. Je suis vraiment persuadé que la lutte contre les faux passeports devrait être prioritaire en ce domaine. »
Sur proposition du rapporteur, la Commission a ensuite adopté la proposition de résolution suivante :
« L'Assemblée nationale,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de décision cadre du Conseil relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (Passenger Name Record, PNR) à des fins répressives (COM [2007] 654 finaln°E 3697),
1. juge que les données PNR constituent un outil nécessaire à la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité et que l'institution d'un régime de transfert et de collecte harmonisé au niveau européen permettrait de renforcer l'efficacité des mesures prises au plan national par les Etats membres ;
2. estime que certaines questions ne sont pas résolues et souhaite, dans le cadre des débats menés en 2009 :
- que le plein respect des droits fondamentaux et, notamment, du droit à la vie privée et du droit à la protection des données soit assuré à chaque étape de la collecte et du traitement des données ;
- que la durée de conservation soit ramenée à un délai raisonnable compris entre trois et six années ;
- que la question des données sensibles fasse l'objet de protections spécifiques et cohérentes, quelle que soit l'option qui sera retenue entre l'exclusion de toute utilisation ou la possible utilisation à des fins d'enquêtes ou de poursuites en cours ;
- qu'un encadrement plus strict soit obtenu s'agissant des transferts de données vers des Etats tiers, de sorte qu'un Etat membre ne puisse être source de fuite de masses de données brutes vers un Etat tiers,
- que les problèmes soulevés par les futures demandes d'accès aux données PNR à titre de réciprocité soient étudiés. »
Sur le rapport du Président Thierry Mariani, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
l Point B
Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a adopté les textes suivants :
Ø PESC et relations extérieures
- action commune 2009PESC du Conseil du … 2009 prorogeant le mandat du représentant spécial de l'Union européenne pour l'Afghanistan (documentE 4258) ;
- action commune 2009PESC du Conseil du … 2009 prorogeant le mandat du représentant spécial de l'Union européenne pour la République de Moldavie (documentE 4259) ;
- action commune 2009PESC du Conseil du … 2009 prorogeant le mandat du représentant spécial de l'Union européenne au Kosovo (documentE 4260) ;
- action commune 2009PESC du Conseil du … 2009 prorogeant le mandat du représentant spécial de l'Union européenne pour le Caucase du Sud (documentE 4261) ;
- action commune 2009PESC du Conseil du … 2009 prorogeant le mandat du représentant spécial de l'Union européenne pour l'Asie centrale (documentE 4262).
Ø Propriété intellectuelle
- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006116CE du Parlement européen et du Conseil relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins (documentE 3947).
l Accord tacite
En application de la procédure adoptée par la Commission le 29 octobre 2008 (virements de crédits), celle-ci a approuvé tacitement le document suivant :
- proposition de virement n° V01AB09 . Demande présentée en vertu de l'article 179, paragraphe 3, du règlement financier. Extension bâtiment K3 de la Cour des comptes. Troisième demande adressée à l'autorité budgétaire (documentE 4256).
La séance est levée à douze heures vingt