Mission d'information SUR LES TOXICOMANIES
Mercredi 15 juin 2011
La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.
(Présidence de M. François Pillet, sénateur, coprésident et de M. Serge Blisko, député, coprésident)
La Mission d'information sur les toxicomanies entend M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé au ministère du travail, de l'emploi et de la santé.
Ce soir ont lieu les dernières auditions auxquelles nous devons procéder, après en avoir effectué quatre-vingts, représentant les institutions, le corps médical, les forces de l'ordre, les associations, les experts et les collectivités territoriales.
Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Yves Grall, nouveau directeur général de la santé du ministère du travail, de l'emploi et de la santé.
Monsieur le Directeur général, quelles sont les grandes orientations que vous souhaitez privilégier dans le cadre du prochain plan de lutte et de prise en charge des addictions ?
Vous avez la parole.
- Merci. Je viens en effet d'être nommé voici un mois, après un parcours de médecin praticien, cardiologue puis dans différentes institutions, dont l'ARH et l'ARS de Lorraine.
Je vais essayer de tracer ici quelques perspectives.
Les éléments devant nous concernent l'élaboration d'un prochain plan qui, à notre sens, doit à la fois se fixer des objectifs ambitieux et réalistes pour pouvoir avancer ; il s'agit de répondre aux grands enjeux de la santé publique, de faire écho aux objectifs de l'OMS et d'offrir les mesures que l'on est en droit de souhaiter en matière de prévention et de prise en charge pour un pays comme la France.
On identifie quatre points particuliers parmi ces objectifs. La réduction de la consommation de tabac à moins de 20 % de la population âgée de plus de 14 ans est notamment un des objectifs de l'OMS, ainsi que la réduction de l'usage problématique d'alcool, la réduction des consommations de produits psychoactifs au cours de la grossesse, la diminution de l'incidence et de la prévalence des comorbidités, en particulier des hépatites et du VIH chez les usagers de drogues.
A ces grands thèmes doit s'ajouter le renforcement de la palette d'offres de prévention, de prise en charge et de soins concernant les addictions. Parmi celui-ci, on peut noter l'amélioration du taux de couverture d'offres spécifiques en addictologie, qu'elle soit médico-sociale ou hospitalière, un renforcement de l'articulation et de la qualité des prises en charge en addictologie ainsi que de l'adaptation de l'offre et des stratégies de réduction des risques aux évolutions de consommation des produits psychoactifs.
Enfin, la question de la prise en charge des addictions comportementales et des addictions sans substances doit aussi être prise en compte ; certaines existent mais d'autres pourraient être développées pour la prise en charge de ce type d'addiction comportementale, notamment le jeu excessif.
Voici donc en quelques grandes lignes les directions que pourrait prendre ce nouveau plan.
- Les communautés thérapeutiques actuelles ont-elles fait l'objet d'une évaluation ? Si c'est le cas, quel en est le résultat ?
- Il existe actuellement six communautés thérapeutiques ; une septième est en projet en Guyane. Elles font l'objet d'une évaluation sur laquelle travaille une équipe universitaire bordelaise. Nous en disposerons en octobre ; elle nous permettra de tracer des pistes de suivi et de renforcer ce dispositif, si elle s'avère positive.
- Avez-vous étudié ce qui se passe et ce qui fonctionne dans les pays limitrophes d'Europe ?
Il existe en effet d'autres addictions que l'addiction aux opiacés, qui font en France l'objet de traitements de substitution -cocaïne, cannabis, jeu et alcool. Seuls le sevrage et la possibilité d'un changement comportemental, voire d'une réinsertion sociale et professionnelle, apparaissent être la clé pour sortir de la dépendance. Il est quelque peu difficile d'y parvenir avec seulement six communautés et une consommation qui ne fait que croître….
- Cette approche globale de communautés thérapeutiques peut être prometteuse, pour peu que l'on dispose de l'évaluation. Une telle évaluation existe au Canada, qui dispose de structures de ce type. Je n'en connais pas exactement les résultats. Je passe la parole sur ce sujet à M. Philippe de Bruyn, chef du bureau des pratiques addictives à la DGS…
- Nous suivons particulièrement l'exemple canadien. Pour ce qui concerne le reste de l'Union européenne, nous échangeons régulièrement avec nos homologues étrangers.
La logique poursuivie par la DGS en termes de prise en charge consiste en l'articulation d'un dispositif dans une logique de palette d'offres ; le plus important pour nous à ce stade - c'est aussi l'enjeu de cette évaluation - est de voir comment l'ouverture de nouvelles communautés thérapeutiques peut s'articuler avec les autres dispositifs existants. Je pense notamment aux centres résidentiels ou aux appartements thérapeutiques.
- Le territoire métropolitain - sans parler de l'outre-mer - présente des inégalités ; dans certains départements, il n'existe même pas de CSAPA ; quant aux CAARUD, l'offre est satisfaisante mais certains départements sont moins bien pourvus que d'autres.
Or, les CAARUD constituent le premier contact avec le monde du soin, même s'il n'y a pas une cohérence médicale très forte. Quels sont les projets de la DGS pour développer ces structures de contact ?
- La mise en place de ces structures apparaît totalement hétérogène sur le territoire, avec une inégalité de répartition et de localisation dans certains départements : 500 CSAPA, 140 CAARUD et 250 consultations spécialisées pour les jeunes consommateurs sur l'ensemble du territoire.
Des évolutions ont vu le jour mais de façon inégale. Deux axes principaux sont devant nous pour irriguer l'ensemble du territoire de façon correcte et répondre aux besoins en général. Le plan addiction a déjà porté ses fruits et l'on doit, dans le cadre du plan général, soutenir ces initiatives. En outre, les ARS, grâce au projet régional de santé et à la déclinaison à travers les territoires sur la base d'un cadre national, permettent de créer des structures au plus près des sujets. L'idée est de disposer au moins d'un CSAPA identifié par territoire. Les deux axes sont importants.
J'insiste sur l'importance du décloisonnement de la prise en charge globale offerte par les ARS sur le terrain grâce à la mise en perspective de l'ambulatoire, du médico-social et de l'hospitalier, dans une cohérence susceptible d'apporter des réponses sur le sujet…
- On a évoqué la difficulté qui existe d'avoir des lits en addictologie. Certes, ce n'est pas le plus important mais il n'en reste pas moins que nous en avons besoin d'un certain nombre afin de débuter des traitements, recevoir des malades en phase de décompensation ou de problèmes somatiques, avant de les réorienter.
L'addictologie ne peut être une simple spécialité ambulatoire. Vous savez par ailleurs que, lorsqu'il existe une spécialité uniquement ambulatoire, on se heurte à la réticence des hospitalo-universitaires à considérer la chose comme sérieuse !
- Il faut avoir du sujet une approche réaliste et pragmatique ; utiliser toute la palette de dispositifs est importante. Le développement des lits d'addictologie peut constituer un point d'accroche supplémentaire.
Pour faire écho à ce que vous dites, il convient de faire en fonction des besoins mais aussi de trouver des professionnels convaincus qui veuillent s'en occuper. Il peut bien entendu exister des comportements qui fassent que ce soit plus difficile qu'ailleurs dans certains établissements…
- Comment envisagez-vous d'articuler ces services d'addictologie avec la psychiatrie en général ? Quelle est la philosophie en la matière ?
- On ne peut se départir de cette notion d'approche globale et de participation de la psychiatrie à la prise en charge des addictions. Il faut donc absolument que les psychiatres et la psychiatrie dans son ensemble interviennent dans ce champ.
Il existe une volonté de le mettre en place dans un dialogue de gestion permanent afin de peser sur les établissements pour qu'ils réalisent cette nécessaire connexion.
Il convient également de bien établir le lien entre l'addiction, les dispositions de santé mentale et la psychiatrie. Il faut donc une certaine cohérence d'action pour aboutir à ce que l'on souhaite.
Je ne veux pas non plus mésestimer les difficultés de démographie professionnelle qui font qu'on a plus ou moins de psychiatres dans certains endroits pour assurer ces soins. Même si ce n'est pas vraiment le sujet, je pense qu'il existe parfois, dans certaines zones, des difficultés pour recruter des praticiens. Cela ne rend pas l'exercice plus aisé. C'est pourquoi je pense que l'on peut, avec les ARS, construire ce lien indispensable.
- La prise en charge médicalisée portugaise est citée en exemple. Inspire-t-elle la DGS ?
De manière plus générale, comment abordez-vous le problème de l'addiction à des produits licites et illicites ? La DGS apporte-t-elle une nuance ?
- On le sait, toutes les addictions sont potentiellement nuisibles à la santé. On peut donc traiter les sujets de façon générale. Les poly-consommations constituent un certain enjeu.
Quant au Portugal, je vais laisser M. de Bruyn s'exprimer sur le sujet…
- Nous sommes attentifs à la prise en charge portugaise mais aussi aux politiques de réduction des risques développées dans ce pays ainsi qu'ailleurs en Europe. Chaque pays a son propre dispositif de prise en charge mais tout dispositif n'est pas forcément duplicable.
- Considérez-vous le cannabis comme addictogène ?
- Il existe actuellement des programmes d'échange de seringues qui ne sont pas mis en place dans le milieu carcéral. Est-vous favorable à l'équité de traitement entre les personnes libres et les détenus ?
On peut nier qu'il existe des toxicomanes qui se piquent à l'intérieur des établissements pénitentiaires, mais ce ne doit pas être la réalité. Ne convient-il pas de mettre en place ce programme d'échange de seringues pour éviter d'éventuelles contaminations - VIH et autres ? C'est une des recommandations faites par le Conseil national du Sida et M. Rozenbaum…
- C'est une question qui ne concerne pas exclusivement le ministère de la santé. Deux éléments sont importants. La mesure de réduction des risques en prison et en milieu libre doit être identique. C'est actuellement ce qui se passe. Des mesures de réduction des risques ont déjà été prises dans tous les lieux, y compris en prison avec l'accès au préservatif et la prise en compte des risques infectieux. Un certain nombre de dispositions sont déjà en vigueur, en prison comme ailleurs, et ont apporté des résultats dans la population, notamment en matière de VIH.
- Etes-vous plus réservé s'agissant des seringues ?
- Les représentants de l'AFSSAPS nous ont alertés sur le fait que 45 % des overdoses relèvent de l'héroïne et 38 % de la Méthadone. La politique de substitution peut donc avoir des conséquences assez néfastes… La Méthadone ne risque-t-elle pas d'entraîner un scandale du type de celui du Médiator ?
- Tout d'abord, les précautions d'emploi, les lieux de dispensation et la mise à oeuvre en général de la Méthadone supposent des précautions particulières ainsi qu'un certain cadrage. La bonne utilisation doit donc être rappelée et renforcée…
En second lieu, il existe une alternative à la Méthadone, sous la forme du Subutex. Les overdoses liées à l'héroïne ayant beaucoup baissé, celles liées aux produits de substitution - peut-être mal utilisés ou mal suivis - ressortent peut-être davantage…
- Il serait d'autant plus intéressant d'apprécier les origines de chaque décès qu'un certain nombre ne sont pas comptabilisés dans les overdoses.
Par ailleurs, vous avez cité les objectifs du plan santé : 20 % de réduction de consommation de tabac et de consommation d'alcool. Vous ne nous avez pas donné de chiffres concernant la consommation de drogues. N'y a-t-il pas d'objectif en la matière ?
- Le chiffre des overdoses mortelles dues au mésusage de la Méthadone thérapeutique nous a paru bien trop important par rapport au coût-bénéfice attendu.
On a mis en place un système plus contraignant et moins souple que pour le Subutex mais on n'a jamais entendu parler - ou très peu - de mésusage mortel dû au Subutex. Or, la Méthadone en comprimés coexiste maintenant avec la Méthadone en sirop et les centres de distribution sont par ailleurs plus ouverts qu'il y a quelques années. M. Fender, directeur du contentieux de la CNAM, nous a parlé lors de son audition d'une explosion du nombre de prescriptions par comprimés depuis leur autorisation, il y a trois ans. Pourrait-on disposer d'une enquête épidémiologique de votre part sur le mésusage et les dangers de la Méthadone, surtout sous forme de comprimés ? Si l'on s'est trompé, il faut immédiatement arrêter et revenir au sirop ! Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
- Ainsi que vous l'avez dit, il convient d'une part d'analyser les overdoses liées à un mésusage de Méthadone et de connaître le type de Méthadone prise par les victimes d'overdoses, dans un contexte général. L'appréciation du caractère dangereux du produit lui-même à travers une enquête épidémiologique ou les précautions à prendre est une piste intéressante, si tant est qu'elle soit facile à tracer.
- Les utilisateurs de méthadone peuvent consommer d'autres produits que les opiacés.
A Genève, dans la salle d'injection que nous avons visitée, nous nous sommes trouvés face à un jeune Français qui venait s'injecter de la cocaïne alors qu'il était sous Méthadone à Annecy-les-Bains ou à Chambéry. Il savait pertinemment que c'était dangereux !
- Suggéreriez-vous un meilleur encadrement des prescripteurs ?
- L'idée est surtout de faire la part de ce qui revient réellement à une overdose liée à la Méthadone, voire à son mésusage... Il conviendra de voir comment réagir en fonction des résultats…
Quant aux objectifs, ceux-ci sont génériques et feront l'objet de chiffres bien précis au moment de l'établissement du plan. Je n'ai pas d'éléments à vous donner actuellement sur des objectifs quantifiés. Nous avons repris l'objectif de l'OMS concernant le tabac…
- Quelle est la réaction du directeur général de la santé face au débat récurrent qui enfle depuis quelques jours sur la dépénalisation de certaines drogues, alors que cela obligerait nécessairement à contrôler les produits et au moins à en fixer la traçabilité ? Peut-on imaginer une régie nationale des drogues ?
- Pour le ministère de la santé et pour le directeur général - lui-même médecin - il est difficile de laisser des drogues qui nuisent à la santé facilement accessibles. C'est une question de signal.
- Je me pose la question du développement - particulièrement en France - d'addictions aux psychotropes, dont la consommation est extraordinairement importante. Sans doute les prescriptions sont-elles généreuses mais elles n'existent qu'en cas de forte demande de la population. On a l'impression qu'il y a beaucoup de gens très dépendants des médicaments…
- Le sujet que vous mentionnez est de deux ordres et concerne l'emploi de ces produits et les produits eux-mêmes. C'est un problème dont l'origine, à mon sens, n'est pas univoque. Il est lié à des facteurs divers qui concourent à faire que notre pays en consomme énormément. C'est une question de juste utilisation des produits. Il faut sûrement travailler là-dessus, comme pour les antibiotiques. Rien n'empêche que l'on creuse cette piste, génératrice de mieux-être.
La MILDT a commandé une étude à l'INSERM sur le thème de la consommation et de l'addiction aux psychotropes induits par cette prescription importante.
Y a-t-il des causes univoques ? Je ne le crois pas. Beaucoup tiennent aux circonstances qui font que les gens éprouvent le besoin, dans un contexte difficile, de consommer.
La juste utilisation de quelque produit que ce soit est un thème important. Je crois ce terme assez adapté…
- Je souhaiterais que l'on fasse le rapprochement entre psychiatrie et drogues, mais il serait également intéressant de le faire entre drogues et des suicides. On compte en France 14 000 tentatives de suicide, dont 6 000 jeunes jusqu'à 24 ans. Je pense qu'il existe une tranche d'âge entre 17 et 30 ans où les suicides sont automatiquement liés à l'usage de produits toxiques. Il conviendrait d'en établir la relation.
Nous avons visité en Italie la communauté de San Patrignano, à côté de Rimini. 1 800 personnes y sont traitées. Un modèle assez exceptionnel y a été développé. Jérémy Attali, le fils de Jacques Attali, a réalisé un film pour France 5 qui va sortir. Il s'agit de d'une expérience qui dure depuis quarante-cinq ans et qui a permis de sauver 20 000 personnes, ce que nous ne savons pas faire en France. Il serait bon que vous vous y intéressiez.
Il existe également des exemples de communautés au Canada et en Suisse qui ont l'air de fonctionner. Ce n'est pas un sujet facile et les réponses doivent être multiples. Notre pays doit avoir les outils nécessaires pour essayer d'aider tous ces gens en grande difficulté, jeunes ou moins jeunes.
- Je partage votre avis quant à l'approche multiforme de l'ensemble du sujet.
Une procédure d'appels à projets doit être lancée à l'automne ; peut-être suscitera-t-elle un certain nombre d'initiatives. Cette procédure s'appuie sur l'évaluation des six centres dont je parlais. Tout un faisceau d'éléments va concourir à une meilleure évaluation et à l'enrichissement des solutions.
Je ne pense pas qu'il faille s'interdire de mettre en oeuvre certaines actions si elles s'avèrent positives. C'est un sujet à considérer de façon globale…
La Mission d'information sur les toxicomanies entend ensuite Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de la vie associative.
Madame la Ministre, merci d'avoir répondu à l'invitation de notre mission pour nous apporter votre éclairage.
Nous serons d'autant plus attentifs que votre audition clôture quatre-vingts auditions.
Nous aimerions connaître votre sentiment sur les priorités et les publics cibles de la politique de prévention des toxicomanies.
Vous avez la parole.
- Merci.
Messieurs les Présidents, Madame et Monsieur les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les membres de la mission d'information sur les toxicomanies, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'auditionner sur ce sujet difficile que vous abordez avec courage, sérénité et liberté. Je salue l'immense travail que vous avez accompli jusqu'ici, avec déjà quatre-vingts personnes auditionnées.
En tant que secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, je suis en effet particulièrement sensible à la question de la consommation des substances psychoactives, qu'elles soient licites ou illicites. Mon propos n'est pas de dire que ces substances sont exclusivement consommées par les jeunes ou que les jeunes en sont tous consommateurs - ce propos serait inexact et stigmatisant pour la jeunesse - mais je crois qu'il est de notre devoir d'être particulièrement à l'écoute sur ce thème.
En effet, on constate que plus le démarrage des consommations est précoce, plus les risques ultérieurs de dépendance sont importants. Or, on observe un rajeunissement alarmant de l'âge moyen d'initiation aux différentes substances psychoactives.
D'autre part, la jeunesse est une période d'expérimentations, de découvertes, de développement de sa sensibilité propre au monde ; elle est une période exaltante mais également transgressive, semée de pièges et d'embûches. C'est aussi une période de souffrance. Je rappelle que le suicide est en France la deuxième cause de mortalité des moins de 25 ans.
C'est pour cette raison que j'ai demandé au psychiatre Boris Cyrulnik de me remettre un rapport sur le suicide des jeunes. Dans le rapport d'étape, qu'il m'a d'ores et déjà remis et qui sera publié à la rentrée, il développe une corrélation entre carences affectives et suicides.
A mes yeux, la consommation de substances psychoactives licites ou illicites constitue un appel au secours, un signal de détresse, qu'il s'agisse de la consommation de drogues en tous genres, d'alcool en quantité excessive ou encore d'anxiolytiques ou d'antidépresseurs.
La France a été pendant longtemps le premier pays en Europe en matière de consommation d'antidépresseurs. Nous sommes aujourd'hui au troisième rang mais cela concerne encore 6 millions de personnes. 13 % des jeunes de moins de 16 ans auraient déjà eu recours à des tranquillisants ou à des somnifères.
Selon l'OFDT, 30,4% des jeunes disent avoir expérimenté un produit phytothérapique ou homéopathique, 18,4% des tranquillisants, 14,6% et 7,2% respectivement des somnifères et des antidépresseurs, 2 % des thymorégulateurs, 1,4% des neuroleptiques et 1 % de Ritaline - produit surtout administré aux jeunes garçons hyperactifs.
J'interprète ces chiffres comme des indicateurs du mal-être d'une partie de la jeunesse française. Selon l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, la consommation d'alcool et de drogue est considérée comme un signe de détresse et un facteur de risque de basculement vers des comportements suicidaires.
Il convient donc d'agir, notamment par la prévention, pour protéger les jeunes de leurs propres excès. Il me semble essentiel d'associer les jeunes à cette action de prévention, de les y impliquer. C'est le choix constant du gouvernement. Je pense ainsi au concours « Talents versus Drogues » organisé par la MILDT et le ministère de la jeunesse en janvier 2011, qui proposait à des jeunes de créer une musique, un clip et une pochette de disque, rappelant qu'au-delà des dangers sanitaires, les drogues ont des répercussions multiples : problèmes scolaires, accidents de la route, accidents du travail, déstabilisation de quartiers voire de sociétés entières, répercussions négatives sur l'environnement, etc.
Cette campagne, via des canaux de diffusion très accessibles et très ciblés - sites gratuits en ligne de musique et de vidéos, radios jeunes - a permis à des jeunes de faire de la prévention auprès des jeunes.
Je crois que ce genre d'initiatives doit être soutenu et encouragé ; l'information par les pairs est pour moi le canal de communication le plus efficace. C'est pourquoi nous nous sommes associés à cette campagne de la MILDT.
J'ai été particulièrement sensible au travail porté par le ministère de la jeunesse, accompli par Sabrina Boudouni, jeune en service civique, auprès de la brigade de prévention de la délinquance juvénile du Gard.
Le service civique, créé par la loi du 10 mars 2010, suite à la proposition du sénateur Yvon Collin, offre à tout volontaire l'opportunité de servir les valeurs de la République et de s'engager en faveur d'un projet collectif, d'une mission d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel ou concourant à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention.
C'est à ce titre que Sabrina a participé à l'animation de modules de prévention auprès des jeunes, sous le tutorat d'un gendarme de l'unité ; elle rencontre des adolescents au comportement déviant et a participé activement à la préparation et à l'animation des journées de prévention.
Je tenais à lui rendre hommage car elle participe également aux auditions de jeunes enfants victimes de violences sexuelles.
Le groupement de gendarmerie du Gard a été la première unité de la gendarmerie à bénéficier d'un agrément pour l'accueil d'un volontaire du Service civique. Cette pratique a été identifiée comme exemplaire et sera désormais soutenue par une circulaire du ministre de l'intérieur Claude Guéant datée du 8 juin 2011, selon laquelle « les volontaires pourront s'inscrire dans l'action de prévention des brigades de délinquance juvénile de la gendarmerie qui mènent au quotidien des actions de sensibilisation à destination d'un public de jeunes mineurs ».
Là encore, ce dispositif permettra à des jeunes de s'adresser à d'autres jeunes, ce qui constitue le canal de prévention le plus efficace à mes yeux. C'est pourquoi je crois primordial que tous les jeunes qui sont amenés à être en contact avec d'autres jeunes soient formés sur le thème des addictions.
Chaque année, près de 50 000 jeunes obtiennent le BAFA (brevet d'aptitude à la formation d'animateur) dont le ministère de la jeunesse et de la vie associative a la charge. Chaque année, près de 4 millions d'enfants et de jeunes sont encadrés en centres de loisirs.
Le ministère va donc prendre un décret afin de fixer un module de formation et de sensibilisation à la prévention des conduites addictives pour que cette compétence soit inscrite dans les diplômes et les formations qualifiantes des animateurs.
En parallèle, des actions de prévention seront proposées en milieu de loisirs par les acteurs associatifs du champ de la jeunesse et de l'éducation populaire.
La jeunesse ne comprend pas toujours l'incohérence de certains discours publics évoquant l'addiction à l'alcool. L'alcool n'a pas si mauvaise presse, alors qu'il fait partie des produits psychoactifs ; nous sommes un peu trop indulgents, en France, à l'égard d'une consommation excessive.
Je voudrais attirer votre attention sur trois de mes inquiétudes principales à ce sujet…
Premièrement, l'alcool est associé à des moments festifs. Si, en volume, les jeunes boivent moins d'alcool que nous, l'ivresse augmente.
Les accidents de la route demeurent la première cause de mortalité pour les moins de 25 ans. Les accidents avec alcool représentent 35% des tués. Des pans entiers de notre jeunesse sont fauchés par l'alcool.
Les grands événements festifs, en France, sont souvent le théâtre de drames terribles. Je rappelle qu'à Nantes, en 2010, lors d'un « apéro géant », un jeune homme ivre est décédé des suites d'une chute. 57 personnes ont été hospitalisées. Le dernier « apéro géant » de Nantes, en juin, s'est déroulé sans incident, malgré quelques hospitalisations.
Des groupes de travail consacrés à la surconsommation d'alcool chez les jeunes et à l'organisation d'événements festifs par les jeunes, mis en place par le ministère de la jeunesse et le ministère de la santé au printemps 2010, ont ainsi associé des professionnels de santé et de la prévention et des jeunes.
J'ai nommé dans chaque département un médiateur pour les rassemblements festifs organisés par les jeunes. Ces médiateurs départementaux sont coordonnés par un référent national au sein de mon ministère. Une « fiche réflexe » a également été diffusée nationalement pour accompagner la mise en place de rassemblements festifs. Il n'est pas toujours nécessaire, selon moi, de tout interdire et il vaut mieux accompagner pour éviter que des drames se déroulent dans une forme de clandestinité…
Ma deuxième inquiétude concerne la progression inquiétante du « binge drinking », consommation supérieure à cinq verres d'alcool pris à la suite en un temps limité, généralement inférieur à deux heures. Quelle que soit la quantité nécessaire, seule l'ivresse est recherchée par ces jeunes qui ne boivent en général pas quotidiennement et, en volume, moins que leurs aînés.
C'est pourquoi nous allons engager une véritable campagne de prévention à travers un concours avec des réseaux sociaux sur les dangers de l'alcool, en utilisant le canal de l'humour et de la dérision.
Je tiens également à saluer l'initiative de Valérie Pécresse qui, suite à la remise du rapport de Martine Daoust, rectrice de l'Académie de Poitiers, s'est prononcée pour des week-ends d'intégration sûrs et responsables. Elle a demandé la mise en chantier de trois mesures destinées à rendre plus efficace le dispositif juridique actuel.
J'aimerais enfin attirer votre attention sur un point mal connu mais qui constitue également une grande inquiétude pour moi. Il s'agit de l'alcool utilisé comme anxiolytique, l'alcool étant consommé comme une sorte d'automédication par des jeunes particulièrement vulnérables, chez lesquels on peut déceler des symptômes dépressifs, des troubles anxieux, des états pouvant conduire à des tentatives de suicides ou à des comportements violents.
On sous-évalue le suicide en France. Derrière ce mot se cachent les tentatives, les comportements suicidaires et les actes de violence à l'égard de soi-même. Selon moi, consommer des produits psychoactifs, c'est d'abord exercer une violence vis-à-vis de soi-même.
Pardonnez-moi d'avoir été un peu longue sur ce thème spécifique que constitue l'alcool mais, je le répète, il bénéficie d'une trop grande indulgence qui peut avoir des conséquences terribles pour les plus faibles et les plus vulnérables.
Protéger les jeunes de leurs propres excès, tel est l'enjeu de notre lutte contre les pratiques addictives. Pour pouvoir être cohérents, nous devons avoir le courage de prendre position sur un certain nombre de sujets qu'on n'ose pas toujours aborder.
- Merci de toutes ces précisions et également d'avoir réservé aux élus la primeur de certaines informations !
- Je voudrais revenir dans un premier temps sur le suicide des jeunes qui, en France, me semble trop important. Nous avons à ce sujet demandé au directeur général de la santé de conduire une enquête épidémiologique portant sur la corrélation entre suicides et drogues ou produits psychotropes.
Vous nous avez dit - et je m'en réjouis - qu'un module allait être instauré dans la formation des jeunes encadrants destinés à exercer dans les clubs sportifs ou les associations culturelles au sujet de l'usage des produits.
Un certain nombre de parents m'ont rapporté que les premières initiations à la consommation de cannabis, par exemple, étaient dispensées lors d'un stage sportif par les encadrants eux-mêmes ! C'est inadmissible ! Je me félicite donc de la mise en place d'un tel module !
Il serait également intéressant de faire passer le message chez les encadrants actuels, qui n'ont peut-être pas les mêmes réserves. Notre discours n'est pas clair -et ce depuis de longues années. Il faudrait prendre des dispositions en ce sens…
- Nous avons pu constater une certaine inertie de la part de l'éducation nationale, malgré les préoccupations que suscitent ces comportements chez beaucoup de personnalités. On confie à des intervenants extérieurs - police, gendarmerie - le soin de faire de l'éducation à la santé, en particulier en matière de conduites à risque.
Votre inquiétude pourrait peut-être être transmise à votre puissant voisin, dans la mesure où il me semble que l'éducation nationale est là pour enseigner. Cela semble faire partie des sujets qu'elle ne paraît pas aimer traiter. Qui va le faire ? On évoque la médecine scolaire, dont on connaît le peu de moyens ! Il est donc temps de pousser un cri d'alarme, le cloisonnement aboutissant au fait que les jeunes sont peu en contact avec les intervenants chargés de la prévention.
- Les encadrants sont les canaux par lesquels on peut faire passer certains messages. Au moindre signalement ou à la moindre dérive -et nous y veillons - les moniteurs ne peuvent plus exercer leur activité. L'exemplarité est le mot d'ordre de notre ministère.
99,9 % de ces jeunes paient pour recevoir une formation pour s'occuper des autres. Nous soutenons certaines associations pour délivrer le BAFA et vous-mêmes, en tant qu'élus locaux, financez ces jeunes à qui je tiens à rendre hommage. Ce sont des gens extrêmement responsables qui accueillent quatre millions de personnes au cours de l'année. C'est une opportunité à ne pas manquer pour faire passer des messages pédagogiques.
Nous allons ainsi les charger de travailler sur la prévention des IST et sur les méthodes de contraception. Il est pour nous essentiel de traiter du bien-être des jeunes à travers les activités de loisirs et d'animations. Les moniteurs constituent les ambassadeurs d'un certain nombre de messages qu'il n'est pas aisé de faire passer par d'autres structures.
J'ai également confié à Israël Nisand, chef du service gynéco-obstétrique du CHU de Strasbourg, une mission sur la contraception et l'avortement des jeunes filles car je crois à l'intervention du monde associatif ou des personnes compétentes dans les établissements scolaires - médecins, jeunes, gendarmes, parents… Une association exemplaire, l'Union de la prévention pour le suicide des jeunes, animée par une mère qui a perdu son fils, est sans doute la meilleure ambassadrice qui soit pour aborder ces sujets.
En tant que ministre des associations, j'ai tendance à pousser dans cette voie mais je ferai bien évidemment passer le message à mon puissant voisin de l'éducation nationale !
- J'ai été très attentif à l'annonce que vous avez faite de l'aménagement du BAFA. C'est une excellente idée de vouloir faire de la prévention dans un contexte non-contraint, par le biais de jeunes. Cela ne résoudra pas tout mais c'est une approche qu'il sera bon d'ajouter aux autres.
- Utilise-t-on assez le milieu sportif, vecteur d'une image de santé et de performances ? C'est un messager positif…
- Bien entendu : clubs sportifs, fédérations... Je ne pense pas au milieu professionnel, sur lequel j'émets quelques doutes !
Ces personnes sont généralement très engagées. Ne peuvent-elles véhiculer ce genre message et servir d'exemples ?
- Les associations sportives amateurs constituent le plus grand nombre d'associations liées à la jeunesse. C'est souvent un vecteur de lien social : certains jeunes en rupture avec l'école peuvent se retrouver à un match de foot ou de rugby ; cela constitue des liens très forts et prévient les comportements à risques.
Une des pistes de réflexion dans ce domaine réside dans la vie de quartier et la culture des clubs. L'un des plus grands risques pour la jeunesse est l'isolement, le cloisonnement. Faire du sport, faire une partie d'échecs permet aux jeunes de créer du lien social et d'avoir un certain nombre de référents. Il vaut mieux chahuter sur un terrain de rugby plutôt que de rester seul, isolé chez soi. Cela fait partie des éléments essentiels pour briser le cercle vicieux de l'état dépressif. Ce sont des propositions sur lesquelles nous travaillons.
Vous m'avez posé la question de savoir à quel âge doit commencer la prévention. Les fragilités affectives d'un individu se révèlent très tôt. Les enfants qui dirigent leur violence contre eux-mêmes ont connu des violences dans leur milieu très proche ou ont été témoins ou victimes de violences.
On ne parle pas suffisamment des personnels de la petite enfance. Ce sont des acteurs essentiels pour construire les individus en cas de carence affective du milieu familial. On sait à quel point le rôle de socialisation des tout-petits est important. Les personnels de la petite enfance éprouvent souvent un attachement très fort à l'égard des enfants et ont des liens de confiance avec les familles. C'est souvent à travers le petit que l'on va découvrir un problème avec un plus grand.
Toutes ces politiques mettront quelques années à se mettre en place ; elles doivent constituer des approches qui se construisent très tôt. C'est l'ensemble des personnels du monde éducatif au sens large qui doit être concerné par ces formations et ces sensibilisations. Cela ne concerne pas uniquement l'éducation nationale mais également la petite enfance, les moniteurs, les éducateurs et l'enseignement supérieur.
- Comment l'interdit qui pèse sur les drogues illicites peut-il être transgressé ? S'agit-il d'une recherche de transgression de la part des jeunes ? Cette banalisation ou cette tolérance ne posent-elles pas problème ?
Par ailleurs, un débat est engagé à l'occasion de cette mission sur l'éventuelle dépénalisation ou non du cannabis. Comment le considérez-vous dans votre ministère ?
La première consommation de drogues illicite, notamment de cannabis, constitue très souvent un dossier classé pratiquement sans suite ou qui donne lieu à un vague rappel à la loi plus ou moins appliqué. L'institution d'une amende contraventionnelle immédiate vous paraît-elle susceptible d'alerter les jeunes et les familles sur ce problème ?
- Mon rôle est de protéger la jeunesse. J'aurais pu vous parler d'un autre produit psychoactif licite, la cigarette. Les premières expérimentations ne concernent pas le cannabis mais la cigarette. Elles se font avant 14 ans pour l'alcool et le tabac. Or, on sait le nombre de décès par cancer provoqué par une consommation continue de tabac…
Pour ma part, je ne souhaite pas rendre licites des produits qui peuvent être dangereux pour la jeunesse mais plutôt tenir un discours cohérent. On ne peut être entendu des jeunes si on a un discours laxiste sur un certain nombre de produits psychoactifs licites, et un discours très ferme sur des produits psychoactifs illicites.
Mon collègue de l'agriculture sera peut-être mécontent mais je pense qu'une interdiction totale de l'alcool au volant ne serait pas une mauvaise chose ! Je ne ferai pas de différence entre les moins de 25 ans et les plus de 25 ans. L'alcool en voiture est dangereux. On a durci les dispositifs sur la question de l'alcool au volant en passant de 0,8 à 0,5 gramme : si demain on adoptait une tolérance plus basse, cela ne me gênerait pas !
- Je comprends mais, en matière de santé publique, ramener la consommation de l'alcool ou du cannabis au problème de la prévention routière est très réducteur. On sait comment cela se passe : les jeunes sont à trois ou quatre dans la voiture mais seul le conducteur est à jeun, les autres étant intoxiqués par la consommation des produits psychoactifs. Je refuse de considérer que c'est un problème de prévention routière. Certes, on arrive à comptabiliser les morts sur la route de manière plus précise que les décès pour usage de drogues quelles qu'elles soient, mais on sait que le tabac, l'alcool, le cannabis ne provoquent pas de décès immédiat. Il en va de même pour l'héroïne ou la cocaïne, sauf en cas d'overdose !
- Il s'agissait d'un exemple.
Le nombre des décès attribués au tabac s'élève à 60 000 personnes chaque année ; pour, l'alcool on déplore 30 000 décès. Il suffit qu'une personne ait bu pour faucher quatre personnes. Je suis publiciste de formation et non pénaliste et je peux comprendre que l'on puisse estimer que la consommation de ces produits ne fait du mal qu'à soi-même, qu'il n'y a pas de conséquences sur les autres, sur l'environnement extérieur ou sur ses proches. Quand on est jeune, on a un sentiment de puissance. Les jeunes et les enfants n'ont pas la même perception de la mort que les adultes. Cependant, ma position est très ferme : je ne suis pas favorable à la dépénalisation du cannabis ! Tout ce qui peut conduire à traiter une forme de mal-être sans en traiter la cause me gêne.
- Responsable du monde associatif et notamment sportif, seriez-vous prête à demander un dépistage de cannabis au cours des visites médicales ?
- Non. On ne peut le faire s'il s'agit d'un mineur sans l'autorisation préalable des parents. L'idée est de créer des liens de confiance avec la jeunesse. Si vous les suspectez systématiquement d'être des consommateurs de stupéfiants, le lien de confiance sera plus difficile à établir.
Cette mission fait suite au débat sur les salles d'injection contrôlée : la jeunesse consomme peu de drogues sous forme injectable. On compte 230 000 consommateurs de produits opiacés en France. La jeunesse est peu touchée. L'expérimentation et la transgression chez les jeunes concernent surtout l'alcool, le tabac et le cannabis mais peu les opiacés, malgré l'augmentation de la consommation que l'on constate et la baisse du prix du gramme de cocaïne. Le pourcentage est de moins de 3 %.
- Je suis d'accord avec vous mais s'agissant du cannabis, ouvrir un journal régional le lundi matin est très préoccupant ! Il faut renforcer la prévention et éventuellement la répression et trouver de nouveaux moyens d'arrêter cette hécatombe.
Certes, on retrouve du cannabis mélangé à l'alcool mais j'ai l'impression qu'il y a toujours de l'alcool et non systématiquement du cannabis…
- Le chef du service pédiatrique de Nantes a fait une tribune il y a trois ans dans Libération pour alerter l'opinion à propos de la question du « binge drinking » ; il rappelait qu'au CHU de Nantes, des jeunes de 11 à 12 ans arrivaient en plein coma éthylique !
C'est une minorité mais cela dénote quelque chose. Je sais que les débats se concentrent sur le cannabis. Je voudrais rappeler que pour avoir un discours cohérent, les adultes doivent être exemplaires. La jeunesse - que je trouve assez exceptionnelle, loin des clichés - ne fait pas de compromis et ne comprendra pas l'incohérence d'une telle position.
Pendant longtemps, on passait de l'enfance à l'âge adulte en prenant ce qu'on appelle dans mon Berry natal une « biture »…
- Ce sont ces schémas que l'on aimerait déconstruire. Le plus dangereux, ce sont les mélanges d'alcool et de cannabis, qui sont dévastateurs. C'est pourquoi il faut avoir un discours ferme sur l'ensemble des produits psychoactifs.
- Vous êtes venue plusieurs fois en Seine-Saint-Denis, dont une fois à Stains, un 31 décembre, dans un quartier particulièrement frappé par les conséquences de l'usage de différentes drogues.
L'adolescence est la période du défi vis-à-vis des adultes. Il existe différentes façons pour l'exprimer : premiers rapports, alcool, drogues, jeux dangereux. On vit dans notre pays un paradoxe avec le tabac et l'alcool. Je rappelle qu'en principe, la vente d'alcool et de tabac est interdite aux mineurs.
Faut-il en arriver à verbaliser la détention du cannabis ou autres ? Il existe très peu de rappels à la loi : ne conviendrait-il pas d'envisager une véritable verbalisation et de respecter l'interdiction de la vente ?
Aux Etats-Unis, on demande leurs papiers aux plus jeunes pour qu'ils puissent rester dans un café ! Il en va de même dans un certain nombre de pays du Nord de l'Europe.
Certes, il existe une forte pression des viticulteurs mais ce n'est pas le sujet. Je n'ai jamais vu non plus une caissière de supermarché demander ses papiers à un jeune qui achète un jeu interdit aux moins de 18 ans ! On a le même problème avec les jeux vidéo extrêmement violents. On s'étonne du taux de suicide mais la répétition d'images violentes peut également les expliquer. Il existe un certain nombre d'interdits sur le sujet dans notre pays !
S'agissant du sport, vous avez dit votre désaccord avec les contrôles. Aux Etats-Unis, certains corps de métiers pratiquent le dépistage - police, sapeurs-pompiers… Ne faut-il pas, pour responsabiliser les jeunes, l'envisager lorsqu'on se présente à certains examens ?
- Quand on devient fonctionnaire, on donne son extrait de casier judiciaire. Cela me paraît suffisant mais l'interdit a un effet dissuasif.
Dans l'étude de l'OFDT de 1999, plus de 40 % des jeunes disent ne pas expérimenter de produits psychoactifs parce que c'est interdit. Personnellement, je ne l'ai pas fait - mais j'avais sans doute d'autres règles de transgression. On ne peut reprocher aux jeunes d'être irresponsables si nous ne posons pas nous-mêmes nos propres limites. On doit être exemplaire à l'égard de soi-même comme avec les autres.
Se vanter d'avoir consommé des produits psychoactifs n'est pas la chose la plus intelligente que font certains. Ne demandez pas ensuite à des jeunes de ne pas le faire ! Nous sommes tous acteurs de la prévention de produits psychoactifs ou du mal-être des jeunes, de la petite enfance à l'enseignement supérieur en passant par l'école.
On montre souvent les quartiers de Seine Saint-Denis sous un certain visage qui ne reflète pas ce département. A Stains, le 31 décembre, j'ai rencontré des jeunes en situation d'échec scolaire, sans emploi, qui allaient faire de la prévention en matière de consommation de produits stupéfiants. Ces jeunes de 18-19 ans, qui sont aujourd'hui en mission de service civique non rémunérée, se rendaient dans les établissements scolaires faire de la prévention et s'occuper d'enfants exclus de l'école pour éviter qu'ils ne se retrouvent sans aucun accompagnement.
Je veux rendre hommage à ces jeunes à qui on n'a donné aucune chance mais qui, grâce à un cadre stable, à Stains, dans un quartier difficile, font de la prévention. C'est sur ce modèle que j'aimerais que les adultes prennent exemple !
- Vous avez évoqué le Berry. Je vous rassure : la grande majorité de la population berrichonne continue à se doper à la tendresse et à l'herbe des prés !
- Je suis favorable à la proposition de Jean-Robert Pitte, qui a contribué à classer la gastronomie française au patrimoine mondial de l'UNESCO et qui a suggéré une initiation à l'oenologie plutôt qu'à des alcools très forts venus de certaines contrées où il fait froid ! C'est par la pédagogie que l'on apprend les choses !
La séance est levée à dix-neuf heures cinq.