COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 21 décembre 2011
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 20
Le Président Pierre Lequiller. En accueillant aujourd'hui M. Philippe Etienne, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, nous sommes au coeur de l'actualité puisque la première réunion du groupe de négociation du projet d'accord international sur une union économique renforcée s'est tenue hier. Je le remercie d'être venu aussi rapidement, et je remercie également Mme Françoise Grossetête, députée européenne, de sa présence.
Monsieur l'ambassadeur, le gouvernement français souhaite-t-il modifier certains points de la première rédaction du projet d'accord international dont les députés ont eu communication ? Quelle est la position des pays participants au groupe de négociation qui avaient initialement exprimé des réserves – la Suède, la Hongrie et la République tchèque ? Quels points de vue ont exprimés les observateurs – Royaume Uni et Parlement européen ? Quel sera le rôle de la Commission européenne dans la négociation ?
A la suite du rapport d'information de MM. Christophe Caresche et Michel Herbillon sur le gouvernement économique européen, nous avons la conviction que les parlements nationaux doivent, d'une manière ou d'une autre, être associés à la coordination des politiques économiques et budgétaires. La lettre de M. Nicolas Sarkozy et Mme Angela Merkel évoque une telle participation. J'ai proposé la création d'une conférence budgétaire permanente, qui réunirait les deux présidents de commissions concernés du Parlement européen et les présidents, ou leurs représentants, des commissions des affaires budgétaires des parlements nationaux de l'Union européenne, de façon que ceux-ci puissent contribuer à la coordination budgétaire. Selon vous, une telle participation pourra-t-elle être inscrite dans le texte de l'accord intergouvernemental de manière plus précise que dans le projet qui nous a été communiqué, même si nous sommes déjà très heureux de l'allusion qui y est faite ?
Enfin, la ratification et l'entrée en vigueur du Mécanisme européen de stabilité (MES) pourraient être plus rapides que celles de l'accord international, lequel ne pourra pas être ratifié par la France avant les élections présidentielle et législatives. Quel est votre avis à ce sujet ?
Je ne reviendrai pas en détail sur le sommet des 8 et 9 décembre derniers, qui a lancé l'exercice de la rédaction de ce nouveau traité. Vous n'ignorez pas en effet que dans la nuit du 8 au 9, après avoir débattu de la substance du projet d'accord, les chefs d'Etat et de gouvernement ont constaté l'impossibilité de le négocier à vingt-sept, en raison de la position du Royaume-Uni. C'est pourquoi la déclaration finale des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro, annexée aux conclusions, prévoit le lancement de cette négociation à « dix-sept plus » ou à « vingt-sept moins », puisque, aux dix-sept membres de la zone euro, s'ajouteront des pays qui ne sont pas membres ou pas encore membres de cette zone mais qui ont, contrairement au Royaume-Uni, déclaré leur intérêt à participer à cette négociation, voire au futur traité – leur nombre exact sera connu à la fin de la négociation.
Le prochain sommet informel prévu par le président Van Rompuy pour le 30 janvier, à la suite des propositions franco-allemandes, aura à son ordre du jour la question essentielle de la croissance et de l'emploi. Chacun, à Bruxelles, en est conscient : la condition pour sortir de la crise des dettes souveraines est de retrouver la croissance et de préserver, voire de développer l'emploi, notamment des jeunes. Du reste la Banque centrale européenne (BCE), réunie en même temps que le Conseil européen, a lancé le 8 décembre un nouveau programme de financement ouvrant des prêts à trois ans pour les banques de la zone euro : il est entré en application hier.
Monsieur le Président, vous l'avez dit, la première réunion du groupe de négociation a eu lieu hier à Bruxelles. Elle avait un caractère préliminaire, puisque les délégations venaient de recevoir le projet que vous avez également sous les yeux, projet qui se présente comme un « accord international sur une union économique renforcée », alors qu'il conviendrait plutôt de l'appeler « traité » – mot du reste fréquemment employé à son sujet –, par analogie avec le traité sur le Mécanisme européen de stabilité.
Ce groupe, qui se réunira plusieurs fois en janvier, comprend des délégations aux statuts très variables. A côté des parties contractantes fondatrices de l'accord que sont les dix-sept Etats membres de la zone euro, il y a les neuf pays qui ne sont pas membres de cette zone mais qui ont déclaré leur intérêt, ainsi que le Royaume-Uni à titre d'observateur, la Commission européenne, la BCE et le Parlement européen. En effet, sur proposition du président Van Rompuy, les chefs d'Etat et de gouvernement ont invité le Parlement européen à désigner trois représentants à suivre les travaux : M. Elmar Brok pour le Parti populaire européen (PPE), M. Roberto Gualtieri pour l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (APSD) et M. Guy Verhofstadt, président du groupe de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), ont ainsi été désignés. Toutes ces délégations se sont retrouvées sous la présidence du président du groupe de travail de l'Eurogroupe, qui a été désigné comme la structure support de la négociation pour travailler sur la base du projet que vous avez sous les yeux.
Pour la France, l'essentiel est de rester dans le cadre de l'accord des chefs d'Etat et de gouvernement du 9 décembre 2011, lequel est alimenté par la lettre, que vous avez rappelée, du président de la République française et de la chancelière allemande. Une première partie de l'accord, relative au « nouveau pacte budgétaire », vise à renforcer la discipline budgétaire, notamment au travers de la « règle d'or » ; une deuxième vise la convergence économique par le renforcement de la coordination des politiques économiques ; une troisième traite de la gouvernance, avec la reprise des dispositions sur l'organisation des sommets de la zone euro, déjà décidées par les chefs d'Etat et de gouvernement en octobre 2011.
Il convient évidemment de préciser la part et le contenu de chacun de ces éléments – cela a fait l'objet des premières discussions –, dont nous souhaitons, pour notre part, maintenir l'équilibre. Le texte proposé par l'équipe de M. Van Rompuy correspond assez largement aux propositions franco-allemandes. Nous aurons toutefois à demander des précisions, notamment sur la mise en oeuvre de la règle d'or et des autres dispositions budgétaires, afin d'aller de l'avant sur les points jugés prioritaires et, pour le reste, de demeurer en ligne avec le six-pack, à savoir les six textes adoptés en codécision par le Parlement européen et le Conseil européen, entrés en vigueur le 13 décembre dernier et qui ont déjà permis des progrès importants dans la gouvernance économique.
Demeure également la question de la participation des parlements nationaux, que vous avez mentionnée, monsieur le président. Elle est, elle aussi, le fruit d'une initiative franco-allemande – assez largement française, d'ailleurs. Hier ne se sont exprimées que des prises de position générales sur les différents articles du texte, à l'exception de l'article 1er qui a été examiné. Toutefois, un des représentants du Parlement européen a mentionné la disposition sur le rôle des parlements nationaux, pour souligner celui du Parlement européen. Un équilibre est à trouver, les parlements nationaux et le Parlement européen ayant chacun un rôle important à jouer. Du reste, le dialogue de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen avec les institutions européennes a été perfectionné dans le cadre du six-pack. Quant aux parlements nationaux, l'article 12 du projet d'accord prévoit que « des représentants des commissions chargées de l'économie et des finances au sein des parlements des parties contractantes seront invités à se réunir régulièrement […], en liaison étroite avec des représentants de la commission compétente du Parlement européen ». Les futures parties contractantes exprimeront des idées sur le sujet, sans compter celles que les parlements exprimeront eux-mêmes, comme vous l'avez fait, monsieur le président, en évoquant la création d'une conférence budgétaire.
La réunion d'hier s'est ouverte sur une question du président de séance aux représentants des neuf pays non membres de la zone euro, pour connaître leur état d'esprit. Ils ont tous confirmé leur intérêt à participer et à la négociation et au futur accord. Cela étant, chaque pays le fera selon ses propres procédures, dans le cadre, parfois, de l'examen du texte par le parlement national. Certains de ces pays ont de plus des positions particulières vis-à-vis de la zone euro. C'est ainsi que le Danemark, comme le Royaume Uni, bénéficie d'une dérogation permanente. Toutefois le Danemark, devant assumer la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne à compter du 1er janvier 2012, aura un rôle important à jouer dans les travaux des prochains mois en matière de législation économique. Quant à la Suède, a situation est compliquée du fait que le pays a rejeté l'euro en 2003 par référendum. Les autres pays non membres de la zone euro ont adhéré à l'Union européenne en 2004 et en 2007 : ils ont confirmé leur intérêt à participer à la négociation, par exemple la Pologne, qui a confirmé son intention de rejoindre la zone euro en dépit de la crise actuelle, mais de manière plus ou moins prudente, comme les pays que vous avez mentionnés..
Les dix-sept pays de la zone euro se sont engagés naturellement à mettre en oeuvre les décisions que leurs chefs d'Etat ou de gouvernement ont contribué à prendre. L'Irlande, que vous avez mentionnée, a certes indiqué qu'elle devait examiner les dispositions à prendre en raison de son ordre juridique national et en fonction du contenu du futur traité : c'est un point sensible, compte tenu des précédents référendums organisés dans ce pays.
Je ne me permettrai pas d'émettre un avis sur le sujet.
Le Président Pierre Lequiller. La décision appartient au président de la République.
S'agissant de l'Irlande, je ne pensais pas à une question d'opportunité : comme nous l'ont expliqué les participants irlandais, certains pays pourraient être tenus de recourir au référendum compte tenu de leurs dispositions constitutionnelles, en fonction du texte final.
La discussion a donc bien commencé et toutes les institutions – Parlement européen, BCE, qui a joué un rôle important dans la négociation, Commission européenne – l'ont soutenue, ainsi que les pays membres.
Comme je l'ai évoqué, une question a alimenté les débats et continuera de le faire dans la suite de la négociation : celle de la pondération des différents éléments dans le futur traité. Faut-il insister sur la discipline budgétaire ou sur la coordination économique ? Il ne faut pas non plus oublier la question du lien entre ce futur traité international et les traités européens, le droit européen et les institutions européennes. Le Royaume Uni nous a alertés sur l'utilisation des institutions européennes dans le cadre de ce futur traité international, mais le représentant britannique a tenu un discours qu'on peut estimer dans ce contexte constructif. Le jurisconsulte du Conseil a souligné que les institutions européennes pouvaient être impliquées dès lors qu'elles l'acceptaient et qu'on ne leur demandait pas d'outrepasser les missions qui leur sont aujourd'hui confiées ; autrement, il faudrait modifier les traités de l'Union européenne. On ne saurait, dans le cadre actuel, ni leur confier un nouveau rôle ni nous interdire de les utiliser dans leurs fonctions actuelles, ce qui permet de délimiter leur champ d'intervention. Du reste, le projet que vous avez sous les yeux évoque le Parlement européen, le Conseil ou l'Eurogroupe ainsi que la Commission, sans oublier la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dont le rôle est précisé conformément aux propositions franco-allemandes. Vous n'êtes pas sans savoir que ce point a été longuement discuté entre la France et l'Allemagne. Le rôle de la CJUE est, comme nous l'avons proposé, limité au contrôle de la transposition par les Etats membres des engagements pris, en termes de règle budgétaire, dans leur ordre juridique interne, sachant qu'il appartiendrait aux juridictions constitutionnelles nationales, dans le plein respect du rôle des parlements nationaux, explicitement mentionné dans le texte, de jouer leur rôle de contrôle de la constitutionnalité des décisions budgétaires.
Monsieur le Président, vous avez évoqué la question, soulevée par l'Allemagne, de l'éventuelle coordination, voire synchronisation entre la négociation, la conclusion et l'entrée en vigueur du traité sur le MES et celles de l'accord international. Pour les Allemands, le lien entre ce qui relève de la solidarité, à travers le MES, et ce qui relève des disciplines partagées, à travers les règles budgétaires, est une question sensible. Toutefois, il y a un large consensus, pour considérer qu'il n'est pas possible de synchroniser parfaitement les deux textes, ne serait-ce que parce que le MES a déjà été longuement négocié. Il reste à le finaliser sur un ou deux points qui nécessitent encore un travail de rédaction après les décisions prises au dernier Sommet : c'est le cas du passage, décidé le 9 décembre dernier, du vote à l'unanimité au vote à la majorité qualifiée, lequel suscite encore une réserve finlandaise. Toutefois, la mise en oeuvre du mécanisme à la mi-2012 et non plus à la mi-2013 oblige désormais à aller très vite. La question de la participation du secteur privé fait également désormais consensus, la Grèce devant rester une exception.
L'absence de synchronisation entre les deux traités n'interdit pas un lien politique, voire opérationnel, à condition qu'il soit raisonnable, c'est-à-dire qu'il n'empêche pas l'entrée en vigueur du traité sur le MES dès juillet 2012.
Cela dit, nous souhaitons également aller très vite dans la mise en oeuvre dunouveau traité qui comprendra le pacte budgétaire, la coordination des politiques économiques et l'organisation des sommets de la zone euro. L'objectif est bien de terminer les négociations d'ici à la fin du mois de janvier 2012 et de le signer en mars. Ensuite s'ouvrira le délai de ratification.
Le Président Pierre Lequiller. Des membres de la Commission des affaires européennes et moi-même sommes allés assister au Bundestag au débat sur les décisions prises le 9 décembre : l'Allemagne voudrait, pour des raisons politiques évidentes, que soient ratifiés en même temps le traité sur le MES, qui n'est pas bien accepté par son opinion publique, et l'accord international sur la discipline budgétaire. La France est dans le cas inverse : si le MES est signé en janvier, il pourra être ratifié avant la clôture de la session parlementaire. En revanche, si l'accord international est signé en mars, il ne pourra pas être ratifié durant la période électorale.
La déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement met en avant une coordination accrue des politiques économiques. Quant au projet d'accord international, il évoque un jeu de chaises musicales fiscales. Mais il ne faut pas se voiler la face : la chute de la production en Europe entraîne celle des profits. Comment, concrètement, une coordination accrue des politiques économiques permettra à l'Europe de redevenir une puissance économique et d'échapper à la pauvreté ? Les pays émergents ne connaissent pas les mêmes problèmes que ceux que nous avons avec l'euro parce qu'ils sont en pleine poussée économique : leur production croît alors que nous sommes un vieux continent assoupi sur ses lauriers qui ne trouve plus de nouveaux moyens financiers pour relancer son économie.
Ce projet de traité, outre qu'il a tout de l'usine à gaz, est une bombe à retardement, et il ne fonctionnera pas. Il exprime la vision allemande selon laquelle le problème de la zone euro a pour origine le déficit budgétaire alors que, je ne cesse de le répéter, le déficit budgétaire est la conséquence, et non la cause, des difficultés. Si nous entrons dans une telle discipline budgétaire, les résultats ne se feront pas attendre. Ils ont été soulignés, notamment par Martin Wolf dans le Financial Times ; d'ailleurs, nous les avons déjà sous les yeux. On organise la déflation, c'est-à-dire la récession avec tous les risques qu'elle comporte, en termes de croissance comme sur le plan politique. On ne gouverne pas contre les peuples. La Grèce est au bord de la guerre civile ; quant à l'Espagne et l'Italie, elles ne sont pas sorties de l'auberge – nous non plus, sans doute.
Je le répète : le projet de traité est illusoire en termes économiques et dangereux sur le plan politique. C'est également une usine à gaz sur le plan juridique. La première mouture du texte contient des contradictions : comment peut-on, dès l'article 3, contraindre les Etats à conduire telle ou telle politique tout en prétendant ne pas porter atteinte aux responsabilités des parlements nationaux ? De plus, le projet place, en quelque manière, la CJUE au-dessus des constitutions des Etats. Je ne suis d'ailleurs pas certain que ce texte soit conforme à notre Constitution.
S'agissant du MES, où en sommes-nous ? Si les Allemands refusent que le MES puisse se refinancer auprès de la BCE, ce n'est pas avec les 500 milliards d'euros prévus qu'on résoudra les problèmes à venir – d'autant que seulement deux Etats, peut-être, conserveront le triple A. Ces 500 milliards ne permettront pas, de lever 800 milliards en 2012 et plus de 2 000 milliards ensuite. Ce mécanisme n'est pas à la hauteur des enjeux.
L'inquiétude que traduisent les questions de notre collègue Jacques Myard est légitime, même si nous ne sommes pas d'accord sur leur traduction politique.
Le projet de traité ne fait aucune référence à un taux de croissance précis, voire à une simple fourchette ou à un rapport entre le déficit et la croissance. On fait souvent référence aux règles de Maastricht, adoptées il y a déjà de nombreuses années, et au pacte de stabilité et de croissance, mais l'on oublie trop souvent que le plafonnement du déficit public à 3 % et l'obligation de maintenir une dette publique inférieure à 60 % du PIB entraient dans le cadre d'une croissance à 3 %. Le nouveau texte devrait donc établir un rapport entre le déficit autorisé et la croissance.
Le projet évoque également la possibilité de déroger aux règles budgétaires en cas de circonstances économiques exceptionnelles ou dans des périodes de grave récession économique. Toutefois, la formulation utilisée dans la rédaction – « On entend par […] “circonstances économiques exceptionnelles” des faits inhabituels indépendants de la volonté de la partie contractante concernée » – est trop floue. Ces circonstances sont-elles définies ? Peut-on considérer que la récession simultanée de plusieurs Etats réalise la condition ?
Enfin, comment avoir pour objectif de ramener au plus bas le taux d'intérêt de la dette quand la comparaison des situations des pays révèle de véritables écarts, notamment dans la politique qui est menée à l'égard des banques, par exemple entre la France et le Royaume-Uni ? La stratégie économique de stabilisation de la dette publique ne devrait-elle pas également mentionner l'emploi et la croissance ? Evoquer uniquement la dette publique me paraît insuffisant.
Des ressources seront nécessaires pour respecter le pacte budgétaire : or il existe des écarts importants en matière fiscale entre les différents pays de la zone euro. Comment réaliser la convergence et selon quel calendrier ?
Le texte évoque également un meilleur suivi des politiques de l'emploi et des politiques sociales, qui connaissent, elles aussi, des écarts importants. Comment arriver à un équilibre en la matière alors même que ces politiques sont sources de déficits ?
Chacun s'accorde sur le diagnostic, beaucoup moins sur les prescriptions de l'ordonnance proposée. On sait les résultats obtenus par des remèdes similaires, en Argentine d'abord, en Grèce maintenant : parce que l'on s'est obstiné à ne proposer que des coupes claires dans les budgets sans se préoccuper des recettes, chaque garantie supplémentaire apportée à la dette de la Grèce a augmenté son endettement. Persister dans le refus de considérer quels peuvent être les moteurs de croissance, c'est aller dans le sens des apôtres de la décroissance – mais ces derniers ont au moins pour vertu de se préoccuper de justice fiscale, et donc de rentrées fiscales.
Là est la question de fond. Je ne conteste pas la nécessité de réduire certaines dépenses, mais l'Europe ne se relèvera pas de la crise qu'elle traverse en oubliant le volet « recettes fiscales et croissance » de ce que devrait être sa stratégie globale. Or, en l'état, cette préoccupation ne transparaît pas dans le projet. Pendant que le texte était en discussion à Bruxelles, les membres de la délégation parlementaire en visite à Francfort s'entendaient dire à la BCE qu'ils devaient se faire les porte-parole de l'accord sur le terrain. Mais mon opinion est que si l'on poursuit dans cette voie, Mme Marine Le Pen finira par monter à l'assaut de la tour que l'on est en train de construire. Une stratégie de retour progressif à l'équilibre des finances publiques est effectivement nécessaire mais si cela signifie uniquement tailler à la serpe dans les dépenses, on sait ce qui se produira, en France et ailleurs, dans quelques années.
Il faudrait avoir bien mauvaise mémoire pour ne pas se rendre compte que ce sont toujours les mêmes « solutions », diversement graduées, que l'on ressert depuis trois ou quatre ans, alors qu'elles n'ont manifestement pas fait la preuve de leur pertinence. Au long des vingt-trois sommets qui se sont tenus depuis le début de la crise, dont une petite dizaine de sommets dits « de la dernière chance », on a ressassé les mêmes recettes - discipline budgétaire et austérité -, qui malmènent l'économie réelle en entravant les dépenses de solidarité et des investissements. Dans le même temps, on se garde d'agir contre les fautifs, ceux qui spéculent contre l'Europe. Pourquoi l'insistance mise sur la « crise de l'endettement » des pays de la zone euro, alors que les dettes publiques américaine et japonaise sont bien plus fortes, sinon parce que l'Europe est la cible de spéculateurs ?
De surcroît, il est dangereux de prendre des mesures à l'échelon européen sans renforcer les mécanismes démocratiques de l'Union. Cette manière de procéder risque de donner à penser à nos peuples qu'ils sont pris en otages et de provoquer une rupture périlleuse dans la perception des traités par les populations, car des décisions qui ont une très forte incidence sur la vie quotidienne des individus sont prises sans toute la transparence que requiert la démocratie. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont certes une légitimité démocratique, mais si quelques-uns doivent répondre très régulièrement de leurs décisions devant leur parlement national, cela ne vaut pas en tous pays, et en tout cas pas en France. Je n'ai pas d'objection à ce que des décisions soient prises au niveau européen, à la condition que les institutions européennes soient réformées pour devenir véritablement fédérales.
Pour avoir participé, hier, au premier débat sur le projet de traité, je puis vous dire que vos interrogations sont aussi celles des pays parties aux négociations. La question de la place donnée dans le texte à l'objectif de croissance a été longuement abordée. C'est à présent la question de fond, puisque la sortie de crise suppose avant tout de la croissance ; qu'elle ait toute sa place, c'est le point de vue défendu par notre pays, et c'est aussi pourquoi la chancelière Angela Merkel et le président Sarkozy ont souhaité la tenue régulière de sommets consacrés à la croissance et à l'emploi. Une première réunion informelle aura lieu à ce sujet le 30 janvier 2012.
Qu'il faille réduire les déficits, chacun en est d'accord ; la question est de savoir si cette obligation et la reprise de la croissance sont antinomiques, ou se complètent dans une stratégie globale. Les déficits annuels cumulés augmentent considérablement la dette mais aussi son service, de manière mécanique d'abord mais aussi parce que plus fort est l'endettement, plus élevés risquent d'être les taux d'intérêts. L'accumulation de ces charges obère donc, elle aussi, la croissance. M. Jean Gaubert a justement résumé la situation en observant que si le diagnostic est connu il reste à rédiger la juste prescription. C'est qu'il est difficile de définir une solution globale. Il faut toutefois reconnaître que d'ores et déjà les sommets successifs ont conduit, le plus souvent à la suite d'initiatives franco-allemandes, à l'élaboration des éléments d'une gouvernance très nouvelle, mais il faut aussi, naturellement, intégrer le volet « croissance et emploi ». La France, comme plusieurs autres pays, le mentionnera.
Le désaccord de principe du Royaume Uni entraîne une difficulté juridique : par quelles dispositions concrètes de politique économique compléter l'acquis communautaire au moyen d'un nouveau traité qui ne serait pas conclu à vingt-sept ? Il se trouve que la volonté politique existe de progresser et que l'on peut, dans une certaine mesure, renforcer la coordination économique, puisque, en mars dernier, sur initiative franco-allemande, le Pacte pour l'euro plus a été adopté ; il incite notamment les Etats à approfondir la coordination fiscale que Mme Pascale Gruny appelle de ses voeux. C'est une question d'autant plus difficile à régler que la sensibilité de certains Etats membres à ce sujet est très vive et qu'en matière fiscale les décisions doivent être prises à l'unanimité. Mais il faut avancer et, lors du Conseil européen des 8 et 9 décembre, la Commission a présenté un rapport, rédigé sur la base du Pacte, invitant les Etats membres à reprendre la lutte contre les pratiques fiscales déloyales, et à renforcer la coopération administrative contre la fraude fiscale. Par ailleurs, des propositions sont désormais sur la table pour progresser dans l'harmonisation - voire la consolidation - des bases de l'impôt sur les sociétés et, sur l'insistance de la France, pour créer une taxe sur les transactions financières.
Comment, demandait M. Gérard Voisin, la coordination économique au niveau européen peut-elle pallier l'évolution négative de la production en Europe? Le Semestre européen est fondé sur l'examen annuel de croissance fait par la Commission européenne et les conclusions de cet examen figurent dans sa communication du 23 novembre 2011, dont les têtes de chapitre sont autant de réponses. La Commission insiste notamment sur la nécessité de « revenir à des pratiques normales en matière de prêt à l'économie ». C'est en effet un point névralgique pour éviter que l'économie européenne n'étouffe faute de financement. C'est dire l'importance du nouveau programme de prêt aux banques décidé par la BCE, qui irriguera le marché monétaire. L'ampleur des échéances de refinancement, rappelée par M. Jacques Myard, concerne non seulement les dettes souveraines des pays de la zone euro mais aussi les banques.
C'est bien pourquoi le lancement, hier, des prêts à trois ans aux établissements financiers par la BCE doit redonner une bouffée d'air bienvenue au financement de l'économie. Ensuite se posent effectivement la question du comportement des banques et celles de la régulation du secteur et des marchés financiers et de la lutte contre la spéculation.
Le rapport de la Commission européenne mentionne un autre élément déterminant de compétence européenne : la politique commerciale extérieure. La France s'efforce constamment que l'Union européenne obtienne, par une politique de réciprocité suffisamment ferme, l'ouverture des marchés extérieurs à nos entreprises. On se félicitera donc de l'accord plurilatéral sur les marchés publics qui a été trouvé en décembre à Genève par les ministres du commerce des pays membres de l'OMC – ce fut d'ailleurs l'un des rares succès obtenus dans le contexte du blocage des négociations du cycle de Doha. Cet accord, acquis grâce notamment à la force de persuasion des commissaires européens Michel Barnier et Karel De Gucht, améliore notamment pour nos entreprises l'accès aux marchés publics des Etats-Unis et du Japon. Les marges de croissance étant aussi sur les marchés extérieurs, c'est important.
L'utilisation du budget européen peut constituer un autre atout. Les idées de M. Alain Lamassoure à ce sujet rejoignent les vôtres : dans une configuration telle que les budgets nationaux gardent dans la plupart des domaines, exception faite de l'agriculture, la plus grosse partie des ressources publiques européennes, il est extrêmement important d'avoir une vision globale des budgets publics et naturellement de parvenir à user du budget européen pour les objectifs de croissance et d'emploi. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons permis, en Grèce, des conditions d'utilisation des fonds européens beaucoup plus favorables.
D'autres initiatives européennes sont envisageables, en matière sociale par exemple. Même si c'est plus difficile car en ce domaine les compétences européennes sont peu nombreuses, on peut agir, vous le savez, par le biais du Fonds social européen. Après que M. Xavier Bertrand a proposé, au nom de la France, une initiative favorisant l'apprentissage, la Commission vient d'adopter un texte qui tend à promouvoir la mobilité des apprentis, sur la base d'une formation de haute qualité. C'est un autre exemple de ce que l'on peut faire au niveau européen.
Je reviens un instant, pour répondre à M. Jacques Myard, sur le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne Je le redis, selon le projet d'accord, la Cour n'est compétente que pour le contrôle juridictionnel de la transposition par chaque Etat membre de la règle budgétaire. C'est ce que voulait la France, et c'est dans la logique de ce que fait déjà la Cour.
A supposer qu'un Etat refuse d'inscrire la « règle d'or » dans ses textes fondamentaux, que se passera-t-il ?
Je ne sais si le projet sera adopté en ces termes, mais en sa rédaction actuelle, il est prévu que le traité entrera en vigueur dans les Etats membres qui l'auront ratifié aussitôt qu'il aura été ratifié par neuf des dix-sept membres de la zone euro.
C'est un point fondamental. Je ne sais si cela sera accepté, car cette question a suscité des réactions hier. Jusqu'à présent, un traité n'entrait en vigueur qu'après que l'ensemble des Etats membres l'aient ratifié. Ce principe a bien sûr ses vertus, mais cela peut empêcher l'entrée en vigueur d'un traité, ou en tout cas la retarder beaucoup.
Le risque de voir se dessiner deux Europes est patent.
Le Président Pierre Lequiller. Pour ma part, je juge cette disposition du texte très positive.
Aucune solution n'est parfaite, mais il faut trouver le moyen d'avancer. L'idée générale est que les Dix-sept s'engagent mais que l'on n'empêche pas le traité d'entrer en vigueur parce qu'un pays est un peu en retard.
M. Jacques Myard voit dans le projet une contradiction s'agissant du rôle des parlements nationaux. Je note pourtant que ce texte mentionne explicitement le respect des parlements nationaux, qui resteront donc pleinement dans leur rôle de vote du budget. Il reste à imaginer, dans chaque Etat membre, l'organisation du Semestre européen avec le parlement national, et cela justifie aussi que les parlements travaillent ensemble.
Je reviens sur le cas de la Grèce. Certes, des politiques de réduction des déficits risquent, de fil en aiguille, d'aggraver la crise s'il n'y a pas de perspectives de croissance. Cependant, la Grèce présente quelques spécificités, dont l'une est que la collecte de l'impôt ne s'y fait pas comme il le faudrait. C'est pourquoi, à l'initiative de la Commission européenne, une task force a été constituée en juillet en accord avec legouvernement Papandréou. Elle a été notamment chargée, dans le respect de la souveraineté de la Grèce, d'aider ce pays à mieux utiliser les fonds européens et aussi à aider à mener les réformes indispensables dont la modernisation de l'administration fiscale pour créer un système efficace de collecte de l'impôt : les experts français y jouent un rôle important.
La raison pour laquelle les marchés ne se comportent pas de la même manière face aux dettes de l'Union européenne d'une part, du Japon et des Etats-Unis d'autre part, est une question qui n'est pas vraiment de mon ressort. Vous avez observé que la note des Etats-Unis a été abaissée sans que cela n'affecte les taux d'intérêt qui leur sont appliqués. Tout au plus mentionnerai-je que le terme de « spéculation » a deux acceptions : la recherche, assez amorale, d'un gain très fort et très rapide d'une part, qui appelle des mesures de régulation,d'autre part la spéculation intellectuelle qui agite celui qui se méfie : dans la crise des dettes souveraines, les investisseurs se sont interrogés semble-t-il aussi sur le fonctionnement compliqué de l'Union européenne et de la zone euro. C'est pourquoi il est très important de faire comprendre comment s'organise la gouvernance de la zone, ce à quoi contribuent les décisions prises depuis deux ans.
Si le financement direct du MES par la BCE n'est pas possible en l'état, un lien est désormais établi puisque la BCE a mis son expertise à la disposition du Fonds européen de stabilité financière (FESF), le fonds transitoire, renforçant ainsi sa crédibilité. Il a aussi été décidé d'accélérer d'un an la mise en oeuvre du MES, dont on ne peut dire que sa dotation - 500 milliards d'euros ! - soit négligeable. Le MES est beaucoup plus solide que le FESF car il fonctionnera avec du capital et non pas seulement avec des garanties.
Le Président Pierre Lequiller. Soit, mais avec quel capital, concrètement ?
Il y aura une part de capital appelé, une part de capital appelable et des garanties. Le capital appelé montera en puissance chaque année.
Pour finir par représenter 18 milliards d'euros pour notre pays.
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie pour ces précisions très éclairantes et je me propose de vous inviter à nouveau pour nous tenir informés de l'évolution des négociations en temps réel.
Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
l Point B
La Commission a approuvé le texte suivant :
Ø Environnement
- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les exportations et importations de produits chimiques dangereux (refonte) (E 6249).
l Procédure d'examen en urgence
Par ailleurs, la Commission a pris acte de l'approbation, selon la procédure d'examen en urgence, des trois textes suivants :
- proposition de règlement du Conseil portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels, agricoles et de la pêche (E 6917) ;
- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) no 72010 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires autonomes de l'Union pour certains produits agricoles et industriels (E 6918) ;
- proposition de décision du Conseil abrogeant la décision 2011491UE du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, et à l'application provisoire du protocole entre l'Union européenne et le Royaume du Maroc fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (E 6954).
l Accords tacites de la Commission
En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines nominations), celle-ci a approuvé tacitement les documents suivants :
- décision du Conseil portant nomination d'un membre danois du Comité des régions (E 6940) ;
- proposition de règlement du Conseil portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement (UE) no 5112010 sur les importations de certains fils en molybdène originaires de la République populaire de Chine aux importations de certains fils en molybdène expédiés à partir de la Malaisie, qu'ils aient ou non été déclarés originaires de la Malaisie, et clôturant l'enquête en ce qui concerne les importations expédiées à partir de la Suisse (E 6948) ;
- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) no 12922007 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de feuilles en polyéthylène téréphtalate (PET) originaires de l'Inde (E 6949) ;
- décision du Conseil modifiant et prorogeant l'action commune 2005889PESC établissant une mission de l'Union européenne d'assistance à la frontière au point de passage de Rafah (EU BAM Rafah) (E 6952) ;
- décision du Conseil modifiant et prorogeant la décision 2010784PESC concernant la mission de police de l'Union européenne pour les territoires palestiniens (EUPOL COPPS) (E 6953) ;
- décision du Conseil modifiant la décision 2011137PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (E 6955) ;
- règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) no 2042011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (E 6956).
l Texte tacitement adopté
- proposition de décision du Conseil modifiant la décision 2007659CE en ce qui concerne sa période d'application et le contingent annuel pouvant bénéficier d'un taux d'accise réduit (document E 6630).
Les délais d'examen de ce texte étant écoulés, les réserves parlementaires afférentes sont considérées comme tacitement levées.
La séance est levée à 17 h 30.