La commission a auditionné M. Carlo Bozotti, président-directeur général de STMicroelectronics.
Mes chers collègues, je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui le dirigeant du principal fabricant européen de semi-conducteurs.
Monsieur le président Bozotti, je tiens à vous remercier d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Le président Serge Poignant m'a chargé de vous dire tout l'intérêt qu'il porte à cette grande société qu'est STMicroelectronics. Il devait vous accueillir lui-même, mais il a dû partir à l'étranger accompagner un ministre. Il vous demande donc de l'excuser et de vous dire qu'il vous contactera car il souhaite vous rencontrer personnellement.
L'intérêt que porte notre commission au secteur informatique et numérique s'est accru au cours des dernières années. Il faut cependant avouer que nous sommes plus souvent en contact avec des opérateurs de réseaux, des fournisseurs de services ou des fabricants de terminaux qu'avec des entreprises positionnées, comme la vôtre, en amont de ces marchés. Cette audition sera donc l'occasion de parfaire la connaissance qu'ont les membres de notre commission des filières numériques.
STMicroelectronics est bien implantée en France. J'y vois d'abord des raisons historiques, puisque cette entreprise est née de la fusion de SGS, une société italienne, et de la filiale de Thomson dédiée aux semi-conducteurs. Il y a ensuite des raisons économiques, puisque votre entreprise emploie 11 000 personnes en France et dispose de trois grands sites, à Crolles à côté de Grenoble, à Rousset près d'Aix-en-Provence, et à Tours. Enfin, des raisons financières : l'État français dispose en effet de plus de 10 % du capital à travers le Fonds stratégique d'investissement (FSI), qui a racheté récemment une participation de 700 millions d'euros à AREVA.
Avant de vous donner la parole, monsieur le président, je souhaiterais vous poser quelques questions.
Que pensez-vous de l'évolution du secteur des semi-conducteurs au cours des années qui viennent de s'écouler ? Le repli de 2011, notamment, risque-t-il de se poursuivre en 2012 ? Les activités localisées en France risquent-elles d'être affectées ?
À un niveau plus prospectif, nous avons beaucoup parlé dans cette commission des réseaux intelligents que sont les smart grids, notamment des perspectives de convergence avec les réseaux de communications électroniques. Anticipez-vous un mouvement de rapprochement au niveau des composants électroniques entre communications électroniques et énergie ?
Enfin, le président Poignant m'a demandé d'aborder avec vous la question de la recherche et développement (R&D) pour laquelle nous savons que STM est un acteur majeur. Vous êtes implantés notamment à Grenoble, où vous avez pu bénéficier du programme Nano 2012 et vous insérer dans le pôle de compétitivité Minalogic. Quel regard portez-vous sur les politiques de soutien à l'innovation mises en oeuvre en France ? Que pourrions-nous faire, selon vous, pour renforcer l'attractivité de notre territoire ?
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c'est un privilège d'être reçu en tant que président et CEO (chief executive officer) de STMicroelectronics au sein de ce magnifique Palais Bourbon. J'ai l'honneur de diriger STMicroelectronics, l'un des leaders mondiaux de la microélectronique, et leader européen du secteur. Je suis accompagné de Jean-Marc Chery, responsable au niveau mondial du secteur recherche et développement et de l'activité de fabrication de nos usines, et de M. Philippe Lambinet, responsable de la stratégie globale et du secteur numérique.
L'industrie électronique est en perpétuelle révolution, et nous sommes un des acteurs principaux de cette révolution. Nous travaillons dans l'infiniment petit, avec des structures qui sont si minuscules qu'elles peuvent être mesurées en dizaines de nanomètres – un nanomètre étant l'équivalent d'un milliardième de mètre !
Pour vous donner une idée palpable de la taille et des enjeux des industries électroniques, imaginez une pyramide. Au sommet de ce triangle, les producteurs de puces réalisent un chiffre d'affaires de 300 milliards de dollars par an. Une fois ces puces intégrées dans divers boîtiers, pour réaliser des smartphones, des décodeurs numériques, des micro-ordinateurs et d'autres objets, vous obtenez 2 000 milliards de chiffre d'affaires. En y ajoutant diverses applications et services, vous parvenez à 7 000 milliards de dollars. Autrement dit, un circuit de 1 dollar peut potentiellement créer 22 dollars de chiffre d'affaires supplémentaires. Cela démontre clairement que la microélectronique – qui est le moteur de l'électronique – est l'industrie des industries.
STMicroelectronics est une société européenne, née en 1987 de la fusion de deux sociétés, le français Thomson Semiconducteurs et l'italien SGS Microelettronica. L'année dernière, nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 10,3 milliards de dollars. Nous comptons plus de 53 000 employés dans le monde, dont 11 000 en France, et plus de 12 000 emplois dédiés à la recherche et au développement. Ce dernier point est très important car nous possédons sept principaux centres de recherche et développement avancés dans le monde : leurs travaux alimentent douze sites de production, dont six en Europe – trois en France, deux en Italie et un à Malte.
Notre ambition est de conquérir les futurs marchés grâce à un effort de recherche et développement important, correspondant à 23 % environ de notre chiffre d'affaires – effort que nous avons su maintenir constant, même dans les années de crise.
À la fois français et italien, STMicroelectronics est profondément européen et mondial. Sa vision stratégique dépasse les intérêts nationaux. Nous produisons en Europe et entendons y concentrer la plus grande part de nos travaux à valeur ajoutée. Nous produisons aussi en Asie, non seulement pour des raisons de coût, comme il arrive souvent, mais aussi pour nous rapprocher de nos clients asiatiques. Pour ce qui est de nos clients, nous sommes fiers de servir les plus grands groupes mondiaux : Apple, Samsung, Nokia, Sony-Ericsson, Bosch, Continental, HP ou Cisco, pour ne citer que les plus grands ; en France, ils s'appellent Alcatel, Bull, Sagem, Technicolor, ou encore Valeo.
Mesdames et messieurs les députés, sachez que vous utilisez, sans le savoir, plusieurs circuits de STMicroelectronics dans votre vie de tous les jours. Votre smartphone ? Il contient certainement une ou deux puces de STMicroelectronics. Votre voiture ? Elle en a encore plus.
Vous vous êtes peut-être déjà amusés avec vos enfants ou petits-enfants devant une console Wii de Nintendo et sa manette magique. Cette manette, elle existe grâce à STMicroelectronics. Si vous utilisez un smartphone ou une tablette numérique, vous pouvez constater que l'affichage de l'écran s'ajuste dynamiquement à son orientation horizontale ou verticale : STMicroelectronics est derrière cette innovation qui utilise les circuits MEMS, les microsystèmes électro-mécaniques. Grâce à notre capacité d'innover en permanence et de détecter les marchés, nous sommes devenus le leader mondial du marché des MEMS pour les applications grand public : ce business représente aujourd'hui de 700 millions de dollars.
Cette diffusion de l'électronique et de ses usages constitue une chance extraordinaire pour STMicroelectronics. Une chance que nous avons décidé de saisir voilà longtemps, grâce à nos équipes, grâce à nos efforts de recherche, grâce à notre volonté – intimement partagée par chacun de nos employés – de devenir le leader mondial des spécialités que nous avons choisies.
En effet, notre vision stratégique est de devenir le leader incontesté de la convergence multimédia, de la gestion de l'énergie, et des technologies de capteurs.
Je décrirai maintenant les quatre grands piliers stratégiques de nos activités.
D'abord, on trouve les appareils grand public intelligents. Historiquement, la France a développé un savoir-faire dans ce domaine et est reconnue pour son expertise dans les décodeurs numériques – avec la set-top box – au travers de grands noms de l'industrie française que vous connaissez tous. Cette fameuse boîte est désormais au coeur de la convergence multimédia. Dans cette activité, nous sommes leader mondial.
Viennent ensuite la gestion et les économies d'énergie, à la fois dans le domaine de l'automobile, qui innove avec le véhicule électrique, et dans le secteur industriel – photovoltaïque, réduction et contrôle de la consommation électrique, sujets brûlants qui font souvent « la une » des journaux. Pas encore aussi connue du grand public, la révolution des smart grids est déjà en marche chez les industriels avec, en particulier, des grands projets de compteurs intelligents. Dans ce domaine, nous sommes présents en France, en Italie, mais aussi en Chine et au Japon.
La santé et le bien-être sont des thèmes plus récents pour notre industrie. L'électronique pour le domaine médical est appelée à exploser dans les années à venir. La France, grâce à son système de protection sociale exemplaire, a su constituer depuis longtemps un écosystème dans lequel nous souhaitons prendre toute notre place. Nous y apportons des solutions innovantes susceptibles de révolutionner les modes de soins et le confort de nos concitoyens : lentille intelligente pour détecter le glaucome ; micro-pompe à insuline pour le diabète ; laboratoire instantané sur puce pour détecter une épidémie de grippe.
Enfin, la confidentialité et la sécurité des données sont également devenues un enjeu important. En France, il y a, là encore, un réseau de compétences inégalées dans le domaine de la carte à puce et des transactions sécurisées. Avec nos systèmes, nous pouvons efficacement limiter la piraterie informatique et audiovisuelle.
Sachez que nous avons également une activité dans la téléphonie cellulaire, avec ST-Ericsson, une co-entreprise créée en 2009 en partenariat avec la société suédoise Ericsson. ST-Ericsson profite de nos capacités d'intégration, et vient de démarrer la commercialisation des produits les plus innovants du marché.
Cependant, la situation économique de ST-Ericsson est, pour le moment, pénalisée par la crise et le positionnement de ses plus gros clients, Nokia en particulier, sur le marché des smartphones. ST-Ericsson consomme un investissement en R&D d'environ 1 milliard de dollars par an, dont 50 % sont à la charge de STMicroelectronics. Nous continuons de soutenir cet investissement car ST-Ericsson est positionnée sur un marché de 25 milliards de dollars par an, en forte expansion grâce à la révolution de l'Internet mobile.
Notre volonté est clairement définie ; le plan de route est ambitieux. Je le conçois : le chemin est difficile, les obstacles considérables, et l'environnement macro-économique extrêmement difficile. Je tiens à rappeler les quatre crises majeures que nous avons dû affronter depuis 2007 : crise du crédit à la fin de 2007 ; augmentation du taux de change de l'euro à 1,5 dollar au deuxième trimestre 2008, ce qui est insoutenable pour une société comme « ST » dont les coûts sont à 50 % en euros et les ventes en dollars ; entrée en récession de l'économie en 2008 et 2009 ; fort ralentissement actuel de l'économie, qui affecte la charge de nos usines. Cet environnement général très défavorable est, en outre, accompagné d'une situation de crise particulière chez notre premier client, Nokia, dans le domaine des smartphones, comme je l'ai déjà indiqué. Notre industrie a toujours été affectée par des cycles, mais jamais avec des variations d'une telle ampleur.
Comme tous en Europe, nous sommes très préoccupés par la situation économique générale, et nous souhaitons évidemment que l'on trouve une solution commune qui sache garantir la stabilité du système financier de la région. La parité euro-dollar est, par ailleurs, un sujet particulièrement délicat et un point spécifique fondamental pour ST. Sachez qu'une variation de 1 % du taux de change se traduit par une hausse ou une baisse de 40 millions de dollars de notre résultat d'exploitation annuel. Chaque fois que l'euro dépasse 1,25-1,30 dollar, nous sommes pénalisés, et nos concurrents américains et asiatiques en profitent grandement.
Je vais maintenant vous présenter le rôle de STMicroelectronics en France, où nous comptons trois sites de production spécialisés.
À Crolles, près de Grenoble, nous produisons des circuits à très haut degré d'intégration. Crolles est aussi un centre de R&D avancé en partenariat avec les plus grandes entreprises mondiales. Ainsi, nous y accueillons des ingénieurs d'IBM, de Mentor Graphics ou d'ASML.
Grâce aux travaux de Crolles et de Grenoble, notre dernière génération de composants pour décodeurs de télévision numérique haut de gamme est en train de jouer le rôle de serveur multimédia dans les foyers. ST-Ericsson, de son côté, a aussi une forte présence R&D à Grenoble et développe, sur les technologies de Crolles, les prochaines générations de processeurs pour smartphones.
Plus au sud, à Rousset, près d'Aix-en-Provence, nous fabriquons des microcontrôleurs, véritables petits cerveaux de vos objets électroniques et de votre automobile, et de nombreux circuits pour les cartes à puces.
À Tours, notre usine est dédiée aux circuits permettant de mieux gérer la consommation électrique et de réaliser des économies d'énergie, un enjeu majeur aujourd'hui. Nous commençons à développer un projet dans le domaine des micro-batteries pour les appareils nomades.
Dans un environnement économique difficile, nous poursuivons notre course avec, pour arguments, la qualité de notre recherche, la solidité de nos partenariats, et notre capacité à innover.
Ce que nous avons fait à Crolles illustre parfaitement nos efforts. Nous y avons construit et équipé une usine au sein d'un écosystème de recherche majeur, parce que la R&D technologique ne se conçoit pas sans production avancée et réciproquement. Depuis 1992, nous y avons investi plus de 4 milliards de dollars en machines et équipements, et plus de 6 milliards de dollars en efforts de R&D. Cela s'est traduit par la création de 4 000 emplois directs à Crolles et de plus de 16 000 à proximité, sans oublier 9 000 emplois additionnels en France. D'autres investissements ont été réalisés pendant la même période dans les autres sites en France, contribuant de manière significative à la création de richesse et de valeur technologique, non seulement pour la région et sa communauté, mais également pour l'ensemble du pays.
Nous sommes également fiers de notre contribution à la construction d'écosystèmes de haute technologie sur tous les sites où nous opérons, aux côtés du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de bien d'autres acteurs – des instituts de recherche, des écoles d'ingénieurs et des universités françaises et internationales.
N'oublions pas que l'attractivité de la France pour la R&D est forte. Cela tient, bien sûr, à l'excellence universitaire, scientifique et technologique de la France, mais aussi – à l'heure où la concurrence mondiale est vive pour attirer les leaders technologiques – à la politique d'incitation cohérente et novatrice en faveur de la R&D et aux bonnes conditions opérationnelles pour les entreprises. Je tiens tout particulièrement à mentionner le crédit impôt recherche : en France, nous apprécions pleinement la constance des efforts publics pour soutenir cette industrie stratégique depuis plus de vingt-cinq ans.
En conclusion, mesdames et messieurs les députés, j'énumérerai trois points clefs.
Premièrement, les semi-conducteurs sont stratégiques et source de progrès pour répondre aux besoins sociétaux de demain.
Deuxièmement, l'Europe et la France doivent préserver leur industrie micro-électronique pour conserver leur indépendance.
Troisièmement, il est de notre responsabilité à tous de partager une vision commune de l'avenir industriel de la France et de l'Europe.
À l'heure où plusieurs personnes se demandent s'il faut réindustrialiser l'Europe, nous sommes la preuve vivante que c'est possible. Certes, il faut, pour cela, qu'industriels et collectivités travaillent main dans la main pour bâtir les trois piliers du succès – recherche et technologie, consortiums industriels, production de classe mondiale –, tout en veillant à maintenir un niveau de compétitivité économique compatible avec ce qu'il est possible d'obtenir chez nos grands concurrents internationaux.
Comme vous le savez tous, nous devons relever en permanence des défis considérables liés à l'environnement mondial et aux caractères intrinsèques de notre industrie. Nous le faisons de bon coeur, sachant que nos bases de production et de recherche en France et en Italie sont les atouts de notre future prospérité.
Monsieur le président, je vous remercie pour cet exposé particulièrement clair et convaincant.
Il est très important de maintenir l'emploi industriel en France et en Europe : il en va de notre indépendance. Le maintien de ces emplois et de cette indépendance passe par l'innovation, que vos différents sites mettent en oeuvre en permanence, en particulier celui de Crolles dont est maire notre collègue François Brottes.
Je tiens à remercier le président Poignant d'avoir organisé l'audition de M. Bozotti par notre commission. Depuis quinze ans que je siège à l'Assemblée, nous n'avons en effet jamais eu l'occasion d'avoir une discussion approfondie sur la filière microélectronique, qui constitue pourtant un véritable modèle industriel de développement.
En juillet 1990, j'ai signé un premier accord avec SGS Thomson. Dans la région grenobloise, l'équivalent de trois centrales nucléaires a été investi. Votre entreprise, monsieur le président-directeur général, avec laquelle l'État et les collectivités ont signé des accords environ tous les cinq ans, a toujours tenu ses engagements en termes d'investissements, d'évolutions technologiques avancées, mais aussi – jusqu'à la crise – en termes de créations d'emplois. Je tenais à le souligner car, en ces matières, il est rare que la parole donnée soit tenue.
Ma commune de Crolles a toujours « remis au pot » de la recherche et développement de l'entreprise au moins les deux tiers de la taxe professionnelle, comme l'y autorisait la Commission européenne. Désormais, pour les raisons que l'on sait, ce n'est plus possible ; je le regrette, car cette contribution était indispensable.
Pour la seule région Rhône-Alpes, STMicroelectronics génère 35 000 emplois. Autrement dit, sans grand groupe de ce type, beaucoup de PME ne survivraient pas. À l'échelle mondiale, la taille d'un grand groupe de ce type est d'ailleurs presque trop petite. La question qui se pose est de savoir si on a encore la capacité de continuer à développer à l'échelle européenne des sites industriels de cette envergure, aptes à créer des emplois, et ce en lien avec la recherche.
À ce propos, le rapport de Christian Blanc sur le site de Grenoble-Crolles avait pris en exemple, afin de promouvoir les pôles de compétitivité, le modèle de cette entreprise qui a réussi à faire le lien entre recherche, développement et production industrielle. Souvenons-nous que, à l'époque, certains craignaient la délocalisation de la production industrielle à Taïwan… De fait, sur le site de Crolles, les gens de STMicroelectronics évoquent plutôt les prix de l'énergie et de l'eau – l'entreprise en consomme beaucoup – et la parité euro-dollar, que les taxes.
Il faut noter que l'État a toujours manifesté une certaine continuité à l'égard de cette entreprise. Ainsi, Édith Cresson, Jacques Chirac, Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy, entre autres, se sont rendus sur le site de Crolles.
Tout comme l'État italien, l'État français est actionnaire de l'entreprise, et c'est indispensable pour elle. De la même manière, l'État français est actionnaire du CEA – nous avons reçu récemment son nouvel administrateur, M. Bernard Bigot –, organisme qui a prouvé que notre recherche publique savait étendre son champ d'actions, comme cela a notamment été le cas dans les domaines des matériaux et des logiciels.
Grands groupes, volontarisme d'État, recherche publique, logique de filière : tels sont les atouts de notre pays, où l'industrialisation constitue un grand espoir, en particulier grâce à STMicroelectronics.
Monsieur le président-directeur général, STMicroelectronics est leader européen et se situe à la cinquième place mondiale dans le domaine des semi-conducteurs, et ses ventes se répartissent sur cinq principaux secteurs d'activités. Mais vous êtes également leader mondial dans le domaine des microsystèmes électromécaniques (MEMS) – ces capteurs de mouvement, désormais présents dans de très nombreux produits grand public. Votre secteur profite d'une forte demande, en particulier chinoise, dans le domaine des smartphones, des écrans tactiles, des netbooks.
Quelles sont les perspectives de redressement de ST-Ericsson, toujours pénalisée par la santé de Nokia qui représente 10 % à 15 % de votre chiffre d'affaires, sachant que votre filiale a fait l'objet en juin d'un avertissement qui a fortement pesé sur votre cours de bourse ?
Votre activité reste très dépendante de secteurs cycliques. Quelle action menez-vous pour la diversifier ou être moins soumis à la conjoncture des secteurs automobile et informatique en particulier ?
La rentabilité de votre société est inférieure à celle d'autres poids lourds du secteur en raison de la parité dollar-euro. Quelles sont vos perspectives en la matière ?
ST est spécialisée dans les circuits, notamment pour les périphériques informatiques – disques durs et imprimantes. Or une pénurie de disques durs s'annonce sur le marché en raison des intempéries survenues en Thaïlande, où est basé le principal constructeur mondial, Seagate. Ainsi, la croissance pour 2012 dans ce secteur sera non pas de 10 %, mais de 5 %, et la production devrait s'élever à 120 millions de disques durs, au lieu des 180 à 190 millions escomptés. Quel est votre avis sur cette situation ?
Par ailleurs, quelle importance représentent pour ST les dispositifs d'aides publiques à la recherche, notamment le crédit impôt recherche sur le site de Grenoble ?
Enfin, comment vous positionnez-vous face aux regroupements verticaux, notamment les rachats d'équipementiers par de grosses entreprises de services, comme Motorola par Google ?
Monsieur le président-directeur général, la gestion de ST-Ericsson s'est traduite par la fermeture du site de Caen, l'accumulation de plans de départs et de licenciements en Europe, la réduction des lignes de produits qui a conduit à la baisse des ventes et à un retard par rapport à vos concurrents. Quels moyens allez-vous déployer pour remédier à cette situation, sachant que l'abandon partiel, voire total, de l'activité de votre filiale serait lourd de conséquences pour l'outil industriel de Crolles notamment, et aggraverait davantage le retard qui se creuse en France et en Europe dans le domaine des semi-conducteurs ?
Par ailleurs, les organisations syndicales ont souvent souligné l'insuffisance de l'investissement en recherche et développement et dans l'outil industriel. Pouvez-vous nous rassurer en la matière ?
Enfin, quelles sont vos prévisions en termes d'emplois sur notre territoire ?
Nous aimons tous les types d'entreprises – grands groupes, PME-PMI, entreprises de taille intermédiaire (ETI) –, autrement dit, tout ce qui crée de la richesse et contribue à la croissance en France et en Europe. La particularité des grands groupes est de pouvoir connaître quelques déconvenues selon les sites… Cela dit, je vous félicite pour votre « volonté clairement définie » et votre « plan de route ambitieux ».
Quelles sont vos prévisions en matière de chiffres d'affaires pour les années à venir ?
Quelles sont vos perspectives d'embauches ? Et dans quel secteur – recherche et développement ou fabrication ?
Combien de brevets déposez-vous chaque année ?
Enfin, quelle stratégie entendez-vous développer avec votre filiale ST-Ericsson ?
Votre entreprise est-elle victime de contrefaçons, monsieur le président-directeur général ?
Je me joins à l'hommage rendu par François Brottes à STMicroelectronics. La région grenobloise, dont je suis élue, a conscience de ce qu'elle doit à l'entreprise ST, au modèle réalisé avec le Laboratoire d'électronique et de technologies de l'information (LETI), et à la filière de la microélectronique qui concerne non seulement les entreprises high-tech, mais également l'ensemble du secteur industriel en donnant une valeur ajoutée à toutes sortes d'entreprises. La société d'économie mixte, Minatec entreprise, que je préside, centre d'innovation dans le domaine des micro et nano technologies, héberge des partenariats entre la recherche publique et l'industrie, représentée aussi bien par les ETI, les PME-PMI, les start up ou les grands groupes. Dans ce cadre, les deux dernières recherches hébergées ont concerné deux PME-PMI, l'une qui a mis au point des tuyaux munis de capteurs capables de détecter les fuites de gaz dans les réseaux, l'autre qui a créé des piluliers intelligents pour médicaments.
Face au modèle dit fabless, longtemps soutenu en Europe et contre lequel nous nous sommes battus, comptez-vous maintenir le modèle intégré qui est le vôtre et auquel nous sommes très attachés ? Nous pensons en effet que l'industrie nourrit la recherche autant que la recherche nourrit l'industrie.
Didier Lamouche a été nommé à la tête de ST-Ericsson. Allez-vous réintégrer cette société dans STMicroelectronics ?
La technologie des 450 millimètres semble poussée par Intel et IMEC. Nous craignons que l'Europe fasse ce choix, difficilement compatible avec les technologies développées à Crolles. Partagez-vous notre sentiment ?
Enfin, comment décririez-vous les facteurs de compétitivité positifs en Europe et les atouts spécifiques de la France en matière industrielle et d'innovation ?
La mode est à la réindustrialisation, avez-vous dit. Et, de fait, monsieur le président-directeur général, vous êtes un des porte-drapeaux du « fabriqué en France ». Vous avez également évoqué l'objectif de compétitivité.
Si la France devait financer son système social au moyen d'une forme de financement autre que les charges pesant sur le travail, la compétitivité de vos sites français en serait-elle améliorée ?
Quelle est la taille critique de votre entreprise, et comment se justifie-t-elle dans la mesure où vous vendez des produits qui permettent d'échanger à la vitesse de la lumière d'un bout à l'autre de la planète ? Est-il toujours nécessaire de regrouper physiquement les salariés ?
Quels sont les points forts et les points faibles de votre présence en France et en Europe ?
Enfin, plaidez-vous pour un euro moins fort, sachant que les fluctuations monétaires entraînent des coûts très élevés ?
Monsieur Bozotti, vous avez évoqué la compétitivité économique et la capacité des pays européens à maintenir une industrie. STMicroelectronics, entreprise à haute valeur ajoutée en matière de technologie, le permet.
Pensez-vous pouvoir maintenir à l'avenir votre avance de leader européen et mondial, malgré les distorsions de concurrence, et mettre en valeur vos atouts ? Avez-vous un message d'espoir à faire passer ?
Monsieur le président-directeur général, je vous remercie pour cette présentation de votre activité, que, malheureusement, nous ne connaissons pas au fin fond de l'Ariège…
Quelle est votre stratégie d'implantation sur le territoire français ? Quels critères vous ont conduit à choisir les trois sites français ?
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les applications concrètes des smart grids ?
Enfin, j'ai lu dans la presse spécialisée que vous venez de lancer un fonds d'investissement pour start up. Quels critères retiendrez-vous dans le choix de ces dernières, et de quelle façon allez-vous les accompagner ?
Si la concurrence est exacerbée dans le domaine de la microélectronique, c'est probablement parce que le marché est porteur. Afin de pouvoir subsister et vous développer, l'effort doit-il porter sur la production ou sur la recherche et le développement ?
Que pensez-vous du crédit impôt recherche ?
Dans quels domaines stratégiques orientez-vous la R&D ?
Enfin, en matière de sécurisation des informations, quelle stratégie menez-vous pour éviter le piratage industriel ?
Monsieur Bozotti, si vos bénéfices sont stables en 2011, la presse a fait état d'avertissements sur votre chiffre d'affaires et votre marge. Depuis cet été, beaucoup de sociétés qui, comme la vôtre, se montraient relativement confiantes lors des présentations des comptes semestriels, commencent à prendre acte de la dégradation de la conjoncture, certaines évoquant même un recul de leurs profits l'année prochaine.
Par ailleurs, vous avez déclaré le mois dernier que des signes de reprise se font sentir depuis plusieurs semaines au niveau des prises de commande, mais que ces dernières restent relativement faibles et qu'il est difficile de savoir si cette tendance est durable.
Dès lors, comment appréhendez-vous l'année 2012 et quels risques pèseraient sur les milliers d'emplois français si la conjoncture continuait de se détériorer ?
Certes, la mode est à la réindustrialisation, mais j'ai parfois le sentiment qu'on en reste aux formules incantatoires, même si votre entreprise fait figure d'exception, monsieur Bozotti.
Comment expliquez-vous la réussite du modèle grenoblois dans un secteur très concurrentiel au niveau mondial ? Quel intérêt votre entreprise a-t-elle de rester dans cette région ?
Les semi-conducteurs constituent un élément stratégique pour un grand nombre d'industries, y compris l'automobile. Jusqu'où peuvent aller les métissages de technologies, sachant qu'aujourd'hui on peut intégrer l'électronique dans du tissu ou encore tisser la fibre optique, par exemple ?
La compétitivité ne dépend pas toujours des coûts. Autrement dit, la part salariale n'est pas forcément fondamentale, d'autres critères devant intervenir, comme la compétence, la formation de la main-d'oeuvre de proximité, et l'environnement technologique. Quelle est la part de vos coûts salariaux ?
Dans ce domaine des semi-conducteurs, nous devons faire preuve de volontarisme si nous voulons que l'Europe conserve son indépendance.
Bien que n'étant pas membre de la Commission des affaires économiques, j'ai souhaité assister à cette audition car je suis député de Tours, ville dans laquelle STMicroelectronics a une implantation.
Lorsque j'étais premier adjoint dans cette ville, j'ai un peu contribué, il y a une quinzaine d'années, à la création d'une sorte de cluster avec l'université, ce qui a permis l'enracinement de STMicroelectronics à Tours. L'aventure a réussi, et elle continue.
Les aléas des marchés mondiaux vous amènent à recruter beaucoup d'intérimaires, en particulier des jeunes. Selon vous, quels sont les freins à l'embauche, et quelle politique vous inciterait à embaucher davantage de jeunes ?
Je commencerai par répondre aux questions concernant ST-Ericsson. C'est un grand défi pour nous : en effet, Nokia et Sony-Ericsson, deux grands clients traditionnels dans le domaine du wireless, sont aujourd'hui en difficulté s'agissant principalement des smartphones. Le centre de gravité de cette industrie, qui était situé en Finlande et en Suède, est dorénavant aussi en Californie et en Corée. Notre priorité est d'être présents au niveau des trois grands écosystèmes : Apple, Nokia Microsoft, Google Android avec Motorola et Samsung. Cela implique un important effort de R&D. Je l'ai dit, ST-Ericsson consomme un investissement en R&D d'environ un milliard de dollars par an dont 50 % sont à la charge de STMicroelectronics. Nous continuons de soutenir cet investissement car ST-Ericsson est positionné sur un marché de 25 milliards de dollars annuel, en forte expansion grâce à la révolution de l'Internet mobile.
Le succès de ST-Ericsson est très important pour notre usine de Crolles, qui fabrique la technologie utilisée dans les smartphones. En dépit des difficultés rencontrées aujourd'hui, nous pensons avoir les ingrédients qui nous permettront d'arriver en bonne position. Le marché représentera bientôt 30 milliards de dollars. L'activité de ST-Ericsson, est de l'ordre de 1,6 milliard de dollars et on peut arriver à avoir 15 % de parts de marché. Cet élément est déterminant pour la dimension et la compétitivité de notre usine. Il est vrai qu'à un tel niveau d'investissement en R&D, nous avons peu de concurrents : trois ou quatre au niveau mondial, dont Qualcomm et Intel. En tout état de cause, cet effort est fondamental pour remporter le marché.
S'agissant du grand public, nous sommes en phase car nous avons toujours parlé avec les clients de nos clients. La micro-électronique étant au coeur des usages, il est très important de comprendre ce qui va influencer ces usages. Or ce sont les prescripteurs qui donnent les tendances technologiques et montrent les besoins futurs. Dans le domaine des décodeurs de télévision (set-top box), nous avons ainsi toujours été en relation avec Canal+ , Orange et Bouygues Telecom – qui ne sont pas des sociétés qui achètent nos produits, contrairement à Sagem ou Technicolor. Pour ce qui est du téléphone mobile, il est plus important de parler avec Google, Microsoft, Apple, en tant qu'écosystème software, qu'avec les fabricants de téléphone utilisant ces systèmes. Pour la smart grid, il vaut mieux pour nous être en partenariat avec ERDF que de discuter, au jour le jour, avec ceux qui fabriquent les compteurs intelligents.
Historiquement, STMicroelectronics a bien résisté aux crises parce qu'elle était très diversifiée : première mondiale dans le domaine de la set-top box, elle est aussi très présente dans les secteurs de la téléphonie, de l'informatique – disques durs, imprimantes –, de l'automobile, de l'industrie, des réseaux, de la sécurité avec les cartes à puce. Du fait de cette présence sur des marchés très variés, nous sommes moins soumis aux crises que certains de nos concurrents. Au fil des années, cela nous a permis de continuer à gagner des parts dans le marché de la micro-électronique.
Nous considérons que les smart grids sont une chance énorme pour ST. C'est en effet le domaine dans lequel nous pouvons marier nos différentes expertises : ce qui relève de la communication et du multimédia, et ce qui relève du contrôle et de l'optimisation de l'énergie. Des circuits de télécommunication à 200 mégabits par seconde sont fabriqués par la division « contrôle de puissance » : nous parvenons ainsi à faire transiter sur les lignes électriques des signaux, et donc des données de type internet, à de très hautes vitesses. Ce business, déjà significatif, sera source d'opportunités futures. Là encore, nous sommes en partenariat avec des prescripteurs. Dans la région grenobloise, nous travaillons bien sûr avec Schneider, mais nous travaillons aussi avec ERDF, avec ENEL en Italie, General Electric aux États-Unis, et d'autres entreprises encore en Chine. Les smart grids sont une grande chance pour nous parce que nous savons concilier le nanomètre et la puissance. Nous avons peu de concurrents en la matière.
S'agissant des disques durs, les inondations en Thaïlande sont à l'origine en effet d'une énorme crise. Les usines de certains de nos clients, tels Western Digital ou Seagate, qui sont restées sous deux mètres d'eau pendant six à sept semaines, redémarrent seulement aujourd'hui. Le manque d'approvisionnement est considérable. Intel, plus grosse société de semi-conducteurs du monde, a annoncé une perte d'un milliard de dollars pour le quatrième trimestre – 13,7 milliards de chiffres d'affaires contre les 14,7 milliards prévus. Du fait de ces inondations, des serveurs et des PC ne seront effectivement pas livrés en cette fin d'année, et le premier trimestre 2012 devrait être encore touché.
Quelques chiffres pour commencer : l'effort de R&D produit, pour pouvoir vendre un processeur d'application, c'est un milliard de dollars par an ; la fabrication de 500 millions de puces par an, c'est 6 milliards d'investissement ; la ligne pilote d'industrialisation de la technologie et de ces produits nécessite 1,2 milliard de dollars ; l'effort de R&D technologique implique un milliard de dollars de dépenses par an.
Compte tenu de la réalité de ces chiffres, deux modèles sont possibles. Pour être un fournisseur de semi-conducteurs intégrés, il faut au minimum un chiffre d'affaires de 12 milliards de dollars par an avec une marge opérationnelle brute suffisante. Si tel n'est pas le cas, il faut embrasser ce qu'on appelle un modèle contrefactuel, qui consiste à supprimer l'effort de R&D technologique, ainsi que l'investissement dans la ligne d'industrialisation et de production, et à concentrer l'effort sur la R&D produit.
ST a choisi une troisième voie : elle vise à continuer à clamer l'importance d'être un fournisseur intégré. Encore faut-il se donner les moyens de le faire. La meilleure façon d'y parvenir est de s'organiser en écosystème et en cluster de compétences. En l'occurrence, c'est le cluster de Grenoble-Crolles pour les processeurs d'application, celui de Tours pour les produits discrets avancés, celui de Rousset pour les microcontrôleurs, celui de Agrate pour les circuits MEMS ou la puissance intelligente, celui de Catane pour les composants de puissance. Pour pouvoir se différencier, il faut avoir mis en place une telle organisation et savoir coopérer avec l'ensemble des acteurs de ces clusters de compétences locaux. Pour cela, il importe de pousser les universités, les écoles d'ingénieurs, les instituts de recherche à toujours s'améliorer.
Par ailleurs, si vous ne pouvez pas faire votre R&D seul, il faut mettre en oeuvre une stratégie d'alliances. Il s'agit, non d'aliéner son savoir, mais de le confronter et d'atténuer les risques liés à l'introduction de nouvelles technologies. Imaginez les conséquences d'un mauvais choix en R&D s'agissant d'une technologie qui coûte un milliard de dollars ! ST a donc misé sur les stratégies d'alliances technologiques afin de partager les efforts et d'atténuer les risques.
De même, concernant la partie fabrication, il suffit peut-être d'avoir une usine qui permette de nouer des accords de coopération industrielle avec des tiers pour parler d'égal à égal avec eux.
Enfin, et cela a fait le succès de notre écosystème grenoblois, il importe de mener une politique d'incitation à la recherche et développement, qui permet de réduire l'écart par rapport au fameux modèle contrefactuel.
Que faudrait-il faire de plus, avez-vous demandé, monsieur le président. La chaîne de la valeur de cet ensemble comporte une partie appelée l'industrialisation, élément qui coûte cher – une ligne pilote coûte 1,2 milliard – et qui demande du temps, puisque nous délivrons des systèmes associant hardware et software : entre le moment où nous livrons des prototypes à nos clients et celui où ils nous qualifient en production, il peut s'écouler un an ou deux. Il serait donc très opportun que nous puissions bénéficier, au niveau d'un État voire à l'échelon européen, d'un volet d'incitation qui soutiendrait l'implantation de ces lignes pilotes industrielles – il s'agit d'un élément vital pour faire le pont entre la R&D et la production de masse. Cela fait partie d'ailleurs des recommandations du high level group présidé par Jean Therme.
Tels sont les facteurs de succès du modèle grenoblois que nous nous efforçons de reproduire à Tours et à Rousset – j'ai fait partie de l'épopée de Tours, monsieur Gille.
S'agissant du modèle social, tous les éléments qui permettront de faire baisser les coûts de production sont les bienvenus. Mais il faut toujours regarder les choses dans leur ensemble. Il faut avoir la curiosité de se comparer avec ce qui se passe dans les autres grandes régions du monde, notamment avec Taïwan, la Corée, voire les États-Unis, en phase de retour dans l'industrie des semi-conducteurs, et de vérifier la compétitivité des mesures de support.
J'en viens aux points positifs, madame Fioraso. Nous en voyons un, très encourageant, concernant les processeurs qui vont dans les smartphones. Ceux-ci doivent en effet tourner vite pour être en mesure de traiter toutes les applications prévues sur ces téléphones mais ne pas trop consommer pour ne pas décharger trop rapidement la batterie. Or ST-Ericsson, et donc ST, est capable de réaliser les meilleurs compromis en la matière. Deux grandes technologies permettent aujourd'hui d'atteindre cet objectif : je n'entrerai pas dans le détail de cette architecture de transistors, mais je dirai simplement que l'une est en trois dimensions tandis que l'autre est en deux dimensions et utilise un substrat spécifique – le SOI – qui est sous le leadership d'une ETI, Soitec, avec laquelle ST coopère. L'écosystème de Grenoble et de Crolles travaille depuis dix ans sur ces substrats et pourra mettre sur le marché, dans l'année à venir, ce type de technologie associée au processeur de ST-Ericsson ou au processeur utilisé pour les biens grand public. Cet élément majeur de différenciation sera offert en même temps que la technologie d'Intel, qui avait traditionnellement deux ans d'avance sur l'ensemble des acteurs industriels.
J'en viens à notre effort en matière de R&D, laquelle est associée à la production. En 2001, année d'éclatement de la bulle Internet, vingt acteurs mondiaux étaient capables de mener la recherche et de produire les technologies les plus avancées pour le digital – c'était alors du 250, du 180 nanomètres. En 2005, lorsque nous sommes passés aux 90 nanomètres, il y avait encore une dizaine d'acteurs. En 2010-2011, et alors que nous en sommes aux 45 nanomètres, il reste six ou sept acteurs. En 2012, lorsque nous passerons aux 28 nanomètres, nous ne serons plus que quatre : Intel, Samsung, Global Foundries et nous. C'est l'effort de R&D qui a permis à notre compagnie d'être parmi les quatre grands. L'usine de composants discrets de Tours est unique en Europe. Si elle est toujours en fonction, c'est que, depuis vingt-cinq ans, elle est dans un cercle vertueux qui lui permet d'investir en fabrication et dans l'innovation et les produits. Une fois l'usine de Tours chargée, les produits dits matures sont transférés à l'usine de Singapour. C'est cette dualité qui a permis le maintien du site de Tours.
J'en viens aux 450 millimètres. Ce diamètre ne concernera que la partie digitale avancée, appelée more Moore, pour les microprocesseurs et les mémoires. Les premières lignes pilote d'industrialisation ne verront pas le jour avant 2017 et la date à laquelle la fabrication en 450 millimètres dépassera celle en 300 millimètres se situera aux environs de 2025. Avant d'en arriver à ces étapes, il faut procéder au changement d'architecture du transistor. En outre, pour être capable de faire des traits de milliardième de mètre, il faudra remplacer la photolithographie optique classique par les nouvelles technologies mises en oeuvre par le fabriquant européen ASML. Tant que ces innovations ne seront pas réalisées et maîtrisées, le diamètre 450 millimètres ne sera pas adéquat. ST ne s'y intéressera pas avant les années 2020.
Je le répète, ce diamètre ne concerne que la partie more Moore de l'axe technologique, le more than Moore consistant à assembler dans des mêmes boîtiers plusieurs types de technologie. Rappelons qu'aux termes de la loi de Moore, la dimension du transistor diminue d'un facteur deux tous les dix-huit mois, ce qui permet de doubler la complexité. Pour ne donner qu'un seul exemple : sur le processeur d'un Iphone, il y a un milliard de transistors. Le more than Moore vise à intégrer plusieurs sous-ensembles. À cet égard, les capteurs de positionnement, les MEMS, qui ont donné la possibilité de fournir un signal analogique puis de le traiter avec un microcontrôleur dans un même système, ont ouvert des opportunités d'application énormes.
Je terminerai par le crédit impôt recherche. Cet outil de politique d'incitation à la R&D est vital pour nous. Lorsqu'il est associé en outre à un programme d'incitation du type Nano 2012, on comprend que ST soit parmi les quatre dernières entreprises capables de maîtriser toutes ces nouvelles technologies et ces produits.
S'agissant du rapport entre l'euro et le dollar, je rappelle que sur le marché global de la micro-électronique, les prix sont en dollar, 12 % seulement de notre facturation se font en euro. La concurrence travaille également en dollar. Toutefois, 50 % de nos coûts sont en euro. Compte tenu du niveau de l'euro au cours des huit dernières années, notre concurrent américain a bénéficié d'un avantage très important.
En ce qui concerne la croissance, nous avons noté une amélioration des commandes. Ce mouvement va-t-il se poursuivre ? En tout état de cause, le niveau est encore faible et cette situation frappe également l'Asie. En Chine, par exemple, la croissance du marché automobile n'atteindra cette année que 2 ou 3 %, contre 8, 9 voire 10 % précédemment. À Taïwan aussi, nous avons relevé des signes de faiblesse industrielle. Si la situation européenne au niveau macro-économique se stabilisait, nous pourrions envisager un retour à la normale à compter du troisième trimestre de 2012. S'agissant des charges d'usine, nous pensons avoir atteint le niveau le plus bas au cours de ce quatrième trimestre. Le marché des semi-conducteurs devrait globalement connaître une croissance de 5, 6 ou 7 % par an au cours des cinq prochaines années. Notre motivation est grande de parvenir à une croissance élevée.
À propos de la compétitivité européenne, trois vecteurs me semblent fondamentaux. Il faut d'abord stabiliser la situation et freiner la spéculation. Il convient ensuite de favoriser l'innovation, qui crée toujours de la valeur. J'ai le sentiment qu'en Europe, on en reste trop souvent à la R&D pré-compétitive : on ne la transforme pas suffisamment en produit puis en manufacturing, or, c'est essentiel. Jean-Marc Chery a fait allusion au high level group on key enabling technologies auquel participent trois commissaires M. Tajani pour l'industrie, Mme Kroes pour l'activité digital et Mme Geoghegan-Quinn pour l'innovation, et que préside M. Therme. Cette initiative est très importante : il fallait en effet sélectionner ces technologies. L'Europe doit devenir une puissance d'innovation. Le troisième vecteur porte sur la productivité. Il est facile pour nous de faire des comparaisons entre l'Europe, la Corée, la Chine, les États-Unis. Ce n'est pas seulement une question de durée du travail hebdomadaire ; il importe aussi de prendre en compte la motivation, l'engagement, la vitesse d'innovation. Si la priorité aujourd'hui est de stabiliser la situation financière, il faut également agir sur les deux autres vecteurs pour avoir une Europe compétitive et que ce continent reste un très bel endroit pour vivre et travailler.
S'agissant des brevets, nous avons un portefeuille de 20 000 brevets environ déposés et en cours. Nous en déposons 600 à 700 nouveaux chaque année, dont un peu plus de 200 en France.
Pour ce qui est de la contrefaçon, nous disposons d'une petite organisation qui lutte contre ce fléau et qui, assez fréquemment et avec l'aide des autorités chinoises, parvient à fermer des industries de contrefacteurs. Nous arrivons ainsi à nous protéger de façon relativement efficace. C'est parce que nous sommes vigilants que la contrefaçon n'entraîne pas une perte de chiffre d'affaires significative.
En ce qui concerne les mariages des différentes technologies, nous avons récemment signé un accord entre notre division ASIC et une société d'optique pour l'intégration de composants optiques sur les puces électroniques. Du reste, nous travaillons déjà avec le LETI sur l'étape suivante, l'intégration du laser sur la puce.
À propos de ST New Ventures, nous avons lancé un petit fonds stratégique pour épauler des start-up, en amont ou en aval de nous. Nous allons investir dans des petites sociétés pour essayer de susciter la création de nouveaux marchés. Les nouveaux usages sont nombreux : nous allons donc essayer d'aider ceux qui ont de nouvelles idées sur l'usage de nos produits. Il y a dix ans, personne n'imaginait qu'on trouverait nos puces dans des chaussures de sport ou dans des smartphones. Notre contribution à ce fonds sera de l'ordre de 50 millions de dollars sur cinq ans. Nous serons co-investisseurs et nous ne chercherons pas à prendre le contrôle.
J'invite les membres de la Commission à venir visiter le site de Crolles.
Merci, monsieur Bozotti. Comme l'a souligné, monsieur Brottes, le sujet est majeur et il était bon que notre commission s'en saisisse. Nous avons beaucoup appris en vous écoutant. STMicroelectronics fait figure d'exemple à l'heure où l'on parle de maintenir une présence industrielle en France et en Europe. Il y a beaucoup de leçons à retenir de votre expérience et de votre parcours. Je retiens, bien sûr, votre proposition de venir à Crolles.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 20 décembre 2011 à 16 h 15
Présents. - M. Thierry Benoit, M. François Brottes, M. William Dumas, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean Gaubert, M. Jean Grellier, M. Louis Guédon, Mme Annick Le Loch, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Francis Saint-Léger, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau
Excusés. - M. Claude Gatignol, M. Serge Poignant
Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Hélène Amiable, M. Dominique Dord, M. Jean-Patrick Gille