COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 29 juin 2011 à 9 h 45
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes et de M. Axel Poniatowski Président de la Commission des affaires étrangères
La séance est ouverte à 9 h 45
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Pierre Vimont, Secrétaire général exécutif du SEAE, le Service européen pour l'action extérieure.
Monsieur le Secrétaire général, merci d'avoir accepté cette invitation commune à la commission des Affaires étrangères et à la commission des Affaires européennes. Vous avez été nommé à cette fonction le 25 octobre 2010. Vous avez depuis la lourde tâche de construire cette nouvelle administration en rassemblant des compétences issues des services de la Commission européenne, du Conseil et également, à raison d'un tiers, des administrations nationales, ce service étant chargé de mettre en oeuvre la politique étrangère de l'Union. Votre service est placé sous l'autorité de Lady Ashton, Haute représentante de l'Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Vous nous préciserez où en est le processus de mise en place du service, sur le plan du recrutement, de l'organisation administrative et de la programmation des instruments financiers. Comment les synergies se mettent en place en son sein et quelle est concrètement l'articulation avec les acteurs extérieurs que sont la Commission, le Conseil européen et les diplomaties nationales ?
La création d'un service diplomatique européen a suscité – et suscite encore – autant d'espoirs que de critiques. Le printemps arabe a sans nul doute apporté un éclairage cru sur les difficultés d'une diplomatie européenne en gestation. Je souhaite que vous puissiez faire le point après un premier semestre sur les priorités qui émergent au niveau européen et le pilotage budgétaire qui en découle. Outre les questions diplomatiques, il serait utile de disposer d'un éclairage sur la politique de défense et de sécurité, sur les négociations internationales et sur les questions d'intérêt communautaire – agriculture, commerce, énergie, immigration, etc.
Je tiens à vous exprimer d'abord Monsieur le Secrétaire général exécutif, le plaisir que nous avons, Axel Poniatowski et moi-même, à vous recevoir pour cette audition commune et celui que nous avons à vous retrouver après avoir beaucoup travaillé avec vous lorsque vous étiez à Bruxelles à la Représentation permanente. Concernant la mise en place du service, dans un contexte budgétaire contraint, parvient-on à un équilibre souhaité et souhaitable en interne, s'agissant en particulier de l'association progressive des diplomates des trois composantes Commission – Conseil – Etats membres ? La tâche de Mme Ashton est particulièrement lourde puisqu'elle assume le rôle de Haute représentante pour la PESC et de Vice-Présidente de la Commission. Nous avons l'impression que ce dernier rôle n'est pas investi de façon aussi importante qu'il le devrait. La répartition des tâches entre la Haute Représentante, le Secrétaire général et les Secrétaires généraux-adjoints pourrait-elle l'aider à plus s'impliquer dans la coordination de l'ensemble de l'action extérieure de la Commission ? Enfin, je souhaitais vous interroger sur l'articulation de l'action de la Haute représentante avec celle du Président du Conseil européen et du Président de la Commission européenne.
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les parlementaires, c'est pour moi un grand honneur et un grand plaisir d'être avec vous dans une nouvelle fonction et une nouvelle incarnation, puisque je suis désormais fonctionnaire européen, ce qui me donne une vision différente et d'ailleurs tout à fait intéressante de la politique étrangère de l'Union. Je me limiterai à un propos introductif bref sur la mise en place du Service européen d'action extérieure (SEAE), afin de pouvoir ensuite laisser place aux échanges et répondre aux questions que vous souhaiterez me poser.
Au préalable, je souhaiterais formuler trois remarques.
La première est que le Traité de Lisbonne prévoit une politique étrangère commune et non pas une politique étrangère unique. Or c'est souvent à l'aune de cette dernière que sont émises des critiques qui n'ont donc souvent pas lieu d'être. Certains regrettent ainsi que des déclarations soient produites au niveau européen au sujet de tel ou tel pays ou de telle ou telle crise, parallèlement aux déclarations de différents Etats membres. Mais c'est justement l'objet d'une politique étrangère commune que d'assurer la coordination entre la politique étrangère européenne et les politiques étrangères des Etats membres. Nous nous efforçons de faire en sorte que les communications et déclarations transmettent un message aussi coordonné que possible.
La seconde remarque préliminaire concerne la triple fonction de Mme Cathy Ashton, qui était assurée auparavant par trois personnes. A mesure que nous avançons, nous percevons toute la difficulté de cette tâche. Il faut se souvenir que certains au sein de la Convention avaient souhaité l'existence d'adjoints mais que faute d'accords sur la définition de leur statut, l'ensemble a été confié à une seule personne. Je donnerai l'exemple du rôle joué précédemment par la Présidence tournante qui revient désormais au SEAE. Vous vous souvenez lors de la Présidence française de 2008 de l'action du président de la République française dans la crise géorgienne et de la mobilisation des services à Paris, de la Représentation permanente à Bruxelles et plus largement du réseau français. Cette tâche est aujourd'hui remplie par le SEAE, qui se charge de la préparation du Conseil Affaires étrangères mensuel, de la planification et du suivi de ses travaux.
La dernière remarque est la nouveauté historique que constitue la création du SEAE : il est à la fois au service de toutes les institutions sans appartenir à aucune. Le SEAE est au service de Mme Ashton d'abord mais il travaille aussi avec le Président Herman Van Rompuy pour préparer le Conseil européen, les sommets auxquels il participe, les missions. Il en est de même avec le Président José Manuel Barroso. Cette particularité d'être à la fois "partout et nulle part" se double d'une utilisation des deux méthodes, intergouvernementale et communautaire. C'est passionnant bien entendu, mais cela donne aussi toute la mesure des difficultés posées au service.
J'en viens à la mise en place du service. Il comprend environ 3 600 fonctionnaires : 1 600 à Bruxelles et quelques 2 000 dans les délégations, pour moitié recrutés de droit local et pour les autres fonctionnaires des différents services de la Commission européenne – Directions générales de la concurrence, du développement, des transports, de l'énergie, etc. Je rappelle que ces délégations de l'Union européenne sont issues de la transformation des anciennes délégations de la Commission européenne et, au nombre de 138, à vocation soit nationale soit régionale. Elles constituent un réseau qui n'est pas négligeable même s'il est plus réduit que celui dont disposent la plupart des Etats membres.
Le SEAE est une administration constituée par transfert de ressources humaines et financières. Il ne s'agit pas d'une institution créée ex nihilo comme par exemple le fut la Banque centrale européenne, mais d'une administration née d'un transfert de ressources en provenance du Conseil, de la Commission et des Etats membres. L'objectif visant à réaliser 10 % d'économies dès sa première année de fonctionnement est évidemment très difficile ; il suppose une analyse poste par poste pour déterminer les suppressions, les rationalisations voire les créations nécessaires. Le budget administratif du service s'élève environ à 460 millions d'euros, dont 180 millions d'euros pour l'administration centrale ; le reste correspondant aux dépenses administratives des délégations. Cela représente 6 % du total des dépenses administratives de l'Union européenne. A Bruxelles, l'ensemble des transferts est fait sans que le personnel puisse à ce stade être regroupé au sein d'un même bâtiment. Celui-ci est ainsi dispersé sur huit bâtiments à travers Bruxelles, ce qui ne facilite pas la création d'une identité et d'une culture administrative communes, indispensables pour l'avenir du service. La situation devrait être réglée d'ici la fin de l'année.
Quels sont les problèmes auxquels est confrontée la création du SEAE ?
Tout d'abord, c'est là un élément positif, les problèmes ne se sont pas manifestés dans les délégations, leur transformation étant ce qui a donné le plus de satisfaction. Pendant toute l'année 2010 des négociations ont eu cours entre le Conseil, la Commission, le Parlement européen et les Etats membres sur la création du service, décidée en fin de compte en juillet et opérationnelle au 1er janvier 2011. Le changement s'est donc incarné pendant ce temps là à travers la Haute Représentante et les délégations. Leur transformation en délégation de l'Union européenne a impliqué un nouveau rôle de coordination qui s'est effectué de bonne manière, les représentations des Etats membres ayant parfaitement joué le jeu. Les délégations n'étaient pas toujours préparées à ce nouveau rôle, la plupart n'étant initialement pas dotées de service politique, l'équivalent de nos chancelleries diplomatiques. Les seules difficultés rencontrées concernent les postes multilatéraux – New York, Rome, Genève, etc. – en lien avec la question de la représentation externe de l'Union européenne. Ailleurs, les choses avancent, notamment pour doter les délégations d'un service politique, pour faire accepter les chefs de délégation comme chefs de l'ensemble des éléments de l'équipe et pour sécuriser les communications dans la mesure où les analyses et rapports auront un caractère désormais plus confidentiel. Je rappelle encore une fois que tout ceci s'effectue sous contrainte budgétaire.
Au niveau central, deux types de questions se posent. Le premier concerne le recrutement. Nous procédons à la mise en place du personnel par transferts et redéploiements, avec en outre une obligation de recruter un tiers des personnels au sein des diplomaties nationales à échéance de 2013. Les efforts déployés se traduisent donc par la présence croissante de diplomates nationaux : ils sont quatre sur les six directeurs généraux, trois sur les quatre membres de la direction collégiale et occupent la moitié des postes de chefs de délégation renouvelés depuis 2010. Le recrutement progresse mais il n'est pas exclu, afin de l'accélérer, de procéder à des appels à candidature d'experts nationaux détachés, c'est-à-dire des fonctionnaires mis à disposition par les administrations nationales.
Le second sujet est celui des relations avec les différentes parties prenantes. En premier lieu, de nombreux fonctionnaires du SEAE sont d'anciens fonctionnaires de la Commission qui se retrouvent aujourd'hui dans une situation nouvelle vis-à-vis des services de cette dernière. Nous devons donc établir des procédures de travail adaptées à cette nouvelle réalité. Nous établissons aussi des procédures pour les relations avec le Secrétariat général du Conseil. Avec les Etats membres, enfin, le plus important est de parvenir à établir de nouvelles relations dans la préparation des conseils et dans les réunions des groupes de travail notamment, car dans le domaine de l'action extérieure leur présidence est assurée désormais par un membre du SEAE.
Le Président Axel Poniatowski. Il y a plus de vingt questions.
Je poserai une première question, politique. La politique étrangère reste de la souveraineté des Etats membres, ce qui entretient l'idée que l'Union européenne reste un nain politique. De plus, Mme Ashton ne s'est pas saisie de beaucoup de dossiers et je voudrais vous demander si la situation au Proche-Orient, en particulier le conflit israélo-palestinien, n'est pas le dossier prioritaire dont le Service européen d'action extérieure devrait se saisir.
Sur l'organisation du service, vous avez cité le chiffre de 3 600 personnes, alors que nous avions entendu des chiffres pouvant aller jusqu'à 8 000 collaborateurs. Ce chiffre de 3 600 est-il transitoire ou définitif et quelles sont les perspectives ? Par ailleurs, sur les 135 délégations de l'Union européenne, combien sont-elles dirigées par des diplomates français ?
Ma deuxième interrogation porte sur la question cruciale de la reconnaissance de l'Etat palestinien qui va se poser en septembre. Y a-t-il la moindre chance que l'Union européenne définisse une position commune qui aurait une énorme influence, comme d'ailleurs son absence de position commune ?
J'avais été frappé par l'analyse assez critique de la Fondation Schuman en février qui avait comparé le SEAE à une armée mexicaine avec beaucoup de généraux et peu de soldats et souligné les risques de lourdeur et d'inefficacité d'un organigramme peu clair comportant beaucoup de niveaux hiérarchiques. Que pensez-vous de ces jugements et quelle est l'évolution depuis février ?
Je suis d'autre part inquiet sur la place de la langue française dans les travaux du SEAE si l'on en juge par son site officiel ; la trame est en français mais la plupart des textes ne sont pas traduits, ils portent la mention qu'ils seront bientôt disponibles dans notre langue. Cette situation reflète-t-elle la place du français dans les travaux du service ?
Vous avez rappelé à juste titre combien il était difficile d'installer ce service ainsi que la pluralité des tâches de Mme Ashton, mais vous savez bien qu'il y a une insatisfaction profonde par rapport à beaucoup d'attentes exprimées au départ et à la très faible visibilité des prises de position, même sur des dossiers où il pourrait y avoir un consensus. Ce n'est évidemment pas le cas de la reconnaissance de l'Etat palestinien qui est un sujet de dissension entre les Etats membres, mais si personne n'attend une politique étrangère unique, on a le sentiment que la Haute représentante peine à rendre visible l'action de l'Union européenne.
Même si je reconnais que depuis quelques mois il y a des déclarations sur ce qui se passe au Sud de la Méditerranée et des propositions en mars, puis dernièrement, j'aimerais que vous nous précisiez quelles sont vos priorités, car ce service ne peut pas tout faire. Par ailleurs, comment comptez-vous faire des efforts pour répondre aux besoins immédiats du Sud de la Méditerranée car, jusqu'à présent, les réponses de l'Union européenne qui ont le mérite d'exister ont été très classiques.
Des mouvements d'immigration se développent actuellement et utilisent pour certains la proximité géographique entre les îles grecques et la Turquie. A côté du traitement convenable des situations humaines comme celles des Afghans aux conditions de vie précaires, des démarches ont-elles été entreprises auprès des pays d'origine ou des pays de transit comme la Turquie pour limiter, contrôler et évaluer l'atteinte portée aux règles constitutives de l'espace Schengen ?
Je partage aussi les interrogations de M. Hervé de Charrette et du Président Poniatowski sur le conflit israélo-palestinien.
Parler de politique étrangère commune porte une contradiction dans les termes, dans la mesure où elle s'efforce d'abord de défendre des intérêts vitaux alors que l'on peut se demander quels sont les intérêts vitaux de l'Union européenne. On peut considérer que c'est plus difficile dans des secteurs où chaque Etat membre a une diplomatie engagée que dans des régions où il n'y a pas d'intérêts immédiats en jeu et où la coordination est plus facile.
Dans beaucoup de régions où l'Union européenne a des représentants spéciaux, elle a du mal à se coordonner et à définir des objectifs clairs. En Birmanie, par exemple, l'Union européenne est en pointe sur les sanctions, mais elle est soumise aux pressions de différents gouvernements pour des raisons historiques, stratégiques ou liées aux opinions publiques.
Il faut définir, de façon commune, des orientations, des buts et des politiques pour peser dans les discussions et l'évolution des situations, plutôt que d'être un partenaire marginal, même si l'Union européenne exprime parfois des points de vue assez forts sur ces sujets.
J'irai dans le sens d'Elisabeth Guigou pour vous interroger sur les priorités concernant la Méditerranée, mais surtout sur l'articulation avec l'Union pour la Méditerranée. J'ai cru comprendre que la Commission revendiquait, pour l'Union européenne, la coprésidence de l'UpM, alors que le ministre des affaires européennes semblait nous indiquer récemment envisager une coprésidence de l'Union européenne assurée par la France et la Haute représentante. Quelle est votre position sur ces sujets ?
En vous écoutant, j'ai eu l'impression d'avoir une caricature de ce qu'on ne souhaite pas entendre. Vous avez parlé de la « tripaille », de savoir comment ça marche, ce qui est intéressant, mais il ne faut pas oublier la finalité. Un grand espoir s'est levé lors de la création du service mais on a l'impression que c'est une armée qui discute avec elle-même et oublie la finalité.
Il faut un agenda et, après le raté sur le printemps arabe, tirer les leçons de ce manquement absolu. D'autres thématiques vont arriver et l'aspect prospectif est déterminant.
Bien gérer le quotidien et les fonctionnaires est important, mais préciser l'agenda, les priorités et la finalité est indispensable. Sinon ce sera pour nous qui sommes des « clients » un élément de plus d'un échec.
Toutes les questions ici évoquées posent la question globale de la lisibilité de votre action, qui a commencé il y a six mois et des moyens que vous consacrerez pour la faire mieux connaître, car la solution des problèmes de gestion de 3 600 fonctionnaires et de huit bâtiments n'est pas politiquement compréhensible pour l'opinion publique.
Je voudrais connaître votre mode opératoire au quotidien pour la coordination des paroles et des positions entre la Haute représentante et le service, le Président du Conseil européen et les différents autres intervenants, qui s'expriment à des degrés divers sur la politique étrangère européenne.
Je m'étonne qu'on évoque encore l'Union pour la Méditerranée qui, hormis des photos de famille sur le perron du palais, est une chose qui n'existe plus et devrait être remplacée par un retour vers la Conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée.
Je reviens d'un voyage en Amérique latine et j'en retire l'impression que, pour certains de nos amis latino-américains, l'Union européenne n'existe plus sur le plan diplomatique et que les pays de cette région se tournent vers les anciens cheminements et les grands Etats membres de l'Union européenne. Le temps où ils cherchaient à équilibrer leurs relations avec les Etats-Unis en se tournant vers l'Union européenne est terminé et ils regardent désormais vers la Chine tout en revenant vers les grands Etats membres européens.
Vous avez bien posé les limites de votre action, notamment les différences entre une politique étrangère commune et une politique unique et vous avez souligné les difficultés des tâches de Mme Ashton qui doit couvrir trois secteurs. Force est de reconnaître que l'Union européenne a été bien absente de beaucoup de théâtres extérieurs, en particulier le printemps arabe et le Proche-Orient.
Que manque-t-il pour renforcer l'identité et l'efficacité de la politique étrangère commune ? Je ne parle pas des problèmes administratifs et matériels que je ne sous-estime pas, mais des problèmes politiques et institutionnels à résoudre.
Je voudrais commencer par une remarque liminaire pour répondre aux reproches qui m'ont été faits de ne pas avoir abordé les questions de fond dans mon exposé initial : je me suis volontairement tenu au début de mon exposé à la présentation du fonctionnement du Service Européen pour l'Action Extérieure. Il y a bien sûr beaucoup à dire sur le fond.
Les difficultés qui existent sont réelles mais ne doivent pas vous donner l'impression que ce service est découragé. Tout cela est normal et doit prendre du temps. J'ai bien noté les commentaires publiés quinze jours après la création du Service le 1er janvier 2011 ! Mais si quelqu'un a pu imaginer que le Service atteindrait son rythme de croisière dès sa création, alors qu'il faudra par exemple plusieurs années pour arriver au tiers des effectifs prévu pour les diplomates nationaux, ce ne pouvait pas être une vue réaliste des choses. A M. de Charrette, je peux indiquer que la présence française au sein du Service est tout à fait honorable et que la France a plusieurs représentants à la tête des délégations européennes.
Le processus de paix au Proche-Orient est certainement le dossier auquel Mme Ashton consacre le plus de temps et de travail. Elle se rend régulièrement dans la région et entretient des contacts étroits avec les responsables politiques concernés. Elle est parvenue à relancer le Quartet et à faire avancer l'organisation d'une réunion d'ici à mi juillet. Elle s'efforce de donner une nouvelle impulsion au processus de paix, en dépit du peu d'enthousiasme des parties à s'engager sur cette voie.
Le rôle de l'Union européenne sur ce point est reconnu par tous. Celle-ci tient naturellement compte de l'initiative prise par la France, en visant à la complémentarité entre ses efforts et ceux des Etats membres. Il est clair que les perspectives du mois de septembre risquent de mettre en question l'unité de l'Union européenne à propos de l'initiative visant à la reconnaissance d'un Etat palestinien aux Nations unies. Il s'agit donc de relancer le processus de paix avant cette date, de manière à éviter que cette question ne se pose. Il ressort de la récente tournée de Mme Ashton dans la région que toutes les parties en cause préfèreraient si possible éviter d'être placées devant cette échéance.
3 600 est le nombre de personnes travaillant pour le SEAE. Il n'a jamais été prévu qu'il en compte 7 ou 8 000. Etant donné le contexte budgétaire difficile, la tendance serait d'ailleurs plutôt à la baisse qu'à la hausse de cet effectif. Les nouvelles rotations de chefs de poste, qui seront très prochainement officialisées, incluent un nombre important de Français. Beaucoup de nos compatriotes occupent en outre des postes de chefs de section politique, l'équivalent des chancelleries politiques françaises. Ces très bons résultats ont été permis par les efforts accomplis en matière de formation aux questions européennes depuis plusieurs années au sein du ministère des affaires étrangères et européennes.
Pour ce qui est de la place de la langue française, je rappelle d'abord que tous les documents officiels sont traduits dans toutes les langues des Etats membres. Mais il est clair que, dans le travail quotidien, le SEAE utilise beaucoup l'anglais. Au sein du service, beaucoup de réunions se tiennent néanmoins en français, langue qui est pratiquée par presque tous les membres du service. La France mène d'ailleurs une politique en faveur de la formation au français des nouveaux fonctionnaires communautaires.
Pour ce qui est de l'information sur l'action de l'Union européenne, notamment en faveur du Sud de la Méditerranée, il y a certainement beaucoup à faire. Mais l'Union a été très active. La Commission et la Haute Représentante ont présenté deux communications, le 8 mars, sur l'Egypte et la Tunisie, et le 25 mai, sur la politique de voisinage, en particulier dirigée vers le Sud de la Méditerranée. Les actions envisagées relèvent d'instruments bien connus : il s'agit en particulier de la conclusion d'accords commerciaux, de mesures relatives aux migrations et à la mobilité des personnes, du renforcement du rôle de la BERD et de la BEI, et de la hausse du volume financier d'aide, à hauteur de 1,2 milliard d'euros.
Le premier objectif est d'obtenir l'accord des Etats membres sur les propositions d'intervention, et un pas important a été franchi à l'occasion du Conseil du 20 juin avec l'accord politique des 27 Etats membres sur les grandes lignes des propositions de la Haute Représentante. Ces instruments devront ensuite être adaptés aux demandes des Etats du Sud, au cas par cas. Ceux-ci sont attachés à nouer des partenariats d'égal à égal avec l'Union européenne, ce qui est légitime. Surtout, leurs demandes sont encore incertaines. Pour citer quelques exemples, l'Europe a offert son aide pour organiser les processus électoraux à venir ou envoyer des observateurs le jour du scrutin, mais ni l'Egypte ni la Tunisie n'ont encore tranché définitivement la question de l'organisation de ces scrutins. L'Union européenne n'a pas à intervenir dans ces choix ; elle doit donc rester à l'écoute de ces partenaires. De la même manière, dans un premier temps, ces Etats ont souhaité recevoir une aide budgétaire pour compenser la chute de leurs recettes touristiques. Le FMI mène les consultations habituelles, mais ces demandes font aujourd'hui encore l'objet de discussions prolongées.
Le SEAE essaie, dans la mesure du possible, d'anticiper les besoins. Ainsi, il dispose d'un bureau à Benghazi, qui évalue actuellement les actions à mener dans la perspective de la situation qui prévaudra après le conflit pour contribuer au renforcement de la société civile, l'éventuelle mise en place d'une constitution ou d'un Etat de droit, le renforcement de la police aux frontières, l'organisation des élections…
En ce qui concerne la gestion des problèmes migratoires actuels, l'Union veille à ce que toutes les disciplines prévues par l'accord de Schengen soient mises en oeuvre. Mais la Turquie n'est pas dans la zone Schengen et la négociation d'un accord relatif à l'immigration et à la réadmission est actuellement en cours.
Dans tous les domaines, le SEAE recherche la complémentarité de ses actions avec celles des Etats membres et travaille à les coordonner. Il répond aussi aux attentes des Etats membres et des Etats partenaires en faveur de la conclusion de partenariats stratégiques entre l'Union et les grands pays – Etats-Unis, Chine, Russie, par exemple. L'Union suscite beaucoup d'intérêt de la part de ces grands partenaires. Ils veulent discuter avec l'Union notamment à cause de sa puissance économique et de la taille du marché intérieur. La question centrale porte donc sur les moyens de traduire ces atouts économiques en influence politique.
L'Union ne se désintéresse pas de l'Amérique latine. Le SEAE a, par exemple, récemment reçu à Bruxelles parmi d'autres des délégations du Honduras, de l'Equateur et du Pérou, qui sont attachés au travail fait par l'Union dans des domaines importants, comme la coopération et les échanges commerciaux. Il est vrai que l'attention se focalise actuellement sur le Sud et l'Est de l'Europe à cause des événements en cours. On peut se réjouir d'ailleurs que l'Amérique latine connaisse actuellement une période de stabilité. Mais les autorités du Honduras ont remercié l'Union pour son action en faveur d'une solution politique à la crise que le pays a traversée. Quant aux événements dans le monde arabe, nous sommes aussi très actifs dans la recherche de solutions pratiques : nous avons ainsi contribué, avec les Etats du Golfe et les Etats-Unis, à l'élaboration d'une solution pour assurer la transition au Yémen, et nous continuons à soutenir les efforts de médiation du pays du Golfe.
S'agissant de la question qui m'a été posée sur les relations entre le SEAE et les différentes institutions, le mode opératoire est concret et quotidien. Le SEAE est au service de tous, de Mme Ashton comme de M. Van Rompuy et de M. Barroso. Nous préparons par exemple les dossiers de synthèse avant les réunions au sommet, avant les Conseils européens, et quand M. Van Rompuy ou M. Barroso se rendent à l'étranger. Par ailleurs, nous avons des réunions quotidiennes avec les représentants des Etats membres. Nous maintenons aussi des relations très suivies avec le Parlement européen et c'est le SEAE qui préside à présent de nombreux groupes de travail ainsi que le Comité politique et de sécurité (COPS).
Je vois très bien la différence entre une monnaie unique et une monnaie commune, mais j'ai du mal à voir comment une diplomatie commune peut se différencier d'une diplomatie unique.
Parmi les 3 600 personnes qui composent le SEAE, vous avez indiqué qu'il y a un grand nombre de Français. Doit-on en conclure que la diplomatie commune est d'inspiration française, ou bien que le SEAE « cannibalise » la diplomatie française ?
Vous avez parlé de l'Amérique latine, mais pas du tout de l'Afrique. Quelles sont les perspectives de la politique européenne sur ce continent ?
Je vous pose une question directe : quel est votre sentiment alors que vous devenez impuissant après avoir été un acteur de la politique étrangère ? M. Jacques Delors nous avait déclaré, lors d'une réunion de la commission des affaires européennes de notre Assemblée, qu'il n'y aurait jamais de politique étrangère européenne. Regardons la réalité en face : neuf dixièmes des Etats membres de l'Union sont réticents à avoir une défense européenne et une vraie politique étrangère. Quand on voit tous les problèmes internationaux actuels, qu'il s'agisse du Proche-Orient, de l'Irak, de la Russie, de la Libye, tout cela n'est qu'une perte de temps. Plus grave, vous allez vers la paralysie et vers une démonstration de l'inutilité du SEAE, sans compter que celui-ci est une machine à anglicisation.
Pourriez-vous préciser le périmètre d'intervention du SEAE ? Je pense à trois exemples : les relations entre le SEAE et l'OTAN, alors que des avancées de la politique de défense commune étaient attendues ; les relations bilatérales avec la Russie, notamment en ce qui concerne la libre circulation autour de Kaliningrad ; et la coopération décentralisée, c'est-à-dire l'activité internationale des collectivités territoriales : est-elle prise en compte par votre Service ?
Le Président Pierre Lequiller. Comment faire avancer la politique européenne de défense ? Pourra-t-on progresser dans ce domaine pendant la présidence polonaise, qui en fait une de ses priorités ?
Vous avez parlé de la politique de voisinage et de la Turquie. Quelles relations prenez-vous l'initiative de nouer avec la Turquie, qui essaye de prendre une position de leadership au Moyen-Orient ? D'autre part, qu'en est-il d'éventuelles sanctions contre la Syrie ?
S'agissant de l'Afrique du Nord, les bouleversements politiques en cours sont souvent liés à l'absence de partage des richesses. L'Union européenne réfléchit-elle à mieux lier aide au développement et démocratie ?
En tant que présidente du groupe d'amitié de l'Assemblée avec Chypre, je souhaiterais savoir quelles initiatives sont prises ou à venir concernant Chypre.
Vous avez abordé le problème de l'immigration. J'ai pu constater moi-même la situation à Lampedusa, et j'ai le sentiment qu'aucun pays n'est en fait capable d'y faire face. Quel est votre sentiment sur une révision du système Schengen ?
La ressource la plus prisée aujourd'hui en diplomatie, ce sont les nouvelles idées, dans un monde qui change. Ainsi, nous devons maintenant prendre la bonne mesure des nouveaux rapports de force au Sud de la Méditerranée : lorsque la Libye a été évacuée au début des événements par les étrangers y résidant, le contingent le plus important de personnes évacuées était représenté par les Chinois, au nombre de 25 000, suivi par les Turcs, 23 000 et seulement 6 000 Européens.
On ne peut donc simplement utiliser la grille d'analyse héritée de la chute du mur de Berlin sur cette situation, où nous sommes confrontés à de nombreux partenaires pour la présence et l'influence en Méditerranée : la Chine, la Turquie, certes, mais aussi l'Australie, très présente dans les forums de discussion sur la région, le Brésil, et d'autres encore.
L'Europe doit proposer de nouvelles idées aux Etats membres, de nouvelles pistes de réflexions et d'action : ce doit être là la plus-value du Service européen d'action extérieure.
Concernant l'Afrique, l'Union européenne a été et demeure très présente. Prenez l'exemple de la Côte d'Ivoire, le premier acteur à mettre en oeuvre des sanctions contre Gbagbo et ses proches, ce fut l'Union européenne dès la fin de décembre 2010. Et on a pu constater l'efficacité de ces mesures en observant les difficultés financières qui se sont posées très rapidement à M. Gbago. L'efficacité européenne est indéniable sur ce type de dossiers.
Parce que des mesures adoptées à 27 sont plus efficaces que des mesures adoptées isolément. Le continent africain continuera de retenir notre attention sur de nombreux sujets : le Sahel, la Corne de l'Afrique, la région des grands lacs, le Soudan, la reconstruction et la réconciliation de la population de la Côte d'Ivoire, etc.
S'agissant des questions de défense et de la relation avec l'OTAN, un travail considérable est mené avec cette organisation, dans un contexte dominé par les relations délicates entre Chypre et la Turquie que vous connaissez. Madame Ashton rencontre de manière régulière Monsieur Rasmussen, secrétaire général de l'OTAN , pour aborder des dossiers très concrets comme l'intervention en Libye.
L'Europe de la défense est, pour sa part, dans une phase de réflexion en vue de lui donner un nouvel élan. Le SEAE est en train de rédiger des rapports sur des thèmes tels que la planification et le commandement opérationnel, la mise en commun des équipements militaires et des capacités industrielles, les relations UEOTAN Le contexte est difficile : les budgets des Etats sont sous contrainte. Mais cela peut être aussi l'aiguillon de la coopération, et la pression amicale de notre allié américain pour renforcer l'effort de défense des Européens peut contribuer à susciter de nouveaux efforts.
Avec la Russie, le SEAE entend assurer la cohérence de nos relations et définir les priorités de nos actions, notamment dans la perspective des sommets UERussie.
Notre position est la même pour la coopération décentralisée, qui peut apporter en matière d'assistance technique une contribution très utile. Nous sommes au contact des collectivités qui agissent dans ce domaine.
La Turquie est l'une des diplomaties avec lesquelles la Haute représentante a le plus de contacts, ce qui permet par exemple d'avoir aujourd'hui un accès privilégié aux informations relatives à la Syrie. Malheureusement, ces échanges de vue n'incitent guère pour le moment à l'optimisme sur l'évolution de la Syrie. C'est pourquoi l'Europe a procédé au renforcement des sanctions contre les dirigeants de ce pays, et qu'elle est prête à accroître la pression tant que la Syrie n'aura pas accédé à nos demandes notamment pour l'accès aux populations des ONG spécialisées dans les droits de l'homme et l'assistance humanitaire.
Sur l'aide au développement et son lien avec la démocratie, cela fait partie de nos engagements. Nous entendons veiller au respect de ce principe dans toutes nos actions.
Au sujet de la question chypriote, nous continuons de travailler de notre mieux à la recherche d'une solution en étroite liaison avec le Secrétaire général de l'ONU.
Concernant l'immigration, notre plan d'action avec les pays d'origine de ces émigrés est clair. Nous leur demandons de mettre un terme à ces flux illégaux et de reprendre leurs ressortissants sur leur territoire. Nous sommes prêts à les aider à mettre en oeuvre les actions nécessaires. Une fois ces objectifs atteints, nous pourrons nouer des partenariats durables pour favoriser les flux réguliers, de chercheurs, d'hommes d'affaires, d'étudiants.
Le Président Axel Poniatowski. Il me reste à vous remercier, Monsieur le Secrétaire général, d'avoir accepté de répondre aux questions nombreuses et variées de nos collègues. L'audition récente de Mme Ashton devant la chambre des Lords britannique semble montrer que sa position initiale de refus de toute audition devant une chambre parlementaire nationale a évolué. J'espère que vous pourrez porter auprès d'elle notre demande de la recevoir ici – conjointement avec la Commission des affaires européennes –, demande déjà formulée mais jusqu'à présent refusée.
Le Président Pierre Lequiller. Je soutiens entièrement cette invitation commune de nos commissions, qui permettrait d'améliorer l'image du Service d'action extérieure européen auprès du public, démarche qui ne peut être que positive pour son avenir.
La séance est levée à 11 heures